La Wicca : un choc spirituel
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Nous nous penchons aujourd’hui sur un ouvrage très particulier, qui touche à la spiritualité, à la métaphysique et même à la magie : La Wicca de Scott Cunningham.

La plupart des gens ne connaissent probablement pas du tout ce qui se cache sous le terme Wicca, ou en ont une vision sans doute quelque peu déformée. Il faut dire que cette pratique véhicule pas mal d’idées reçues et peut même parfois générer quelques crispations. Commençons tout de suite par évacuer un terme qui me gêne. Bien que la Wicca soit considérée comme une religion, je préfère le terme, plus correct à mon sens, de Voie. 
En effet, la religion est en général un système se plaçant entre l'humain et le divin. Système qui édicte des règles (très humaines), des interdits, des pratiques, etc. Personnellement, je ne vois pas pourquoi il faudrait un intermédiaire entre un être humain et un principe supérieur, peu importe le nom qu’on lui donne. Et d’ailleurs, la Wicca, telle qu’elle est présentée par Cunningham (car il existe bien des formes, certaines plus secrètes et figées que d’autres), n’impose rien et repose sur l’individualisme et les inclinations personnelles.

Mais voyons déjà les principes de base. Un Wiccan est une personne qui tend vers l’harmonie avec la nature. Il ou elle reconnaît l’énergie divine qui imprègne les animaux, les plantes, les pierres, l’eau, bref, tout. Cette force est incarnée par le Dieu et la Déesse, qui symbolisent la dualité présente en toute chose. Ainsi, la Déesse et le Dieu sont à la fois lumineux et sombres, tout comme la nature, qui peut rafraîchir grâce à une agréable brise, ou ravager à l’aide d’un ouragan (ce qui rejoint les principes asiatiques du Yin et du Yang). Cela se retrouve aussi d’ailleurs dans l’être humain, capable du pire comme du meilleur et bien souvent balloté par des sentiments puissants et contraires.

Le principe de cycle est également important dans la Wicca, la mort n’étant qu’une étape vers la renaissance, symbolique ou physique. En effet, la Wicca intègre le principe de réincarnation (mais ne l’impose pas pour autant en tant que dogme à ses adeptes, à chacun de faire des recherches, de "sentir" ou non cet aspect).
Si bien des Wiccans sont réunis en covens, cela n’est nullement nécessaire, de nombreux Wiccans pratiquant seuls. Mais quelle est-elle exactement, cette pratique ?

Eh bien, il s’agit essentiellement de rituels. Parfois de magie (je me doute que c’est cette partie qui vous intéresse, mais il faut bien comprendre que la Wicca est un art de vivre, une philosophie, pas un manuel pour jeter des sorts).
Il existe des rituels de tout type, des rituels dansés, chantés, psalmodiés ou même silencieux. Des rituels dans la nature ou chez soi. Nu ou habillé. L’important, c’est d’être à l’aise, de communier avec la Déesse et le Dieu et d’avoir une pratique positive et bienveillante.

Si ce livre m’a autant emballé, c’est pour plusieurs raisons. D’une part, j’aime beaucoup le principe de liberté et d’initiative individuelle qu’il défend. En gros, Cunningham donne des exemples d’autels à dresser, de tenues, de rituels, d’objets à utiliser, mais en terminant toujours par un "si vous préférez autre chose, c’est à vous de voir". La Wicca, en tout cas cette forme de Wicca, est donc très souple et convient parfaitement à quelqu’un qui n’a pas trop envie de s’enfermer dans des dogmes conçus par d’autres. Même les noms du Dieu et de la Déesse peuvent changer et parfaitement cohabiter avec divers panthéons. En fait, à partir du moment où l’intention est bonne, le geste, le mot ou l’objet le sont aussi. 
D’autre part, je connaissais déjà et utilisais bien des techniques employées ici, que ce soit la méditation, le travail sur la respiration, la visualisation, etc. Je sais donc l’efficacité de ces techniques, pour peu que l’on n’en attende pas quelque chose d’extravagant. 
Enfin, Cunningham, loin de nous livrer une version "clé en main" de cette si mystérieuse et enivrante Voie, conseille de lire d’autres ouvrages que le sien, de s’informer, d’aller puiser ici et là, d'expérimenter, de retenir ce qui nous convient, bref, d’être actif, vigilant et auteur du système que l’on construit autour de notre spiritualité.

Un petit mot sur la sorcellerie associée à la Wicca. Tout d’abord, il s’agit de magie blanche. Personne ne devrait se risquer à vous lancer un mauvais sort, ne serait-ce qu’à cause de la loi du triple retour (ce qui est fait, en bien ou en mal, te revient par trois fois). Ensuite, il faut bien comprendre qu’il ne s’agit pas d’une magie à la Harry Potter. Si vous demandez à un Wiccan de changer une banane en poire, il n’y parviendra pas. Mais si vraiment vous voulez une poire, il pourra certainement vous en dénicher une. Le but de la magie doit donc demeurer raisonnable (et important). Pour faire simple (et pour avoir déjà étudié un peu la magie blanche par le passé), c’est une manière de mettre les choses en marche, d’activer les bonnes énergies, de se mettre aussi dans le bon état d’esprit. 
Mais cela reste une partie seulement de la Wicca. Qui d'ailleurs ne doit nullement vous dispenser de travail, de réflexion, d'investissement et d'initiative. Les Wiccans sont les artisans de leurs réussites, ils ne remettent pas leur destin entre les mains d'entités, fussent-elles vénérées. 

Ainsi, ce qui a commencé presque comme une blague (j’avais un réel intérêt intellectuel pour la Wicca, mais je conservais un certain recul sur le folklore dont je la croyais imprégnée) m’a littéralement interloqué et bouleversé. Car, instinctivement, j’appliquais déjà dans ma vie bien des principes expliqués ici, quant au reste, à ce que j’ai découvert, j’ai l’impression que c’était là, depuis toujours, devant mon nez, et qu’un vieil ami, du fond de son tombeau, vient de lever le voile de brume qui me masquait la vue pour que je puisse enfin trouver ce fameux chemin, que j’ai tant cherché.
Pour donner un exemple concret, alors que je lisais ce livre, j’ai voulu tenter, très respectueusement, un petit rituel. Quelque chose de simple et improvisé. Une première approche disons. Après quelques minutes de recueillement et de concentration, j’ai levé les mains vers le ciel en effectuant deux gestes symboliques, représentant le Dieu et la Déesse. Aussitôt (mais je savais en mon for intérieur que ce serait une expérience positive), j’ai ressenti une puissance extraordinaire m’envahir, une force à la fois fantastique et d’une bienveillance phénoménale. Sans doute ce que les mystiques appelleraient une révélation, cette espèce d’amour divin décrit avec tant de ferveur et que je pensais issu de l’imagination de certains illuminés. Je sais ce que certains vont m’objecter : c’est toi qui a généré ça. Eh bien… oui. C’est moi. Car cette force, que l’on retrouve dans les arbres, les torrents, les nuages, ou le regard d’un loup, elle est aussi en nous. Je ne me suis agenouillé devant rien, je n’ai abdiqué nulle raison, j’ai juste fait en sorte de me mettre dans les bonnes dispositions. Je ne savais pas ce qui allait arriver, si j’allais juste éclater de rire, être déçu ou ressentir un chatouillement derrière l’oreille. Or, ce qui est arrivé, ce sentiment que j’ai ressenti, était si pur, si intense, si merveilleux, que j'ai instantanément su que j’allais pratiquer à l’avenir d’autres rituels, m’intéresser à cette pratique, tenter de communier encore plus avec la nature et, pourquoi pas, devenir meilleur.
Bon, je ne vais pas rentrer dans un monastère hein, maintenant, je vais juste faire des câlins aux arbres… c’est une blague, c’est plus compliqué que ça, évidemment, mais notre vie spirituelle n’exclut en rien le monde physique. Ou l’humour.

Aucune volonté de prosélytisme bien entendu de ma part, je n’ai rien à vendre. Je souhaitais néanmoins être honnête et dire à quel point ce livre m’avait touché et impacté. Mais sans doute qu’il est arrivé au bon moment, alors que j’avais déjà effectué un cheminement personnel essentiel. J'ai ainsi pu, non me couler dans un moule, mais prendre les éléments dont j'avais besoin, les adapter, et laisser le reste. Et je ne suis qu’au début de cette palpitante aventure spirituelle. 
Je ne peux donc que conseiller cet ouvrage, mais il n’est en rien un passage obligé vers l’accomplissement personnel et la paix de l’esprit. C’est une voie, parmi des milliers. Et c’est bien la manière dont vous l’arpenterez qui la rendra sombre ou lumineuse.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une approche didactique, intelligente et très souple.
  • Propice à l'introspection.
  • Énormément de conseils pratiques.
  • Bienveillant et positif.
  • Il s'agit bien entendu d'un guide, voire d'un manuel pratique, non d'un roman, ce qui n'intéressera pas forcément tout le monde.
Supergod, de Warren Ellis
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Supergod constitue le dernier volet de la trilogie sur les surhommes de Warren Ellis (cf. ce dossier), cette fois-ci associé au dessinateur Garrie Gastonny, qui succède donc à Juan José Ryp. Édité chez Bragelonne en France en 2011, on peut le considérer comme le plus ambitieux et le plus dévastateur des trois, sans pour autant n'être qu'une succession d'affrontements ravageurs. Après un Black Summer fascinant et démonstratif et un No Hero moins subversif mais jubilatoire, voici notre auteur en pleine conclusion sur ses thèmes récurrents, une conclusion aux répercussions planétaires, voire même cosmiques. Étendant son champ d’action comme son champ de réflexion, il se livre à une sorte d’auto-analyse par le biais de ce scientifique/narrateur qui s’emploie, dans une ville de Londres dévastée, au bord d’une Tamise jonchée de cadavres flottants, à enregistrer pour un collègue américain un témoignage ironique mais lucide à propos du plus grand projet humain depuis la Bombe : le Surhomme.


Les nations les plus puissantes ont toujours cherché à créer un surhomme, à la fois super-soldat et messie d'un avenir plus radieux.
Les Britanniques furent les premiers, en secret, après une conquête de l'espace qu'ils gagnèrent sans que personne ne le sût. Caché dans un bunker, vit désormais un être omnipotent. Toutefois, l'Inde comme les États-Unis, la Russie, l'Irak ou la Chine ont développé des programmes similaires : seulement, à force de jouer avec des puissances qui les dépassent, les hommes ont créé des dieux. Et ces derniers ne sont pas forcément prêts à répondre à l’attente de leurs concepteurs...

Au gré des cinq chapitres parfaitement coordonnés, uniquement interrompu par quelques aléas dans sa survie, sans compter quelques soucis de mémoire, le professeur britannique raconte ainsi comment les Anglais réussirent à aller dans l’espace bien avant Russes et Américains, dans le plus grand secret et avec des ambitions rappelant l’uchronie de Ministère de l’espace (un autre comic book de Warren Ellis, illustré par Chris Weston - cf. le dossier précité). Les astronautes qui vécurent cette expérience n’en revinrent pas indemnes : en 1955, le Royaume-Uni s’était ainsi doté, dans des circonstances rappelant furieusement la naissance des 4 Fantastiques, d’une créature toute-puissante. Davantage qu’un surhomme : un dieu parmi les hommes.


Du coup, cette course à l’armement, à l’énergie nucléaire ou à l’espace fut bien vite éclipsée par une course au superpouvoir. Là encore, l’ironie avec laquelle le narrateur démontre les faiblesses des services secrets américains (constamment en retard d’une génération) permet de dresser un portrait cinglant des forces en présence. Ellis évite le jugement de valeur car tous les États qui se sont lancés dans cette quête effrénée perdront, d’une manière ou d’une autre, le contrôle sur l’entité qu’ils avaient créée : l’une d’elles est rien moins qu’un  réacteur nucléaire ambulant, une autre manipule la matière par la pensée, une troisième communique par le biais de spores extraterrestres quand cette autre se trouve dotée d’une technologie puisant son énergie dans les liaisons interatomiques…  Si certains de ces êtres rappellent, de loin, quelques-uns de nos super-héros préférés (le premier super-héros russe est doté d’une armure inspirée autant d'Iron Man que de Titanium Man ; le super-soldat américain tient davantage du Hypérion de Straczynski – voir la série Supreme Power, cf. cet article), on est plus proche des divinités cosmiques ou des dieux des panthéons antiques : d’un geste, d’une pensée, ils peuvent rayer un pays de la carte, et les conséquences d’un accès de colère se chiffrent en millions de morts (rappelez-vous celui de Thanos, devenu tout-puissant après avoir acquis son Gant de l’Infini, qui rasa purement et simplement une partie de la galaxie ; « Dieu se fâche… » constatait alors laconiquement l’un des personnages).


On est loin, on le voit, de la base du programme "Super-Soldat" qui a engendré le Captain America chez Marvel : ici, les hommes créent des dieux, en espérant (priant ?) que ces derniers répondent à leurs attentes. On quitte donc le mythe de Frankenstein pour approcher des préoccupations éthiques encore plus vastes : le surhomme, ce n’est rien d’autre qu’un avatar divin né pour accomplir un destin supérieur. Mais comment (c’est d’ailleurs le sujet d’un des dialogues de ce comic) des êtres humains aussi peu enclins à l’altruisme peuvent-ils espérer engendrer un Messie prêt à se sacrifier pour eux ? De fait, cette course au pouvoir, même transcendée par un concept divin, dissimule mal le besoin de générer une divinité capable d’expliquer, et donc de corriger, les problèmes affligeant l’Humanité. La religion étant l’opium du peuple, quand on a les moyens de se créer le dieu qu’on veut, on devient un dealer de culte.


Seulement, à trop fricoter avec des puissances mal maîtrisées, à trop chercher à briser les contingences physiques du continuum, on ne récolte que ce qu’on sème. Lorsque Hulk affronte Thor, la Terre tremble : imaginez l’effet que peuvent produire des chocs cataclysmiques entre sur-êtres ! Les lecteurs qui désiraient assister à des combats dévastateurs en seront pour leurs frais : Ellis et Gastonny visent plus haut, et ne nous serviront que quelques planches se raccordant aux histoires de super-héros classiques. Le reste consiste surtout en un regard désabusé sur les conséquences apocalyptiques des ambitions humaines : une démonstration qui fait froid dans le dos, bourrée comme toujours de références implacables.

Fascinant et déprimant en même temps, peut-être parfois un peu pompeux, mais d'une intelligence rare. Le propos a dès lors tendance à éclipser le dessin qui n'a pas la flamboyance méticuleuse de Ryp, mais une certaine forme d'humilité qui sied bien à la tournure des événements. L'encrage, souvent très sombre, prolonge encore cette impression désespérée des premières planches et joue avec les couleurs en proposant une palette à dominante rouge. Les visages, les traits, se fondent dans le vague : après tout, aucun des protagonistes n'est censé marquer l'Histoire, que sont ces hommes face aux dieux qu'ils ont réveillés ?

À comparer peut-être avec l’excellent A god somewhere d’Arcudi & Snejbjerg - cf. cet article - sorti en France la même année (mais chez Panini comics, dans la collection 100% Wildstorm).




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un récit puissant et saisissant.
  • L'emploi du témoignage permet de donner un peu de recul et de mieux appréhender l'ampleur des forces en présence.
  • Un humour désabusé en parfait contrepoint aux horreurs constatées.
  • Une uchronie parfaitement maîtrisée.


  • Des illustrations manquant parfois d'élégance et de précision.

Le Cycle de Kraven tome 1 : la Ligue des Héros
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Puiser dans le folklore et la littérature populaire des personnages hauts en couleur est un moyen habile de construire une histoire, voire une saga, en bénéficiant de l'impact plus ou moins prononcé des éléments empruntés sur la mémoire du lecteur : ces fondations incontestables permettent d'échafauder des intrigues hardies tout en bénéficiant de l'aval tacite des créateurs, à condition tout de même de ne pas (trop) altérer ces références sous peine de s'aliéner les fans. 
L'exercice peut s'avérer périlleux si l'écrivain ne dispose pas de la culture et des techniques de narration adéquats : voyez ainsi la différence de traitement des héros de la Ligue des Gentlemen extraordinaires entre la version en bandes dessinées par Alan Moore & Kevin O'Neill (cf. cet article) et son succédané cinématographique honteux par Stephen Norrington en 2003. Il y avait pourtant de quoi construire quelque chose de puissant et enlevé. Dans un registre similaire, la série Penny Dreadful reprend ainsi certains des protagonistes mais avec nettement plus d'audace, de talent et d'ambition. Et quant à verser dans l'hommage irrévérencieux, Philip José Farmer avait déjà ouvert la voie avec malice dans ses romans impliquant Tarzan, Jack l'éventreur et Doc Savage (La Jungle nue) ou Phileas Fogg et ses comparses (Chacun son tour) - cf. cet article sur l'auteur.

Certains sont passés maîtres dans cette optique de réinterprétation visant parfois à combler les trous dans l'existence d'un individu connu, parfois à se servir de sa notoriété pour donner sa propre version des faits ou encore pour simplement faire revivre les héros qui ont bercé notre enfance : on ne compte plus les nouveaux textes sur Sherlock Holmes dont la plupart, plus ou moins bons, ont au moins le mérite de démontrer l'amour que lui portent ces auteurs actuels (cf. par exemple cet article sur la version manga).

Tout comme Farmer en son temps, Xavier Mauméjean a consacré une partie de sa carrière à ce genre d'initiatives littéraires et ce, dès son premier roman publié, Les Mémoires de l'Homme-éléphant (2000), dans lequel John Merrick se mue en détective, évoluant dans ce Londres victorien si fascinant, merveilleusement dépeint par Alan Moore dans From Hell (cf. cet article). Et l'année où la Fox diffusait ce ratage complet cité plus haut, Mauméjean, lui-même membre d'une association d'adorateurs de Sherlock Holmes, publiait le second volet de son Cycle de Kraven, signant une nouvelle œuvre clamant son amour d'une culture et d'un genre bien souvent dégradés par les bien-pensants.

C'est le premier tome que nous allons évoquer aujourd'hui. Sorti en 2002 chez Mnémos, plusieurs fois réédité depuis, La Ligue des Héros place le lecteur dans une situation délicate, le baladant sur différentes strates temporelles sans affirmer laquelle constitue notre réalité : il y a certainement, comme chez une grande partie des auteurs de SF français post-soixante-huitards, un peu de Philip K. Dick dans cette jonglerie dimensionnelle, dans ce questionnement du réel et de son intégrité (cf. cet article sur Ubik du même auteur). Cependant, le roman se veut aussi être mouvementé et pittoresque, et se pare des ornements des récits d'aventure et de fantasy avec un peu de cette frénésie baroque qu'on retrouve dans la saga Pirates des Caraïbes. 

Évidemment, le début est loin d'être aussi joyeusement frénétique : la mise en place se calque sur un tempo lent avant de nous en mettre plein la vue. On commence à Londres, chez George, qui occupe avec sa femme et son fils un pavillon modeste de la banlieue ouvrière. Vie morne, avenir incertain : les années soixante battent leur plein. Un jour, on frappe à la porte de George : deux fonctionnaires du gouvernement lui présentent son beau-père, un vieillard décrépi qui a perdu la mémoire. C'est le pompon ! Voilà George sommé de s'occuper d'un homme qui ne parle pas, ne bouge qu'à peine et ne s'intéresse à rien. George s'en fout, sauf que c'est une bouche de plus à nourrir. 
Notre attention se reporte donc de George, gros con péremptoire, à ce mystérieux petit vieux. Au début, rien ne vient même si on sent que l'intérêt de la première partie de l'ouvrage réside dans ce que cachent ses souvenirs voilés. Il lui faut une étincelle, un stimulus : ce sera la lecture d'un comic qui traînait, une histoire picaresque avec une princesse aux formes généreuses et un héros triomphant et viril. Pour la première fois depuis longtemps, quelque chose se dessine dans les ombres fuligineuses de son cerveau : il lui en faut davantage. Avec l'aide de son petit-fils, il va trouver un jeune hippie vivant dans un mobil-home, pourvoyeur de disques et de livres : grâce aux histoires de super-héros fournies par Syd, le vieux retrouve enfin une partie de sa mémoire.


Et nous voilà ailleurs. Changeant radicalement sa présentation, Mauméjean nous balance des mini-chapitres légèrement ironiques, pleins d'allant et de péripéties, contant les aventures de Lord Kraven, le Sauveur de l'Empire, entouré de la Ligue des Héros, des Justiciers œuvrant pour la sauvegarde de la couronne et du peuple britannique : English Bob, Lord Africa, le Maître des Détectives sous la houlette de sir Baycroft. À eux seuls, ils ont de nombreuses fois évité le pire à la reine Victoria et préservé de par le fait même l'équilibre du monde civilisé. D'autant que cet équilibre est fortement compromis par la rébellion menée par Peter Pan, qui n'a pas digéré l'ouverture des frontières du Pays Imaginaire : Fées, Pirates et Enfants perdus font donc partie du quotidien de ces héros au cœur vaillant à qui on demande souvent l'impossible, déjouant des complots et mettant hors d'état de nuire les pires des super-criminels.

Dans cette partie, les hauts faits, parfois narrés à la manière d'un roman d'espionnage, parfois simplement relatés dans un extrait de manuel d'Histoire, succèdent aux décisions capitales, aux projets secrets débattus dans l'ombre, aux trahisons et autres forfaitures, sur un rythme trépidant et bardé d'un humour bon teint, légèrement cynique. Dans cette uchronie merveilleuse aux accents steampunk, la Première Guerre mondiale s'achève et Lord Kraven soutient ouvertement la constitution de cette Société des Nations qui pourrait garantir la paix internationale. Sauf qu'on lui fait comprendre que cette paix risque de ne pas être compatible avec les visées hégémonique de la Couronne britannique, à laquelle il est censé rester fidèle. D'autant que de l'autre côté de la Manche, Bud Colt, le Super-Soldat américain, fait bien comprendre que les USA ne resteront pas sur la touche...
Les événements vont alors se précipiter et l'Histoire se mettre à franchement diverger par rapport à celle que l'on a connue : l'uchronie lorgne alors du côté de Rex Mundi par exemple (cf. cet article).

Lorsqu'on a lu Alan Moore (cf. les volumes cités plus haut) ou qu'on a découvert la Brigade chimérique (cf. cet article), ce télescopage de personnages et de faits historiques déviants ravive des souvenirs : on évolue en terrain connu et on s'amuse à établir des passerelles entre les noms évoqués et les héros des franchises Marvel ou DC (exercice très ludique qu'on peut également pratiquer à la lecture du Sang des Héros - cf. cet article) ou de sagas populaires plus anciennes. Cependant, le roman n'est pas terminé pour autant ; à présent que notre vieillard du début semble retrouver la mémoire, les questions vont se précipiter : que lui est-il arrivé entre-temps ? Comment son amnésie est-elle survenue ? Où sont passés ses anciens partenaires ? Et surtout : pourquoi aucune mention n'est-elle faite dans les livres d'Histoire de ses agissements, voire même de l'importance des habitants du Pays Imaginaire dans leur civilisation ? Certes, on parle bien d'un Peter Pan, mais uniquement dans un conte pour enfants écrit par J.M. Barrie, mêlant le vrai au faux. 
Ce coup de fouet mémoriel et ces questions existentielles redonnent de l'énergie à notre vieillard, un sens à son existence enténébrée, qui entreprend alors son ultime quête : celle de son identité disparue, peut-être volée - à moins que tout ceci ne soit encore une machination ? Et si aucune de ces réalités (celle, plein de possibles, de la Ligue des Héros, ou celle, morne et délétère, du Londres des années soixante) n'était vraie ?

Mauméjean, avec quelques traits caustiques, des sentences bien senties, et un goût prononcé pour les happenings à la manière des anciens feuilletons, nous promène dans une histoire à tiroirs où tout est loin d'être ce qu'il paraît : le réel y est illusoire, les certitudes s'effilochent et l'on se tient prêt pour le coup de massue qui nous est promis au moment de la chute. Avec malice, il laisse le lecteur anticiper en s'appuyant sur les bases d'une culture populaire bien achalandée, puis le rabroue par quelques retournements déroutants, des ruptures dans le tempo du récit, une densité de noms, d'événements et de lieux qui donne le tournis : si Barrie est régulièrement cité, Lewis Carroll n'est jamais bien loin. C'est parfois agaçant, mais toujours stimulant.
À découvrir. 

Ce roman est disponible désormais sous forme d'intégrale chez Mnémos avec sa "suite", L'Ère du Dragon, néanmoins on le trouve encore aisément en poche, notamment chez Points dans la collection "Fantasy".




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un bel exercice de style dans la réinterprétation des faits et des mythes.
  • Une version romanesque à mi-chemin entre la Ligue des Gentlemen extraordinaires et la Brigade chimérique.
  • Un style enlevé au ton piquant et doté de tournures élégantes.
  • Des personnages intrigants, ouvertement archétypaux mais séduisants dans leurs excès.


  • Quelques faux suspenses vite éventés.
  • Des ruptures volontaires dans la trame du récit (lorsqu'on change de contexte temporel) qui nuisent un peu à son harmonie.
  • Une fin étonnante mais qui semble brouillonne, presque incomplète et paraîtra sans doute insatisfaisante.
  • L'édition de poche chez Points n'est pas exempte de quelques coquilles (notamment des accords erronés).
Deviens auteur de best-sellers en moins d'une demi-heure !
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Si c'est vraiment le titre de cet article qui vous a attiré ici, le cœur battant et plein d'espoir, vous êtes peut-être un poil trop naïf. Ceci dit, pour une fois, on ne va pas évoquer une arnaque mais un outil pratique dont peu de gens comprennent l'utilité. 
Allez, tout de suite, on décortique les Fabula Storytelling Cards.

Lorsque j'ai vu passer une pub pour ces cartes, deux choses m'ont frappé. D'une part, l'on reconnaît immédiatement la méthode Vogler pour structurer un récit (on y reviendra plus loin), d'autre part, certaines personnes, croyant légitimement à une énième arnaque, commentaient cette pub en laissant des sentences acerbes, du genre "s'il suffisait d'un truc pareil pour savoir écrire, ça se saurait". Et effectivement, cette méthode n'a aucunement la prétention d'apprendre à un novice à écrire, malgré la présentation quelque peu trompeuse de l'éditeur, qui annonce sur son site "Écrire tes histoires n'a jamais été aussi facile" (j'ignore pourquoi ils tutoient leurs potentiels clients, on dirait qu'ils s'adressent à des gamins). 
Bref, si vous pensez que ces cartes vont vous apprendre à écrire correctement, c'est évidemment faux. Par contre, elles ont tout de même une utilité. 

Je ne vais pas revenir en détail sur la méthode Vogler (cf. la deuxième partie de ce grand dossier). Sachez seulement qu'elle est très efficace. Notamment parce qu'elle est basée sur des constatations issues de l'analyse de nombreuses œuvres, n'ayant aucun rapport entre elles. Grosso modo, pour qu'une intrigue tienne la route, elle doit être basée sur des éléments structurels simples, qui sont aussi bien présents dans Star Wars, Pretty Woman que La Grande Vadrouille ou Les Trois Mousquetaires. Mine de rien, c'est très important, car Vogler ne vous dit pas "il faut faire comme ça" mais "on retrouve ces éléments dans toutes les intrigues" (sauf de rarissime exceptions, de style expérimental, auxquelles nous ne nous intéresserons pas ici). 
Gardons bien à l'esprit que la méthode Vogler ne concerne que la structure du récit, donc son squelette, pas son contenu.

À ce stade, il me faut revenir sur l'aspect technique d'une œuvre. Bien des gens, à l'époque de la rédaction du dossier cité plus haut, ont réagi en me disant que "la technique, c'est bien mais pas trop" ou carrément qu'il fallait parfois l'éviter pour "être plus libre". Non. N'importe quoi ! La technique est indispensable. Pas "un peu", pas "dès fois", elle est totalement indispensable, tout le temps. Un guitariste, quand il apprend à jouer de son instrument, il n'apprend pas cinq accords, en se disant que les autres vont le limiter. Sa limite sera au contraire fixée par ceux qu'il ne connaît pas. 
La technique ne contraint pas, elle ne force à rien, au contraire, elle libère. Ce sont les tares qui forment des murs et vous empêchent de prendre telle ou telle direction.
Après, si vous n'êtes pas convaincu, je vous encourage à livrer un combat de boxe sans prendre de cours de boxe. D'habitude, avant de se lancer sur le ring, un boxeur apprend à boxer, il travaille son jeu de jambes, les esquives, il améliore son cardio, il se muscle, il apprend les feintes, les enchaînements, comment mettre correctement un direct ou un crochet... mais si vous pensez que sans technique, vous allez être plus original et plus efficace, tentez le coup. Vous reviendrez lire la suite de cet article quand vous serez sorti de l'hosto. Parce que je vous assure que "tout arrêter avec le pif", ce n'est pas du tout considéré comme un trait de génie dans le milieu du Noble Art. M'enfin, parfois, il faut se prendre une trempe pour s'en rendre compte.

Revenons à l'outil qui nous intéresse ici. Il est assez polyvalent et peut s'utiliser pour des romans, des BD, des films, des séries, et à peu près tout ce qui développe une progression narrative logique. Prenons l'exemple des romans. En littérature, il existe un pan technique (indispensable), composé d'éléments que l'on peut sans aucun problème évaluer, démontrer et reproduire. Mais tout n'est évidemment pas basé sur cette technique. Il existe aussi un pan plus subjectif, "magique", personnel, touchant au style, aux idées, à la "signature" de l'auteur. L'on peut fort bien être touché par un auteur techniquement faible (dans mon cas Koontz, par exemple) ou au contraire rester de marbre devant une histoire parfaitement juste sur le plan technique. Donc, encore une fois, attention : la technique est indispensable dans le domaine de l'écriture, mais elle ne fait pas tout. 
La méthode Vogler se concentre bien évidemment sur la technique, mais une partie bien précise : la structure du récit (et seulement ça). Donc, il ne s'agit pas d'apprendre à installer et développer un personnage, employer des effets, amener des ruptures, maîtriser un rythme, jouer avec certains codes ou par exemple utiliser l'identification. Ce sont d'autres aspects techniques qui ne sont pas concernés ici.

Ci-dessus, le "début" de Matrix. L'on voit bien qu'il ne s'agit que de la structure pure et de l'étape "pré-écriture", rien d'autre.


Vogler s'intéresse, dans sa méthode, à ce que j'appelle les fonctions archétypales [1] (héros, messager, mentor, ombre...) et aux différentes étapes du "voyage" du héros (le monde ordinaire, l'appel de l'aventure, le refus, etc.). C'est un vocabulaire très générique, et souvent quelque peu "heroic fantasy", du coup, cela amène parfois des confusions. Par exemple, une "ombre" (ou "ennemi" dans les cartes Fabula), ça peut évidemment être Dark Vador, Freddy Krueger ou Rastapopoulos. Mais ça peut être aussi un ouragan. Un licenciement. Ou de la timidité. Ce n'est pas forcément incarné par un être humain. Par contre, c'est indispensable. Sans ça, vous n'avez rien à raconter. 
Imaginez que votre histoire se résume à un boulanger qui part en vacances à Londres, il passe un bon moment, visite le British Museum, boit quelques verres dans un pub, puis il revient chez lui, sort les poubelles et va se coucher. Ce n'est pas une intrigue ça, il faut bien qu'il y ait quelque chose à affronter, à résoudre, à surmonter, pour que cela devienne une histoire réelle et digne d'intérêt.

Les cartes de Fabula permettent donc de mettre tout ça à plat et de visualiser cette méthode, étape par étape. Ce que cette société vous vend, ce n'est donc pas une méthode qu'elle a développée, mais des cartes basées sur la méthode développée par Vogler (qui se basait lui-même sur les travaux de Campbell).
Et il s'agit d'un outil réel, et qui fonctionne bien. 
Maintenant, en a-t-on absolument besoin lorsque l'on est un conteur ?
Eh bien, pas forcément. Certains auteurs (comme Stephen King) affirment "improviser" lors de leurs séances d'écriture, sans savoir où ils vont. Pour autant, cela ne me semble pas une méthode à conseiller à des débutants. King écrit depuis des décennies, plusieurs heures par jour. Il en est arrivé à un stade où l'on peut se passer de boussole sans pour autant perdre le Nord. À force de bosser sur des histoires, le cerveau développe des routines spécifiques, qui facilitent le boulot. 
Personnellement, par contre, si je me passe facilement de plan pour une nouvelle, il ne me viendrait pas à l'idée de me lancer dans un roman sans ce que j'appelle une "feuille de route", me permettant de savoir où je vais et par quelles étapes je passe. 
Donc, tout est possible, c'est à chacun de voir, mais à mon sens, ce n'est pas une mauvaise idée, avant de commencer à entasser des parpaings, d'avoir un plan de la baraque dans son ensemble.

Autre question, cette représentation en cartes est-elle vraiment utile ?
En tout cas, elle n'est pas indispensable. Vous pouvez faire la même chose avec un bon vieux calepin. Ou à l'aide d'un tableau. Après, l'idée d'avoir un support "propre", stylisé, simple et souple me plaît assez. Il faut cependant émettre quelques réserves sur le côté pratique. Faire tenir ces cartes (comme le conseille l'éditeur) sur un mur avec de la Patafix, en ajoutant des Post-it, ne me semble pas forcément très simple d'utilisation sur le long terme. On pourrait étaler ça quelque part, mais il faut alors une surface assez grande et qui sera uniquement dédiée à ça pendant un bon moment. 
À voir donc.

Niveau contenu, l'on a ici 40 cartes, pour 30 euros port compris. C'est quand même assez cher (surtout quand on pense à certains tarots, magnifiquement illustrés, et coûtant parfois moins de 15 euros). 
Les cartes sont divisées en trois parties :
- 18 cartes développement (les étapes du voyage)
- 11 cartes ressources (plus ou moins les fonctions archétypales)
- 11 cartes édition ou "entrelacement" (qui représentent des moments-clés)
La manière dont tout cela s'articule est assez logique, mais sans bonne compréhension de la structure d'un récit, il sera impossible d'utiliser cet outil. Ce qui est assez évident. Si l'on vous vend de magnifiques rabots et des ciseaux à bois de qualité, vous ne deviendrez pas ébéniste pour autant. C'est un peu là où se situe la confusion (voire la possibilité d'arnaque). Ces cartes, ou même l'ouvrage de Vogler dans son ensemble, ne feront pas de vous un écrivain. Pour devenir auteur, il faut lire, beaucoup, bosser, beaucoup, écrire, beaucoup. Ça prend des années. Une vie entière. Et il n'existe pas de "secret" ou de "méthode" pour faire l'économie de ce travail. C'est impossible, tout comme il est impossible de devenir boxeur professionnel sans transpirer et s'entraîner durement et longuement. De plus, attention, vous pouvez fort bien avoir une bonne structure et écrire un mauvais roman : que les murs tiennent debout, c'est une chose, que la maison soit meublée avec goût, c'en est une autre. 

La conclusion sera donc double et nuancée. Si vous ne connaissez rien à l'écriture et que vous pensez avoir affaire à une méthode miracle, désolé, ce n'est pas le cas. Vous allez juste vous retrouver avec des pinceaux, sans toile, sans peinture, et sans aucune compétence (notions de perspective, d'anatomie, etc.) vous permettant d'exploiter tout ça. 
Si par contre vous êtes un auteur, débutant ou expérimenté, et que l'idée des cartes vous semble bonne (malgré les réserves sur la partie "pratique"), eh bien, pourquoi pas ? Ceci dit, vous pouvez aussi fort bien vous en passer, un auteur étant aussi, après tout, auteur de sa propre méthode, forcément personnelle et unique. [2]

Pas certain que tout le monde ait la place ou l'envie de coller ça au mur.




[1] Le terme "fonction" permet de rappeler qu'il ne s'agit pas forcément d'un personnage.
[2] La méthode Vogler est suffisamment souple pour que l'on puisse la "manipuler", se l'approprier et la "redessiner". On peut très bien l'employer par exemple sous forme de graphiques, de cercle, etc. Et bien entendu, ce n'est pas à suivre à la lettre, en respectant scrupuleusement et "scolairement" chaque phase. Ce n'est pas à l'outil, aussi performant soit-il, de prendre les décisions. 



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La méthode Vogler résumée en cartes.
  • L'efficacité et l'universalité de l'outil.
  • Disponible en français. 
  • Pas forcément très pratique à l'usage.
  • Assez cher tout de même pour ce que c'est.
  • Méthode destinée aux écrivains professionnels, qui peut aider un amateur mais ne lui fera pas franchir plus rapidement les étapes essentielles.
Des Erreurs dans l'Édition
Par

Ce que l'on met en lumière n'a pas toujours un bel aspect, mais est-ce vraiment la faute des lampes ?

Petit billet d'humeur un peu spécial sur un sujet que beaucoup évoquent mais que peu maîtrisent : les erreurs des éditeurs et leur éventuelle "paninisation".

Assez régulièrement, des amis me font remonter des posts et des captures issus de gens qui sont tout contents d'exhiber une coquille qu'ils ont dénichée dans un quelconque ouvrage, croyant ainsi prouver l'impéritie de telle ou telle maison d'édition. Bien souvent, dans les comics en particulier, le réflexe de certains est de sortir une ânerie, du genre "ah, vous voyez, il n'y a pas que Panini qui se plante !" ou "tiens, tel éditeur se paninise".
Revenons déjà sur quelques évidences. Car, malheureusement, nous vivons à une époque où les évidences ont perdu leur qualité première et doivent être expliquées, lentement de préférence, aux béotiens. Des erreurs, tout le monde en fait. Il est rarissime par exemple de ne pas trouver au moins une ou deux coquilles dans un roman, qu'il soit publié par Albin Michel, Gallimard, Bragelonne ou Robert Laffont. Alors, c'est certes dommage, mais ce n'est pas grave. Parce que sur un volume de 500 000 caractères, laisser passer deux ou trois conneries, cela ne prouve en rien la nullité de l'auteur ou le manque d'implication et de travail de l'éditeur. 

Surtout, ce qui est important, c'est le rapport entre les fautes et le volume de texte. Vous comprenez bien que deux fautes dans un roman, même court, et cinquante fautes dans une BD, ce n'est pas la même chose. Or, Panini, à une époque, c'était plusieurs centaines de fautes par ouvrage. Ça a l'air délirant (en tout cas, vous devriez trouver ça délirant), mais c'est rigoureusement exact.
Il m'est arrivé de travailler sur des recueils, qui bien entendu avaient déjà été commercialisés auparavant, qui contenaient 400, 500, 600 voire plus de 700 erreurs grossières (pour un ouvrage de 180 à 220 planches). Et attention, car ces chiffres rendent en fait compte des modifications apportées. Or, un "s" ajouté ou une virgule en plus, c'est une modification, mais réécrire entièrement trois ou quatre phrases dans un pavé de texte, c'est également "une seule" modification. Je vous laisse imaginer le résultat final : ce n'est plus du tout le même texte. [0]

Je précise bien entendu qu'il ne s'agit pas de remanier une phrase pour le plaisir de donner du travail aux lettreurs. Il s'agit toujours d'inepties qu'il faut impérativement corriger. Car même si Panini s'est grandement amélioré ces dernières années (vu qu'on partait de zéro, ce n'est pas un exploit non plus), je rappelle qu'à une époque, Panini, c'était ça : Le désastre Panini. Et cet article est loin, très loin, d'être exhaustif. 
Donc, non, tout ne se vaut pas (ceux qui vous font croire ça sont des ignorants ou nourrissent un objectif peu avouable, cf. cet article par exemple), et non, Urban ou Delcourt ne sont pas en voie de "paninisation", ils ont même une marge gigantesque avant d'en arriver là. Ça ne veut pas dire que tout ce qu'ils font est bien, ça veut dire que ce n'est pas du tout le même résultat ou la même échelle en termes de "plantage".

Ayez donc toujours du recul lorsque quelqu'un, frissonnant de bonheur à l'idée d'avoir trouvé matière à polémique, affirme démontrer, par un ou deux exemples isolés, le manque de professionnalisme de dizaines de personnes. C'est très couillon (et même insultant) comme procédé. Encore une fois, les erreurs n'ont de sens que si elles sont nombreuses, répétées (parfois même non corrigées au fil des éditions) et qu'elles viennent saturer et dénaturer une œuvre. 
Ceux qui pensent avoir découvert l'envie d'uriner parce qu'ils se retrouvent par hasard seuls dans une pissotière ne démontrent en réalité rien de ce qu'ils affirment, si ce n'est leur naïveté et leur ignorance.

Abordons maintenant un sujet connexe. Parmi les lecteurs d'UMAC, certains pensent que je suis "anti-Panini". Les mêmes d'ailleurs qui pensent que j'ai "retourné ma veste" quand je loue, de bonne foi, l'une de leurs rares réussites (comme la réédition en Marvel Select de House of M par exemple, bien meilleure que le Deluxe, pourtant plus cher). En fait, je sais que c'est difficile à comprendre, mais Panini, je m'en fous un peu, je juge (enfin, jugeais, ce n'est plus trop le cas aujourd'hui) ce qu'ils publient, en montrant des exemples, en argumentant, et... c'est tout. Ils ne m'ont rien fait, hein. Ils ne sont pas venus violer mon chat pendant la nuit. Pourquoi je leur en voudrais ? De plus, à chaque fois que j'ai pu m'entretenir avec certains de leurs traducteurs, je les ai toujours trouvés sympathiques et ouverts (d'autant qu'ils m'ont toujours confirmé, en off, ce que je dénonçais dans mes articles). 

Je vais prendre un exemple anecdotique mais illustrant parfaitement l'idée pour que tout le monde comprenne bien. À une époque, pour diverses raisons, j'écoutais régulièrement l'émission de Ruquier, sur France Inter (c'est vieux, ça doit remonter facilement à 25 ans). Il était entouré d'une bande de chroniqueurs insupportables, des bobos parisiens incultes, véhiculant des idées reçues à tour de bras. Et leur job consistait notamment à critiquer les programmes télévisuels. Donc, forcément, ils conchiaient régulièrement TF1 (à cause de Dorothée, des séries américaines...). Ils considéraient vraiment cette chaîne comme une "télé poubelle" (c'est risible de nos jours, TF1 paraissait bien soft et familial en comparaison de la télé-réalité). Et un jour, voilà que l'un des programmes de la chaîne à l'heur de leur plaire. Il me semble que c'était l'adaptation du Comte de Monte Cristo, avec Depardieu. Là, la bande est survoltée, au bord de l'orgasme collectif. Tout le monde s'extasie devant la mini-série. Puis arrive le tour d'Yvan Le Bolloc'h (un acteur et musicien). Il balance comme tout le monde son petit compliment et termine par un édifiant "dommage que ce soit sur TF1".
Et ça, ça veut tout dire.
Pour eux, que TF1 fasse "de la merde" (selon leurs critères), ce n'était pas du tout un problème, au contraire. Mais cela devenait gênant si TF1 se mettait à diffuser une fiction qui leur plaisait, parce que cela allait à l'encontre de leur représentation faussée et manichéenne du monde (en gros, "le secteur privé, c'est des gros cons, le secteur public, c'est des génies", ce qui est quand même simpliste et loin d'être vérifié). 

Je n'ai, pour ma part, jamais eu cette approche à l'égard de Panini, que je pense sincèrement ne pas être voué à demeurer dans la médiocrité. Personne n'a rien à y gagner, ni les lecteurs, ni les auteurs, ni les libraires, ni même les autres éditeurs. Ce n'est jamais bon qu'un acteur éditorial important (et qu'on le veuille ou non, Panini conserve une place non négligeable dans le secteur comics) renvoie une image aussi désastreuse. D'autant qu'ils ont les moyens techniques et financiers de faire du bon boulot. C'est le côté "recrutement" qui semble parfois très... étrange.

Prenons l'exemple de la pauvre Coulomb (encore une fois, n'hésitez pas à lire cet article pour bien comprendre de quoi on parle). Voilà quelqu'un qui ne parle pas anglais (pas couramment en tout cas), qui ne sait pas du tout écrire le français correctement, qui emploie en plus un argot désuet et inadapté, et pourtant, elle est bombardée "traductrice". Mais comment est-ce possible ? D'autant qu'elle n'a pas traduit deux ou trois comics à la va-vite hein, elle a plombé des centaines d'ouvrages, elle a bousillé des collections entières (les Intégrales notamment, illisibles). Dans l'indifférence générale. Parce qu'à l'époque, au contraire de maintenant où le premier couillon venu croit avoir mis à jour une infernale hérésie sous prétexte qu'il relève une vague erreur, peu de gens se sont offusqués du manque de sérieux de Panini, pas même le fameux magazine qui n'existe plus aujourd'hui et qui était pourtant intégralement consacré aux comics. Paraît, selon le rédacteur en chef, que leur "ligne éditoriale" les empêchait d'aborder ce point. C'est bien pratique la "ligne éditoriale" quand elle permet de s'asseoir sur le devoir d'information et d'impartialité de la presse, tout en conservant de bonnes relations avec l'éditeur qui détenait, à l'époque, un monopole de fait. 
Après ça vient mendier et chialer sur le net, et des cons lui font des dons... heurk. Enfin, chacun fait avec sa conscience et ses couilles (ou leur absence).  

Revenons à nos moutons. Ou à nos chèvres. Actuellement, Panini a bien entendu un meilleur niveau, mais les versions françaises restent souvent lourdes et approximatives, certains traducteurs peinant (sans que l'on comprenne pourquoi) à s'écarter de la version originale, même quand leur transposition "mot à mot" s'avère inélégante ou fautive. Et je ne parle même pas de certains rédacteurs, signant des éditos à l'intérêt discutable et à la forme anarchique (apparemment, ne pas savoir écrire n'est plus un frein lorsque l'on envisage une carrière littéraire).
Je crains toutefois que la situation ne fasse qu'empirer. Je constate tous les jours les tares importantes de certains traducteurs ou relecteurs (que j'évalue parfois dans un cadre professionnel). Et c'est assez inquiétant. Évidemment, il s'agit d'une généralité, il existe donc heureusement des exceptions, mais elles sont rarissimes. La plupart des jeunes qui arrivent sur le marché de l'édition de nos jours (malgré pourtant l'obtention de diplômes spécialisés dans les métiers du livre) n'ont même pas un niveau scolaire (alors que leur travail requiert un niveau littéraire) [1]. L'effondrement qualitatif de ces dernières années est tout aussi spectaculaire que logique, l'école étant devenue un immense champ de ruines (une simple garderie de luxe, qui coûte des milliards), elle ne peut remplir ses missions (simplement instruire ou même préparer à une vie professionnelle). Ceux qui s'en sortent sont les autodidactes, qui lisent beaucoup. Et comme peu de gens lisent de nos jours... les bons éléments sont donc mécaniquement rares. Et sans bons éléments à recruter, difficile de redresser la barre.

Voilà, encore une fois, l'état des lieux est assez sinistre, mais il arrive rarement que l'on déniche un remède salvateur si l'on minimise le diagnostic. Nous sommes à l'aube d'un règne sombre, où chaque secteur de la société se délite peu à peu. L'ensemble de l'édition n'y échappe pas. Quant à la niche comics, qui a toujours été le "parent pauvre" (pour ne pas dire "le rejeton attardé") de la "grande famille du Livre" [2], elle surnage grâce à de nombreux viandards et quelques virtuoses qui, malheureusement, se comptent sur les doigts d'une main.




[0] Ce qui explique pourquoi certains traducteurs nuls deviennent subitement corrects chez un autre éditeur : quelqu'un a réécrit tout le bordel.
[1] Pour expliquer en quelques mots, un "niveau scolaire", c'est savoir écrire sans faire de fautes, donc en gros, maîtriser la grammaire. Un "niveau littéraire", c'est être capable d'écrire un texte en tenant compte du contexte, en y apportant des nuances subtiles, en jouant même sur certains effets, sur sa mélodie, sa métrique, etc. Donc, maîtriser l'art de l'écriture. 
[2] Cette niche "bénéficie" en outre d'analystes fameux. On m'a mis sous le nez, il y a quelque temps, un article stupide qui prétendait analyser l'état du marché dans le secteur comics (analyser la quantité, c'est pratique, ça permet de ne pas se faire d'ennemis... la qualité, c'est autre chose). Or, ces "experts" avaient eu l'idée brillante de soustraire les meilleures ventes du secteur, pour ensuite en venir à une conclusion mythique : "Si on enlève les meilleures ventes, le marché ne se porte pas si bien que ça, en fait, il stagne, voire il régresse."
Wow. Ah ben, on est en route pour le prix Nobel d'économie là.
Évidemment que si l'on enlève les meilleures ventes, les chiffres ne sont pas bons. Mais qui fait ça ? Pour quelle raison ? C'est pareil dans tous les secteurs, si on prend l'automobile et que l'on enlève les deux ou trois modèles qui se vendent le plus, ben... ça modifie carrément les résultats.
Là, les champions mettaient à l'écart The Walking Dead et je ne sais plus quoi. Mais des best-sellers, il y en aura toujours, demain, quelque chose prendra la place de la série de Kirkman, tout comme en romans d'autres succès prendront la place des livres de Martin ou de ceux de Rowling. Les "meilleures" ventes font partie des ventes, on ne peut pas les soustraire de l'analyse globale.
L'auteur du même article se demandait ensuite comment "aller chercher" un public qui ne lit pas encore de comics, et évoquait des comics publiés au format franco-belge. C'est bien une idée de commercial à la con ça, tiens. T'aimes pas les gaufres, mais si au lieu d'un emballage en plastique, on te met un emballage en carton, tu vas acheter des gaufres ? Mais... si c'est le cas, tu es d'une connerie insondable mon pauvre ami ! 
D'ailleurs, le lectorat comics est déjà à son maximum, surtout lorsque l'on voit l'offre actuelle, totalement démentielle, sur le marché. Il faut bien se rendre compte que les gens ne lisent pas, dans leur immense majorité. Et ceux qui lisent, lisent très peu. Les acheteurs compulsifs et les collectionneurs constituent un marché de niche qui n'est pas extensible à l'infini, certains éditeurs ont pu le constater de manière violente. Même aux États-Unis, les ventes ont drastiquement baissé en quelques décennies. Or, en France, l'on publie de plus en plus de comics (pas encore l'intégralité de tout ce qui se fait aux States, mais quand même une part très importante), sans tenir compte du fait que le marché français ne pourra jamais absorber ça, quel que soit "l'emballage". D'autant que chaque comic est en concurrence en réalité avec les comics du mois, mais aussi ceux de l'année précédente (qui ne disparaissent pas des librairies), et même avec les manga, les BD franco-belges et les œuvres dématérialisées.
Les légions de lecteurs censées venir sauver le marché n'existent pas. Elles ne viendront jamais récupérer in extremis la situation. En fait, il y a gros à parier que le marché du livre connaisse, dans les années à venir, un "réajustement" violent, aucun secteur ne pouvant survivre éternellement en proposant une offre supérieure à ce point à la demande.