Chew : Détective Cannibale
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Retour sur les deux premiers tomes de Chew, une série originale à déguster sans retenue.

Tony Chu est un agent de la toute-puissante Food and Drug Administration, une agence fédérale ayant pris une soudaine importance depuis qu'une pandémie de grippe aviaire a décimé 116 millions de personnes à travers le monde, dont 23 millions d'américains. Depuis lors, le temps de la prohibition est revenu. À cette différence près que ce n'est pas l'alcool qui est interdit mais le poulet. Les speakeasies ne vendent plus du whisky de contrebande mais de la volaille...
Mais Chu n'est pas un agent comme les autres. Il a un don. Il est cibopathe. En langage clair, cela signifie qu'il peut tirer des informations, sous forme de flash, des aliments qu'il ingurgite. En mangeant une pomme, il peut savoir où a grandi l'arbre dont elle est issue, quels pesticides ont été utilisés pour la protéger et quand elle a été cueillie. Rien de bien agréable en somme puisqu'un steak va ainsi lui montrer la manière dont est mort l'animal dont il est tiré.
Dans sa quête de vérité, Chu va être amené à goûter à bien des plats. Pas toujours des plus ragoûtants.
Mais c'est en sacrifiant son estomac qu'il trouvera la paix de l'esprit.

Eh bien voilà une série qui sort des sentiers battus ! Comme vous l'aurez compris, la nourriture y tient une place importante. Non seulement à cause des pouvoirs du héros et du récit ayant pour cadre une grave crise alimentaire (toujours d'actualité puisque qu'entre la grippe aviaire, la tremblante du mouton et la vache folle, on ne pourra bientôt plus bouffer que des hérissons et des carottes), mais également au travers de nombreux autres détails : le frère de Tony anime une émission de cuisine sur le câble, la fille dont il est amoureux est critique gastronomique, etc. Et pour ceux qui ont l'estomac solide, vous aurez même droit à du café à base de crachat et un Big Mac avec une grosse surprise à l'intérieur.

Bien entendu, John Layman (Marvel Zombies : Army of Darkness, House of M : Fantastic Four), scénariste et lettreur, ne nous parle pas que de recettes et autres sandwiches. Une intrigue policière, plus complexe qu'il n'y paraît, est peu à peu mise en place dans le premier volume, qui se termine d'ailleurs sur une scène spectaculaire et quelques révélations qui donnent envie de connaître la suite.
C'est Rob Guillory qui est en charge de l'aspect graphique. Il signe dessins et colorisation. Le style est agréable et cartoony, l'aspect gentillet tranche franchement avec le côté légèrement gore de certaines scènes et permet sans doute de mieux les faire passer. On est en tout cas tout de suite séduit par cette ambiance visuelle pleine de charme. On notera quelques petites trouvailles difficilement transposables en français, notamment une pancarte d'un fast food qui était censée annoncer "come dine with us" et dont le "n" est tombé (ce qui donne du coup, pour les plus réfractaires à l'anglais, "venez mourir avec nous"). Il y a donc de petites touches très acides dans ces dessins en apparence si doux.


En ce qui concerne le second tome, intitulé Un Goût de Paradis, l'aspect graphique est toujours aussi agréable, avec des poses et silhouettes exagérées qui renforcent l'aspect humoristique. Au niveau de l'intrigue par contre, impossible de cacher une petite déception. Pourtant, tout commence on ne peut mieux avec le retour de l'équipier de Chu, ce qui donne lieu à quelques moments amusants, bien mis en valeur par une narration nerveuse et efficace. Malheureusement très vite (dès l'arrivée sur l'île en gros), le soufflé va retomber. Tout se complique sérieusement en partant un peu dans tous les sens : un poulet enlevé, des chefs du monde entier séquestrés par un gouverneur mégalo, l'intervention rapide de Lin Sae Woo, puis d'un vampire, bref, l'auteur fait dans le joyeusement embrouillé. Cela ne poserait sans doute pas de problème si le côté transgressif et drôle du premier opus n'était ici bien moins présent. L'on reste d'ailleurs un peu sur sa faim avec un tas de pistes, voire de personnages, qui demeurent embryonnaires. L'on ne sait pas grand-chose de plus sur le gallsaberry, la fille du Département de l'Agriculture fait un passage éclair, même la tendance de Colby à flirter avec les frontières de la légalité (ce qui est un euphémisme) n'est finalement que fort peu exploitée.

Attention, ne nous méprenons pas, la lecture de ce tome reste agréable et l'on y trouve de bonnes choses et même des moments sacrément étonnants (concernant le patron de Chu par exemple). Seulement voilà, après un début exceptionnel, cet arc apparaît finalement comme plus anecdotique, avec une baisse de régime qui, il faut le souhaiter, ne sera que temporaire. Le sujet reste toutefois suffisamment original et le personnage principal attachant pour que l'on ne se formalise pas de la présentation quelque peu décevante d'un plat qui reste largement au-dessus de certaines tambouilles malodorantes. C'est malheureusement injuste mais inévitable, le simplement "bon" paraît toujours un peu triste lorsqu'il succède à l'excellent.
L'ouvrage (VF) est complété par un petit carnet de croquis (commentés) de trois pages, ainsi qu'une bio humoristique des auteurs. L'on peut déplorer l'absence d'un bref résumé des évènements précédents.

Si vous optez pour la VO, le premier volume, intitulé Taster's Choice, est en plus vendu au prix fort raisonnable de 6,99 €. Pour cinq épisodes (donc 110 planches) de qualité, l'investissement est plus que rentable. Les bonus se limitent à une page de croquis préparatoires, mais vu le coût modique, c'est déjà énorme qu'il y ait un petit quelque chose en plus.
La VF est, elle, disponible chez Delcourt (une douzaine de tomes déjà disponibles, à une quinzaine d'euros environ l'unité).

À déguster sans modération.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une idée originale, au potentiel énorme.
  • L'humour acide et déjanté.
  • La qualité et le style des dessins, qui permettent aussi de ne pas trop verser dans le scabreux.

  • Un second tome qui part un peu dans tous les sens et s'avère moins abouti que l'arc précédent, mais la série n'en demeure pas moins attractive et bien réalisée dans l'ensemble.