Streets of Glory
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Même mineur, un Garth Ennis n'est jamais anodin. Ce n'est pas pour rien qu'il est un des scénaristes de comics les plus commentés sur UMAC, et les plus appréciés. Si son goût pour la violence brute rappelle parfois Frank Miller, il a également un côté provocateur à la Mark Millar, mais qui repose sur des bases solides, des thèmes savamment mis en scène et une histoire consciencieusement construite. Pour ces raisons-là, il est un peu le pendant du neuvième Art d'un Philip José Farmer, aimant explorer les dessous occultes des histoires séculaires. Et le voilà qui s'essaie au western ! Comment ne pas succomber lorsque l'album passe à portée de bras...? Certes, on avait pu déjà voir son aisance avec le genre dans Just a pilgrim, mais il s'agissait d'une série post-apocalyptique. Sous-titré en français (dans la collection "100% Fusion Comics" de chez Panini, édition 2012) la Dernière Bataille, il regroupe les 6 épisodes de la mini-série entièrement dessinée par Mike Wolfer pour Avatar Press. Aïe ! Là c'est moins reluisant car, si cet artiste a déjà illustré les plus grands (de Warren Ellis à Alan Moore), son graphisme produit des personnages généralement laids aux visages grossiers. Cela dit, il est plutôt efficace dans les scènes d'action et se révèle assez démonstratif au niveau du gore (comme on peut le constater dans Gravel ou Stitched). Qu'est-ce que cela va donner dans la représentation du Far West ?

Eh bien, le moins que l'on puisse dire, c'est que les dessins de Wolfer, selon qu'on les apprécie d'emblée ou pas, permettront de rentrer plus ou moins aisément dans l'histoire. Le prologue d'une page (un vieil homme assis dans un diner se met à raconter son passé à la serveuse) n'est pas encourageant, pas plus que les premières pages se déroulant dans les hautes plaines où Pete et son frère sont en vadrouille. Mais voilà que leur pique-nique vespéral est interrompu par une bande d'outlaws sans scrupules. Le jeune Pete, tétanisé, aurait pu, aurait dû y laisser sa peau avec celle de son frangin sans l'intervention providentielle de Joe Dunn, vétéran de la Guerre de Sécession. Là, d'un coup, la lecture s'accélère, les cases se teintent de sang, les coups de feu claquent et les cadavres jonchent la prairie. C'est donc en compagnie d'un homme dont la lourde et funeste réputation le précède que Pete va faire son entrée à Gladback, une bourgade jusque là tranquille. Dunn n'est pas là par hasard : s'il retrouve quelques vieilles connaissances, il y a aussi Shelley, une femme avec qui, il y a longtemps, il avait eu une relation... Son arrivée coïncide malheureusement avec celle d'un riche magnat de l'industrie du rail et le retour du pire ennemi de Dunn, un Indien féroce et cannibale nommé Red Crow...


Si certaines des thématiques abordées par Garth Ennis, notamment dans la seconde partie du récit, rappellent des films comme Pale Rider, on y sent également l'influence d'œuvres comme Impitoyable ou la Prisonnière du désert, ainsi que des similitudes avec le travail de David Gemmel sur le personnage de Druss, le vieux guerrier (rédemption, honneur, sacrifice, héroïsme et transmission, vous voyez le topo). On s'aperçoit aussi que, après les réticences du début, pendant lequel chaque case arrachait une grimace devant des profils simplistes ou des faciès grotesques (on a parfois l'impression que les personnages portent des masques de carnaval), on se laisse facilement porté par le déroulé du récit avec ce héros du passé, hanté par les remords, marqué par la vie, à la parole rare mais au geste encore vif, surtout lorsqu'il s'agit de dégainer. C'est l'un de ces cow-boys coriaces, machos au grand cœur, qui parsèment les westerns de papy, durs au mal mais cachant au fond d'eux une tendresse imprévue, systématiquement voilée par la brutalité de la guerre et l'intolérance des hommes. Le jeune Pete, avec sa fraîcheur et son innocence, sera marqué à jamais par les événements qui ont ponctué son arrivée à Gladback et par les exploits de ce vétéran, souvent décrié, mais dur à cuire, et qui lui sauvera la couenne plus d'une fois. En bon Candide pied-tendre, il assistera au dernier round de l'ancien soldat devenu chasseur de primes face à qui se dresseront un démon assoiffé de sang et un être plus vil encore, bien que plus discret. C'est lui qui raconte l'histoire d'ailleurs, et on pourrait presque entendre sa voix off dans certaines scènes.
On glorifie tous notre passé et nos amours car nos souvenirs sont parfois trop durs à supporter.

Riche en péripéties et en hémoglobine (Garth Ennis s'y entend pour décrire les actes de cruauté les plus barbares), l'album s'avère plaisant et divertissant et trouve même le moyen, un peu malicieux et inattendu, de s'achever sur un coucher de soleil.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Garth Ennis.
  • L'Ouest sauvage.
  • Un vieux héros à la peau dure face à sa Némésis.


  • Mike Wolfer.