Hitler par François Delpla
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Voilà un ouvrage historique bien particulier puisqu’il s’agit du Hitler de François Delpla.
Nous allons donc parler de la Seconde Guerre mondiale, des nazis mais aussi et surtout du travail, de plus en plus difficile, des historiens sérieux.

Les ouvrages et les documentaires sur la Seconde Guerre mondiale, Hitler ou le nazisme en général ont toujours été très nombreux. Si vous disposez d’un abonnement à une box quelconque, vous n’aurez aucun mal à trouver chaque jour un vague reportage, plus ou moins bien ficelé, sur le sujet. 
Malheureusement, tout comme l’information aujourd’hui, qui se devrait d’être neutre, l’Histoire et son étude sont de plus en plus contaminées par des notions idéologiques et des jugements de valeur. Et la période 1933-1945 n’est pas la seule touchée, le Premier Empire, le Moyen Age et même l’Antiquité sont peu à peu dénaturés par des principes qui n’ont rien à faire dans le travail historique.
Bien entendu, cela pose de nombreux problèmes déontologiques, dont celui du but de cette recherche historique.

Sur UMAC, nous sommes encore quelques-uns à estimer que l’Histoire doit être une quête de la vérité, quête presque sans fin puisqu’il doit être possible, dans l’idéal, de recouper, corriger, affiner, jusqu’à obtenir non une vérité absolue et immuable mais, au contraire, une photographie d’une époque qui ne soit pas trop loin de la réalité, qui soit remise dans son contexte et qu’il soit toujours possible de retoucher lorsque de nouveaux éléments sont mis à jour.

Or il est peu de dire que Hitler, quoi que l’on puisse en penser, n’a eu que rarement la possibilité d’être présenté de manière dépassionnée. Bizarrement, alors que l’on s’attendrait à ce que le temps remédie aux excès et aux émotions de l’immédiat après-guerre, c’est l’inverse qui s’est produit. Plus le temps passe, plus la propagande (qu’elle ait un but que l’on juge noble ou pas, là n’est pas la question) s’intensifie. Près de 80 ans après la fin du nazisme, presque aucune étude dénuée de sentiment personnel ne peut être trouvée sur sa montée, son idéologie profonde, ses pratiques, ses mentors ou ses succès et échecs. 
Comme si, pour certains historiens, il était plus important de condamner que d’expliquer. Comme si leur but était de montrer patte blanche, en hurlant qu’ils sont de « bonnes personnes », plutôt que de réaliser un travail objectif et pointu. 
Car enfin, c’est au lecteur de tirer une conclusion de faits présentés par un historien. L’historien s’attache à être exact, et chaque individu, libre et doué de conscience, estime ensuite ce qu’il doit en penser. Ce n’est cependant pas du tout la démarche la plus courante, de nombreux ouvrages employant le jugement à l’emporte-pièce, voire le mensonge, pour conforter le mythe que leurs auteurs pensent légitime de défendre.

Attention, je ne suis pas en train de dire, évidemment, qu’il faut être « pro-nazi », ça n’aurait aucun sens, mais dans une démarche historique et didactique, le fait d’être « anti-nazi » n’a pas plus de sens, pire, c’est assez peu honorable, car cela tend à prendre le citoyen pour un benêt qu’il faut encadrer.
Heureusement, il existe des exceptions. Notamment La Dernière Guerre (ou histoire controversée de la Deuxième Guerre mondiale), par Eddy Bauer, historien, journaliste et ex-colonel de l'armée suisse, qui, au travers d’un travail aussi massif qu’exceptionnel, rendait compte de la diplomatie et de la stratégie militaire de cette période sans tout ramener au politiquement correct et à la bienséance de salon. Le Hitler de Delpla s’inscrit dans cette logique.

L’ouvrage est-il parfait ? Probablement pas, mais il est de qualité et la démarche de son auteur est louable. Il commence bien entendu avec l’enfance et la jeunesse du Führer, sa période militaire, en pleine Première Guerre mondiale, puis sa prise de contrôle du NSDAP, son arrivée au pouvoir, ses conquêtes et sa chute. Delpla va patiemment démonter certains mythes, toujours colportés par diverses ganaches (Hitler était juif, Hitler n’avait qu’une couille… oui, c’est de ce niveau-là), pour revenir, comme son travail l’exige, aux sources et recouper chaque affirmation. La rigueur est présente et indéniable. De la même manière, l’auteur ne nie pas à Hitler son statut d’être humain ou ses qualités. Cela semble ahurissant de nos jours, après 80 années de lavage de cerveaux, de parler de « qualités » à propos du chancelier du IIIe Reich, mais il est juste impossible qu’il en eût été dépourvu. Cela ne veut pas dire qu’il était sans défauts, mais il ne pouvait pas non plus les avoir tous. Ces dernières années, des reportages de moins en moins « historiques » l’ont qualifié (en vrac) de menteur, drogué, incapable, malade, homosexuel, impuissant, pédophile, voleur, demeuré, etc. Certains éléments sont même contradictoires, et ne sont étayés par rien. Cette mise à plat de Delpla est donc salutaire tant le grand public ne connaît pratiquement que des idées reçues [1] concernant cette période à juste titre qualifiée de "trouble" .

Alors, va-t-on apprendre de nouvelles choses avec ce livre ?
Eh bien, oui et non. Si vous êtes un amateur de cette période historique, vous en connaissez les grandes lignes. À ce niveau, mis à part quelques ajustement mineurs (souvent sur la motivation de Hitler ou d’un personnage ayant joué un rôle à l’époque), vous n’apprendrez donc rien de révolutionnaire. Par contre, la mise en contexte (qui fait si souvent défaut à la plupart des biographies du même genre) est ici remarquable et parfaitement argumentée. Que ce soit pour sa période artistique, son activité réelle pendant le premier conflit mondial ou ses relations avec les puissants de l’époque ou ses subalternes, Hitler bénéficie, peut-être pour la première fois, d’une approche honnête, mesurée et circonstanciée (ce qui, encore une fois, semble presque être un crime, alors que c’est un travail historique normal). 

Certains ahanent depuis des lustres que ne pas suffisamment connaître l’Histoire, c’est prendre le risque qu’elle se répète. Outre le fait que pour la connaître, il faudrait alors arrêter de l’emballer dans un prêt-à-penser dangereux, je pense sincèrement que c’est une idiotie. L’Histoire n’est pas cyclique, elle est contextuelle. Des faits, des besoins, des actes, des injustices, des manipulations amènent les forces du moment à devenir sinon majoritaires du moins suffisamment importantes pour faire basculer une situation. Hitler avait des qualités, de stratège, d’orateur, d’idéologue halluciné, et aussi des défauts, une certaine mégalomanie, un manque de souplesse (surtout du point de vue militaire et stratégique), mais ce n’était ni un fou ni un monstre. C’était un homme, souvent brillant, parfois terrifiant, ancré dans son époque et porté par des gens qui l’ont aimé véritablement et ont vu en lui un sauveur, un leader, un dieu presque. De sa politique, vouée à rendre à son peuple ce dont il avait été dépossédé, a découlé bien des souffrances, pour les Juifs, les Allemands eux-mêmes, les Français ou le « brave soldat ricain venu mourir loin de chez lui ». Adolf Hitler est devenu alors une sorte d’épouvantail à moineaux, une manière facile de condamner ce que l’on ne veut pas regarder en face et comprendre.
Mais comprendre Hitler et sa politique est au contraire indispensable pour qui veut appréhender le monde dans lequel il vit et les nombreuses dérives qui, actuellement, limitent nos libertés. 

On ne peut comprendre la Seconde Guerre mondiale sans comprendre la Première. Et on ne peut comprendre la Première Guerre mondiale sans comprendre ce qui a découlé de la guerre de 1870 ou de l’épopée napoléonienne. Tout est lié. Et on ne peut comprendre aucun sujet historique sans le remettre dans son contexte et tenter de se mettre à la place de « l’ennemi », du « vaincu », de celui qui est présenté comme « méchant » et porteur de tous les défauts de la Terre.
Ce qui se passe aujourd’hui est directement lié à ce qui s’est passé hier. C’est en jouant sur vos méconnaissances et des opinions présentées comme indéboulonnables que des dirigeants sans scrupules et pas aussi démocratiques qu’ils veulent bien le dire se permettent de jouer aux dés avec vos vies.
Mais tant qu’il y aura des auteurs, des historiens, des érudits avec des neurones en état de fonctionnement et un certain courage intellectuel, alors, les ténèbres et leur ode à l’ignorance et la facilité ne seront jamais totales.

Ce n'est pas seulement Hitler que l'on comprend mieux en lisant l'ouvrage de Delpla, mais l'importance d'une quête du vrai dans un métier essentiel : celui qui consiste à enseigner, à ceux qui ne l'ont pas vécu, un passé récent ou lointain, bardé de tares, d'imprécisions, de mensonges, de faits revisités et d'opinions personnelles. 
Delpla et les siens ne sont pas seulement des passeurs d'histoire, mais des chercheurs de pépites. Comme les chercheurs d'or, ils tamisent, ont les mains et les pieds dans la boue, cherchent à trouver la vérité qui pourrait briller et se révéler au sein d'une eau polluée et charriant des monceaux de pierres sans intérêt. Mais contrairement à bien des quidams risquant leur vie naguère et s'enfonçant dans un Yukon hostile et froid, ils ne le font pas par appât du gain. Ce qu'ils recherchent est plus noble, plus important aussi qu'un métal doré et rare. Ce qu'ils tentent de nous transmettre, c'est une parcelle de passé. Un bien plus précieux que l'or et qui est indispensable quand on souhaite se forger une opinion ou prendre une décision. 

Un véritable travail historique ne peut être manichéen ou monochrome. C'est cela qui le différencie de la propagande. Le propagandiste s'adresse à la foule et à ses sentiments. Son propos est brutal et satisfaisant. L'historien, lui, s'adresse à l'individu et son intellect. Son propos est subtil et agaçant (parce qu'il ne recouvre jamais parfaitement ce que l'on voudrait qu'il cache). 
Le propagandiste a son utilité en temps de guerre. Mais en temps de paix, il est plus sage de lui préférer l'historien. Parce que c'est censé être celui qui ne ment pas. Et qui a vraiment envie qu'on lui mente une vie durant ? 
Le Hitler de Delpla va gratter un peu si vous avez une vision déformée du monde, mais quelques démangeaisons ne sont pas cher payé pour qui veut voir le réel et non sa version édulcorée et transformée par des gens qui ne poursuivent pas forcément de nobles buts.


Carte issue du colossal ouvrage "La Dernière Guerre", publié en 40 volumes illustrés par les Édtions Atlas.



[1] Les grands clichés concernant la Seconde Guerre mondiale sont presque tous faux :
- « Sans les Américains, on parlerait allemand » : FAUX
En réalité, même si l’on ne peut minimiser l’apport des États-Unis, notamment en termes industriels, sans le débarquement allié du 6 juin 1944, l’Allemagne aurait tout de même perdu la guerre (elle est perdue dans les faits depuis 1943 et la bataille de Koursk) et les Européens se seraient retrouvés sous domination soviétique. C’est pour ne pas laisser l’URSS contrôler toute l’Europe que les Américains interviennent.
- « Ce fut un affrontement entre les tenants de la liberté et les racistes » : FAUX
À cette époque, tous les pays ont plus ou moins des éléments « racistes » dans leur mode de fonctionnement. Les États-Unis notamment vont conserver la ségrégation raciale jusqu’en… 1964, ils ne viennent donc pas affronter des « méchants racistes » dont ils condamneraient l'idéologie.
- « La bataille des Ardennes a failli remettre le Reich en selle » : FAUX
Même si la météo avait favorisé la contre-offensive allemande pendant quelques semaines de plus, l’armée allemande est à cette période en déroute, elle ne dispose plus de carburant pour ses chars ou de munitions pour ses soldats, et son aviation est exsangue. C’est un sursaut symbolique, pas une possibilité de renverser le cours de la guerre.
- « Hitler voulait conquérir le monde entier » : FAUX
Le nazisme est une idéologie purement germanique qui ne peut s’exporter pour tout un tas de raisons. Hitler voulait surtout conquérir un « espace vital » à l’Est, et en cas de victoire totale, il aurait sans doute lorgné sur quelques colonies, mais la conquête du monde n’était pas dans ses objectifs (et aucun élément, écrit ou rapporté, ne permet de défendre une telle hypothèse).
- « Les nazis étaient des suppôts du Mal » : FAUX
Personne ne se voit comme l’incarnation « du mal », les nazis – aussi détestable que soit le souvenir que certains en gardent (des gens qui ont réellement souffert) – avaient (de leur point de vue) de nobles aspirations. Ils étaient même en avance sur leur temps dans le domaine de la protection animale ou du respect de la nature. Ils voulaient également mettre fin aux pratiques usuraires et aux dérives de la finance. Tout n’est pas « mauvais » ou faux parce que la personne qui défend une idée est conspuée depuis des années. Si Hitler avait émis l’idée que la neige était froide, il aurait raison, encore aujourd’hui.
- « L’occupation a été une période terrible en France » : FAUX
Les soldats de la Wehrmacht ou ceux de la Waffen-SS avaient tous l’ordre de bien se comporter en France, qui faisait partie des pays « respectés » par l’idéologie nazie (et qui n'avait pas vocation à être intégrée au Reich, au contraire de la Moselle et de l'Alsace, qui sont des terres historiquement germaniques). Des manuels décrivant les mœurs françaises (très différentes à l’époque de celles de la populace germanique) et la meilleure façon de se comporter avaient même été distribués aux troupes d’occupation. Bien entendu, la Gestapo (littéralement, « police d’État ») a traqué ensuite ce que l’on appelle aujourd’hui des « résistants » et qui n’étaient, de son point de vue, que des terroristes qui assassinaient des officiers ou des soldats en permission. Quand la situation a commencé à très largement échapper aux troupes allemandes, c'est alors que des débordements et des massacres ont eu lieu. Ils sont condamnables, mais ces débordements et massacres ne proviennent pas de l'occupation en elle-même, civilisée, mais de la déroute, toujours bestiale, quelle que soit la nationalité de celui qui la subit. 
- « Ce sont les forces de l'Axe qui déclenchent une guerre à grande échelle » : FAUX
Ce sont le Royaume-Uni et la France qui déclarent la guerre à l'Allemagne après l'intervention des troupes du Reich en Pologne. Techniquement, ce n'est donc pas l'Allemagne qui plonge l'Europe dans un conflit généralisé, bien que son expansion territoriale soit évidemment un élément déclencheur. De la même manière, alors que Pearl Harbor est souvent représenté dans l'inconscient collectif comme une odieuse et injustifiée attaque japonaise contre les États-Unis, en réalité, cette attaque est la conséquence de lourdes sanctions économiques imposées au Japon par les Américains. Les responsabilités sont donc partagées et rarement imputables à une seule nation. 
- « Les Allemands ont commis des crimes de guerre » : VRAI et FAUX
La notion de « crimes » de guerre est en soi particulière, mais surtout elle dépend uniquement du fait qu'un belligérant soit ou non vainqueur. Si les Allemands ont commis des crimes, notamment à l'encontre de la population juive, ils ne sont évidemment pas les seuls. Les Américains, avec l'emploi de bombes atomiques sur une population civile ou la destruction totale de villes européennes afin de les « libérer » par des bombardements massifs, sont au moins tout aussi coupables de crimes atroces. D'ailleurs, durant le procès de Nuremberg, l'un de leurs généraux dira  : « Heureusement que nous avons gagné, sinon c'est nous qui serions assis sur le banc des accusés. » Les Soviétiques, eux, allaient même jusqu'à tirer sur leur propres soldats quand ceux-ci se repliaient. Et toutes les armés ont commis des viols et des exécutions sommaires. Bref, une guerre, c'est rarement propre. Les rôles de « gentils » et de « méchants » sont attribués a posteriori et ne reflètent que très imparfaitement la réalité, toujours plus complexe et non-manichéenne.  


PS : cet article est publié dans la catégorie "roman", mais il faut bien entendu comprendre par là "livre", puisqu'il s'agit d'un ouvrage historique et non de fiction.