Apport scientifique, culture populaire et forme du récit
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Un sujet un peu spécial aujourd'hui concernant les excellentes conférences de Roland Lehoucq et les thèmes récurrents que l'on retrouve dans la pop culture et la science-fiction en particulier.

Je voudrais tout d'abord commencer par dissiper quelques possibles craintes. La science, l'aspect technique des choses, qu'il s'agisse de s'interroger sur le fonctionnement d'un avion ou de l'univers entier, n'est jamais ennuyeuse. C'est même passionnant.
Ceux qui ont comme moi des souvenirs mitigés des programmes scolaires peuvent cependant émettre des doutes légitimes. Sauf qu'en réalité, l'école, en matière de physique, se borne à étudier et enseigner des outils, pas des concepts. Or, les outils, à moins de vouloir devenir scientifique soi-même, on n'en a pas besoin pour accéder au "merveilleux", à la magie de l'univers.

Bien que les programmes scolaires regorgent de matières scientifiques, l'élève moyen ressort en général de son parcours en ayant oublié des équations complexes et surtout en n'ayant jamais abordé les concepts fabuleux et fascinants qui constituent le cœur de la science.
Pour aborder ces concepts, il faut en passer par des vulgarisateurs (Brian Greene et son Univers Élégant par exemple) qui mettent de côté l'aspect "calcul" pour aborder simplement le résultat de ces calculs.
Utiliser un concept sans s'encombrer des calculs est très courant. On fait tous ça. A moins d'être mécanicien, vous êtes sans doute incapable de construire le moteur de votre voiture, pourtant vous savez parfaitement vous servir de votre véhicule pour vous déplacer.

A quoi sert le fait de vulgariser la science me direz-vous ? Eh bien, outre la simple curiosité, cela permet aux auteurs d'être cohérents, vraisemblables, d'avoir du "contenu derrière les portes".
Le "contenu derrière les portes", c'est un peu en partie ce que le lecteur (ou spectateur) n'est pas censé voir. Dans un récit, si un personnage traverse un couloir flanqué de portes, même s'il ne les ouvre pas, c'est bien de savoir ce qu'il y a derrière chacune d'entre elle. Au moins en gros. Parce que ça peut avoir à terme une importance dans l'histoire. Et si l'on ne se concentre que sur le "chemin" suivi par le personnage, en oubliant l'univers qui l'entoure, on aboutit le plus souvent à de grosses bêtises.

Je vais prendre un exemple très simple pour illustrer ce problème.
Il m'est souvent arrivé de voir dans des films ou des bandes dessinées des avions chuter comme des pierres parce qu'un de leur moteur s'arrêtait ou était en feu. Or un avion plane très bien sans moteur, il est même conçu pour ça. Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, les gros avions de ligne planent particulièrement bien. Alors, pas pendant des heures non plus, mais plus ils sont hauts lorsque la panne survient, plus ils parcourent de distance (ce rapport hauteur/distance parcourue - en réalité portance/traînée - s'appelle la "finesse" de l'appareil).
Il n'y a pas besoin d'être soi-même pilote pour savoir cela, ça fait même partie du travail de documentation normal d'un auteur. Et c'est ce qui permet de rester dans les limites du vraisemblable.

Je vais très vite faire la distinction entre réalisme (dont on n'a pas besoin de se préoccuper dans une fiction, surtout une fiction appartenant au genre fantastique) et le vraisemblable (qui est indispensable, quel que soit le genre abordé).
Si votre personnage est un vampire, ce n'est pas forcément très réaliste, mais l'accord tacite existant entre lecteur et auteur fait que l'on peut (que l'on doit même) "oublier" ce fait. Cela sert le récit et le lecteur.
Si le personnage principal est par contre un humain, qu'on lui fait porter une charge de 500 kilos dans un sac, et qu'il part de Brest en vélo et arrive à Strasbourg vingt minutes après, c'est complètement invraisemblable.
Tout le monde parvient à comprendre qu'un type ne peut pas se trimballer avec 500 kilos de charge, et que Brest/Strasbourg ne peut pas prendre que vingt minutes en vélo. Mais de telles évidences existent aussi à l'échelle de l'univers.

Le voyage interstellaire par exemple, qui est un thème très courant de la littérature ou du cinéma SF, répond à des principes très simples mais très souvent méconnus.
Un voyage interstellaire, c'est un voyage, par définition, d'une étoile à une autre. Ce sont donc des distances considérables. La plus proche étoile de notre système solaire est Proxima du Centaure. A la vitesse de la lumière, il faudrait déjà quatre années pour l'atteindre. A la vitesse actuelle de nos sondes, vaisseaux, enfin, de ce que l'on est capable de produire, il faudrait, pour ce minuscule saut de puce dans l'immensité de l'univers connu, environ... 80 000 ans avec une estimation optimiste.
Voilà à quel point cette étoile "proche" ne l'est pas du tout à l'échelle humaine.


Cette durée, très compréhensible humainement parlant, est très importante. Bien plus que les unités astronomiques ou les années-lumière. La distance moyenne Terre/Soleil (ou UA) ne nous parle pas beaucoup. Pas plus que les distances énormes parcourues par la lumière en quelques années. Mais 80 000 ans, on pige tout de suite que ce n'est pas un voyage facile et qu'il va falloir bouffer pas mal de DHEA pour tenir le choc.
Plus sérieusement, cela va permettre aux personnages de ne pas aller "trop vite" en vélo ou de ne pas porter une charge absurde qu'ils sont incapables de soulever. Après, libre à l'auteur d'inventer des astuces pour pallier cette durée de voyage phénoménale (trou de ver, "moteur" permettant des vitesses supraluminiques...). Mais pour pallier ce problème de temps, il faut évidemment déjà le connaître.
L'on n'est donc pas dans la science "dure", complexe, mais dans des évidences très facilement compréhensibles. Alors, pourquoi est-ce que ces évidences scientifiques auraient un rapport avec la pop culture qui nous intéresse ici ?

Eh bien, essentiellement parce que je ne mets pas dans "pop" ce que beaucoup semblent vouloir y mettre. Pop culture n'a jamais signifié pour moi "culture au rabais" mais plutôt "culture accessible".
Il y a là un problème de fond et de forme qu'il est primordial de comprendre. Il y a en gros quatre manière de procéder lorsque l'on écrit une histoire (et une conférence est aussi, d'une certaine manière, une histoire que l'on raconte, avec un début, un développement, une conclusion, des temps forts, etc.). La forme peut être accessible ou opaque, le fond peut être vain ou riche, avec bien entendu des nuances, mais fond et forme n'ont pas de rapport entre eux. On peut être en apparence très compliqué pour raconter un truc idiot, on peut aussi être très simple pour mettre en scène un propos fort riche.
La pop culture se devrait d'être, selon la définition que je m'en fais (et qui reste bien entendu personnelle), accessible et riche. C'est à dire abordable par tous mais non limitée au niveau des sujets et de leur profondeur.

Il y a à ce sujet une phrase d'Arthur, dans Kaamelott, que j'aime beaucoup : "la lumière, c'est pour que tout le monde y voie."
Je ne crois pas à l'art élitiste, qui par sa forme exercerait une sorte de filtre sur les "récepteurs" au sens large. Je ne crois pas non plus au principe du "plus petit dénominateur commun", fait pour "plaire" à tous. Je crois qu'il faut essayer d'être compris par tous (travail de la forme) et prendre le risque de déplaire à certains (richesse du fond).
Si je cite l'œuvre phare d'Astier, ce n'est pas par hasard. Il a travaillé notamment avec Lehoucq pour son spectacle, L'Exoconférence (qui sortira en DVD en octobre, cf. cette bande annonce). C'est un spectacle destiné à faire rire, bien sûr, mais c'est un spectacle (tout comme celui sur Bach et la musique) construit sur des bases solides, avec un vrai fond et une forme élégante et pourtant accessible.

L'intelligence ne s'oppose pas à l'accessibilité. On peut être très intelligent et très compréhensible, c'est en général les gens jaloux de leur savoir qui l'enrobent dans un jargon hermétique. Et que faire d'un savoir que l'on ne veut pas partager ? Où le faire rayonner ? Comment l'employer ? Cela n'a aucun sens, ce serait un peu comme être coincé dans un tunnel avec d'autres gens, avoir une lampe-torche et refuser de l'allumer sous prétexte qu'elle profiterait aussi aux autres. L'on se condamnerait alors à rester aussi dans les ténèbres.
Quand par exemple des gens comme Moore ou Ware tiennent des propos absurdes et complètement idiots, cela me navre mais ça a le mérite de les classer dans le vaste camp des snobinards qui gardent la lampe éteinte. Pour ces gens-là, qui apparemment détiennent un savoir immense qui les autorisent à faire le tri entre ce que l'on a le droit ou pas de lire ou regarder, un adulte qui s'intéresse à des super-héros est forcément un imbécile. Pourtant, rien n'interdit de mettre des choses intelligentes dans le genre super-héroïque. Ou à l'inverse d'utiliser le genre super-héroïque pour faciliter l'accès à d'autres domaines.

Mais j'en reviens à mon voyage interstellaire et à l'apport scientifique.
Voilà un bel exemple, très concret, donné à ceux qui pensent que l'intelligence, la profondeur ou la magie d'un sujet ou d'un thème dépendent de sa forme.
Il existe d'éminents érudits qui expliquent très simplement des choses incroyables, énormes, des choses bouleversantes. C'est de la "lumière pour que tout le monde puisse voir". Oh, tout le monde ne s'en servira peut-être pas, mais n'importe qui pourra décider de s'en servir. Elle est là la différence.
Quand on vous explique, très simplement, que lorsque l'on voyage suffisamment vite, on peut atteindre des lieux infiniment éloignés en quelques dizaines d'années, alors que sur Terre il va s'écouler des millions d'années, c'est une forme très simple au service d'un fond ahurissant : la relativité.
Je vous conseille de visionner cette conférence pour vous en convaincre. Non seulement parce que Lehoucq est sympathique, clair et drôle, mais surtout parce que ce qu'il a à dire est bouleversant si l'on n'a jamais eu de véritable "contact" avec le domaine.
Lehoucq, un peu comme Vogler en ce qui concerne la technique d'écriture (cf. ce dossier), emploie une forme divertissante (en partant de films comme Star Wars, Alien, Gravity ou en se servant de BD et pulps) pour enseigner la science ou, au moins, en faire découvrir le véritable potentiel attractif.


En général, ceux qui vous prennent pour des cons sont bien contents de votre "état". Ils vous privent d'un savoir qui se devrait d'être diffusé. Or, un con, ce n'est pas quelqu'un qui n'est pas instruit, c'est quelqu'un qui agit en dépit de ses connaissances, qu'elles soient limitées ou vastes.
Un artiste consciencieux se documente. Un artiste disons... "bienveillant" ne garde pas ses infos pour lui. Astier parle par exemple "d'un pas en plus" (cf. les Utopiales 2014) par rapport aux lecteurs/spectateurs, mais d'un pas clairement destiné à servir le propos et enrichir la fiction (donc également celui qui en est le récepteur).
Attention, il ne s'agit pas non plus de vénérer les savants ou de se laisser un peu trop éblouir par le lustre de la science, aux tares finalement très humaines. Après tout, les mecs avouent ne rien savoir de ce qui compose l'essentiel de l'univers (matière noire, énergie sombre...), et quand une équation ne fonctionne pas tout à fait, ils n'hésitent pas à rajouter des trucs inventés, purement hypothétiques, qui équilibrent le tout. Pas de quoi éjaculer dans son short d'admiration.

Mais ce qui fonctionne bien, à échelle humaine, n'a pas vocation à rester la propriété d'un petit nombre d'initiés. Or, le savoir, c'est quelque chose qu'il est très facile de complexifier artificiellement. Histoire de se donner des grands airs ou de consolider une place que l'on imagine menacée.
Les auteurs populaires, non-égocentrés, ne considèrent pas le savoir comme un butin à protéger mais comme un terreau propice à leurs récits.
Les conteurs habiles ne s'amusent pas à construire des passerelles branlantes, bardées de pièges, entre leurs lecteurs hypothétiques et le fond qu'ils développent. Au contraire. Ils tendent des mains. Ils construisent des béquilles. Ils ont intérêt à ce que la lumière se propage et ne reste pas le pré carré d'une oligarchie culturelle qui vit de l'apport de la masse mais lui refuse l'accès à la compréhension, et donc au jugement.

La culture populaire n'est pas condamnée à la vacuité. L'on peut même s'en servir pour instruire les enfants, voire même les adultes. Être divertissant n'a jamais été une tare, c'est au contraire une compétence supplémentaire. Pourtant, l'on retrouve cette même réticence à l'égard de la forme accessible aussi bien chez les auteurs que les scientifiques. Comme si faire la gueule et être chiant était un gage de sérieux. Mais non, quand on réussit à emmerder les gens avec le si fascinant domaine scientifique, c'est par manque de pédagogie, de savoir-faire, pas par nécessité ou fatalité.
Roland Lehoucq, par son travail et sa volonté de rester attrayant, permet non seulement aux auteurs de partir sur des bases solides mais il met aussi la magie fondamentale de l'univers à la portée de tous. Pour ce faire, il lui arrive d'utiliser des Jedi ou même Superman. Et il y arrive très bien. Parce que, n'en déplaise à Moore ou Ware, le fond ne dépend pas de la forme.