Publié le
14.8.15
Par
Nolt
Swamp Thing, l'un des plus étranges personnages de l'univers DC Comics, est à l'honneur aujourd'hui dans le premier tome d'une saga intitulée : La Guerre des Avatars.
Swamp Thing, comme de nombreux titres du DCU, a été relancé il y a déjà quelques années. À cette occasion, l'on avait pu suivre un excellent récit dans lequel la Sève, le Sang et la Nécrose s'affrontaient (cf. cet article). Ce fut également l'occasion pour les nouveaux lecteurs de faire connaissance avec Alec Holland, un scientifique qui allait devenir le "champion" de la sève en incarnant la créature des marais, et une opportunité, pour l'éditeur, de réarranger un peu la continuité (l'ancien Swamp Thing devenant en fait un être qui n'avait rien d'humain mais était simplement doté des souvenirs d'Alec).
C'est bien entendu Alec que l'on retrouve de nouveau dans ce récit, bien qu'il ait définitivement abandonné son aspect humain.
Tout commence alors que Swamp Thing découvre des comportements étranges de la Sève en divers endroits du monde : oasis en plein désert, rizière au rendement soudainement miraculeux, arbres à whisky poussant en Ecosse et ayant des effets dévastateurs, etc.
Malheureusement, ces petits "miracles" ont souvent des effets négatifs. L'Avatar de la Sève va donc devoir se mettre sur la piste du Planteur, l'étrange homme à l'origine des phénomènes.
Le scénario est écrit par Charles Soule, les dessins sont de Kano, Jesus Saiz, David Lapham, Andrei Bressan et Javier Pina.
Il est peut-être nécessaire de revenir sur la nature particulière du personnage principal. En effet, Swamp Thing, de par sa nature et le ton de la série, emprunte autant, sinon plus, au genre horrifique qu'au super-héroïsme classique. En effet, même si Alec Holland dispose de pouvoirs étendus (il peut communiquer avec les plantes,

L'ambiance de la série s'en ressent forcément, heureusement pour le meilleur. L'on retrouve également les concepts très intéressants vus précédemment, comme le fameux Parlement, une institution de la Sève composée d'anciens avatars. L'on en apprend un peu plus ici sur son fonctionnement et les luttes d'influence qui existent en son sein.
Peu à peu, l'intrigue principale se met en place et - comme l'indiquait le titre de manière limpide - conduit à un affrontement titanesque entre les deux champions qui convoitent le titre d'avatar.
Pour relever le défi, Alec devra non seulement pénétrer l'Intramonde afin d'y rencontrer des guides et mentors très spéciaux, mais il lui sera également nécessaire de s'interroger sur ses limites et ce qui fait - encore un peu du moins - de lui un individu et non une marionnette au service du Parlement et de ses manigances.
Tout cela est bon, très bon même. Cette première partie (l'intégralité du run de Soule sera contenue dans deux albums de la collection DC Renaissance) se révèle à la fois inspirée, mature, originale et haletante.
Soule rappelle le contexte et les origines du personnage en quelques pages tout en le montrant rapidement à l'œuvre. La mythologie concernant la Sève est respectée et enrichie

Pour ce qui est de l'aspect visuel, l'ensemble est de qualité, avec même parfois des planches impressionnantes (tant au niveau du dessin que du découpage) rendant toute l'étrangeté et l'exotisme des créatures de la Sève. Il y a bien parfois quelques maladresses mais elles demeurent rares.
Niveau traitement éditorial, c'est parfait. Urban Comics commence par un résumé de la situation et un topo sur chaque protagoniste important, le texte est impeccable (je n'ai pas relevé une seule coquille ou maladresse dans la VF), et l'on termine même avec quelques bonus (covers, recherches de personnage et crayonnés).
Un excellent comic, plein de chlorophylle et de bonnes idées.
A ne pas rater.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
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Publié le
12.8.15
Par
jiji83
Des Comics et des Artistes a vu le jour en 2013 suite à un projet mis en route sur ULULE (une plateforme de financement participatif qui a pour homologue anglophone Kickstarter, plus célèbre et ayant permis la naissance de plusieurs comics outre-Atlantique dont le très bon Womanthology) par le jeune éditeur Muttpop (qui publiait alors son second ouvrage), afin de permettre la traduction et l'édition en collector de l'ouvrage Leaping Tall Buildings paru en 2012 chez PowerHouse Books, de Christopher Irving (pour le texte) et Seth Kushner (pour les photographies).
Cet ouvrage est donc un recueil de confidences des Grands des comics (plus d'une cinquantaine de profils en tout), autrefois travailleurs de l'ombre, voire de l'opprobre. On découvre ainsi dans leur intimité leurs aspirations, leur philosophie et leur trombine : Non, les auteurs de comics ne se cacheront plus !
Evolution du statut des artistes :
Devenir auteur de comics s'imposait à l'époque de la Grande Dépression par nécessité, il fallait générer des emplois et les comics permettaient d'insuffler un regain d'optimisme dans la population. Comme le souligne Joe Simon, "personne n'y connaissait rien à la bande dessinée à l'époque", d'où Kane ou Shuster qui savaient à peine dessiner. Les comics étaient perçus par l'opinion publique comme semblables au rock, où, à ses prémices, tout le monde pouvait s'y frotter. Ainsi, les réalisateurs de comic strips étaient mal vus, sous-traités pas des éditeurs peu recommandables et facilement remplaçables, "interchangeables". Leur seul souhait était de quitter les comics pour illustrer des strips dans des journaux où le public ciblé était plus mature (cf Joe Kubert : "Publier ses strips dans les journaux était vraiment ce que tout le monde s'efforçait d'atteindre. C'est ce que visaient tous les artistes travaillant dans les comic books.")

Avec Des Comics et des Artistes, on (re)découvre ces tandems mythiques des comics comme les duos Siegel et Shuster, Kirby et Simon, puis Kirby et Stan Lee, Dennis O'Neil et Neal Adams (Batman) ou encore Quesada et Palmiotti. On leur doit notamment la création de personnages comme Superman (Siegel/Shuster) ou Captain America (Kirby/Simon), des intrigues innovantes à chaque époque et une griffe singulière. Au commencement, ils n'étaient que des petites voix qui peinaient à se faire entendre d'où des droits de propriété qui leur glissaient des mains (je pense notamment à Siegel et Shuster, reconnus seulement tardivement pour la création de Superman, et qui vivaient jusqu'alors dans la misère), mais les artistes gagnent petit à petit en reconnaissance : les couvertures de comics arborent de façon inédite les noms de leurs auteurs. Ils sont ensuite progressivement considérés comme de véritables moteurs créatifs, notamment lorsque Carmine Infantino, alors promu directeur artistique chez DC Comics en 1968 (puis éditeur en chef et directeur), recrute une armée de jeunes talents et leur procure un statut et une indépendance artistique. Ainsi, leur sort n'est allé qu'en s'améliorant, notamment lorsque Jenette Khan chez DC met en place de meilleures conditions de travail : cela a entraîné une plus grande implication et productivité des artistes qui, par un cercle vertueux, se sont déversées sur l'ensemble de l'industrie des comics en raison de la concurrence entre les différentes maisons d'édition.
Cependant, malgré un vaste palmarès d'artistes présentés dans ces pages (et, malheureusement, beaucoup d'absents), ceux-ci reçoivent un traitement inégal, certainement du à une volonté de Christopher Irving d'être synthétique. L'initié ou le néophyte a déjà rencontré ou rencontrera (quasiment) tous les noms ici présents, mais seuls les "méga stars" (puisqu'il faut leur trouver une appellation, les autres étant déjà des stars des comics) bénéficient de plusieurs pages (cinq pour Frank Miller!) alors que cet ouvrage aurait du s'axer sur des auteurs qui finalement restent dans l'ombre, comme Scott McCloud qui n'a eu droit qu'à une malheureuse page. Autre point qui joue en défaveur de ce titre est le manque de structure entre et à l'intérieur des fiches auteur, dû à une absence cruelle de liens logiques entre les différents paragraphes.
Evolution des comic books :
Au travers de la présentation des artistes se dégage en filigrane l'histoire des comic books et ses évolutions, tant au niveau du fond que de la forme. Minée par plusieurs crises, surtout dues à un manque de légitimité et de reconnaissance vis-à-vis du 9ème Art, l'on suit donc les vicissitudes de ce "support culturel bâtard". Et, plutôt qu'une description barbante, ces événements nous sont contés au travers des confidences des artistes, qui, par nécessité et par amour pour les comics, n'ont cessé d'innover, tant sur les techniques employées, que sur les formats et les intrigues, se détachant de fait d'un public exclusivement composé de "jeunes enfants et d'adultes illettrés".
L'évolution des comics vers une diversité de techniques, d'intrigues, de personnages (je vous conseille pour cela de faire un crochet chez The Lesbian Geek Blog qui traite des personnages issus de minorité mieux que quiconque !) et de formats est notamment due au fait que de tout temps, les créateurs de comics devaient avoir "les épaules solides pour créer leur propre job", nécessitant une constante innovation, comme le souligne Jaime Hernandez : "Je pose mes propres règles et renverse les anciennes. Il faudrait peut-être que je m'emploie à renverser mes propres anciennes règles" car "à chaque fois qu'[un genre] se copie lui-même, il devient ennuyeux et dépassé" (David Mack).
Sur le fond,
les comics se sont diversifiés avec plusieurs genres qui s'y sont incorporés et d'autres plus "originels" qui ont été abandonnés. Partis de strips en noir et blanc dans les années 30 lors de la Grande Dépression afin de permettre un regain d'optimisme dans une population à l'humeur morose, les comic books, initialement conçus pour les enfants, font leur entrée vers la seconde Guerre Mondiale et ont une visée plus propagandiste (comme on peut le voir dans Captain America Comics #1 qui se bat, de manière inédite, ouvertement contre les nazis). Puis, lorsque le marché des comics s'amenuise dans l'après-guerre, les romance comics (comme Young Love de Simon et Kirby, première publication en 1947) ont permis d'agrandir le lectorat.

Une des crises majeures
que les comics ont connue durant leur histoire est sans conteste la mise en place du Comics Code Authority en 1954, revendiqué par le sénateur Kefauver et le psychiatre Wertham (car les comics véhiculeraient selon eux des mauvaises mœurs, expliquant de fait la criminalité infantile), qui a bridé la créativité des artistes. En effet, cette organisation de régulation et d'autocensure a favorisé dans le milieu des récits standardisés, insipides et gentillets et les créateurs s'y heurtaient donc dès qu'il s'agissait d'introduire sexe, drogue et armes à feu. A cette crise, les éditeurs ont su en sortir progressivement en la contournant (Stan Lee a initié le mouvement en n'estampillant pas systématiquement le cachet du Comics Code Authority sur ses titres) ou en changeant eux-même certains critères, en espérant que cela ne s'ébruite pas trop (cf l'épisode de Green Arrow/ Green Lantern où Speedy s'injecte une seringue de drogue).

Plus tard encore, durant les différentes crises que traverse ce support dans les années 80 et 90, l'industrie a pu compter sur des auteurs tels que Moore (Watchmen), Miller (Daredevil, The Dark Knight Returns), Simonson (Thor), Quesada et Palmiotti (création du label Marvel Knight et relance de Daredevil, où le duo a eu l'idée d'inviter un gars d'Hollywood pour le scénario, en la personne de Kevin Smith) pour faire sortir les comics de la mouise (les ventes des titres qu'ils reprennent sont en chute libre). Les scénarios deviennent plus sombres, plus violents, plus "adultes" situant de fait les comics à peu près aux antipodes de leurs débuts.
En outre, en plus de ce tournant inédit, d'autres genres se sont mariés avec la bande dessinée américaine, et c'est grâce à cet éclectisme que le lectorat n'a cessé de croître : l'on retrouve notamment de la satire avec les comics underground comme MAD de Kurtzman, un mélange de folklore et de littérature dans les ouvrages de Gaiman (Black Orchid, Sandman), du journalisme comme c'est le cas de Sarah Glidden par exemple, avec son roman graphique How to Understand Israel in 60 Days or Less, et des "influences extérieures aux comics issues de la musique, du cinéma, de la poésie et du théâtre" (Morrison) permettant de cibler un public plus adulte.
Mais surtout, les comics ont gagné en visibilité et en légitimité, grâce à l'émergence de romans graphiques tels que Maus de Spiegleman, d'Understanding Comics de McCloud (premier théoricien de la BD) et de Watchmen de Moore et Gibbons qui permettent au 9ème Art d'être petit à petit enseigné à l'Université.

Sur la forme. À l'origine, les comic books étaient donc, comme Stan Lee se plait à le dire, pour de "très jeunes enfants ou des adultes à moitié illettrés" et les dessinateurs n'étaient pas plus matures que leur public puisque nombreux de la première génération n'étaient même pas majeurs : on pense notamment à Jerry Robinson qui entre dans l'industrie à 17 ans (et encre le 3ème épisode de Batman de Finger/Kane), à Joe Kubert à 12 ans ou encore à Jim Shooter à 14 ans. De fait, le graphisme des comics d'antan n'était pas aussi élaboré qu'aujourd'hui et, l'on pouvait aisément copier, voire surpasser leur qualité graphique. Ainsi, petit à petit, on passe d'une bande-dessinée standardisée où les noms des créateurs importaient peu, à des artistes qui revendiquent leurs styles propres, en usant de différentes techniques (comme Peter Kupler qui se plait à mixer l'usage de cartes à gratter, linogravure, pochoir ou encore peinture à bombe dans ses travaux pour un fini unique), en optant pour une mise en page originale (comme Infantino sur Flash qui choisit d'utiliser toute la largeur des cases pour en faire ressortir un style cinématographique ou Chaykin qui emplie ses pages de sons dans Flagg!) ou encore grâce à une collaboration maximale avec les scénaristes qui se fait sentir à la lecture, telle que la fameuse "méthode Marvel", initiée par Stan "The Man" Lee. Aussi, de plus en plus d'artistes considèrent le dessin comme un langage qui permet, à l'instar du scénario, de communiquer des idées, par les expressions faciales et la gestuelle notamment, comme le souligne Jessica Abel : "en tant qu'artiste visuelle [...], ma spécialité est de faire ressortir par le dessin la communication non verbale : les expressions du visage, les postures du corps, la proximité entre les personnages racontent les relations, sans les mots.".
Au-delà du graphisme, des révolutions se sont opérées dans l'industrie des comics concernant le format avec :
- Le TPB (Trade Paperback) qui était un format de publication alors consacré aux réimpressions d'anciens comic books difficilement trouvables sur le marché ou à des œuvres majeures finies telles que Watchmen ou The Dark Knight Returns. Mais, depuis Sandman, ce format s'applique à des séries en cours de parution, permettant aux éditeurs de capter de nouveaux lecteurs qui, s'ils s'attaquent à une série déjà amorcée, n’auront aucune difficulté à trouver les premiers épisodes. De plus, une publication en TPB peut insuffler un regain de vitalité à un titre qui n'aurait pas fait fureur lors de sa sortie en kiosque, comme c'est le cas par exemple de certains films qui ont plus de succès en DVD qu'au cinéma.
- Le format numérique qui arrive dans les années 90 alors que l'industrie des comics souffre. Internet est alors perçu comme une solution aux contraintes qui pèsent sur les comics
, à savoir la censure et les coûts d'impression, grâce à l'émergence de webcomics. Le numérique offre également aux artistes une opportunité d'expérimentation (avec des retours directs des fans) et constitue un moyen d'agrandir le lectorat, la portée de publication étant multipliée (avec des titres très souvent publiés en version numérique puis papier). Des portails, véritables incubateurs de talents, ont vu le jour pour promouvoir les webcomics : ACT-I-VATE, par exemple, a été lancé en 2006 et a permis à nombre de jeunes artistes tels que Kevin Colden (Fishtown) et Nathan Shreiber (Power Out) d'être les lauréats de la fondation Xeric (qui fournit des aides financières pour l'autopublication). Internet change ainsi la manière d'opérer et de communiquer des artistes (sur leur site mais aussi sur les forums, à l'instar de Bendis), toujours plus près de leurs lecteurs et pouvant poursuivre, parallèlement à d'autres travaux, leurs projets personnels de manière régulière.

Enfin, l'adaptation des comics sur petits et grands écrans a sans conteste favorisé à rendre les super-héros mainstream, les rendant de fait plus légitimes aux yeux de l'opinion publique (bien que certains préféreraient parler de catastrophe culturelle, rendant les adultes peu enclin à mûrir). Au cours des années, les grandes maisons d'édition se sont dotées d'un "Entertainement", les ouvrant à d'autres branches que leur domaine de prédilection : on assiste alors à la multiplication de séries et de films basés sur les comics tels que Le Spirit, Watchmen, Green Hornet... et autres productions estampillées Marvel et DC. Pas forcement signe de qualité, ces adaptations ont cependant permis un agrandissement du lectorat qui n'est pas resté insensible au charme des comics grâce auxquels tout a été possible, comme Kevin Feige le rappelle si bien à Joe Quesada : "Vous êtes la source, vous êtes au sommet de la pyramide. D'un point de vue financier, ce sont les films qui cartonnent mais d'un point de vue créatif ce sont les bandes-dessinées. C'est de là que ça part, et ça profite à tout le reste" !
En bref.
Au travers de l'histoire des auteurs qui, par leurs confidences, nous dévoilent leurs inspirations et leurs aspirations, c'est l'histoire des comics et de leur légitimité auprès de l'opinion qui en découlent. Véritable miroir de la société, les comics ont évolué avec les contraintes qu'a apportées chaque époque, stimulant de fait l'innovation et un renouvellement permanent des histoires.
Des Comics et des Artistes est indéniablement un bon bouquin, intéressant à bien des égards mais qui souffre tout de même de quelques faiblesses.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
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Publié le
11.8.15
Par
Nolt
The Walking Dead, que l’on parle des comics ou de la série TV, dure depuis suffisamment longtemps pour que le récit soit rempli de petites ou grosses incohérences. Par contre, certains faits présentés comme des erreurs sont parfois réellement explicables.
1. Les zombies bouffent trop
facilement les gens. (vrai !)
Là, pour être honnête, c’est
inhérent à tous les films ou séries de zombies. On se demande pourquoi une
simple morsure (perpétrée en plus avec une dentition et des muscles loin d’être
en bon état) peut générer si vite autant de dégâts. Les membres des vivants
partent en charpie comme si c’était du papier mâché. Aucune raison à cela. Si le
corps humain avait si peu de résistance, le moindre choc un peu appuyé
exploserait littéralement tous les membres et organes.
On a déjà parfois du mal à
manger un steak, avec des outils conçus pour en plus, alors un bonhomme entier
juste avec les dents…
2. Les zombies se déplacent à
des vitesses différentes suivant les besoins du scénario. (faux !)
Enfin, oui, le fait est vrai
et constaté, mais il ne s’agit pas d’une incohérence. Selon leur état
(blessures éventuelles, pourrissement, masse musculaire d’origine, âge…), les
zombies peuvent avoir des vitesses de déplacement différentes. Tout comme les
humains d’ailleurs.
Aucune raison pour qu’une mémé
de 120 ans, même clamsée, déboule à la même vitesse qu’un sportif de 20 ans.
3. Les zombies sortent parfois
de nulle part. (vrai !)
Lorsqu’un personnage est seul
au milieu de la forêt, en plein jour, qu’il ne voit et n’entend rien de
spécial, il suffit en général qu’un zombie (pour le coup bien versé dans l’art
de la furtivité) apparaisse pour que tout à coup, d’autres saloperies sur
pattes surviennent. Il n’y a aucune raison pour que le personnage n’entende pas
ou ne voit pas un groupe de plusieurs morts-vivants, surtout se déplaçant dans
la forêt.
Enfin… si, ça pourrait
arriver, en écoutant de la musique à fond tout en picolant, on peut passer à
côté d’un troupeau de vaches sans le remarquer. M’enfin, quand l’apocalypse
survient, il n’est pas tellement conseillé de se passer volontairement de sens
importants.
4. L’attitude des zombies
utilisés par Michonne n’est pas cohérente. (vrai !)
Que ce soit dans les comics ou
la série TV, Michonne utilise une technique qui semble à première vue plutôt
intelligente : elle enchaîne deux zombies dont elle a coupé les bras et qu’elle
a amputés de leurs mâchoires. On va dire que ça masque son odeur pour les
autres zombies éventuellement (c’est déjà très discutable, puisque des humains
dans une masse de morts-vivants se font repérer instantanément s’ils ne sont
pas recouverts de cochonneries putréfiées). Mais pourquoi les zombies « domestiques »
se comportent-ils comme de gentils toutous ? Qu’ils ne soient plus dangereux,
ok, mais ils devraient faire chier, se coller à elle, la gêner, partir dans une
autre direction, essayer de la bouffer même (puisqu’ils n’ont pas conscience de
ne plus avoir de dents et que seul une sorte d’instinct primaire les guide).
Faites le test avec des
enfants de moins de cinq ans, qui ont à peu près le même QI que les zombies,
vous allez voir que les enchaîner et leur couper deux ou trois trucs ne suffit
pas pour qu’ils arrêtent de vous emmerder.
5. Les héros devraient tout le
temps se balader en « armure ». (faux !)
Bien que les personnages
trouvent effectivement des tenues de gardes (les tenues pour faire face aux
émeutes dans les prisons figurent parmi les plus efficaces à l’heure actuelle,
offrant une protection quasiment totale), il est impossible de vivre tout le
temps avec. C’est lourd, c’est chaud, ce n’est pas confortable. Même les soldats,
dans le désert, ne portent pas toujours leur « simple » gilet
pare-balles.
Et puis c’est l’apocalypse,
merde, au diable les dress codes !
6. Il ne devrait pas y avoir
de zombies enfermés dans les bagnoles. (vrai… la plupart du temps !)
Bien souvent, les héros
trouvent des zombies « actifs » dans les véhicules abandonnés qu’ils
visitent. Pourquoi une personne irait-elle mourir de soif dans sa voiture, même
au sein d’un gigantesque embouteillage, plutôt que de tenter de s’en tirer à l’extérieur ?
On peut miser sur quelques individus qui se laissent mourir ainsi, peut-être
sur quelques-uns qui sont trop entourés de zombies pour pouvoir sortir, mais
les cas devraient être rarissimes. Il n’y a aucune raison pour que l’on trouve
des zombies non-mordus (des personnes décédées de mort « naturelle »)
dans les véhicules. Et si le zombie a été mordu, le véhicule n’est pas fermé,
donc le zombie peut s’en extraire, or, étant donné leur propension à accourir
au moindre bruit, on ne voit pas pourquoi certains squatteraient une caisse,
surtout en refermant la porte derrière eux (même un zombie à fond sur les
bagnoles et le tuning, j’ai des doutes).
7. Certains comportements de
groupes sont invraisemblables. (vrai !)
Que ce soit les ahuris qui
suivent aveuglément Negan dans la BD (cf. tomes #19 et #20) ou les crétins du Terminus qui se mettent
massivement au cannibalisme dans la série TV, ces comportements sont aberrants.
Negan terrorise tout le monde, il bute ses sbires quand il en a envie, et pas
un seul n’a l’idée de lui coller une balle dans la tronche, ne serait-ce que
pendant son sommeil. Pour le Terminus, un ou deux tarés peuvent avoir un
comportement déviant, mais rien ne permet à ces mêmes tarés d’imposer leur
vision à un groupe, surtout si le groupe est hétéroclite et constitué de
nombreux éléments. L’individu lambda éprouve une répulsion naturelle à l’idée
de manger ses congénères, même en situation de crise [1], or là, rien ne
leur interdit de cultiver ou explorer.
Mais non, les mecs sont trop
fainéants ! On a qu’à bouffer ceux qui se pointent, tant pis !
8. Les survivants bouffent n’importe
quoi. (faux !)
Les boîtes de conserve ne
posent pas de problème, ceci dit, l’on voit des survivants se nourrir d’aliments
dont la date de péremption est sans doute dépassée (chocolat, chips, céréales…).
Il faut prendre en compte deux éléments. D’une part, sauf la viande, tout peut
plus ou moins s’ingérer sans trop grand risque quand on a vraiment faim (mourir
de faim est plus « risqué » que chopper la chiasse). D’autre part, en
situation de crise, l’humain en revient aux premiers étages de la pyramide de Maslow, les besoins primaires doivent être assouvis. Ce qui pourrait nous
dégoûter aujourd’hui, repus, pourrait bien nous sembler être un festin après quelques
jours de jeûne. Enfin, les survivants emploient des techniques de survie plutôt
réalistes, notamment lorsqu’ils purifient une eau dégueulasse (série TV) avec
un filtre fait maison tout à fait correct et qu’ils parlent ensuite de la faire
bouillir [2].
9. Un humain « sain »,
non mordu, ne devrait pas se transformer lorsqu’il meurt. (faux !)
Ben, déjà, si c’était ça la
source du problème, il n’y aurait pas de problème. Le « premier »
zombie n’a été mordu par personne. Le fait que les personnages qui meurent de
cause naturelle (ou violente) se transforment aussi permet simplement de
déduire que la cause de la transformation est répandue dans toute la population
vivante. La morsure serait alors simplement un… accélérateur ?
10. Le fait de se transformer
si l’on est simplement mordu est idiot. (vrai !)
Eh bien oui, si tout le monde
est porteur du binz (puisqu’un individu non-mordu se transforme), il n’y a aucune
raison pour qu’un coup de dents accélère le processus. A priori, c’est la mort
qui entraîne l’activation de ce qui transforme le mort en zombie, pas un coup
de molaires, même si elles ne sont pas très propres. Si ce genre de contact était dangereux, les survivants feraient attention par exemple à ne pas être aspergés de sang lorsqu'ils tuent des zombies. Or, ça ne semble leur poser aucun problème (au point qu'ils ne nettoient jamais leurs armes blanches !).
Bonus : L'arme de Daryl n'est vraiment pas appropriée. (oui et non)
Le seul avantage de l'arbalète, c'est son silence relatif (ça fait quand même un peu de bruit en réalité). Lorsqu'il s'agit d'une progression en groupe, et que Daryl est soutenu par un ou deux éléments disposant d'armes à feu, c'est tout à fait sensé. Si un zombie se présente, il l'élimine et n'attire pas l'attention sur le groupe. Si une troupe entière survient, il peut se retrancher derrière les éléments de soutien.
Le problème survient lorsqu'il est seul, en forêt par exemple (il a tendance à beaucoup s'isoler). Une arbalète est très longue à recharger. En cas de difficulté majeure, il ne dispose donc que d'une arme à un coup (même s'il a éventuellement un flingue en solution de replis). On voit bien que, dans la série, l'arbalète est un "élément décoratif" du personnage. Elle n'a pas d'utilité tactique la plupart du temps, au contraire, elle constitue un danger constant pour celui qui l'utilise (un couteau est une meilleure solution tactique, puisque cela offre une furtivité égale, sans temps de rechargement). On pourrait à la rigueur considérer que la distance entre la cible et le tireur offre à l'utilisateur un confort supplémentaire (à calculer cependant : viser un crâne mobile, même à dix mètres, en situation de stress intense, n'a rien d'aisé), mais ce n'est possible que dans une confrontation avec un seul zombie. Or, ils ont la fâcheuse habitude de se pointer en groupe. ;o)
Bonus : L'arme de Daryl n'est vraiment pas appropriée. (oui et non)
Le seul avantage de l'arbalète, c'est son silence relatif (ça fait quand même un peu de bruit en réalité). Lorsqu'il s'agit d'une progression en groupe, et que Daryl est soutenu par un ou deux éléments disposant d'armes à feu, c'est tout à fait sensé. Si un zombie se présente, il l'élimine et n'attire pas l'attention sur le groupe. Si une troupe entière survient, il peut se retrancher derrière les éléments de soutien.
Le problème survient lorsqu'il est seul, en forêt par exemple (il a tendance à beaucoup s'isoler). Une arbalète est très longue à recharger. En cas de difficulté majeure, il ne dispose donc que d'une arme à un coup (même s'il a éventuellement un flingue en solution de replis). On voit bien que, dans la série, l'arbalète est un "élément décoratif" du personnage. Elle n'a pas d'utilité tactique la plupart du temps, au contraire, elle constitue un danger constant pour celui qui l'utilise (un couteau est une meilleure solution tactique, puisque cela offre une furtivité égale, sans temps de rechargement). On pourrait à la rigueur considérer que la distance entre la cible et le tireur offre à l'utilisateur un confort supplémentaire (à calculer cependant : viser un crâne mobile, même à dix mètres, en situation de stress intense, n'a rien d'aisé), mais ce n'est possible que dans une confrontation avec un seul zombie. Or, ils ont la fâcheuse habitude de se pointer en groupe. ;o)
Alors, oui, toute œuvre comporte
des défauts. Surtout si l’œuvre dure dans le temps. Est-ce que cela nuit pour
autant au plaisir ? Pas forcément. Ce qui est gênant, ce sont les inepties
qui font vraiment sortir de l’histoire, ou une baisse de qualité telle qu’elle
va à l’encontre de ce que la série a pu représenter. Pour le reste… que ce soit
des micros aperçus dans le champ, des tics de personnages ou des figurants
zombies qui boivent un coup dans l’arrière-plan, ce n’est pas là suffisant pour
amoindrir plaisir et passion.
Si l’on utilise le filtre du
réalisme pour passer au crible nos fictions, alors tout s’effondre. Superman ne
tient pas, pas plus que John McClane, Sherlock Holmes ou le grand Meaulnes.
Ceux qui démontent, en une
petite vidéo maladroite de cinq minutes ou en un ricanement de forum, les récits que vous
aimez sont bien incapables d’en bâtir eux-mêmes.
Avoir du recul sur ce que l’on
aime est sain. Pouvoir en rire parfois est tout aussi appréciable.
Descendre un truc juste parce
que c’est populaire est déjà bien plus discutable.
Si l’on étudie bien leur
mission, je suis certain qu’il est possible de trouver des dizaines d’erreurs
commises par Neil Armstrong et Buzz Aldrin. Pourtant, ils ont marché sur la
Lune.
Parfois, des gens décident de
faire des choses. Même mal.
D’autres critiquent. Souvent
très bien.
Entre les deux, il y a ce
gouffre qui tient autant du courage que du savoir-faire.
La passion de la perfection
vous fait détester même ce qui en approche.
[1] Lors du crash dans les
Andes d’un avion transportant une équipe de rugby, dans les années 70, les
survivants ont recourt au cannibalisme. Il faut noter qu’eux n’ont aucun autre
choix (ils survivent ainsi dix longues semaines) et qu’ils se nourrissent, avec
la difficulté qu’on imagine, de cadavres (conservés par le froid) et non d’êtres
vivants qu’ils seraient amenés à tuer.
[2] Le hic vient ici du temps.
Un filtre fait maison nécessite l’emploi de plusieurs couches de matériaux
filtrants (dans l’idéal, des roches, du sable, du charbon) à l’intérieur
desquelles l’eau s’écoule. C’est très long. Pour un groupe de taille
conséquente, il faut évidemment plusieurs filtres, sinon on n’obtient jamais la
quantité nécessaire par personne en une seule journée (d’autant qu’il faut
encore faire bouillir le tout et, si possible, attendre que ça refroidisse).
Publié le
7.8.15
Par
Nolt
Tout lecteur, et a fortiori tout auteur, a déjà probablement entendu parler du fameux processus d'identification. Existe-t-il réellement, à quoi sert-il, sur quoi est-il basé, est-il indispensable ? Autant de questions nous permettant de plonger dans l'un des aspects "magiques" du récit.
Il s'agit dans un premier temps de ne pas confondre l'identification telle qu'elle peut être comprise en psychologie (et qui peut revêtir plusieurs rôles, comme la construction du Surmoi) et l'identification liée au récit. Cette dernière fait l'objet de fantasmes et théories souvent contradictoires. Certains auteurs la jugent réductrice, d'autres ne jurent que par elle. Aussi surprenant que cela puisse paraître, il existe même une pathologie de la lecture, le bovarysme [1], qui découle entre autres d'une identification maladive et constante au romanesque, qui devient alors une source de déception dans la réalité, toujours bien entendu plus fade et n'obéissant pas aux mêmes règles. Il est quand même rare qu'une technique d'écriture (et un processus vécu par le lecteur) puisse déboucher sur des conséquences aussi radicales. En général, l'identification se passe bien mieux que dans le cas de cette pauvre Emma.
Comment ?
Le plus simple pour commencer est de s'interroger sur la manière dont le lecteur va s'identifier à un personnage. D'autant que, bien souvent, même des éditeurs ou auteurs se trompent complètement quant à la nature des outils qui permettent l'identification.
Rappelons-nous, pour prendre un exemple comics, le "retour aux fondamentaux" prêché à l'époque par un Quesada (cf. ce dossier) qui pensait qu'un Peter Parker marié était un frein à l'identification des plus jeunes lecteurs. Parce que Quesada pense que l'on s'identifie à quelqu'un qui nous ressemble physiquement ou socialement. Or l'identification est basée sur tout autre chose.
En effet, si un immonde salaud, un tueur d'enfants par exemple, à la même taille que vous, la même couleur de cheveux, s'il habite dans la même région, exerce la même profession, est marié tout comme vous, vous n'allez pas pour autant vous identifier à ce personnage-là [2]. Car ce qui permet l'identification, c'est l'affect.
Prenons un exemple cette fois dans la littérature classique. Dans L'étranger, de Camus, le personnage principal ne "joue pas le jeu", il ne se comporte pas comme la société l'attend, il devient ainsi menacé, mis à l'écart, jugé, incompris. Ce qui permet l'identification ici, en plus de l'emploi de la première personne du singulier, c'est l'émotion mise en avant.
Que le personnage soit jeune, petit, mince ou vieux, grand et gros n'a aucune importance. Le lecteur s'identifie à lui parce qu'il reconnait en lui des émotions qu'il a déjà expérimentées (qui ne s'est jamais senti seul ou incompris ?).
C'est absolument identique pour Spider-Man. Lorsque l'on s'identifie au personnage, c'est parce qu'il rencontre des problèmes dans sa vie quotidienne ou des dilemmes moraux qui ne nous sont pas inconnus. Si par exemple il doit mettre en balance son activité de justicier et la sécurité de ses proches, peu importe que les "proches" soient une vieille tante qui fait office de mère de substitution (ou pas, cf. cet article) ou une Mary Jane sexy endossant le rôle de l'épouse idéale. En réalité, l'identification n'opère pas grâce à Mary Jane ou la tante May, mais à cause des émotions (identiques aux nôtres) qu'elles font naître chez Peter.
Pourquoi ?
Ce processus est donc basé sur l'exploitation d'émotions ou réactions communes, mais à quoi sert-il ?
Est-il seulement nécessaire ?
La nécessité est essentiellement basée sur votre rapport à la lecture. Une lecture "critique", destinée à l'analyse, n'a aucunement besoin d'un tel processus. Au contraire, la distance nécessaire à la réflexion peut être perturbée par l'identification.
Si par contre vous "jouez le jeu", que vous respectez le pacte tacite entre lecteur et auteur, et faites l'effort d'entrer dans son univers en suivant le chemin qu'il a tracé, l'identification est indispensable à travers la reconnaissance d'affects communs. Cette re-co-naissance (ou renaissance commune) permet de se "fondre" dans le personnage et de s'approprier ses émotions, considérées alors comme justes [3].
Les buts d'une telle identification sont différents du point de vue de l'auteur et du lecteur.
Le lecteur va chercher dans une certaine mesure à donner du poids et de la crédibilité au récit (toute émotion du personnage interprétée comme vraie par le lecteur l'incite à considérer que le récit est vraisemblable donc digne d'intérêt). Plus le lecteur va "dépenser" du temps dans sa lecture, plus cette première raison sera présente. L'on peut abandonner une lecture après quelques dizaines de pages, rarement après plusieurs centaines, même si le roman se dégrade qualitativement [4].
Le lecteur va également expérimenter à travers le personnage. La catharsis qui s'opère alors permet de le libérer d'un poids, d'épurer les passions comme le prétendait déjà Aristote.

Enfin, d'une manière plus terre-à-terre, le lecteur va également se "chercher" dans le personnage. Découvrir un langage émotionnel commun facilite la compréhension, cela rassure.
L'auteur, lui, poursuit souvent d'autres buts.
L'identification peut être utilisée de manière très basique, pour simplement "accrocher" le lecteur, mais elle peut aussi servir à interroger ce même lecteur sur sa part d'ombre lorsque, petit à petit, l'auteur amène le personnage à éprouver des sentiments moins communs. Cette rupture est très habile mais n'est évidemment efficace que si l'identification est minutieusement construite dans un premier temps.
Parfois l'auteur évite volontairement l'identification. Dans American Sniper par exemple, vu parfois par certains comme un film ultra-patriotique, Clint Eastwood interdit l'identification au héros, notamment en le rendant froid avec sa famille pendant une grande partie du film. Ainsi, le spectateur, sans identification (donc sans possibilité d'indulgence), est invité à juger les actes, bruts. L'on peut aussi penser que la froideur du personnage dans les situations intimes postérieures à ses missions est une manière de rendre compte du traumatisme des soldats (l'émotion est là, puisque ce sont des êtres humains, mais l'identification étant limitée dans le récit, le traitement rend compte de la difficulté de se réadapter à la vie normale).
À l'inverse, l'identification peut être utilisée par l'auteur pour humaniser un personnage "exotique".
Dans Enemy Mine, de Barry Longyear (qui a remporté les prix Locus, Hugo et Nebula), l'auteur met en scène un extraterrestre présenté dans un premier temps comme hostile et très dangereux. Au fil du roman, le lecteur qui s'identifiait au départ à l'humain se met à comprendre l'alien, qui éprouve des sentiments très proches des nôtres malgré les différences culturelles [5].
Intensité et Nature : les véritables leviers de l'identification
Nous avons abordé le "comment", le "pourquoi", il reste à savoir "où". Autrement dit, dans quoi loger les leviers de l'identification. Car nous allons voir que le fait qu'un affect soit reconnu et commun ne suffit pas.
Une émotion peut se définir par deux éléments. Son intensité et sa nature.
Si vous gagnez une place de cinéma gratuite dans un concours, vous allez être content. Si vous gagnez deux millions d'euros au loto, vous allez être content aussi. L'émotion est la même, mais vous n'allez pas l'éprouver de la même façon. L'intensité est différente.
Dans un récit, il est inutile de tenter de jouer sur l'intensité. Le fait que l'on soit dans une fiction l'annule, ou disons que cela l'amoindrit considérablement.
C'est donc sur la nature des émotions que les auteurs jouent pour créer l'identification.
Il existe une règle simple dans ce domaine : plus une émotion est négative, plus elle permet l'identification. Ce sont les larmes qui soudent, pas les sourires.
Alors,

Si vous racontez à quelqu'un que vous venez de réussir un examen, ou que vous venez de vous taper Samantha Fox (vous pouvez adapter suivant votre âge et vos inclinations), il y a de grandes chances pour que la personne s'en tape royalement. Justement parce que vous lui racontez un truc qu'elle n'a pas expérimenté, ou qu'elle a expérimenté différemment, il y a longtemps, etc.
À la limite, ça peut même créer de la jalousie, donc de la distance.
Racontez maintenant à cette même personne la fin atroce de votre chat, écrasé par un méchant voisin, et elle va réellement compatir dans 99 % des cas. Non seulement parce que beaucoup de gens aiment les chats, mais en plus, au cas où, vous ratissez large en plaçant un méchant voisin dans votre anecdote (et tout le monde, sans exception, connaît des connards malveillants).
C'est donc toujours la souffrance qui est l'outil idéal pour amener l'identification dans le récit. Il faut planter le levier là où ça fait mal.
Si un personnage est présenté comme persécuté ou malchanceux, il va être doté d'un énorme potentiel de sympathie. À l'auteur bien entendu de faire fructifier ce capital, il ne suffit pas d'accumuler les emmerdes pour qu'un personnage soit réellement intéressant ou pour qu'une histoire soit digne d'intérêt. Mais, à l'intérieur de cette histoire, ce sont toujours les affects négatifs qui vous toucheront, sans considération pour l'aspect ou la situation du personnage.
Dans Sa Majesté des Mouches par exemple, qui n'est pourtant pas un excellent roman, l'on est touché essentiellement par Piggy/Porcinet, non parce qu'il est gros, ou jeune, mais parce qu'il incarne le rejet auquel tout le monde peut être soumis. Il est plus difficile de s'identifier aux autres gamins, comme Ralph qui incarne des idéaux pourtant positifs.
Dans 1984, l'identification avec Winston est possible dès le début du roman et elle est sans cesse accentuée. Pourtant, le roman ne repose pas essentiellement sur l'identification, mais elle est menée de main de maître et soutient le propos : dans un premier temps, Winston est montré comme un pion luttant contre un système effrayant et gigantesque (peur, paranoïa, injustice... les leviers négatifs sont multiples). Puis, il découvre l'amour, mais un amour contrarié, risqué, pénible, interdit par la société (incompréhension, isolement...). Enfin, quand il est pris, il trahit Julia. Et comment ? À cause de ce qui est présent dans la "room 101", siège de nos plus grandes peurs. L'identification est ici magistrale puisqu'elle repose non seulement sur un affect négatif mais en plus un affect "à la carte" (le lecteur est poussé à imaginer ce que lui réserverait la salle 101).
Cette universalité de la souffrance, cette facilité de transfert, fonctionne tellement bien que l'on parle, dans le cas de psychologues traitant des victimes de traumatismes, de contre-transfert. Le contre-transfert est possible même dans d'autres cas, mais il est facilité par la nature choquante du fait à l'origine de l'affect. En gros, pour schématiser, plus ce que vous racontez au thérapeute est angoissant et va à l'encontre de ses valeurs, plus le risque de contre-transfert est important.
C'est-à-dire que plus l'affect qu'il est censé analyser, ou aider à faire surgir, est négatif, plus le risque que cela l'impacte en retour est grand. Si c'était positif, ou conforme à ses valeurs, le phénomène n'existerait pas ou serait moindre.
S'interroger et prendre le risque de comprendre
Le processus d'identification est un élément technique du récit. Il est préférable que l'auteur le connaisse, mais qu'en est-il du lecteur ?
Comme toujours (c'était déjà vrai en ce qui concerne la technique dans l'écriture), l'on peut très bien lire un roman ou regarder un film sans avoir besoin d'en comprendre les mécanismes.
Le plaisir ou l'adhésion sont des choses qui ne regardent que celui qui les éprouve. L'on n'a jamais tort d'aimer ce que l'on aime. Une émotion se ressent, ce n'est pas un choix intellectuel.
Par contre, si l'on est soi-même auteur, ou simplement curieux, il est possible d'aller au-delà du ressenti. Et cet "au-delà" se manipule difficilement. Non pas tant parce que ce qui le compose est complexe, mais parce que ce qu'il révèle peut décevoir ou embarrasser.
Cela peut très bien se comprendre par exemple

Mais le récit, c'est autre chose.
L'utilité de la fiction ne repose pas sur son seul éventuel pouvoir de mystification.
Les véritables Conteurs ne vous enfument que le temps de vous emporter dans l'essentiel. Ils ne trichent pas réellement, ou du moins, vous trichez avec eux, dans un but louable.
Les écrans de fumée ne fonctionnent qu'un temps, et seuls les auteurs malhonnêtes et malhabiles ne jurent que par eux. Ce qui compte vraiment, c'est ce petit moment, après la dernière page tournée, où vous êtes à la fois heureux de l'expérience et triste de sa brièveté (sentiment que j'avais déjà évoqué ici).
Surtout, toutes les bonnes histoires, qu'elles vous incitent à vous identifier à un adolescent dans un monde sans adultes ou à un espion luttant contre un Reich alternatif, résistent à une seconde lecture. Même en connaissant la fin, les trucs, les astuces, un bon récit vous procure du plaisir. Différent certes de la découverte, mais réel.
Et, sauf à la contenir dans un but de détachement analytique, l'identification opèrera de nouveau. Parce que, au contraire de la magie de cabaret et de ses tours, il ne s'agit pas d'astuces trompant votre vigilance mais bien d'une universalité utilisée dans un but noble et constant : vous faire expérimenter, de manière condensée, des milliers de vies, de choix, de voies.
Ceci n'est possible que par l'identification, qui n'est elle-même possible que par l'utilisation d'affects communs. Et notre patrimoine commun, sans distinction de race, de sexe, d'âge, de classe sociale ou de culture, c'est la souffrance. Nos larmes nous rapprochent, elles sont un moyen de communication efficace parce que nous sommes tous globalement touchés par les mêmes choses, alors que l'on ne rit pas tous aux mêmes blagues.
L'identification pouvant même être employée pour des causes moins nobles (discours sectaires, techniques de vente, propagande politique...), il n'est pas inutile de s'interroger parfois un peu sur ce qui fait que l'on adhère ou non à un discours, un récit, une démonstration. Sur ce qui fait que l'on éprouve ou non de l'empathie ou de la sympathie. Car ce qui reste une belle technique en littérature peut se révéler une arme si l'on n'y prend garde.
Pour prendre une métaphore limpide, l'hypnotiseur n'a aucun pouvoir, une hypnose réussie est toujours une auto-hypnose. Un auteur a besoin du lecteur pour que le récit s'illumine et que les personnages prennent vie. Cette rencontre symbiotique est l'aboutissement du travail du conteur. Il n'est pas très dangereux de laisser ce dernier utiliser nos sentiments. À distance. Avec la saine barrière du Papier. Mais si quelqu'un d'autre utilise les mêmes leviers, sans avoir pour but de raconter une fiction, il vaut alors peut-être mieux ne pas le laisser piocher dans nos émotions. Elles sont trop efficaces pour que n'importe qui puisse y avoir accès.
La mort de Lucien de Rubempré est l'un des plus grands drames de ma vie.
Oscar Wilde
[1] En référence bien entendu à Emma Bovary, célèbre personnage de Flaubert. Emma, lectrice de romans à l'eau de rose, rêve de romances exacerbées et supporte de plus en plus difficilement sa vie, pourtant douce et remplie de bonheurs qu'elle ne voit pas. Pour la faire courte, à la fin, Emma se suicide, son mari meurt de chagrin et sa petite fille est confiée à une tante qui va l'envoyer bosser dans une filature de coton. C'est quand même dangereux le bovarysme.
[2] En réalité, il existe des exceptions ou la construction minutieuse d'un anti-héros ou d'un "méchant" peut tout de même conduire à l'identification, mais toujours pour des questions d'affects, les actes comme l'assassinat devenant alors un fait condamné intellectuellement mais minimisé par les circonstances du récit (par exemple dans Nikita, de Luc Besson, le processus d'identification dépasse et minimise les actes du personnage principal, peu importe la qualité supposé du scénario, le processus en lui-même est ici très bien exploité).
[3] Un peu à la manière d'un instrument de musique bien accordé.
[4] Lorsque le lecteur abandonne un roman après quelques pages, il désavoue l'auteur, il lui reproche de ne pas lui avoir suffisamment permis de rentrer dans le récit. Si le lecteur abandonnait après plusieurs centaines de pages, il se désavouerait lui-même et admettrait qu'il a eu tort de continuer jusque-là et de s'être laissé berner. Cela rejoint un peu certains effets de l'état agentique décrit par Milgram mais transposés dans le domaine fictionnel cette fois.
[5] Cette histoire, plutôt émouvante et bien construite, est typique de l'identification employée par l'auteur dans un but précis. D'abord masqués, les affects de "Jerry" (l'alien) permettent toute la dramatisation du récit lorsqu'ils sont progressivement dévoilés. Tout repose ici sur le fait que le lecteur doit finir par "aimer" son "ennemi".
Publié le
3.8.15
Par
Nolt
Un sujet un peu spécial aujourd'hui concernant les excellentes conférences de Roland Lehoucq et les thèmes récurrents que l'on retrouve dans la pop culture et la science-fiction en particulier.
Je voudrais tout d'abord commencer par dissiper quelques possibles craintes. La science, l'aspect technique des choses, qu'il s'agisse de s'interroger sur le fonctionnement d'un avion ou de l'univers entier, n'est jamais ennuyeuse. C'est même passionnant.
Ceux qui ont comme moi des souvenirs mitigés des programmes scolaires peuvent cependant émettre des doutes légitimes. Sauf qu'en réalité, l'école, en matière de physique, se borne à étudier et enseigner des outils, pas des concepts. Or, les outils, à moins de vouloir devenir scientifique soi-même, on n'en a pas besoin pour accéder au "merveilleux", à la magie de l'univers.
Bien que les programmes scolaires regorgent de matières scientifiques, l'élève moyen ressort en général de son parcours en ayant oublié des équations complexes et surtout en n'ayant jamais abordé les concepts fabuleux et fascinants qui constituent le cœur de la science.
Pour aborder ces concepts, il faut en passer par des vulgarisateurs (Brian Greene et son Univers Élégant par exemple) qui mettent de côté l'aspect "calcul" pour aborder simplement le résultat de ces calculs.
Utiliser un concept sans s'encombrer des calculs est très courant. On fait tous ça. A moins d'être mécanicien, vous êtes sans doute incapable de construire le moteur de votre voiture, pourtant vous savez parfaitement vous servir de votre véhicule pour vous déplacer.
A quoi sert le fait de vulgariser la science me direz-vous ? Eh bien, outre la simple curiosité, cela permet aux auteurs d'être cohérents, vraisemblables, d'avoir du "contenu derrière les portes".
Le "contenu derrière les portes", c'est un peu en partie ce que le lecteur (ou spectateur) n'est pas censé voir. Dans un récit, si un personnage traverse un couloir flanqué de portes, même s'il ne les ouvre pas, c'est bien de savoir ce qu'il y a derrière chacune d'entre elle. Au moins en gros. Parce que ça peut avoir à terme une importance dans l'histoire. Et si l'on ne se concentre que sur le "chemin" suivi par le personnage, en oubliant l'univers qui l'entoure, on aboutit le plus souvent à de grosses bêtises.
Je vais prendre un exemple très simple pour illustrer ce problème.
Il m'est souvent arrivé de voir dans des films ou des bandes dessinées des avions chuter comme des pierres parce qu'un de leur moteur s'arrêtait ou était en feu. Or un avion plane très bien sans moteur, il est même conçu pour ça. Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, les gros avions de ligne planent particulièrement bien. Alors, pas pendant des heures non plus, mais plus ils sont hauts lorsque la panne survient, plus ils parcourent de distance (ce rapport hauteur/distance parcourue - en réalité portance/traînée - s'appelle la "finesse" de l'appareil).
Il n'y a pas besoin d'être soi-même pilote pour savoir cela, ça fait même partie du travail de documentation normal d'un auteur. Et c'est ce qui permet de rester dans les limites du vraisemblable.
Je vais très vite faire la distinction entre réalisme (dont on n'a pas besoin de se préoccuper dans une fiction, surtout une fiction appartenant au genre fantastique) et le vraisemblable (qui est indispensable, quel que soit le genre abordé).
Si votre personnage est un vampire, ce n'est pas forcément très réaliste, mais l'accord tacite existant entre lecteur et auteur fait que l'on peut (que l'on doit même) "oublier" ce fait. Cela sert le récit et le lecteur.
Si le personnage principal est par contre un humain, qu'on lui fait porter une charge de 500 kilos dans un sac, et qu'il part de Brest en vélo et arrive à Strasbourg vingt minutes après, c'est complètement invraisemblable.
Tout le monde parvient à comprendre qu'un type ne peut pas se trimballer avec 500 kilos de charge, et que Brest/Strasbourg ne peut pas prendre que vingt minutes en vélo. Mais de telles évidences existent aussi à l'échelle de l'univers.
Le voyage interstellaire par exemple, qui est un thème très courant de la littérature ou du cinéma SF, répond à des principes très simples mais très souvent méconnus.
Un voyage interstellaire, c'est un voyage, par définition, d'une étoile à une autre. Ce sont donc des distances considérables. La plus proche étoile de notre système solaire est Proxima du Centaure. A la vitesse de la lumière, il faudrait déjà quatre années pour l'atteindre. A la vitesse actuelle de nos sondes, vaisseaux, enfin, de ce que l'on est capable de produire, il faudrait, pour ce minuscule saut de puce dans l'immensité de l'univers connu, environ... 80 000 ans avec une estimation optimiste.
Voilà à quel point cette étoile "proche" ne l'est pas du tout à l'échelle humaine.
Cette durée, très compréhensible humainement parlant, est très importante. Bien plus que les unités astronomiques ou les années-lumière. La distance moyenne Terre/Soleil (ou UA) ne nous parle pas beaucoup. Pas plus que les distances énormes parcourues par la lumière en quelques années. Mais 80 000 ans, on pige tout de suite que ce n'est pas un voyage facile et qu'il va falloir bouffer pas mal de DHEA pour tenir le choc.
Plus sérieusement, cela va permettre aux personnages de ne pas aller "trop vite" en vélo ou de ne pas porter une charge absurde qu'ils sont incapables de soulever. Après, libre à l'auteur d'inventer des astuces pour pallier cette durée de voyage phénoménale (trou de ver, "moteur" permettant des vitesses supraluminiques...). Mais pour pallier ce problème de temps, il faut évidemment déjà le connaître.
L'on n'est donc pas dans la science "dure", complexe, mais dans des évidences très facilement compréhensibles. Alors, pourquoi est-ce que ces évidences scientifiques auraient un rapport avec la pop culture qui nous intéresse ici ?
Eh bien, essentiellement parce que je ne mets pas dans "pop" ce que beaucoup semblent vouloir y mettre. Pop culture n'a jamais signifié pour moi "culture au rabais" mais plutôt "culture accessible".
Il y a là un problème de fond et de forme qu'il est primordial de comprendre. Il y a en gros quatre manière de procéder lorsque l'on écrit une histoire (et une conférence est aussi, d'une certaine manière, une histoire que l'on raconte, avec un début, un développement, une conclusion, des temps forts, etc.). La forme peut être accessible ou opaque, le fond peut être vain ou riche, avec bien entendu des nuances, mais fond et forme n'ont pas de rapport entre eux. On peut être en apparence très compliqué pour raconter un truc idiot, on peut aussi être très simple pour mettre en scène un propos fort riche.
La pop culture se devrait d'être, selon la définition que je m'en fais (et qui reste bien entendu personnelle), accessible et riche. C'est à dire abordable par tous mais non limitée au niveau des sujets et de leur profondeur.
Il y a à ce sujet une phrase d'Arthur, dans Kaamelott, que j'aime beaucoup : "la lumière, c'est pour que tout le monde y voie."
Je ne crois pas à l'art élitiste, qui par sa forme exercerait une sorte de filtre sur les "récepteurs" au sens large. Je ne crois pas non plus au principe du "plus petit dénominateur commun", fait pour "plaire" à tous. Je crois qu'il faut essayer d'être compris par tous (travail de la forme) et prendre le risque de déplaire à certains (richesse du fond).
Si je cite l'œuvre phare d'Astier, ce n'est pas par hasard. Il a travaillé notamment avec Lehoucq pour son spectacle, L'Exoconférence (qui sortira en DVD en octobre, cf. cette bande annonce). C'est un spectacle destiné à faire rire, bien sûr, mais c'est un spectacle (tout comme celui sur Bach et la musique) construit sur des bases solides, avec un vrai fond et une forme élégante et pourtant accessible.
L'intelligence ne s'oppose pas à l'accessibilité. On peut être très intelligent et très compréhensible, c'est en général les gens jaloux de leur savoir qui l'enrobent dans un jargon hermétique. Et que faire d'un savoir que l'on ne veut pas partager ? Où le faire rayonner ? Comment l'employer ? Cela n'a aucun sens, ce serait un peu comme être coincé dans un tunnel avec d'autres gens, avoir une lampe-torche et refuser de l'allumer sous prétexte qu'elle profiterait aussi aux autres. L'on se condamnerait alors à rester aussi dans les ténèbres.
Quand par exemple des gens comme Moore ou Ware tiennent des propos absurdes et complètement idiots, cela me navre mais ça a le mérite de les classer dans le vaste camp des snobinards qui gardent la lampe éteinte. Pour ces gens-là, qui apparemment détiennent un savoir immense qui les autorisent à faire le tri entre ce que l'on a le droit ou pas de lire ou regarder, un adulte qui s'intéresse à des super-héros est forcément un imbécile. Pourtant, rien n'interdit de mettre des choses intelligentes dans le genre super-héroïque. Ou à l'inverse d'utiliser le genre super-héroïque pour faciliter l'accès à d'autres domaines.
Mais j'en reviens à mon voyage interstellaire et à l'apport scientifique.
Voilà un bel exemple, très concret, donné à ceux qui pensent que l'intelligence, la profondeur ou la magie d'un sujet ou d'un thème dépendent de sa forme.
Il existe d'éminents érudits qui expliquent très simplement des choses incroyables, énormes, des choses bouleversantes. C'est de la "lumière pour que tout le monde puisse voir". Oh, tout le monde ne s'en servira peut-être pas, mais n'importe qui pourra décider de s'en servir. Elle est là la différence.
Quand on vous explique, très simplement, que lorsque l'on voyage suffisamment vite, on peut atteindre des lieux infiniment éloignés en quelques dizaines d'années, alors que sur Terre il va s'écouler des millions d'années, c'est une forme très simple au service d'un fond ahurissant : la relativité.
Je vous conseille de visionner cette conférence pour vous en convaincre. Non seulement parce que Lehoucq est sympathique, clair et drôle, mais surtout parce que ce qu'il a à dire est bouleversant si l'on n'a jamais eu de véritable "contact" avec le domaine.
Lehoucq, un peu comme Vogler en ce qui concerne la technique d'écriture (cf. ce dossier), emploie une forme divertissante (en partant de films comme Star Wars, Alien, Gravity ou en se servant de BD et pulps) pour enseigner la science ou, au moins, en faire découvrir le véritable potentiel attractif.
En général, ceux qui vous prennent pour des cons sont bien contents de votre "état". Ils vous privent d'un savoir qui se devrait d'être diffusé. Or, un con, ce n'est pas quelqu'un qui n'est pas instruit, c'est quelqu'un qui agit en dépit de ses connaissances, qu'elles soient limitées ou vastes.
Un artiste consciencieux se documente. Un artiste disons... "bienveillant" ne garde pas ses infos pour lui. Astier parle par exemple "d'un pas en plus" (cf. les Utopiales 2014) par rapport aux lecteurs/spectateurs, mais d'un pas clairement destiné à servir le propos et enrichir la fiction (donc également celui qui en est le récepteur).
Attention, il ne s'agit pas non plus de vénérer les savants ou de se laisser un peu trop éblouir par le lustre de la science, aux tares finalement très humaines. Après tout, les mecs avouent ne rien savoir de ce qui compose l'essentiel de l'univers (matière noire, énergie sombre...), et quand une équation ne fonctionne pas tout à fait, ils n'hésitent pas à rajouter des trucs inventés, purement hypothétiques, qui équilibrent le tout. Pas de quoi éjaculer dans son short d'admiration.
Mais ce qui fonctionne bien, à échelle humaine, n'a pas vocation à rester la propriété d'un petit nombre d'initiés. Or, le savoir, c'est quelque chose qu'il est très facile de complexifier artificiellement. Histoire de se donner des grands airs ou de consolider une place que l'on imagine menacée.
Les auteurs populaires, non-égocentrés, ne considèrent pas le savoir comme un butin à protéger mais comme un terreau propice à leurs récits.
Les conteurs habiles ne s'amusent pas à construire des passerelles branlantes, bardées de pièges, entre leurs lecteurs hypothétiques et le fond qu'ils développent. Au contraire. Ils tendent des mains. Ils construisent des béquilles. Ils ont intérêt à ce que la lumière se propage et ne reste pas le pré carré d'une oligarchie culturelle qui vit de l'apport de la masse mais lui refuse l'accès à la compréhension, et donc au jugement.
La culture populaire n'est pas condamnée à la vacuité. L'on peut même s'en servir pour instruire les enfants, voire même les adultes. Être divertissant n'a jamais été une tare, c'est au contraire une compétence supplémentaire. Pourtant, l'on retrouve cette même réticence à l'égard de la forme accessible aussi bien chez les auteurs que les scientifiques. Comme si faire la gueule et être chiant était un gage de sérieux. Mais non, quand on réussit à emmerder les gens avec le si fascinant domaine scientifique, c'est par manque de pédagogie, de savoir-faire, pas par nécessité ou fatalité.
Roland Lehoucq, par son travail et sa volonté de rester attrayant, permet non seulement aux auteurs de partir sur des bases solides mais il met aussi la magie fondamentale de l'univers à la portée de tous. Pour ce faire, il lui arrive d'utiliser des Jedi ou même Superman. Et il y arrive très bien. Parce que, n'en déplaise à Moore ou Ware, le fond ne dépend pas de la forme.