Gurvan
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Une histoire mettant en scène des soldats-clones plus intéressants que des Storm Troopers, ça vous tente ?


Très souvent, nos articles commencent par un résumé-apéritif de l'album dont on traite. Mais, cette fois, permettez qu'il débute par un petit rappel courtois au sujet de la dessinatrice de ce Gurvan. En effet, si cet album est arrivé sur l'un de nos bureaux, c'est parce qu'il est dessiné par Livia Pastore, très sympathique artiste qui avait déjà eu la gentillesse de nous accorder une interview exclusive lors de la sortie du troisième tome de Sirènes & Vikings qu'elle avait illustré.
Favoritisme ? Aucunement ! Intérêt légitime. La demoiselle a en effet un trait qui nous avait beaucoup plu et nous nous étions engagés à garder un œil sur la suite de sa carrière. Voilà qui était bien inspiré puisque son nouveau bébé (dans le cas présent, un bébé éprouvette) prouve une nouvelle fois qu'elle mérite amplement notre attention.

Ceci étant dit, nous voici avec un récit de science-fiction un peu "à l'ancienne" (mais on y reviendra) d'après les romans de Paul-Jean Hérault (les sagas Cal de Ter, Gurvan, La Treizième Génération), adapté par Mathieu Mariolle (De sang froid, l'adaptation de Foot 2 rue, la saga dérivée de Thorgal Kriss de Valnor, Le Dernier Secret d'Hitler) et dessiné par notre copine susmentionnée... que du beau monde, donc !

Quelque part dans les profondeurs infinies et insondables de l'espace intersidéral (c'est pompeux et inutile mais j'avais envie de l'écrire ainsi), une colonie sous-terraine génère artificiellement des soldats de la Coalition terrienne ; tout plein de clones cultivés in vitro dont le patrimoine génétique partiellement aléatoire les prédispose qui à être fantassins, qui navigants, qui... pilotes, comme notre héros Gurvan.

En tant que futur pilote d'intercepteur, il va bientôt, dès la fin de sa formation au sein du Materédu, devoir prendre part à des combats spatiaux terriblement meurtriers. Cependant, même si les chances de survie de Gurvan et ses semblables sont minimes, ce dernier nourrit un rêve : survivre à sept ans de conflit et pouvoir ainsi être réformé et finir son existence sur la planète de son choix. Pour Gurvan, le choix est fait, il veut rejoindre nulle autre que la Terre, la planète d'origine de l'Humanité ! Toutefois, personne ne connaît qui que ce soit ayant survécu aussi longtemps. C'est là qu'est l'os !


À dire vrai, il y a même un os plus gros que ça dont la moëlle aura un goût bien amer mais dont ces pauvres gosses ignorent encore l'existence : leur ennemi n'est pas tel qu'ils le croient et... leur état-major leur ment tellement qu'on dirait un community manager de Panini prétendant que leur travail atteint systématiquement des sommets en matière de qualité éditoriale (il paraît qu'on est des anti-Panini primaires ; je ne contredis jamais les gens, moi... c'est une perte de temps ; je me conforme à leurs attentes, c'est plus marrant).

Ajoutons que cette BD tisse des liens tout à fait crédibles entre ses protagonistes et que les réactions des personnages sont compréhensibles au vu de leurs personnalités respectives. Sans doute pourrait-on penser que c'est bien là le minimum syndical mais c'est loin d'être aussi réussi dans toutes les lectures qui nous passent entre les mains.


Au niveau du dessin, Livia Pastore nous revient avec ses personnages reconnaissables et expressifs aux postures et anatomies réalistes. 
Les décors sont assez épurés, tout comme les scènes de batailles spatiales et, dans un premier temps, cela nous a un rien décontenancés. Nous aurions presque pu penser à une astuce destinée à réaliser rapidement le tour de force de couvrir de cases plus d'une centaine de planches mais nous ne voulions pas croire à cela de sa part. Lorsque les environnements changèrent, il fut évident que cette sobriété était réservée à l'espace et aux intérieurs de vaisseaux, créant des visuels que n'auraient sans doute pas renié Hérault et les autres auteurs de science-fiction en 1980... 

Une fois ce premier sentiment de vide dans certaines cases dépassé et justifié, on retrouve tout ce qui nous plaît dans le travail de cette jeune Italienne et l'on se surprend à tourner les pages avec avidité. Très petit bémol, peut-être, pour le traitement un peu simpliste des explosions et autres flammes... mais globalement, dessins et mise en couleurs (de Hugo S. Facio) demeurent séduisants et ont cette "vibe" old school (but old is cool) indéfinissable qui colle bien à ce propos que l'on sent venu d'un âge où la SF se voulait encore porteuse d'un message politique à peine voilé.


Au chapitre des interrogations qui ne sont même pas des reproches, il faut signaler deux ellipses temporelles un rien brutales dont le découpage peut pousser à chercher les deux planches potentiellement manquantes entre la case en bas à droite de la page de gauche et celle en haut à gauche de la page suivante... ce n'est qu'une maladresse mais ça sort un brin du récit.

Gurvan est une œuvre que son auteur initial a voulu antimilitariste et un brin cynique...  Son adaptation est fidèle à ce ton. Écrite en 1987, elle a la bienveillance mâtinée de cruauté que l'on observait dans d'autres œuvres de l'époque. On y retrouve quelques aspects de Starship Troopers (le film de Verhoeven de 1997, pas le roman controversé de Robert Heinlein qui en fut l'inspiration) et de Enemy mine (jamais ce film de 1985 ne sera suffisamment recommandé !) ; autant dire que c'est déjà plutôt bon signe.

P.-J. Hérault écrivait : « C’est l’esprit militariste, le goût du combat pour le combat et la férocité, la perte de son âme, que je ne supporte pas. De même que la violence, que je déteste. Mais il arrive toujours un moment où l’on ne peut pas faire autrement que l’employer. ». La devise de Gurvan pourrait même quasiment être : Si vis pacem, para bellum... Cet album relate la naissance et la montée en puissance d'un leader à venir dont l'obsession pour la paix est sans doute l'unique raison de faire la guerre. Les écrits de Hérault lui ressemblent, lui qui fut également pilote, et ce durant 29 ans. Il œuvra ensuite, de sa plume, à démystifier la guerre, à lui rendre son caractère absurde et injuste dans nombre de récits de science-fiction.

Intelligemment écrite et adaptée, joliment mise en images, la bande dessinée qui nous concerne se termine sur une fin acceptable mais néanmoins porteuse d'un sentiment d'inachevé appelant une suite. Selon les dires de Livia, d'autres albums sont parfaitement envisageables si ce premier tome de 112 pages de qualité (pour environ 22€ ; mieux vaut ça que du Panini, de toute façon... coucou, les amis !) rencontre son public ; public dont vous faites potentiellement partie, alors ne faites pas les radins et jetez-vous sur cette grosse et bonne BD publiée chez Les Humanoïdes Associés parce qu'on veut la suite, nous ! Oui, on donne désormais dans le chantage affectif... On ne recule devant aucune bassesse.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Lire une adaptation soignée du début d'une œuvre de P.-J. Hérault.
  • Retrouver le tracé de Livia Pastore.
  • Respirer un bon vieil air de SF des eighties.
  • Quelques rares maladresses.
  • Quelques environnements un peu vides.