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Publié le
9.8.21
Par
Nolt
Si c'est vraiment le titre de cet article qui vous a attiré ici, le cœur battant et plein d'espoir, vous êtes peut-être un poil trop naïf. Ceci dit, pour une fois, on ne va pas évoquer une arnaque mais un outil pratique dont peu de gens comprennent l'utilité.
Allez, tout de suite, on décortique les Fabula Storytelling Cards.
Lorsque j'ai vu passer une pub pour ces cartes, deux choses m'ont frappé. D'une part, l'on reconnaît immédiatement la méthode Vogler pour structurer un récit (on y reviendra plus loin), d'autre part, certaines personnes, croyant légitimement à une énième arnaque, commentaient cette pub en laissant des sentences acerbes, du genre "s'il suffisait d'un truc pareil pour savoir écrire, ça se saurait". Et effectivement, cette méthode n'a aucunement la prétention d'apprendre à un novice à écrire, malgré la présentation quelque peu trompeuse de l'éditeur, qui annonce sur son site "Écrire tes histoires n'a jamais été aussi facile" (j'ignore pourquoi ils tutoient leurs potentiels clients, on dirait qu'ils s'adressent à des gamins).
Bref, si vous pensez que ces cartes vont vous apprendre à écrire correctement, c'est évidemment faux. Par contre, elles ont tout de même une utilité.
Je ne vais pas revenir en détail sur la méthode Vogler (cf. la deuxième partie de ce grand dossier). Sachez seulement qu'elle est très efficace. Notamment parce qu'elle est basée sur des constatations issues de l'analyse de nombreuses œuvres, n'ayant aucun rapport entre elles. Grosso modo, pour qu'une intrigue tienne la route, elle doit être basée sur des éléments structurels simples, qui sont aussi bien présents dans Star Wars, Pretty Woman que La Grande Vadrouille ou Les Trois Mousquetaires. Mine de rien, c'est très important, car Vogler ne vous dit pas "il faut faire comme ça" mais "on retrouve ces éléments dans toutes les intrigues" (sauf de rarissime exceptions, de style expérimental, auxquelles nous ne nous intéresserons pas ici).
Gardons bien à l'esprit que la méthode Vogler ne concerne que la structure du récit, donc son squelette, pas son contenu.
À ce stade, il me faut revenir sur l'aspect technique d'une œuvre. Bien des gens, à l'époque de la rédaction du dossier cité plus haut, ont réagi en me disant que "la technique, c'est bien mais pas trop" ou carrément qu'il fallait parfois l'éviter pour "être plus libre". Non. N'importe quoi ! La technique est indispensable. Pas "un peu", pas "dès fois", elle est totalement indispensable, tout le temps. Un guitariste, quand il apprend à jouer de son instrument, il n'apprend pas cinq accords, en se disant que les autres vont le limiter. Sa limite sera au contraire fixée par ceux qu'il ne connaît pas.
La technique ne contraint pas, elle ne force à rien, au contraire, elle libère. Ce sont les tares qui forment des murs et vous empêchent de prendre telle ou telle direction.
Après, si vous n'êtes pas convaincu, je vous encourage à livrer un combat de boxe sans prendre de cours de boxe. D'habitude, avant de se lancer sur le ring, un boxeur apprend à boxer, il travaille son jeu de jambes, les esquives, il améliore son cardio, il se muscle, il apprend les feintes, les enchaînements, comment mettre correctement un direct ou un crochet... mais si vous pensez que sans technique, vous allez être plus original et plus efficace, tentez le coup. Vous reviendrez lire la suite de cet article quand vous serez sorti de l'hosto. Parce que je vous assure que "tout arrêter avec le pif", ce n'est pas du tout considéré comme un trait de génie dans le milieu du Noble Art. M'enfin, parfois, il faut se prendre une trempe pour s'en rendre compte.
Revenons à l'outil qui nous intéresse ici. Il est assez polyvalent et peut s'utiliser pour des romans, des BD, des films, des séries, et à peu près tout ce qui développe une progression narrative logique. Prenons l'exemple des romans. En littérature, il existe un pan technique (indispensable), composé d'éléments que l'on peut sans aucun problème évaluer, démontrer et reproduire. Mais tout n'est évidemment pas basé sur cette technique. Il existe aussi un pan plus subjectif, "magique", personnel, touchant au style, aux idées, à la "signature" de l'auteur. L'on peut fort bien être touché par un auteur techniquement faible (dans mon cas Koontz, par exemple) ou au contraire rester de marbre devant une histoire parfaitement juste sur le plan technique. Donc, encore une fois, attention : la technique est indispensable dans le domaine de l'écriture, mais elle ne fait pas tout.
La méthode Vogler se concentre bien évidemment sur la technique, mais une partie bien précise : la structure du récit (et seulement ça). Donc, il ne s'agit pas d'apprendre à installer et développer un personnage, employer des effets, amener des ruptures, maîtriser un rythme, jouer avec certains codes ou par exemple utiliser l'identification. Ce sont d'autres aspects techniques qui ne sont pas concernés ici.
Ci-dessus, le "début" de Matrix. L'on voit bien qu'il ne s'agit que de la structure pure et de l'étape "pré-écriture", rien d'autre. |
Vogler s'intéresse, dans sa méthode, à ce que j'appelle les fonctions archétypales [1] (héros, messager, mentor, ombre...) et aux différentes étapes du "voyage" du héros (le monde ordinaire, l'appel de l'aventure, le refus, etc.). C'est un vocabulaire très générique, et souvent quelque peu "heroic fantasy", du coup, cela amène parfois des confusions. Par exemple, une "ombre" (ou "ennemi" dans les cartes Fabula), ça peut évidemment être Dark Vador, Freddy Krueger ou Rastapopoulos. Mais ça peut être aussi un ouragan. Un licenciement. Ou de la timidité. Ce n'est pas forcément incarné par un être humain. Par contre, c'est indispensable. Sans ça, vous n'avez rien à raconter.
Imaginez que votre histoire se résume à un boulanger qui part en vacances à Londres, il passe un bon moment, visite le British Museum, boit quelques verres dans un pub, puis il revient chez lui, sort les poubelles et va se coucher. Ce n'est pas une intrigue ça, il faut bien qu'il y ait quelque chose à affronter, à résoudre, à surmonter, pour que cela devienne une histoire réelle et digne d'intérêt.
Les cartes de Fabula permettent donc de mettre tout ça à plat et de visualiser cette méthode, étape par étape. Ce que cette société vous vend, ce n'est donc pas une méthode qu'elle a développée, mais des cartes basées sur la méthode développée par Vogler (qui se basait lui-même sur les travaux de Campbell).
Et il s'agit d'un outil réel, et qui fonctionne bien.
Maintenant, en a-t-on absolument besoin lorsque l'on est un conteur ?
Eh bien, pas forcément. Certains auteurs (comme Stephen King) affirment "improviser" lors de leurs séances d'écriture, sans savoir où ils vont. Pour autant, cela ne me semble pas une méthode à conseiller à des débutants. King écrit depuis des décennies, plusieurs heures par jour. Il en est arrivé à un stade où l'on peut se passer de boussole sans pour autant perdre le Nord. À force de bosser sur des histoires, le cerveau développe des routines spécifiques, qui facilitent le boulot.
Personnellement, par contre, si je me passe facilement de plan pour une nouvelle, il ne me viendrait pas à l'idée de me lancer dans un roman sans ce que j'appelle une "feuille de route", me permettant de savoir où je vais et par quelles étapes je passe.
Donc, tout est possible, c'est à chacun de voir, mais à mon sens, ce n'est pas une mauvaise idée, avant de commencer à entasser des parpaings, d'avoir un plan de la baraque dans son ensemble.
Autre question, cette représentation en cartes est-elle vraiment utile ?
En tout cas, elle n'est pas indispensable. Vous pouvez faire la même chose avec un bon vieux calepin. Ou à l'aide d'un tableau. Après, l'idée d'avoir un support "propre", stylisé, simple et souple me plaît assez. Il faut cependant émettre quelques réserves sur le côté pratique. Faire tenir ces cartes (comme le conseille l'éditeur) sur un mur avec de la Patafix, en ajoutant des Post-it, ne me semble pas forcément très simple d'utilisation sur le long terme. On pourrait étaler ça quelque part, mais il faut alors une surface assez grande et qui sera uniquement dédiée à ça pendant un bon moment.
À voir donc.
À voir donc.
Niveau contenu, l'on a ici 40 cartes, pour 30 euros port compris. C'est quand même assez cher (surtout quand on pense à certains tarots, magnifiquement illustrés, et coûtant parfois moins de 15 euros).
Les cartes sont divisées en trois parties :
- 18 cartes développement (les étapes du voyage)
- 11 cartes ressources (plus ou moins les fonctions archétypales)
- 11 cartes édition ou "entrelacement" (qui représentent des moments-clés)
La manière dont tout cela s'articule est assez logique, mais sans bonne compréhension de la structure d'un récit, il sera impossible d'utiliser cet outil. Ce qui est assez évident. Si l'on vous vend de magnifiques rabots et des ciseaux à bois de qualité, vous ne deviendrez pas ébéniste pour autant. C'est un peu là où se situe la confusion (voire la possibilité d'arnaque). Ces cartes, ou même l'ouvrage de Vogler dans son ensemble, ne feront pas de vous un écrivain. Pour devenir auteur, il faut lire, beaucoup, bosser, beaucoup, écrire, beaucoup. Ça prend des années. Une vie entière. Et il n'existe pas de "secret" ou de "méthode" pour faire l'économie de ce travail. C'est impossible, tout comme il est impossible de devenir boxeur professionnel sans transpirer et s'entraîner durement et longuement. De plus, attention, vous pouvez fort bien avoir une bonne structure et écrire un mauvais roman : que les murs tiennent debout, c'est une chose, que la maison soit meublée avec goût, c'en est une autre.
La conclusion sera donc double et nuancée. Si vous ne connaissez rien à l'écriture et que vous pensez avoir affaire à une méthode miracle, désolé, ce n'est pas le cas. Vous allez juste vous retrouver avec des pinceaux, sans toile, sans peinture, et sans aucune compétence (notions de perspective, d'anatomie, etc.) vous permettant d'exploiter tout ça.
Si par contre vous êtes un auteur, débutant ou expérimenté, et que l'idée des cartes vous semble bonne (malgré les réserves sur la partie "pratique"), eh bien, pourquoi pas ? Ceci dit, vous pouvez aussi fort bien vous en passer, un auteur étant aussi, après tout, auteur de sa propre méthode, forcément personnelle et unique. [2]
Pas certain que tout le monde ait la place ou l'envie de coller ça au mur. |
[1] Le terme "fonction" permet de rappeler qu'il ne s'agit pas forcément d'un personnage.
[2] La méthode Vogler est suffisamment souple pour que l'on puisse la "manipuler", se l'approprier et la "redessiner". On peut très bien l'employer par exemple sous forme de graphiques, de cercle, etc. Et bien entendu, ce n'est pas à suivre à la lettre, en respectant scrupuleusement et "scolairement" chaque phase. Ce n'est pas à l'outil, aussi performant soit-il, de prendre les décisions.
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