Les Artilleuses : Le Vol de la Sigillaire & Le Portrait de l'Antiquaire
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Si rien n'explose, c'est qu'elles se sont trompées quelque part !


Ainsi sont annoncées Les Artilleuses, trois sympathiques voleuses à la gâchette facile qui sévissent en 1911 dans un Paris parallèle qui est presque le nôtre... mais pas vraiment.

En effet, ce triptyque de bandes dessinées se situe dans l'univers très plaisant des romans Le Paris des Merveilles de Pierre Pevel
Imaginez le Paris d'Arsène Lupin mais dans lequel vivent des enchanteurs, des fées, des gnomes et autres créatures fantastiques en raison de la découverte de l'Outremonde, le fameux monde des fées.

Si l'univers vous intéresse, les trois romans et l'anthologie de contes situés dans Le Paris des Merveilles et écrit par Pierre Pevel sont édités par Bragelonne. Les romans nous plongent bien davantage dans les méandres de cet univers et, personnellement, j'envisage cette BD comme un bonus, une sorte de spin-off... 
Et si je déclare ça d'entrée, c'est pour contrer dès le début de cette chronique un argument que j'ai lu parfois dans des articles traitant des Artilleuses, le fameux "il nous manque beaucoup de repères pour appréhender cet univers". 
Primo, non. On a bien assez de repères pour avoir accès à la parcelle de l'univers utile à la BD.
Secundo, non. On n'est pas obligé de se limiter à cette BD si l'univers nous plaît ; il y a quatre bouquins qui vont avec. Parce que je me mets à la place de l'auteur : répéter en BD ce que j'aurais déjà écrit en romans, ça me gaverait pas mal !

Je rassure donc les fidèles de UMAC : si ces BD vous tentent et que vous avez lu ce commentaire dans d'autres critiques, il ne faut surtout pas que ça vous bloque ; c'est une critique idiote rédigée par des gens qui reprocheraient sans doute à chaque épisode de la série Doctor Who de ne pas parler de Gallifrey ou à chaque livre de Terry Pratchett de ne pas rappeler la topographie du Disque-Monde.

Pour le moment, ce futur triptyque compte déjà deux tomes et j'attends avec grand intérêt la conclusion de toute cette pétaradante aventure.

Dans les grandes lignes et en essayant de ne pas trop dévoiler l'intrigue, disons que les Artilleuses sont trois voleuses professionnelles très portées sur les armes à feu et les gros moteurs, et qui, pour leur dernier contrat, volent une mystérieuse relique (la Sigillaire) dans une banque en faisant preuve d'une subtilité n'ayant rien à envier à une famille d'éléphants aveugles et obèses dans un magasin de porcelaines miniatures.
Cela va leur valoir d'être poursuivies par les Brigades du Tigre (logique), les services secrets du Kaiser (déjà plus étrange) et une autre faction dont on ne sait pas encore grand-chose. Autant dire que ça chauffe pour nos trois jeunes flingueuses !

Ces deux tomes relatent tout autant la fuite des filles que leur enquête pour savoir pourquoi leur commanditaire a été abattu, pourquoi on leur tire dessus à tout bout de champ et pourquoi cette relique est si importante... Sachant que la façon d'enquêter des Artilleuses est à peu de choses près aussi délicate que leur façon de fracturer un coffre de banque (à la dynamite, en l'occurrence), vous imaginez bien que l'on a là des BD qui, pour bien scénarisées qu'elles soient, ne manquent jamais une occasion de glisser une scène d'action, des punchlines et des postures tantôt classieuses, tantôt sexy de nos héroïnes.

Ça déborde de fraîcheur et il est difficile de ne pas s'attacher à ces charmantes ennemies publiques tant leurs caractères exsudent le charisme, la sympathie et le charme par tous les pores.
Allez, lançons-nous dans une rapide présentation de ces demoiselles.

Lady Audrey Remington
est un être calme, posé et réfléchi.

Apparemment issue de la haute société anglaise, c'est cette grande blonde qui dirige le trio et veille à la planification de leurs opérations... même si les deux autres n'ont pas précisément des caractères propres à faciliter l'exécution méticuleuse d'un plan quelconque, malheureusement.
Audrey est, qui plus est, une magicienne assez impressionnante mais, dans cet univers, la magie s'épuise. Elle ne fait donc que rarement usage de cette capacité, ce qui est plutôt une bonne chose pour la qualité de l'histoire, ça évite le coup du deux ex machina toutes les deux pages.
Plus guindée que ses deux complices, elle est l'atout élégance du groupe. De ses armes de prédilection aux postures que le dessinateur lui attribue, tout chez elle rappelle inévitablement ses origines aristocratiques. 
Un peu éclipsée par ses comparses dans le premier tome, on la découvre davantage dans le deuxième où elle occupe un nombre de cases bien plus conséquent. Les autres filles la voient comme un leader fiable et incontesté mais sans pour autant faire montre à son égard d'une excessive déférence. 

Miss Kathryn Winchester a ce qu'il est bon d'appeler un caractère bien trempé.

Dans ses tenues affriolantes à faire fantasmer toutes les cosplayeuses steampunk amatrices de fanfreluches, de crinolines et de bustiers pigeonnants, l'Américaine de la bande est portée sur les canons longs et le tabac.
Sexy en diable, la belle rousse porte sur l'épaule gauche un tatouage magique de salamandre baptisé Humphrey et qui prend parfois vie à sa demande, faisant de temps à autre office de "coccinelle de Gotlib" dans certaines cases.
Des trois, c'est de loin la conductrice la plus experte et la meilleure gâchette : tout dans la précision. Ce qui offre un contraste remarquable avec la fougue de son comportement.
Sans doute aussi allumeuse qu'allumée, elle n'est pas de celles qui se plient facilement à un plan établi et semble très bien s'épanouir dans l'improvisation.
En gros, dans les Spice Girls, ce serait Geri Halliwell... Oui, j'assume mes références de vieux, na !

Mam'zelle Louison Gatling est sensible, enjouée et encore un peu enfantine.

Jeune fée de Paris (ce qui lui vaut d'ailleurs de dépérir lorsqu'elle s'éloigne de la capitale, comme le fait une fée des rivières loin de son ru), la jeune femme est l'atout sympathie de la bande mais cache (à peine), derrière son joli minois et sa dégaine effrontée de titi parisien, une passion immodérée et déraisonnable pour Iphigénie, alias Fifi... sa mitrailleuse préférée ! Elle considère ce jouet comme étant la clé de la plupart des problèmes qui pourraient entraver leur cavale. 
La souriante brunette est espiègle et sa jeunesse comme sa fragilité apparente font d'elle la mascotte qui cimente le trio.
Toujours prête à s'enivrer, à fêter, à chanter et à se réjouir, tout semble l'amuser (ou presque). Elle est l'atout humoristique majeur de la BD.
Et c'est encore dans la bonne humeur qu'elle manie avec un plaisir évident toutes sortes d'explosifs, se réjouissant lorsqu'une explosion peut, ne serait-ce que temporairement, les sortir d'un mauvais pas.


Pour être totalement complet, il me faut vous parler du travail d'Etienne Willem au dessin.
Je ne connaissais ce talentueux Liégeois qu'à travers sa collaboration avec Jack Manini pour La fille de l'exposition universelle. La rédaction de cet article m'a révélé l'existence d'une production bien plus importante, notamment aux éditions Paquet. Il va falloir que je me penche sur tout ça.
Car oui, j'aime ce genre de trait. C'est frais et précis ; épuré quand il le faut mais détaillé jusqu'à l'obsession quand c'est utile. Un trait européen sans concession particulière faite à un autre genre, dans la plus pure tradition de ce que l'on considère ici comme la belle BD belge. On sent dans son dessin efficace aux tracés parfaits l'habitude de bosser sur des œuvres d'animation autant qu'une vraie expertise dans cette prise de tête qu'est la conception d'un bon storyboard (toutes les planches, des plus basiques aux plus complexes sont d'une lisibilité parfaite).
J'espère sincèrement que ce projet lui donnera plus encore de visibilité... car si j'aime me rassasier de comics, de mangas et de bandes dessinées européennes mélangeant les influences, je ne saurais oublier sans me trahir que ce sont des dessinateurs comme Willem dont j'ai recopié les dessins jusqu'à l'épuisement lorsque j'étais ado. Ce sont eux qui ont fait de moi le curieux du neuvième art que je suis.
Et je ne peux qu'être ravi qu'il en existe encore pour sortir des bandes dessinées terriblement actuelles mais néanmoins toujours connectées avec mon passé de lecteur.

En plus, pour ne rien gâcher, malgré l'ambiance que certains pourraient apparenter à du steampunk (même si ça ne me semble pas en être), la coloriste Tania Wenisch a le bon goût de ne pas tomber dans les couleurs désaturées ou les tons sépia dans lesquels on enferme bien trop souvent ce genre. La mise en couleur est comme le dessin : de bon goût, bien dosée et optant pour une lisibilité absolue. On comprend en un clin d'œil la profondeur de champ, la période de la journée, la saison, l'effet de telle ou telle source lumineuse, l'importance de tel ou tel protagoniste dans une case. Sans oublier d'être jolie, cette colorisation est avant tout efficace et intelligente.  


Alors, du coup, qu'est-ce qu'on peut en penser, de ce projet ?

Eh bien je dirais que mettre un gars comme Christophe Arleston (je parlais déjà de lui dans la chronique du dernier Trolls de Troy) à la tête d'une collection dédiée aux mondes de l'imaginaire est une excellente idée. Lorsque le directeur des éditions Bamboo, Olivier Sulpice, a signé pour la création de la collection Drakoo, il voulait apparemment enrichir son catalogue d'œuvres atypiques flirtant avec la fantasy, la science-fiction et le fantastique... Qui de mieux pour ce faire, en francophonie, que le papa de Lanfeust, Les Forêts d'Opale, Les Naufragés d'Ytaq, Ekhö Monde Miroir, Les Feux d'Askel, Le Chant d'Excalibur, Les Maîtres Cartographes, Moréa et bien d'autres encore ?

Je ne vais pas vous mentir : je ne suis pas objectif. Christophe Arleston est pour moi ce que Raoul Cauvin est aux bédéphiles un peu plus âgés que moi.
À ce propos, total respect à ce grand Monsieur, et à la dignité et au courage dont il fait preuve actuellement ; je le remercie pour les centaines d'heures de plaisir qu'il m'a procurées et pour les kilos de papiers dont il fut l'auteur et qui garniront les étagères de ma bédéthèque jusqu'à mon propre départ. Depuis Les Tuniques bleues et L'agent 212 quand j'étais tout petit jusqu'au Pierre Tombal de mon adolescence, en passant par Boule et Bill, Cédric, C.R.S. = Détresse, Cupidon, Les Psy et quantité d'autres séries, Raoul Cauvin est sans doute encore maintenant l'auteur le plus représenté dans la pièce ou je range méthodiquement mes trésors.
Mais si Cauvin a bercé mon enfance grâce aux livres que j'empruntais de-ci de -à et que j'ai achetés depuis, c'est Arleston et sa bande de dessinateurs fous du Lanfeust Mag qui m'ont lancé dans l'achat compulsif parfois déraisonnable de bandes dessinées.

Et c'est cet esprit-là, que je croyais perdu avec la triste disparition du Mag, que je retrouve dans la collection Drakoo. Des auteurs avec une vraie plume (souvent des romanciers) servis par des dessinateurs semblant sélectionnés exprès pour eux avec le plus grand soin pour fournir des univers difficilement comparables à aucun autre. 
Drakoo est une respiration, pour un gars comme moi. Un bol d'air frais. Un élixir de jouvence.
On me replonge enfin dans le genre de planches que j'ai dévorées tout au long des 225 numéros de Lanfeust Mag (je sais, il en existe 227, mais mon libraire au fin fond de la cambrousse belge en a loupé deux, à l'époque... et du coup, moi aussi... rien ne sert de raviver ce traumatisme, ne soyez pas cruels !).
Ce n'est pas compliqué, si je n'avais pas été aussi maladivement peu sûr de moi, je crois que je leur aurais envoyé des manuscrits par paquets de douze, à l'époque... J'aurais rêvé être édité chez eux. Mais on ne réécrit pas sa vie... Alors, faute d'avoir osé, j'ai embrassé une toute autre carrière et me contente, de loin, de continuer à lire et, modestement, de donner mon humble avis.
Vous avez chialé, j'espère. Non ? Parce que c'est le maximum que je puisse faire, question pathos !

J'ignore comment j'ai bien pu faire pour passer à côté de cette nouvelle collection pendant plus d'un an... sans doute est-ce dû à la conjonction "mégavirus mortel de la mort fatale qui tue" et "j'habite un trou paumé de la campagne belgicaine". Mais désormais, vous me verrez régulièrement aborder des bandes dessinées Drakoo en ces pages parce que, en me faisant plaisir, je compte bien vous embarquer avec moi à leur découverte ! Et on va s'éclater parce que... si rien n'explose, c'est qu'on s'est trompés quelque part !


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • C'est fun, joli, intéressant et énergique.
  • Les dessins façon "BD belge traditionnelle" ne peuvent que me plaire.
  • Les personnages sont terriblement sympathiques, voire attachants.
  • L'intrigue n'est pas simpliste sans pour autant être complexe et ne souffre d'aucune lenteur.

  • Honnêtement, pas grand-chose. Je pense que cette BD est très exactement ce qu'elle est supposée être et ce à quoi elle devait ressembler, n'en déplaisent au critiques avançant que "il nous manque beaucoup de repères pour appréhender cet univers". Ouais, c'est ça... on n'en doute pas, va, qu'il te manque pas mal de repères !