La Compagnie des Glaces
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Retour sur l'adaptation BD de La Compagnie des Glaces, l'œuvre culte de G.J. Arnaud
Couvrez-vous bien et ne ratez pas le train !

Hors du rail, pas de vie
2050. La Lune, transformée en dépotoir nucléaire, explose (sans être un spécialiste, je ne suis pas certain de l'aspect très scientifique de la chose, m'enfin, mettons ça sur le compte de la licence poétique). Avec ses débris viennent la nuit perpétuelle et la fin de la chaleur. 
2340. Les compagnies ferroviaires se partagent le monde, recouvert par les glaces. Le rail apporte chaleur et électricité. Le mouvement, c'est la vie. Les citoyens sont devenus des voyageurs, les compagnies des dictatures. Les dômes, sorte d'amalgame entre ville et gare, sont censés offrir aux voyageurs le 15/15 (15 degrés, 1500 calories par jour), dans les faits, on en est loin. Seules les castes dirigeantes, protégées par la toute-puissante Sécurité, bénéficient de conditions de vie idéales.
Lien Rag, lui, est glaciologue. Il est surtout curieux et commence à s'intéresser aux Hommes-Roux, ces bêtes qui ne craignent pas le froid, ainsi qu'à un manuscrit interdit qui pourrait apporter bien des réponses. Des réponses qui pourraient mettre en péril le règne des compagnies et la puissance du rail...

Une œuvre colossale
Commençons par dire un mot de Georges-Jean Arnaud. L'auteur est incroyablement prolifique puisqu'il est crédité d'environs 400 romans, dont 62 pour la première époque de la Compagnie des Glaces (auxquels il faut ajouter les 11 tomes des Chroniques Glaciaires et les 24 romans de la seconde époque de la Compagnie). 
Les romans originels sont publiés chez Fleuve Noir. Les couvertures, plus ou moins inspirées, leur donnent un aspect à la fois désuet et intrigant, avec un côté "roman de gare" très prononcé. Les titres des différents tomes sont parfois de petites merveilles de poésie tout en gardant un ton qui se rapproche parfois du roman d'espionnage ou de la SF "à l'ancienne". Quelques exemples : Terminus-Amertume, Les Brûleurs de Banquise, Mausolée pour une locomotive, Dans le ventre d'une légende, On m'appelait Lien Rag... des titres plutôt accrocheurs. La première rencontre entre l'éventuel lecteur et son, peut-être, futur livre passe, comme chez les humains, par le premier contact. Le physique est important mais les premiers mots le sont sans doute encore plus. Si ces titres raisonnent pour vous un peu comme l'avant-goût d'un chemin prometteur, nul doute que vous aurez envie d'aller plus loin.
C'est ce que nous allons faire.




Le monde de Lien
La grande force de cette adaptation repose évidemment sur la richesse du monde dépeint par Arnaud.
Le froid et la glace font presque partie des personnages tant ils représentent une menace constante. Les compagnies, et leurs méthodes, sont presque aussi dangereuses. La société oppose des voyageurs opprimés, vivant dans la crainte, aux castes privilégiées et décadentes. Plusieurs compagnies (la Transeuropéenne, la Sibérienne, la Panaméricaine...) co-existent dans le monde et sont perpétuellement en guerre, sans que le bas peuple sache bien contre qui ni pourquoi s'effectuent les batailles du moment. En cela, ce monde hostile et froid ressemble un peu au 1984 d'Orwell, notamment en ce qui concerne les sortes d'États-Continents maintenant une lutte sans fin afin d'asseoir leur pouvoir.
En plus de l'ambiance flirtant avec le steampunk (encore que la plupart des trains ne sont pas à vapeur mais fonctionnent à l'énergie nucléaire), les Hommes-Roux constituent une part mystérieuse et fantastique de cet univers (et ils sont en plus pourvus d'une très grosse "virilité", à faire rougir les plus membrés des hardeurs paraît-il). Ici, l'on pourrait presque faire un parallèle avec les Freemen du Dune de Frank Herbert, essentiellement pour l'aspect "hors caste" ou extra-social de ce peuple ainsi que pour la fascination qu'il suscite chez Lien.
Les dômes sont intéressants à plus d'un titre. Dans un monde sans cesse en mouvement, ils constituent les rares points fixes auxquels les voyageurs peuvent se rattacher. La plupart des dômes sont spécialisés dans une activité précise, comme Cross Station, une gare-marché où se retrouvent éleveurs de rennes et producteurs de maïs, ou Soap Station, spécialisée dans la production de... savon, comme son nom l'indique (à base de graisse de rennes, les amateurs de produits bio vont se régaler !). Les trains sont aussi un élément primordial. Si les petites locomotives classiques ne surprendront personne, certains convois, immenses, véritables villes sur rails, ainsi que les véhicules militaires, impressionnent par leur gigantisme ou leur design. La façon dont ils sont mis en scène, entre le sol d'un blanc immaculé et le ciel noir, transperçant les ténèbres et la brume de leurs puissants projecteurs, permet de renforcer encore l'impression de machines quasiment vivantes ou, en tout cas, certainement déifiées, même inconsciemment.
Dans ce monde glacial, on prend aussi du bon temps. On va au cabaret, on danse, on se fout à poil, on se tape des filles faciles, bref, c'est pas parce que la Lune a explosé, que l'on vit comme des esquimaux-cheminots et que l'on risque d'être arrêté par la police au moindre pet de travers que l'on va mettre les pulsions naturelles de côté ! 




Des mots et des planches
Transposer La Compagnie des Glaces en BD était un pari risqué. Rien de plus difficile que de satisfaire les amateurs éclairés du roman tout en effectuant un véritable et nécessaire boulot d'adaptation. Vous allez voir que, pour une œuvre franco-belge, la manière de travailler est très américaine. C'est le studio virtuel Jotim qui s'est attelé à la tâche, avec en plus le défi de sortir un album tous les quatre mois. Il y a un sacré paquet de personnes dans l'équipe créative, voyez un peu : Ann Boinet (synthèse et documentation), Philippe Bonifay & Pascale Sorin (scénario et dialogues), Christian Rossi (narration graphique), Thierry Maurel & Jim (décors techniques), Juliette Derenne (décors de glace), André Le Bras, Jérôme Lereculey, Lee Daks, Loïc Malnati & Tieko (personnages), Sophie Barroux, Siel, Jonathan Silvestre, Callixte, François Bardier, Nadia, Nausicaa (colorisation). L'encrage, lui, est effectué par les dessinateurs plus Cyrille Ternon. Voilà qui nécessite une certaine organisation. 
Le rendu graphique est assez inégal. Les visages sont très classiques, le personnage principal manque un peu de charisme, mais l'essentiel est ailleurs. Les décors, étendues glacées, dômes et trains, sont plutôt bien fichus et créent une atmosphère oppressante et sinistre, un minimum pour que cet univers post-apocalyptique fonctionne. Bien sûr, les ambiances changent parfois d'un livre (ou plutôt d'un cycle) à l'autre. Ainsi, le Cycle Cabaret Miki se voit doté de colorisations chaudes et de traits plus "nets" là où les épisodes du premier cycle (Cycle Jdrien) misaient sur une grisaille omniprésente et un style plus sombre.
Tout n'est pas parfait (quelques petits problèmes de proportions parfois) mais le style général conserve une certaine cohérence (ce qui n'était pas gagné au départ), les dessins semblent s'améliorer avec le temps et, surtout, l'on est conquis dès les premières planches et c'est bien là tout ce que l'on demande.

Take a Ticket !
La série BD de 15 tomes couvre environ les 10 premiers romans. Trois Intégrales (petit format, couverture souple) sont parues chez Dargaud et regroupent les trois premiers cycles (la pagination est donc très inégale, avec un premier tome regroupant 7 albums, un deuxième en contenant 5, et l'ultime qui n'en rassemble que 3). 
Le premier tome comprend quelques articles du "Journal de la Compagnie des Glaces" afin de familiariser le lecteur avec les concepts essentiels. Cela va des compagnies ferroviaires au Hommes-Roux, en passant par le fameux principe du 15/15 ou un petit bestiaire. Sympa et utile.
À conseiller pour l'ambiance très réussie et le côté post-ap. 





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • L'univers dépeint.
  • L'aspect impressionnant de certains décors ou machines.
  • Le côté dystopique.


  • Des dessins parfois inégaux.