Keepers : fiction et faits réels
Publié le
24.10.20
Par
Nolt
Nous abordons aujourd'hui Keepers, un long-métrage inspiré d'une histoire vraie. Mais jusqu'à quel point ?
Keepers est un thriller de Kristoffer Nyholm, avec notamment Gérard Butler et Peter Mullan dans les rôles principaux.
Le pitch de départ est plutôt alléchant : trois gardiens de phare partent pour une durée de six semaines sur un minuscule îlot au nord de l'Écosse. Une routine pesante s'installe jusqu'au jour où les trois hommes découvrent une petite embarcation échouée, un cadavre et un coffre. Après avoir un peu hésité, ils ouvrent le fameux coffre et tombent sur une petite fortune en lingots d'or. Une véritable aubaine. Sauf que, bien entendu, une somme aussi importante finit toujours par manquer à quelqu'un. Ainsi, deux types louches débarquent bientôt sur l'île, à la recherche de l'un de leur camarade. Pour les gardiens, c'est le début d'une suite d'événements catastrophiques.
Attachons-nous dans un premier temps au film en lui-même. Le cadre désolé ne manque pas de charme, le casting est bien trouvé, et l'on a droit à quelques scènes tendues (la découverte de l'embarcation, l'arrivée des inconnus sur l'île) pendant la première moitié du récit. La suite est bien moins bonne. Les auteurs, Joe Bone et Celyn Jones, ont opté pour un traitement assez... particulier de l'un des personnages, ce qui engendre une fin peu vraisemblable, très introspective et carrément mollassonne.
Un peu dommage car l'on était tout de même bien parti. Impossible d'ailleurs de ne pas faire le parallèle avec l'excellent Un Plan Simple, de Sam Raimi (cf. cette Sélection UMAC). Si le cadre est très différent (une petite ville rurale du Minnesota), c'est en effet, sur le fond, exactement la même histoire : trois individus lambda tombent sur du fric qui ne leur appartient pas et vont devoir faire face à leurs dissensions internes ainsi qu'aux "légitimes" propriétaires dudit fric. Seulement, alors que Raimi (bien aidé par le scénario de Scott Smith, déjà auteur du roman éponyme A simple Plan) optait pour une mise en forme magistrale, s'attachant aux personnages et à leur involontaire descente aux enfers, Nyholm, lui, noie son intrigue dans des longueurs et des moments de silence qui peinent à donner du relief et de la profondeur à une intrigue qui s'essouffle vite et contient son lot, sinon d'incohérences, du moins d'invraisemblances. Le traitement des personnages n'est guère meilleur, leurs états d'âme (surtout exagérés et mal amenés) ne suffisant pas à leur conférer une épaisseur indispensable.
Comment ça s'allume ce truc ? Je t'assure, sur la notice, ça avait l'air plus simple. |
Bon, un film qui partait bien et se révèle un peu décevant, rien d'extraordinaire là-dedans. Sauf qu'ici, puisque l'on a vu le fameux "inspiré de faits réels" au début du générique, l'on peut être enclin à "pardonner" leurs égarements aux scénaristes, ceux-ci ne suivant finalement que la trame du fait divers dont ils s'inspirent. Sauf que, comme nous allons le voir, nous sommes très loin d'une histoire vraie. Du moins, le point de départ l'est, puisqu'il s'agit de la disparition, totalement inexpliquée, de Thomas Marshall, James Ducat et Donald MacArthur.
Ah, on va être bien là, tranquilles pendant six semaines... |
Les trois hommes font partie d'une équipe de quatre gardiens, engagés pour s'occuper de la maintenance du phare situé sur Eilean Mor, un îlot faisant partie des îles Flannan, situées au large de la côte nord-ouest de l'Écosse. Trois hommes restent en permanence sur l'île. Toutes les six semaines, l'un d'entre-eux est relevé par son quatrième collègue et peut donc retourner chez lui pour deux semaines. Tout se passe bien la première année, mais le 15 décembre 1900, le phare cesse de fonctionner. Un navire signale ce dysfonctionnement et une équipe est dépêchée sur place (il faut dire que la zone est très dangereuse pour la navigation).
Arrivés sur les lieux, les secours constatent que les gardiens ont tout simplement disparu. Les restes d'un repas entamé sont trouvés dans la cuisine, quelques effets personnels (cirés et bottes) manquent à l'appel, et... c'est tout. L'enquête ne donnera rien et 120 ans après, le mystère reste entier. Il a d'ailleurs donné lieu à moult théories, des plus sensées (une vague massive emportant les hommes s'affairant sur l'embarcadère) aux plus farfelues (des créatures surnaturelles enlevant les pauvres bougres).
Autre possibilité : l'un des types devient fou, il bute les deux autres et se suicide. Vu le côté fun du lieu, ce n'est pas difficile d'imaginer que l'on puisse péter une durite après des semaines d'isolement sur un rocher sinistre balayé par les vents et la pluie. Mais sur place, aucune trace de sang ou de violence ne permettra d'étayer cette hypothèse.
On le voit, la partie "réelle" de l'intrigue est donc, comme souvent dans ce genre de cas, minime. Les scénaristes avaient donc toute la marge de manœuvre nécessaire pour expliquer cette disparition subite. Malheureusement, leurs choix s'avèrent peu crédibles, décevants, voire même par moment maladroits.
Au-delà de la critique pure de ce long-métrage, ces imperfections permettent aussi de conforter la théorie (longuement développée dans ce dossier) affirmant que l'idée de départ d'un récit n'a pas grande importance et que seule la mise en forme de l'intrigue va en faire une bonne ou, au contraire, une mauvaise histoire. La différence entre Un Plan Simple, véritable chef-d'oeuvre d'écriture, et Keepers, poussif et sans lyrisme ni profondeur, permet de constater le gouffre qui sépare les auteurs ayant une parfaite maîtrise technique de leur art de ceux qui ne se rendent même pas compte de leurs tares.
Vous l'aurez compris, si vous voulez passer un bon moment, on vous conseille plutôt le film de Raimi qui, bien que très éloigné question décors et personnages, exploite parfaitement les ressorts d'une idée de base identique.
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