Le Sanctuaire des Hérétiques - 1/2
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Conseillé en cela par un ami policier, un jeune journaliste d'investigation cherche le calme dans une petite bourgade transylvanienne pour terminer son dernier livre. Il y trouve bel et bien le calme et on le voit écrire et relire son bouquin durant 48 pages.
Non, je rigole... 


Angel Cimarron, ledit journaliste, n'y trouve néanmoins pas une action trépidante, soyons honnêtes. Mais il y trouve suffisamment de mystères pour entamer, en parallèle de son travail de rédaction, une petite enquête de terrain sur ce qui n'est, au départ, qu'une poignée d'énigmes. Celles-ci semblent peu à peu s'articuler étrangement autour d'une ancienne famille du cru : les Popescu.
Petit à petit, les événements dégénèrent. Ce qui a commencé avec l'apparition dans le ciel d'un rapace considéré de mauvais augure continue bientôt avec des phénomènes aussi étranges que l'eau de la fontaine du village virant au rouge sang ou un troupeau de moutons entier retrouvé décimé en une seule nuit. 
L'ami Angel risque bien d'avoir un sujet d'article...

C'est que le passé de cette famille Popescu est assez énigmatique et entouré de légendes.
C'est que cet endroit, sous la froide pluie de saison, dans l'obscurité angoissante de la nuit, semble propice aux manifestations de quelque ésotérisme.
C'est que ce château qui surplombe le village et dont les rénovations stagnent depuis des années jette sur l'histoire l'ombre du doute et du secret.

Mélangeant les menaces par le biais de rituels suggérant le vaudou, d'actes de vandalisme et d'apparitions fantomatiques, une force naturelle ou surnaturelle veut de toute évidence terroriser la population et, prioritairement, les sept enfants de la famille Popescu (deux femmes et cinq hommes), si bien implantée dans des rôles-clés de la région.

Les membres de cette famille, Cimarron et son ami policier œuvreront-ils ensemble pour lever le voile sur ce qui se trame ? Cette histoire sera-telle un récit d'investigation classique ou une histoire fantastique ? Les présentes affaires ont-elles bien un lien avec le passé de la famille Popescu et la vie de ce chevalier hérétique ancien propriétaire du château ?

Le premier volet de ce qui est prévu comme un diptyque ne répondra aucunement à ces interrogations.
Ce premier tome est là pour poser l'ambiance. Et il le fait à mon sens de façon soignée, posée et élégante.
Nombre de critiques se plaignent de la lenteur de cet album mais je me vois obligé de leur rappeler qu'une atmosphère, ça se construit, ça s'installe. Et ça prend forcément du temps. Il n'y a pas d'ennui possible, à la lecture de l'album Le sanctuaire des hérétiques car l'histoire s'écoule au rythme de la vie de son héros. Entre moments de calme et autres plus étranges, elle laisse à notre personnage principal suffisamment de temps pour récupérer de ses émotions, pour rationaliser les événements et revenir à son quotidien. Cela rend l'histoire crédible, laisse aux protagonistes et au lecteur le temps de souffler, de revenir au monde normal. 
C'est pour cela (outre la localisation de l'histoire au pays de Dracula) que l'ambiance qui se dégage de cette bande dessinée fait penser à un récit fantastique, même si tout jusque-là y est sans doute explicable rationnellement. Ce retour régulier au réel est un procédé de crédibilisation classique du fantastique. Mais seuls les tomes suivants nous révéleront si c'en est !

Parlons maintenant de l'objet...
Le scénario de Christophe Bec est servi par le dessin de Claudio Montalbano. Un dessin réaliste assez expressif et d'un grand classicisme qui sert ici le propos en lui conférant le sérieux nécessaire à ce type de récit. La mise en couleurs d'Hugo Sebastian Facio sert à la perfection l'atmosphère inquiétante en plongeant le dessin dans de multiples nuances d'ombres froides crevées ci et là par des lumières peinant à imposer leur chaleur. Le tout est emballé dans une couverture d'une grande sobriété signée Yvan Villeneuve qui respecte bien l'ambiance visuelle de l'oeuvre... même si j'ignore pourquoi elle n'est pas signée Montalbano... 

Les éditions Soleil nous offrent donc ici un objet dans lequel le soleil est absent... Ça s'appelle un paradoxe.

Juste une petite remarque de dernière minute : le récit nous offrant souvent des scènes centrées sur des personnages solitaires, on se retrouve souvent face à des soliloques un peu forcés où un protagoniste se met à parler de ce qu'il vit ou de ce qu'il voit... Aucun phylactère de pensées, ici, tout est paroles. Or, personnellement, je suis un peu comédien sur les bords : je lis mentalement les bulles en les entendant dans ma tête... et ça donne parfois des situations un peu absurdes à la limite de "Alors là, j'ouvre le frigo et je prends un morceau de fromage. Tiens, il me reste un œuf. Je referme le réfrigérateur. Voilà...". J'exagère mais vous comprenez l'esprit.

En conclusion, j'ignore si ce triptyque nous fournira une bonne histoire. J'ignore si je serai surpris ou séduit par la suite. J'ignore où tout cela va nous mener à terme...
Mais pour l'heure, c'est un album agréable à lire devant un feu de bois en écoutant la pluie battre sur les carreaux. Ou au soleil sous un parasol avec un cocktail fruité, si ça vous amuse, hein... mais ça pourrirait un rien l'ambiance.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • C'est beau.
  • Il y a de la tension.
  • Ça pose les bases d'une histoire potentiellement prometteuse.
  • Les personnages sont crédibles.
  • Le rythme est intelligemment dosé.
  • C'est d'un tel classicisme graphique que ça pourrait ennuyer certains.
  • Ça découragera de toute évidence les amateurs d'action et d'explosion.
  • Certains apartés un peu forcés.