L'Exoconférence : déception cosmique
Publié le
10.10.15
Par
Nolt
Le nouveau spectacle d'Alexandre Astier, L'Exoconférence, est maintenant disponible en DVD.
On en attendait beaucoup... peut-être trop.
Je tiens à préciser que j'aime beaucoup en général le travail d'Alexandre Astier. Son écriture détonnait déjà dans le milieu médiocre de la fiction télévisuelle française et son spectacle précédent, sur Bach (cf. cet article), était aussi audacieux et émouvant que réussi. Il m'est souvent arrivé de citer cet auteur dans des articles liés à l'écriture (cf. ce dossier) et je piétinais d'impatience à l'idée de voir un nouveau spectacle né de sa plume (au point de vous le conseiller dans le premier UMAC's Digest).
Astier a tant de qualités (liées à la mise en scène, à l'écriture, la musique...) qu'une relation de confiance rare s'est installée entre lui et ses nombreux fans. Au point que beaucoup hurlent maintenant de plaisir au moindre sourcil levé. Mais lorsque l'on s'intéresse au résultat - et au résultat seul - d'un travail, en mettant de côté la fascination que l'on peut éprouver pour un auteur souvent brillant, le bilan ne peut être exclusivement basé sur la sympathie que l'on éprouve pour le bonhomme.
Vous l'aurez compris, si je prends tant de précautions en introduction, c'est bien pour insister sur le fait que moi aussi j'aurais adoré crier encore une fois au génie. Mais les cris de joie et d'adhésion devant une œuvre qui nous transporte n'ont de sens que si l'on peut également émettre des soupirs de tristesse devant un spectacle moins bon, voire carrément mauvais.
Commençons par le positif : la thématique.
L'espace, les OVNI, les théories du complot, la cosmogonie, autant dire une matière riche et passionnante qui n'a d'ailleurs jamais réellement été traitée dans un spectacle comique (à ma connaissance en tout cas). Rien que pour le choix de ses thèmes (la musique, la science), l'on peut reconnaître à Astier une originalité certaine. Une certaine prise de risque même, car la difficulté au moins apparente de certains sujets peut éventuellement rebuter une partie du public, plus habitué à rire sur des anecdotes du quotidien que sur le solfège ou le spin de l'atome d'hydrogène.
Malheureusement, alors que le spectacle sur Bach nous emportait dans un univers maîtrisé et précis, écrit et décrit avec brio, l'on est loin ici du même résultat.
Ce n'est pas faute apparemment de documentation puisque l'on sait que l'auteur a rencontré, pour préparer L'Exoconférence, de nombreux scientifiques, dont Etienne Klein ou Roland Lehoucq (qui est d'ailleurs souvent fort drôle lors de ses conférences, très liées à la pop culture). Non en fait, cette étrange impression de malaise, qui commence dès les premières minutes et s'installe durablement, n'est pas liée à un manque de connaissance ou d'ambition mais plutôt à un ratage complet dans tous les autres domaines.
Le texte tout d'abord, point fort pourtant d'un Astier habitué aux répliques percutantes et finement ciselées, est d'une étonnante pauvreté. Répétitions (la "version 5" qui ne fonctionne pas et les "dialogues" avec Swan qui s'ensuivent), propos inutiles ou fades (l'échange avec Gni-Gni), longueurs et même tics de langage (qui pourraient être considérés comme des clins d'œil mais font office de facilités), tout y passe.
Il y a bien quelques citations pour faire joli et rattraper le tout (dont le "silence éternel des espaces infinis" de Pascal, déjà employé en guise de conclusion dans le sketch d'Astier sur la mécanique quantique, bien plus réussi à tous points de vue) mais, décidément, la plupart des tirades passent à côté et ressemblent à des premiers jets.
Le reste est à l'avenant. La mise en scène se veut spectaculaire mais n'est finalement que chaotique, l'enchainement des sujets, tous survolés, laisse dubitatif, et certains choix d'Astier sont aussi définitifs et surprenants que... prétentieux.
C'est l'impression qu'il reste une fois le spectacle terminé, une prétention infinie mais, contrairement aux espaces, guère fascinante. Une prétention de la forme et du fond. Une suffisance presque, que l'on aurait oubliée volontiers si elle avait été soutenue par des propos hilarants, une mécanique imparable et des concepts bien développés, mais tant sur le plan cosmique que comique, cette conférence s'avère ratée.
Bon, il y a eu du pognon de dépensé, c'est certain (le monde de Gni-Gni est très joli), mais les effets de mise en scène vont du kitsch au clinquant de mauvais goût. Le pire survient sans doute après la fameuse citation évoquée plus haut, qui résonne alors comme une terrible interrogation métaphysique qu'Astier vient combler par... un mini-concert rock. Là encore, si ce moment très gênant avait été soutenu par une construction minutieuse, l'on aurait pu y voir l'apothéose poétique d'un voyage merveilleux au lieu que cela ne sombre dans la vaine démonstration égotique.
Cette prétention (ressentie ou réelle) va se nicher jusque dans la conclusion et les arguments, en apparence définitifs, tenus par un Astier convaincu de sa maigre analyse. Il nous dit ainsi en gros que, oui, il peut bien exister des civilisations extraterrestres mais que cela n'a aucune importance puisqu'elles sont trop loin. Pas "trop loin pour nous, mais trop loin tout court".
Il est juste que les distances interstellaires apparaissent comme proprement stupéfiantes et à peine imaginables à l'échelle humaine, mais prendre une seule hypothèse (le voyage en "ligne droite", qui ne peut donc compter que sur l'augmentation de la vitesse) pour mettre à la poubelle l'ensemble du sujet est étrangement cavalier. L'on sait notamment qu'il existe des hypothèses scientifiques sérieuses, se basant sur les trous de ver ou encore la distorsion de l'espace [1], qui permettent d'envisager des déplacements n'étant pas basés sur le rapport distance/% de la vitesse de la lumière.
Du coup, la conclusion, abrupte et sans nuances, méprisante presque, tombe comme un couperet péremptoire sur la nuque de ceux qui n'ont pas encore abandonné l'idée de progrès. De rêve même. Car, enfin, depuis quand juge-t-on, sur la base d'un savoir actuel bien incomplet, ce qui sera ou non possible demain, dans cent ans ou dans un million d'années ?
Alors qu'Astier caricature, non sans raison, le sectarisme d'une église réfractaire aux avancées scientifiques [2], il se met lui aussi, sans en avoir conscience, à faire preuve du plus grand sectarisme en décernant des bons ou mauvais points de "pensée" [3].
Bref, pas grand-chose de bon à retenir de ce naufrage qui n'est ni drôle ni même réellement informatif (conseiller des jumelles ou une application dont on ne donne pas le nom, c'est un peu court).
Même les anecdotes sur les observations de PAN (cf. cet article sur le rapport COMETA) ou les cas supposés d'enlèvements, pourtant propices à dérision, font à peine sourire.
Tout ici sert non pas le propos mais la gloire d'Astier, enivré par une opinion personnelle mal étayée et finalement classique dans sa rigidité et son ostracisme.
Totalement dispensable.
[1] Il est possible, avec la théorie de la distorsion, de voyager plus vite que la lumière sans dépasser les limites physiques de la théorie d'Einstein. En fait, une sorte de "bulle" munie d'un moteur adéquat pourrait contracter l'espace devant elle et allonger l'espace derrière elle. La bulle, pourtant immobile, pourrait voyager sur la "vague" ainsi créée à des vitesses sidérantes. Le concept, élaboré par le physicien Miguel Alcubierre, est très sérieusement étudié par la NASA au sein du groupe de travail Eagleworks.
[2] N'oublions pas que paradoxalement la science elle-même est réfractaire aux avancées scientifiques. Le nom du fameux Big Bang provient à la base d'une raillerie destinée à tourner en ridicule ce qui est aujourd'hui considéré avec le plus grand sérieux.
[3] Ce n'est d'ailleurs pas la première fois. Dans les bonus des coffrets de Kaamelott, Astier avait raconté une anecdote édifiante sur un chauffeur de taxi. Celui-ci, devant une bagnole en panne, s'était exclamé "une panne mécanique, ça peut arriver, mais un truc que je n'accepterai jamais, c'est la panne d'essence !". Au-delà du fait que l'on comprend bien ce que le type veut dire (la panne d'essence provient d'une étourderie coupable), Astier avait ironisé sur le fait que des gens, comme ça, se permettaient de "juger" les autres, de proclamer ce qui était pardonnable ou pas. Il l'avait indirectement traité de con, sans se rendre compte qu'il était en train, lui aussi, de porter un jugement semblable sur ce qu'il était permis de dire ou non.
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