En parlant de prof...
Publié le
17.10.20
Par
Nolt
On a tous connu un enseignant qui nous a marqué. En bien. Oh, bien entendu, on en a connu aussi de moins bons, de plus maladroits, m'enfin, j'avais envie aujourd'hui de mettre en avant les bons côtés de cette profession.
Au primaire, en CM2 précisément (début des années 80), je suis tombé dans la classe du directeur de l'école. Un "maître" à l'ancienne, imposant, strict, mais juste et ô combien doué pour l'enseignement. Il se nommait (et se nomme toujours) André Maljean.
Cet homme, véritable hussard droit dans ses bottes, avait une mission et s'en acquittait dignement. Bien sûr, nous abordions différentes matières, c'est là le rôle de l'instituteur d'être polyvalent. Mais ce qui me passionnait le plus à l'époque, c'était l'Histoire. Et je crois que c'était aussi ce qui passionnait le plus monsieur Maljean. Au point qu'il a d'ailleurs fini par écrire un livre sur l'histoire de la commune dont il a même été maire.
C'était le vendredi après-midi. Pendant la deuxième partie du cours, il fallait "gratter" la leçon que l'on aurait à apprendre le week-end. Ça, ça ne m'enchantait pas. Mais la première partie était... fantastique.
Le maître commençait par installer l'une de ces vieilles cartes scolaires (qui ont dû jouer un rôle dans mon intérêt pour les wargames). Puis, il se mettait à nous raconter l'épopée napoléonienne. Des batailles incroyables, des retournements de situation, des coups de Trafalgar (au sens propre et figuré), des intrigues politiques dignes de Game of Thrones... je regardais ça comme un spectacle, fasciné par ces armées anciennes qui s'affrontaient sur des cartes Rossignol ou Vidal-Lablache, bercé par la voix envoûtante d'un passionné qui n'a probablement pas été étranger à ma vocation de conteur.
Même si l'éducation a changé, même si le monde a changé, je sais, pour compter quelques professeurs parmi mes amis (dont certains écrivent sur UMAC), que la passion véritable est encore là. Et si certains vont dans leur classe en traînant les pieds, d'autres ont encore à cœur d'accomplir la mission qui est la leur. Instruire. Élever les consciences. Donner des clés non pour imposer des idées mais pour pouvoir les comparer, les analyser, les réfuter s'il le faut. Faire naître de l'intérêt également, si ce n'est des passions. Transmettre des outils précieux.
Je n'ai jamais songé à devenir enseignant moi-même. Je ne suis pas suffisamment altruiste. Je ne suis pas suffisamment patient. Je ne suis pas suffisamment optimiste. Mais je crois qu'il est bon qu'il y ait encore, ici, à notre époque, ce genre d'individus, prêts à affronter une classe entière de gamins venus de tout horizon, et pas forcément enclins à écouter patiemment une leçon dont ils ne perçoivent pas toujours l'intérêt. Ce rôle, dans une société mouvante comme la nôtre, est crucial. Parce que ne pas éduquer nos enfants, c'est prendre le risque d'affronter demain des imbéciles. Dangereux, comme le sont tous les ignorants (comment craindre de perdre ce que l'on ne connaît pas ?). Ou prendre le risque qu'ils suivent, par manque de réflexion, des assassins. Qui tuent pour un dessin.
Hier, un professeur d'Histoire a été décapité parce qu'il avait abordé, dans l'un de ses cours, la liberté d'expression. Je me demande ce que ce brave et essentiel monsieur Maljean nous aurait dit, à nous, encore gamins, le lundi suivant. Il aurait sans doute trouvé les mots pour nous expliquer les enjeux de cette guerre qui ne dit pas son nom. Il nous aurait parlé de la folie de ce monde, cachée par le côté apaisant et mensonger de la novlangue. Avec ses mots à lui, adaptés aux enfants que nous étions, il aurait évoqué l'atrocité d'un crime inutile, abjecte et lâche.
Mais je ne suis plus à l'école. Le CM2 est loin. Le collège et le lycée aussi.
Il n'y a plus de cartes colorées, aux frontières bien définies. Plus d'armées parcourant des milliers de kilomètres à pied pour s'affronter dans la froideur de l'hiver russe. Les slogans ont remplacé les étendards. Les crétins à peine pubères ont pris la place des uhlans. Et dans nos villes modernes, les professeurs vivent l'Histoire au lieu de la raconter. Ils laissent du sang sur les trottoirs et un goût amer sur des cahiers dont les pages risquent bien d'être éternellement blanches... ou au moins tronquées.
Un enseignement qui n'enseigne pas à se poser des questions est mauvais.
Paul Valéry
Ces quelques mots sont respectueusement dédiés à la mémoire de Samuel Paty.
La rédaction d'UMAC adresse son soutien et ses meilleures pensées à sa famille et ses proches.