Faut-il suivre Civil War II ?
Par

Le début de cette nouvelle année est marqué par le lancement de Civil War II.
On vous dit tout sur cet évènement et son éventuel intérêt.

Un héritage imposant...
Pour bien commencer, il n'est pas inutile de rappeler ce que fut la première guerre civile marvellienne. Et pour faire simple, Civil War, c'est probablement ce que la Maison des Idées a fait de mieux depuis son existence. À l'époque, l'on sort à peine de House of M et Marvel a mis de côté les crossovers classiques pour lancer, avec succès, ses "events" (cf. cet article pour plus de détails) : un grand nombre de tie-ins rattachés à une série-mère.
Civil War, en plus d'être basé sur une thématique passionnante, a le bon goût de ne pas verser dans le manichéisme en opposant deux "bons" camps [1], représentés par Captain America et Iron Man. La lutte qui s'ensuit n'en est que plus dramatique, d'anciens frères d'armes étant dans l'obligation de se combattre.
C'est la loi de recensement des surhumains qui déclenche à l'époque cette guerre fratricide (pleine de destins individuels brisés, comme celui de Julia Carpenter, cf. ce Monster à lire absolument). L'idée est brillante et favorise les débats enflammés. L'ensemble de la saga, en VO, sera même édité en DVD et comprend... 199 épisodes. L'on notera que c'est pendant CW que Spidey va dévoiler au monde son identité. C'est aussi dans cette saga que débutent les Front Line, un procédé qui sera souvent repris par la suite et donne une vision alternative du conflit, ici grâce aux journalistes Ben Urich et Sally Floyd (cf. ce CW Front Line, excellent).
Bref, c'est riche, blindé de bonnes idées et totalement bandant.
Par contre, la suite sera moins brillante...

... mais menacé.
Marvel, depuis HoM et CW, enchaîne les "events" sans discontinuer. En fait, "l'évènement" est devenu si permanent qu'il n'a plus rien d'exceptionnel. De plus, la qualité des récits n'a cessé de se dégrader, que ce soit dans World War Hulk, Secret Invasion ou, dans une moindre mesure, Siege.
Mais le pire reste encore cet éternel retour au statu quo, qui efface les conséquences des anciens récits et contribue à dépouiller les nouvelles histoires de toute intensité dramatique (puisque rien n'a jamais d'importance).
Étrange qu'un éditeur aussi expérimenté que Marvel se laisse ainsi prendre au piège du surplace narratif [2]. Dans un tel contexte, il est difficile de se laisser happer dans un nouveau récit dont on sait, à l'avance, qu'il n'aura aucunes conséquences à long terme.


Un duo Dick-Bendis
Mais voyons un peu ce que nous réserve ce Civil War II.
Le grief ne porte plus ici sur un éventuel recensement mais sur la prévision de l'avenir et la possibilité d'arrêter un criminel avant qu'il ne commette son crime. Une thématique très fortement inspirée de The Minority Report (1956) de Philip K. Dick (nouvelle adaptée par Spielberg au cinéma).
Bon, on le sait (ou vous devriez le savoir), une idée d'histoire n'est jamais ni bonne ni mauvaise en soi, tout dépend de la manière dont l'auteur la développe. Et ici, il faut bien reconnaître que Brian M. Bendis se révèle brillant. Alors, ce n'est pas une surprise totale, l'auteur avait prouvé à maintes reprises, avec Powers, Torso, Alias ou encore Ultimate Spider-Man (cf. cet article pour plus d'info sur le monsieur) qu'il n'était pas manchot, m'enfin, la multiplication des titres mainstream dont il avait la charge avait contribué à rendre son écriture moins percutante par moments et à transformer la Rolls en Lada. Heureusement, là, on a la Rolls.
On commence par une plaidoirie de Jennifer Walters, alias She-Hulk, qui défend un super-vilain de seconde zone arrêté non pas pour un crime mais pour une simple suspicion. Habile entrée en matière qui prendra toute son importance plus tard, lorsque la thématique va clairement apparaître.

Le plein d'encapés
L'on peut avant tout souligner le bel équilibre, pour cette introduction, entre action visuellement esthétique, humour, réflexion et psychologie des personnages. Même si les évènements semblent a priori un peu chaotiques (on se trimballe d'un tribunal à l'héliporteur du SHIELD, en passant par une cour d'école ou le Triskélion), l'on arrive à suivre l'intrigue sans trop de problèmes.
Les dialogues sont particulièrement bien écrits (si Bendis est réputé pour être un bon dialoguiste à la base, il a aussi livré des textes parfois très... poussifs, cf. cet article), avec un humour qui fait mouche mais demandera parfois un minimum de connaissances du marvelverse (un comble pour des gens qui s'évertuent à revenir à un éternel début : ce n'est jamais plus simple pour autant).
Niveau personnages, entre les Avengers, les Inhumains, les Ultimates, les mutants, le SHIELD et quelques seconds couteaux, autant dire qu'il y a clairement foule. Si vous débarquez, va falloir vous accrocher, d'autant que certains rôles ne sont plus endossés par les mêmes personnes (Jane Foster incarne Thor, Saw Wilson est le nouveau Captain America, quant à Carol Danvers, anciennement Miss Marvel, anciennement Warbird, anciennement Binary, elle est la nouvelle Captain Marvel).
Autrement dit, si vous aviez un peu bavardé dans le fond au premier trimestre, va falloir prendre des notes fissa.
Ceci dit, vraiment, c'est bien foutu et agréable à lire.


Putain... 20 ans !
Ah, on arrive à la partie éditoriale. Bon ben, c'est ni fait ni à faire. Dans un truc comme ça, bourré de persos, deux ou trois pages de présentation des protagonistes ne seraient pas du luxe [3]. Au lieu de ça, Panini verse dans l'autosatisfaction en se masturbant sur leurs vingt années d'existence (dues non pas à une vague forme de compétence mais à un ancien jeu financier qui les a bombardés "éditeurs" de Marvel en France, puisqu'ils appartenaient au groupe).
Deux décennies qu'on les supporte. J'ai l'impression que ça fait 150 ans pour ma part. Comme quoi, Einstein avait raison, le temps, c'est vraiment très relatif.
Que nous racontent-ils du coup ces braves gens ? Qu'ils sont très contents (on le serait à moins, une telle durée avec une telle constance dans la nullité, il n'y a qu'en France que l'on voit ça), qu'ils veulent avant tout vous "célébrer" vous, lecteurs (une petite pipe virtuelle, ça coûte rien et ça fait plaisir), et qu'ils vont fêter leur anniversaire avec des trucs de dingue. Notamment, des covers dessinées par des "grands" de la BD européenne pour leurs prochains comics adaptés. Alors franchement, une cover de Bagieu, Boulet ou Vivès pour un comic Marvel, je ne vois ni le rapport ni l'intérêt. Et en plus, qu'est-ce qu'une telle annonce vient foutre là ? On sait pas. Mais puisque c'est là, autant en parler. Ah ben, ça serait trop con de bouder notre plaisir. Donc, tout contents de cette annonce (très détaillée hein, je la fais courte), ils rajoutent que des "surprises à gogo" se succéderont toute l'année. Hmm... ici, il faut bien décrypter. Si c'est comme leurs fameux bonus "nombreux et variés" dans les Deluxe (cf. ça ou ça) qui se limitaient en fait aux covers, ça vous donne une idée des "surprises" et de qui sera le "gogo".
Enfin, Jérémy Manesse (qui est loin d'être un incapable ou d'être antipathique) termine en disant "qu'ils comptent (Panini) bien tout faire pour terminer l'année sur les genoux". Là, dans le genre perche tendue... pis ça serait bête qu'elle tende comme ça sans personne pour la saisir. C'est fou, les idées vous viennent à une vitesse ("sur les genoux ? mais ils sont à terre depuis longtemps !", "sur les genoux, OK, mais six pieds sous terre, ça serait encore mieux" [4]...). Mais je vais plus faire dans le constat sérieux que la vanne. Quand on a un bilan aussi désastreux au bout de 20 ans (20 années bien aidées pour l'essentiel par une situation de quasi monopole), l'heure est plus à la réunion de crise qu'aux réjouissances, même si dans les deux cas, il y a de quoi tomber à genoux.

Alors, on le prend ou pas ce CW II ?
Honnêtement, ça sent très bon. Donc oui.
La thématique a un potentiel énorme, Bendis est excellent (et quand il est bien parti, on sait ce que ça donne), il y a de la vanne, ce qu'il faut de baston, les relations entre les personnages sont bien gérées... c'est exactement ce que l'on rêve de lire quand on aime les Masques.
MAIS, et le "mais" est de taille, il faut bien garder en tête que tout cela n'est qu'une esbroufe de plus, qui conduira aux mêmes renoncements, aux mêmes déceptions, au même sempiternel et inutile surplace. Si ce culte du statu quo, incompréhensible, ne semble pas trop émousser les ventes [5] des géants américains que sont DC et Marvel, il n'y a pas mieux pour émousser la passion véritable que, naguère, nous éprouvions à la lecture de ces comics.
C'est peut-être là que se tient la réponse. Acceptez-vous, d'ores et déjà, d'être le futur cocu consentant de gens qui se sont dit un jour que radoter était une obligation ?
Si le chat nous appartient, le choix, lui, est vôtre.



[1] En réalité Millar, dans la série titre, va prendre clairement parti pour Cap, amoindrissant du coup l'intérêt de son apport. Heureusement, de nombreux tie-ins (cf. cette liste VF) respecteront l'idée de départ et l'exploiteront de belle manière.
[2] Contrairement à ce que certains "spécialistes" laissent entendre, le retour aux origines et le surplace narratif ne sont nullement inscrits dans l'ADN du genre super-héroïque, juste dans les mauvaises habitudes et les facilités éditoriales. Il serait tout à fait possible, sans perdre la "marque", donc le masque (Spider-Man, Batman...), de changer (tous les 15, 20, 25 ans...) l'identité civile de celui qui le porte, contribuant ainsi à l'inscrire dans la légende plutôt que d'en faire une machine à reboot dénuée d'affect.
[3] Il y a bien un peu plus d'informations (sans que ça soit dingue non plus) dans le numéro gratuit disponible en comic shop, encore faut-il tomber dessus.
[4] L'expression concerne l'entité Panini évidemment, pas les individus qui la composent.
[5] Les ventes récentes. Bien évidemment, sur plusieurs décennies, le nombre d'exemplaires vendus s'est drastiquement réduit, les comics qui cartonnent se vendant dix fois moins que pendant l'âge d'or.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une thématique très intéressante.
  • Un Bendis visiblement en forme.
  • Graphiquement sans défaut.
  • Un humour subtil et efficace.

  • Une dramatisation présente mais anéantie par le fait que l'on sait déjà que rien n'aura de conséquences durables. Les larmes sont ainsi, bizarrement et inutilement, transformées en eau fade et sans importance.
  • Aucun effort éditorial de la part de Panini pour faciliter l'approche des nouveaux lecteurs.