Retroreading : Dangereuse Callisto
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Avec la collection "Folio SF", nous avons l’occasion de redécouvrir les grands classiques de la littérature de l’Imaginaire, avec bon nombre de titres précédemment parus chez Denoël dans la mythique collection « Présence du Futur » : en 2005, elle a ainsi proposé plusieurs ouvrages du « Bon Docteur », Isaac Asimov, l’écrivain tous genres confondus ayant récolté le plus de récompenses pour ses écrits de vulgarisation et ses œuvres de fiction. Cet émigré russe était entré dans la SF comme on entre en religion : par envie et par nécessité, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Grâce à des cycles majeurs comme Fondation ou ses récits sur les robots, Asimov est désormais mondialement reconnu comme un auteur incontournable du genre, représentatif de ce qu’on a appelé avec un brin de nostalgie l’Âge d’or de la science-fiction.


 
Le recueil Dangereuse Callisto (n°217 de la collection) rassemble pour les lecteurs francophones huit nouvelles parues aux États-Unis dans l'anthologie Early Asimov en quatre volumes : c’est-à-dire les écrits de sa jeunesse, publiés en magazine entre 1939 et 1942, présentés et commentés par le maître lui-même, avec cet humour et cette autosatisfaction qui sont sa marque de fabrique. Une légère différence toutefois : la nouvelle Half Breed n’y est pas, remplacée par Homo Sol. En France, cette anthologie est subdivisée en quatre tomes à peu près équivalents aux originaux, Dangereuse Callisto étant le premier (donc étant parmi les écrits les plus anciens d'Asimov), suivi par Noël sur Ganymède, Chrono-Minets puis La Mère des Mondes

Des livres parus chez nous à partir de 1974 avec une traduction de Monique Lebailly pour celui-ci.  
 
Outre un intérêt relatif pour les amateurs de SF (ce sont des récits souvent naïfs avec des fins parfois maladroites), on peut y observer les traces de ce qui fera plus tard le style inimitable du maître : sa propension à passer par les dialogues pour faire avancer l’intrigue, ses explications scientifiques toujours réalistes et argumentées, un humanisme un peu candide et de l’humour bon enfant. Il n'y a clairement pas encore cette verve qui transparaît dans ses ouvrages des années 1950 et l'on relèvera un peu moins de ces sentences qui claquent régulièrement dans la bouche de ses personnages. Plus précisément, Le Frère Prêcheur, Gardien de la flamme fournit quelques éléments qui resserviront pour Fondation, même si, de l'avis même de son auteur, le texte est loin d'être satisfaisant ; d'autres indices sont d'ailleurs perceptibles dans Homo Sol dans laquelle la psycho-histoire et la planète Trantor sont évoquées. De même, d’autres récits semblent préfigurer les nouvelles sur les Robots. Quant à L'Inestimable Trésor, il fera sans doute penser aux circonstances de rédaction de son pseudo-essai sur la Thiotimoline puisque rédigé à l'époque où il se préparait à obtenir un diplôme en chimie. On trouvera dans cet ouvrage des races extraterrestres (qui finiront par disparaître très vite lorsque Asimov développera l'univers autour de Fondation), des Terriens qui ont colonisé les planètes proches et voyagent autour du Soleil ou une "Arme trop effroyable pour être utilisée".

Notons tout de même, pour être complets, que ce diable d'auteur, qui écrivait plus vite que son ombre, a accompli d'incontestables progrès en fort peu de temps : sa nouvelle Nightfall/Quand les ténèbres viendront qui lui vaudra ses premiers prix littéraires et la reconnaissance de toute la profession date de 1941, soit à peine un an après Homo Sol. Que de chemin parcouru en si peu de temps !



Mais surtout, on se régalera de commentaires précieux sur cette époque agitée où la « speculative fiction » prenait son essor au travers de magazines bon marché et avides de nouvelles plumes, une ère des possibles où l'on rencontre de futurs mastodontes de cette littérature (Fred Pohl, J.W. Campbell, Ted Sturgeon, L. Sprague de Camp) alors que la Seconde Guerre mondiale s'apprêtait à bouleverser l'existence de chacun. Grâce à ces petites tranches de vie truculentes, l'on constate à quel point l’auteur aimait s’inspirer d’événements historiques et on sourit aux anecdotes racontées avec délicatesse et une douce ironie. 

C’était une période où les contraintes éditoriales obligeaient les jeunes écrivains à des trésors d’ingéniosité pour demeurer dans le cadre édicté par les rédacteurs en chef, ceux-ci étant parfois à l’origine des idées de départ, fournissant également nombre de conseils plus ou moins judicieux sur l’orientation à prendre, la structure du récit, la manière d’aborder un thème délicat… 

On découvre également que bon nombre de ces nouvelles ont plusieurs fois été refusées par les éditeurs des magazines auxquels elles ont été présentées : Le Frère Prêcheur... a été réécrite quatre fois en deux mois, systématiquement rejetée, reprise encore avant de finir par paraître dans un autre magazine au bout de trois ans (en 1942) ; Dangereuse Callisto, la seconde nouvelle de SF écrite par Asimov, rejetée trois fois, connaîtra un sort similaire avant de paraître des années plus tard dans la revue dirigée par Frederik Pohl, l'auteur de La Grande Porte dont il avait fait connaissance l'an précédent lorsqu'il avait rejoint le club des Futurians dont Asimov faisait déjà partie. Parvenir à être publié impliquait non seulement du talent, mais également beaucoup de persévérance ainsi que la chance de tomber sur des éditeurs ouverts d'esprit, perspicaces et visionnaires. Il est significatif de constater que, malgré sa profonde estime de soi, Asimov reconnaît sans honte l'impact essentiel des décisions et conseils de Pohl et surtout Campbell avec lequel il a façonné ce qui deviendra son grand œuvre - on comprend mieux pourquoi le livre est dédié à sa mémoire "pour des raisons que cet ouvrage rendra pleinement évidentes".



Bref, malgré des coquilles gênantes (dans la même page, on parle de « Callisto » puis de « Callipso » !, un comble lorsqu'on lit les dernières lignes de l'introduction qui précisent que les nouvelles ont été revues et corrigées "afin d'éliminer toutes les erreurs typographiques"), ce recueil tout à fait dispensable d'un simple point de vue littéraire sera un régal pour les amateurs, une bouffée d’air frais, autant naïve que touchante dévoilant les premiers pas d’un grand maître, père du space opera intelligent et des Trois Lois de la Robotique désormais totalement intégrées à la culture populaire, un auteur qui est malheureusement décédé avant d’avoir pu voir une bonne adaptation de ses ouvrages à l’écran (l’Homme bicentenaire ou I, robot sont, au mieux, décevants ; l‘ambitieuse série Foundation, malgré ses qualités visuelles et les moyens investis, est une adaptation calamiteuse d’un cycle monumental, sans doute impossible à transposer dans les formats existants – il faudrait changer d’acteurs à chaque épisode). Précisons pour finir que le film Netflix intitulé Stowaway (le titre initial de la nouvelle The Callistan Menace, modifié avant parution par Frederik Pohl) n'a rien à voir avec Asimov, même s'il s'agit également d'une adaptation d'un récit de SF.






+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Des récits pleins de malice, souvent pertinents.
  • Un style léger, aux concepts scientifiques présentés clairement et avec une vision humaniste de l'avenir.
  • Un brin d'humour bon enfant.
  • Des commentaires éclairés qui remettent parfaitement les textes dans leur contexte.
  • Les prémisses des futurs chefs-d'œuvre de l'auteur.


  • Une naïveté confinant parfois au ridicule.
  • Des coquilles gênantes.