La plus grande histoire de Spider-Man jamais contée
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Nous avons souvent souligné, sur UMAC, la qualité du run de J.M. Straczynski sur la série Amazing Spider-Man (cf. ce dossier). Nous allons aujourd'hui revenir en détail sur cette période fantastique à plus d'un titre et vous donner quelques conseils d'achat pour reconstituer cette énorme saga.

Peter Parker... un type banal, bien que très intelligent et particulièrement brillant en science, qui, suite à un incident impliquant une araignée radioactive, va mettre de côté sa vie privée et revêtir le costume d'un super-héros. Un jeune homme qui va aussi commettre une terrible erreur qui le hantera et lui inculquera, de la pire des manières, le sens des responsabilités. Ce qui lui permettra, au mépris de sa propre sécurité, de venir en aide aux innocents. Ce pitch, nous le connaissons tous. Il concerne un Peter Parker encore lycéen et qui va rapidement arriver à la fac. C'est la période Stan Lee, les débuts du Tisseur et de la série Amazing Spider-Man.

Mais qu'est-il arrivé ensuite ? Eh bien, notre brave Spidey a connu bien des aventures et a affronté de nombreux ennemis. Sous la plume de scénaristes très différents, ayant chacun leur style, leurs ambitions mais aussi leurs limites, le personnage va évoluer, murir, accumuler les épreuves et les épisodes. 
L'époque qui nous intéresse particulièrement ici se déroule d'avril 2001 à décembre 2007. Pendant près de sept ans, J.M. Straczynscki va prendre en main le destin du Tisseur. Et il va réaliser un run mythique en faisant évoluer le personnage de manière significative tout en conservant son ADN, ce qui constitue un exploit inégalé à ce jour.
Mais commençons par le début...





Straczynski débarque sur Amazing Spider-Man (v. 2) #30. À l'époque, la série a connu un relaunch (une remise à zéro de la numérotation) pour attirer de nouveaux lecteurs, elle reviendra à la numérotation d'origine pour le numéro #500 (correspondant à l'épisode (v. 2) #59). L'auteur va immédiatement entamer un travail de fond modifiant le sens de l'engagement de Peter. En effet, sans pour autant toucher aux origines que l'on connaît déjà, Straczynski va superposer une dimension mystique aux événements accidentels qui ont permis à Peter d'acquérir ses pouvoirs. Ainsi naissent la Société de l'Araignée, le personnage d'Ezekiel ou encore la jeune super-héroïne Araña (qui deviendra la nouvelle Spider-Girl). 
Très vite, le Tisseur devra faire face à l'un de ses ennemis les plus effrayants : le terrible Morlun (cf. l'affrontement numéro #4 de notre Anthologie des Combats Marvel). 
Mais le scénariste va voir ses plans être bouleversés quelques mois seulement après son arrivée. Les attentats du 11 septembre 2001 viennent en effet changer la donne. L'Amérique est sous le choc et Marvel ne peut pas passer ce traumatisme sous silence. C'est ainsi que, dans le numéro #36, Straczynski va livrer un récit aussi poignant que mesuré. Sans réel recul sur les événements, il va mettre en scène le Tisseur, ses alliés, ses ennemis même, venant au secours des victimes des attentats. Il va insister sur le rôle des véritables héros (les pompiers, policiers et secouristes) et livrer un discours ferme mais humaniste, soulignant notamment le fait que les terroristes sont définis par leurs actes et certainement pas leur race ou leur religion.

Le choc passé, l'auteur s'attaque à un tabou : le fait que la Tante May ignore tout des activités de son neveu. Puisqu'elle semble indéboulonnable, autant la faire évoluer. Tout a déjà été dit sur le fait qu'elle ne pourrait pas "supporter" la vérité (alors qu'elle est bien plus en forme que dans les années 60, cf. cette Parenthèse de Virgul), donc autant voir ce que donnerait une telle révélation. 
Straczynski va se révéler particulièrement habile, en décrivant une réaction inattendue et fort bien écrite, dans un épisode entièrement "silencieux". Cela, mine de rien, permet enfin à la série d'exploiter de nouveaux ressorts. 
L'auteur va également oser toucher au mythe "Gwen Stacy" dans l'arc Sins Past, sans doute l'un des plus décriés. Faisant fi de l'image de pureté absolue véhiculée par l'ancienne petite amie de Peter, Straczynski va raconter un pan choquant de son passé, lui prêtant une liaison (et bien plus !) avec l'un des pires ennemis de Spider-Man. On peut penser qu'il va trop loin, que c'est peu crédible au regard de ce que l'on sait du caractère de Gwen, mais au moins, il a le mérite de secouer le sempiternel statu quo.

Revenons un instant sur les fondamentaux du personnage et la profession de Parker (sujet déjà abordé ici). Contrairement aux périodes qui suivront, où Parker aura l'air de stagner ou régresser, ou alors au contraire lorsqu'il obtiendra des moyens quasiment illimités (en devenant un chef d'entreprise ayant accès à des technologies assez folles), Peter est ici un simple professeur. Il a donc un vrai boulot (il n'est pas sans-le-sou, ce qui le crétiniserait) mais il n'a pas non plus des ressources illimitées (ce qui nuirait aux fameux fondamentaux, l'ADN du personnage en quelque sorte, qui impliquent que l'activité super-héroïque de Parker nuise à sa vie professionnelle et amoureuse). Le job est donc à ce moment-là idéal, d'autant qu'il permet aussi des pistes de scénario intéressantes.

Toute cette longue partie est disponible, en VO, dans cinq tomes Best Of. Pourquoi opter pour la VO ? Eh bien, pour une raison simple : Panini. L'éditeur en charge de la VF a totalement saboté les séries dont il a la charge en livrant des traductions scandaleuses (cf. ce dossier ; même si la tendance est à l'amélioration, la majorité des traducteurs ne sont toujours pas au niveau et continuent d'accumuler fautes de français, confusion dans les personnages, contre-sens et erreurs en tout genre). Il n'est donc pas possible d'apprécier totalement cette saga en français à l'heure actuelle. Sans parler des multiples collections différentes, regroupant imparfaitement quelques pans de la saga.
Évidemment, tous les lecteurs ne parlent pas forcément l'anglais. Deux cas se présentent : soit vous avez un niveau moyen en anglais, auquel cas vous pouvez vous lancer. Non seulement les textes n'ont rien d'ardus (c'est de l'anglais basique et courant), mais en plus, le fait que ce soit une BD vous donnera un contexte qui vous aidera grandement ; soit, dans le deuxième cas, vous ne comprenez rien à cette langue, et là... eh bien c'est le moment d'apprendre. Et quoi de mieux que des comics pour vous lancer ? Ce sera bien plus agréable que n'importe quelle méthode du commerce et, avec internet, vous n'aurez aucun mal à trouver la signification d'un terme qui vous échappe. Grâce à l'impéritie de Panini, vous allez apprendre une langue vivante et boostez vos connaissances ! L'incompétence a parfois son utilité.




Ces cinq tomes (voir photo ci-dessus) couvrent une grande partie du run de Straczynski mais, malheureusement, pas la totalité. Il va donc falloir compléter avec quatre TPB (des ouvrages moins épais et moins onéreux, enfin, normalement, nous y reviendrons plus loin). Ceux-ci couvrent quatre périodes/arcs narratifs.
On commence par The Other (un crossover se déroulant à l'époque dans toutes les séries du Tisseur, Straczynski n'est donc pas le seul à la manœuvre). Le récit se veut ambitieux, avec de nouveau un énorme affrontement impliquant Morlun mais, surtout, une évolution des pouvoirs de Spidey. Ce dernier devient plus puissant, il obtient des dards au niveau des poignets, la capacité de voir dans le noir et celle de tirer des informations des vibrations de sa toile. Tout cela ne sera pratiquement jamais exploité par la suite, mais sur le coup, cela paraît vraiment "upgrader" le héros tout en restant cohérent avec le côté mystique de son destin.

On enchaîne avec la période Civil War, une saga riche et passionnante au sein de laquelle, là encore, Spidey va énormément évoluer. Il obtient tout d'abord un nouveau costume, bardé de technologies, grâce à Tony Stark (de nouvelles capacités atténuées par le fait que Peter ne sait pas encore parfaitement se servir de ce nouvel équipement). Surtout, il va faire le choix de dévoiler publiquement son identité (ce qui n'est pas ce que la loi, le superhuman registration act, prévoit, rappelons-le), ce qui va permettre de développer de nouvelles directions au niveau des récits. Et ce qui aboutira notamment à Back in Black
Cet arc, plus sombre comme son nom l'indique, voit Peter affronter les conséquences de ses choix, et il aurait même pu donner une fin digne de ce nom à la fameuse Tantine... malheureusement, la volonté de Marvel est tout autre, les pontes s'entêtant à exiger un surplace narratif qu'ils estiment impossible à dépasser. Cela va donner lieu au point final du run de Straczynski : la poignante mais épouvantable saga One More Day (là encore un crossover).

Pendant un temps, Straczynski menace de retirer son nom de ces épisodes. Il faut bien comprendre à quel point l'attitude de Marvel est stupide et contre-productive. Alors qu'il dispose d'un des meilleurs auteurs de comics, alors que le type vient de passer des années à patiemment moderniser un personnage qu'il aime, à le faire évoluer pour redonner de l'intérêt à la série tout en conservant ses fondamentaux, l'éditeur décide de balancer tout le travail accompli aux orties pour imposer un reboot dégueulasse qui viole la continuité et désespère les lecteurs. Parker revient, dans Brand New Day, dans un état proche de celui qui était le sien dans les années 60, alors qu'il était adolescent. Il est célibataire, sans emploi et en colocation...
Le gâchis est tel qu'il n'est pas mesurable. Straczynski aura donc été l'auteur qui aura fait le plus progresser le mythe Spider-Man, en écrivant des arcs figurant parmi les plus impressionnants et émouvants du titre, mais il sera donc aussi celui qui enterrera, contraint et forcé, toutes ces avancées.




Toute cette longue et chaotique partie est disponible donc en TPB. Vous constaterez que la photo (ci-dessus) présentant ces ouvrages ne contient que trois comics (The Other, Civil War et One More Day). Ce qui va nous permettre d'aborder un point crucial : le prix de ces livres.
En effet, je n'ai jamais réussi à trouver le Back in Black à un prix raisonnable. Il est aujourd'hui proposé à des tarifs délirants (70 euros, 90, 160 et même 380 !). Un tel TPB vaut en réalité entre 20 et 30 euros, à tout casser. Et les Best Of présentés plus haut valent entre 30 et 50 euros. PAS PLUS.
Déjà, même quand un livre n'est plus disponible en neuf, son prix ne décolle pas pour autant. La règle, c'est que l'occasion, c'est logiquement moins cher que le neuf. Vous allez me dire que l'offre et la demande peuvent faire monter les prix. Certes, mais ici, ces prix sont gonflés artificiellement. Expliquons-nous : quand Marvel publie un livre, c'est pour le vendre au maximum. Si l'éditeur estime (ou sait, dans le cadre d'une série régulière) qu'un ouvrage se vendra en moyenne à 100 000 exemplaires, il va en tirer au moins 100 000 (et probablement un peu plus). Aucune raison de laisser des dollars se perdre volontairement. Mais, malheureusement, certains margoulins organisent cette limitation de l'offre en achetant 50, 100 ou 200 exemplaires d'un même titre (ce sont des gens qui ne vivent que de ça, voire même des boutiques) pour les revendre ensuite trois fois ou dix fois le prix. Il s'agit donc d'une arnaque. Ces escrocs ne doivent pas être "nourris". Ce sont des parasites, qui ne fournissent aucun travail et profitent des auteurs et des passionnés. Ce n'est pas parce que l'on est collectionneur que l'on doit devenir un pigeon. Soyez donc prudents et faites preuve de discernement et de patience, ce n'est pas parce qu'un titre est proposé entre 70 et 380 euros que l'acheter 70 euros devient une bonne affaire pour autant.

Voilà, nous avons fait le tour de ce long run et des ouvrages qui contiennent ces épisodes fabuleux, écrits par un Straczynski au top de son savoir-faire. Ce sont des gens comme lui qui donnent leurs lettres de noblesse à la bande dessinée et qui forgent des bataillons de lecteurs acharnés et d'auteurs éclairés. Le fait qu'il ait pu, dans un cadre aussi strict et limité que celui imposé par Marvel, apporter autant d'innovations et de moments forts en dit long sur son talent et sa maîtrise d'un art véritablement magique lorsqu'il est pratiqué par de tels virtuoses.