Anatomie de l'horreur
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Lire un Stephen King [voir la page UMAC qui lui est consacrée] qui n’est pas de la fiction engendre une certaine gêne aux entournures : on retrouve tous les gimmicks de cet auteur, sa prédilection pour les phrases aux nombreuses propositions juxtaposée, sa manière bien à lui d’interpeller le lecteur, son goût pour les citations qui lui permettent d’étaler sa culture avec générosité mais sans snobisme et le souci de narrer par le menu nombre d’anecdotes qui produisent leur lot de digressions, lesquelles hachent le rythme de lecture – quand ce ne sont pas les myriades de notes de bas de page, renvoyées à la fin de l’ouvrage pour davantage de commodité par l’éditeur. 

Sauf que le but n’est cette fois pas de raconter quelque chose (en dehors de petits moments puisés dans sa vie personnelle – alors même qu’il promettait au début de ne pas se laisser aller à l’autobiographie) mais de produire un essai, plus ou moins définitif, sur son genre de prédilection : l’horreur.
 
Les six « maîtres du macabre » cités en dédicace donnent le ton : ceux qui s’y connaissent un peu en littérature fantastique entreverront immédiatement les chemins qui seront empruntés au long de ces 620 pages (c’est de la nouvelle édition augmentée publiée par Albin Michel que nous parlons ici).

Il est facile – peut-être trop facile – de rendre hommage aux morts. Ce livre est dédié à six maîtres du macabre qui sont encore en vie. 
            Robert Bloch

            Jorge Luis Borges

            Ray Bradbury

            Frank Belknap Long

            Donald Wandrei

            Manly Wade Wellman

Évidemment, ces artistes sont tous décédés depuis (Bradbury, le dernier, nous a quittés en 2012).
 

Une bonne partie du livre va alors s’efforcer, parfois par des voies détournées, de décrire comment ces noms ont aussi profondément marqué King dans son domaine favori. Toutefois, il va d’abord s’évertuer à divaguer sur la notion même de l’horreur, la raccrochant à des genres avant d’avouer qu’il n’aime pas vraiment l’étiquette « fantastique » trop généralement accolée à celui-ci, oscillant entre épouvante et terreur et mettant ensuite en place la dualité apollinienne & dionysiaque propre à chaque récit apparenté : l’ordre et le chaos, l’un n’existant pas sans l’autre. Ces termes lui serviront insensiblement de leitmotiv jusque dans la dernière partie. Pour le reste, au travers de ce qui ressemble dans les premières pages (et de son propre aveu) à un joyeux foutoir, King s’appliquera à tenter de ranger les grandes histoires archétypales dans quatre catégories, représentées par une carte d’un jeu imaginaire, sorte de lame de Tarot, dérivée de son explication de texte sur Qu’est-ce qu’exactement un monstre ? dans le chapitre 2, menant donc au chapitre 3 : « Contes du Tarot ». Les trois premières catégories (le Vampire, le Loup-Garou et la Chose sans nom) seront alors exposées par le biais de textes fondateurs, illustrés ensuite par les comics de l’âge d’or des pulps, les premières séries radiophoniques (pour lesquelles il semble garder une émouvante nostalgie) puis télévisuelles, et bien entendu le cinéma.
 

Ainsi le verrons-nous s’étendre longuement sur les circonstances de la création de Frankenstein de Mary Shelley, sur les deux meilleures histoires de Maison hantée et sur quelques-uns de ses artistes de chevet (Lovecraft, bien entendu, mais aussi Ray Bradbury ou Peter Straub pour lequel il voue une grande admiration), tout en assénant quelques scuds parfois étonnants : il considère Mad Max comme un navet sans intérêt et qualifie The Sorcerer de William Friedkin de nanar (mais un nanar qu’il aime bien, quand même). En revanche, on peut être surpris par ses propos sur Kubrick, dont il apprécie le talent et souligne la « vision » et la perversité de sa mise en scène – alors même qu’on nous a régulièrement expliqué qu’il détestait la version cinéma de Shining. Voici des propos sains de la part d’un homme assagi, et on était encore en 1987. 
 

De manière générale, il va mettre en avant les films-clefs du genre horrifique (de Freaks à Amityville, en passant par le Projet Blair Witch et l'Exorciste via les films de la Hammer), les romans incontournables qui constituent la clef de voûte de la catégorie (Frankenstein déjà cité plus haut, Le Cas étrange du Dr Jekyll & Mr Hyde, Dracula, Le Roi en jaune et tous ceux qu'il considère comme leurs dignes successeurs) ainsi que quelques-unes des séries phares, radiodiffusées ou télévisées, avec un long passage très intéressant sur Twilight Zone. La surabondance de références et de citations poussera le maniaque à constamment aller en fin de volume pour lire la note méticuleusement préparée (et complétée par les traducteurs), ce qui nuira considérablement au confort de lecture. Au final, il avoue lui-même ne pas avoir cherché à établir un traité exhaustif sur l’horreur, mais à s’épancher sur ce qui l’a toujours fait tripper, lui procurant les sensations les plus puissantes et durables. Le plaisir qu’on y prendra dépendra éventuellement des choix qu’il effectue en toute connaissance de cause, et de la manière dont il les défend : pour peu qu’on ne soit pas du tout d’accord, l’on risque de lire certains passages de manière biaisée. Cependant, un de ses avantages incontestables sera sans aucun doute de pousser le passionné à trouver une œuvre qu’il ne connaît pas afin de compléter sa culture horrifique : ne serait-ce ainsi que pour sa fonction de catalogue, l’ouvrage s’avère une excellente mine pleine de trésors, dont notamment ces nanars qu’il affectionne (une bonne partie d’un chapitre entier est d’ailleurs consacrée à ces films objectivement mauvais mais qui parviennent à dégager un petit quelque chose de fascinant – et le genre « horreur » en regorge, à n’en pas douter).


Au final, on s'en tire avec une œuvre qui viendra agréablement solliciter la culture de chaque lecteur, lequel aura sans conteste repéré le film, la série ou le roman qu'il ne connaît pas (encore) mais qui lui a été présenté avec tant d'ardeur et d'enthousiasme par Stephen King qu'il lui semblera vital de se le procurer au plus tôt. La masse impressionnante de titres et d'artistes cités, au risque d'étourdir le profane, ne pourra qu'enrichir les connaissances de chacun, à l'image des deux appendices (les 100 livres et les 100 films les plus représentatifs de l'horreur) qui ne constituent en rien un absolu (ils ne sont même pas rangés, ou classés) mais peuvent susciter l'envie d'en découvrir davantage - ou engendrer un challenge à relever entre amis ou membres d'une association de passionnés. 

Toutefois, précisons que bon nombre de lecteurs risquent d'en ressortir déçus s'ils se fient aux sous-titres qui ont parfois fleuri sur les jaquettes des éditions françaises : "l'Univers de King par lui-même". Bien qu'il évoque souvent Salem (qu'il préfère d'ailleurs classer dans la section "Maison hantée" plutôt que sous "vampire"), Shining et surtout Carrie, il ne s'attarde pas sur son œuvre propre, attribuant souvent quelques qualités mais beaucoup de défauts à ses textes de jeunesse (avec ce même regard qu'il porte sur le premier tome de La Tour sombre). Et même s'il explique combien Carrie a changé sa vie - le faisant passer de modeste enseignant à écrivain - il n'estime jamais que l'un de ses textes figure au panthéon des catégories qu'il a édictées. On s'amusera d'ailleurs à ce sujet de son regard très critique, voire acerbe, sur les... critiques littéraires.

Enfin, une petite recommandation : à ne pas confondre avec le recueil de nouvelles Danse macabre. Ce dernier est le titre français d'un livre intitulé Night Shift dans sa version originale, mais "Danse macabre" est également le titre... anglais d'Anatomie de l'horreur [voir ci-contre et un peu plus haut] ! Pourquoi faire simple...

Un livre pour les amateurs et les curieux, parfois frustrant, parfois excitant.

Dans le même ordre d'idées, Nolt avait dressé une petite synthèse axée sur la technique d'écriture de la peur, où l'on ne sera pas surpris de retrouver bon nombre des artistes évoqués par Stephen King.

Image générée par IA.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une étude ambitieuse.
  • Une tentative de  catégorisation assez intéressante.
  • Une montagne de références (près de 70 pages de notes de fin de volume !).
  • De nombreuses anecdotes personnelles.


  • Parfois brouillon, souvent répétitif.
  • La version augmentée n'ajoute rien au corpus qui demeure confiné au champ d'investigation original (des années 30 aux années 80).