Dans un futur proche, la Terre a été dévastée par une guerre nucléaire. Les tentatives des super-héros pour l’empêcher ont échoué. Des siècles plus tard, les descendants des rescapés se sont organisés pour se maintenir dans un milieu hostile habité par de dangereux mutants.
Lors d’une chasse qui tourne court, une petite escouade découvre un sarcophage de survie et réveille par inadvertance son hôte : Wonder Woman.
La jeune femme de la couverture avec son regard noir et sa tenue rudimentaire annonce une Wonder Woman qui refuse de se faire marcher sur les pieds. La voici prête à en découdre. C’est vrai, elle a des comptes à régler : avec elle-même, mais aussi avec sa mère et l’humanité.
Daniel Warren Johnson, édité chez Delcourt avec Extremity, se charge du dessin et du scénario de cette variation autour de la super-héroïne, au sein du DC Black Label [1]. Il dépeint une Wonder Woman du futur qui va aider une communauté afin de la guider vers une terre d’accueil, Themyscira [2]. Rien de transcendant, l’histoire est somme toute classique. Nombre d’élus, de héros ont ainsi conduit des peuples : symbole d’un chemin vers la liberté, au fil des vicissitudes du trajet, où le temps permet de méditer sur ses peurs, le sentiment de fatalité et ses errances. Dans cet opuscule, l’auteur appuie les notions de pardon, de faute et de rédemption. Le convoi ne sera bien sûr pas épargné par des assauts de créatures terrifiantes. Wonder Woman, Diana, en cheminant avec son clan d’adoption, recouvrera ses souvenirs, alternés par tant de siècles assoupis. Elle devra prouver sa bravoure, son courage et conquérir sa place de guide. Ses pouvoirs, diminués par la guerre, la rabaissent à une presque humaine. Elle ne peut plus s’envoler. Elle doit jouer de sa persuasion et des forces qui lui restent, supérieures à celles que possèdent les locaux. La jeune femme, en quête de sens, reconnaît la portée de ses actes qui ont en partie engendré ce cataclysme. Perturbée par les enjeux politiques d’alors entre les humains et les Amazones (ses compatriotes), elle n’a plus su accorder sa confiance. Pourtant, elle souhaite aider tant l’un que l’autre et, si possible, les réconcilier. En elle s’entrechoquent les paroles haineuses de sa mère, les révélations concernant sa naissance, l’emprisonnement de ses pouvoirs, la rencontre avec un aviateur...
Tel un Golem, Wonder Woman fut façonnée avec de l’argile et du sang subtilisé à chacun des Dieux, Zeus inclus [3] [4]. Ce mélange de nectar divin la rend si puissante qu’elle est capable de surmonter un holocauste nucléaire. Sa "mère" vivait recluse avec les Amazones, car elle n’a pas pu supporter les trahisons des divinités et des humains qu’elle trouve sournois, égoïstes, fourbes. Sa fille est le produit d’une forme de haine et d’une soif de revanche. Mais elle redoutait sa progéniture, à qui elle enjoignit de porter des bracelets, façonnés dans un métal rare qui ne se trouve que sur leurs terres, pour brider ses dons.
Dans ce monde apocalyptique, les Amazones rôdent, métamorphosées en Haedras, des prédateurs sanguinaires, suite aux retombées nucléaires. Combien de temps s’est-il écoulé entre le Grand Feu et le réveil de Diana ? Dur à dire... des siècles, aux dires des autochtones, mais - on touche du doigt un des soucis scénaristiques - cela n’est pas visible. Le groupe de 1000 âmes que va rejoindre la jeune femme habite dans un château fortifié, "Fort Nouvelle Demeure" (camp new hope, en VO), non loin du Vieux Gotham, tout en expliquant qu’il se déplace en caravane et qu’il existe des clans rivaux (absents de l’album). Theyden, le maître des lieux, sévère et cruel, se comporte en tyran colérique condamnant à mort ses subalternes pour le plaisir ou pour faire respecter sa loi (sans penser à l’utilité d’une paire de bras, même enchaînés, en ces temps difficiles...), et s’octroyant l’avantage de prendre plusieurs femmes ; l’archétype d’un "méchant d’opérette" qui va vite s’aplatir devant Diana.
Ces humains n’ont développé aucune stratégie suite aux assauts répétés des Haedras. Fort nombreux, ils sont bien dociles. Ils ne font que suivre leur chef et, sans hésiter, lorsque celui-ci est vaincu par Diana, ils s’en remettent à elle. Pourtant, ils ont pris le temps de bâtir une arène dédiée à des jeux sanguinaires. Les carences alimentaires et les maladies affectent à peine la population. Ne vivent-ils que de chasse et de cueillette ? Leurs ancêtres se sont-ils tapis sous terre dans des bunkers suite aux bombardements atomiques ? Quid des retombées radioactives sur le long terme... la végétation a tout de même repoussé ! Aucun d’entre eux n’a eu l’idée de cultiver ?
Si l’auteur a tenté une analogie avec des réfugiés de guerre, dans ce cas-ci, elle tombe à plat. Ces personnages ne l’ont pas connu ; les récits liés au Grand Feu se transmettent de bouche à oreille. Son univers apparaît comme un prétexte pour mettre en scène son idée de Wonder Woman, son envie de l’introduire dans un monde qui ne nous est pas contemporain, trouvant une excuse pour tout raser et y poser un contexte médiévalo-fantaisiste. Barbara, croisement entre une Amazone et un morceau de léopard, s’affiche comme un autre exemple : son hybridation est le fruit de scientifiques cruels qui n’ont pas lésiné à la faire souffrir tout en sacrifiant des animaux. Rien de plus qu’une justification pour expliquer son allure différente.
Sans oublier que l’humanité se cantonne uniquement aux États-Unis, son président [5] étant le principal responsable du déploiement des armes nucléaires contre les Amazones. Aborder la géopolitique mondiale aurait sûrement alourdi l’album, mais il existe forcément une manière de caser des enjeux plus complexes et subtils.
Diana se réveille dans une grotte : la Batcave ; le cadavre de Batman gît à l’étage, dans un canapé, toujours dans son costume, une bouteille près de lui ; il a abandonné la partie. Le manoir Wayne, très solide face aux explosions nucléaires, n’a pas été vaporisé. Quant à Superman, dans son palais accessible à dos de Pégase, il occupe son trône, tout aussi moribond. Un superman robot le supplée et refourgue à Diana et sa fine équipe gadgets et armes. La guerrière ira jusqu’à arracher la colonne vertébrale et le crâne de l’homme d’acier pour en revêtir son fouet de vérité (craignait-elle d’entendre des choses déplaisantes ?).
Quel avenir Wonder Woman, a-t-elle à offrir à ces milliers de pauvres hères ? Saura-t-elle endiguer les passions ? Le lecteur ne l’apprendra jamais... l’album se conclut bien avant d’avoir résolu ses questions : il ne se concentre que sur le cheminement intérieur de la super-héroïne.
Les thèmes du pardon, de la rédemption, du salut... courent tout au long de l’aventure. Loin d’être intégrés en finesse, savamment dosés et distillés d’une manière astucieuse dans les dialogues, les protagonistes ont une fâcheuse manie de s’excuser, de pardonner à tout bout de champ, de faire preuve de gentillesse et de bienveillance. Pénible ! L’histoire s’en voit alourdie, les personnages se figent dans ces instants alors que l’ensemble tient sur quatre chapitres. On sent la volonté de l’auteur de transformer Diana en Christ, un aveugle le remarquerait à travers le brouillard. L’écriture balance sa symbolique à la truelle, pour qui serait incapable de décrypter. Trop, c’est trop. L’overdose guette.
Les planches sont aguicheuses, fort belles. Le coloriste Mike Spicer apporte des ambiances (pesantes, oppressantes, désespérées...) à l’encrage parfois bourrin de Johnson. Son trait vivant, tantôt boueux, tantôt dynamique et violent, sied à ce monde ravagé et brutal.
Son graphisme, proche du travail de Paul Pope, est bercé par des influences communes, dont les mangas (Appleseed, Akira...). Cela s’en ressent dans le découpage des scènes d’action, le dessin des onomatopées incluses dans la composition, le choix de la police de caractère. Des plans larges et des pleines pages s’attardent sur les temps forts. Wonder Woman : Dead Earth n’est pas avare en images percutantes : l’extraction de la colonne de Superman, la mère de Diana devenue une Haedra, Diana contre Barbara (digne de figurer dans le manga Devilman, de Go Nagai), Wonder Woman qui chevauche pégase...
L’édition française bénéficie des traditionnels bonus tels qu’une galerie de couvertures, des croquis et la retranscription d’un entretien entre Daniel Warren Johnson et Jim Lee, tout en autocongratulations...
Cet album autoconclusif apparaissait séduisant : une relecture post-apocalyptique de Wonder Woman, des planches au graphisme dynamique appuyées par un découpage efficace ainsi qu’une mise en couleur soignée. Hélas, le scénario s'enlise et n’offre guère de pistes de réflexion ni d’émotions fortes, et les personnages affichent un abyssal vide psychologique. L’univers déployé oublie la vraisemblance... Difficile d’être enthousiaste passé un feuillage rapide.
Si Diana n’était pas Wonder Woman, mais une super-héroïne inventée pour l’occasion, la face du monde n’en serait pas changée. Inutile de connaître l’Amazone, cette histoire est indépendante des autres comics.
Une tentative ambitieuse mais ratée.
[1] DC Black Label est une collection d’albums éditée par Urban comics. Le premier numéro est paru en octobre 2018. Elle réunit des récits courts, censément plus sombres et plus matures que les histoires super-héroïques habituelles.
[2] Une île de fiction dans l’univers DC où ne vivent que des femmes guerrières, les Amazones.
[3] Et on suppose aussi Athéna, Aphrodite.... bien qu’elles ne soient pas représentées sur la case en question dans ce livre.
[4] Diana possède-t-elle une âme ou n’est-elle qu’un pion ? Le mystère reste entier.
[5] Même pas une présidente, dite donc !
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