Dawnrunner
Publié le
21.1.25
Par
Vance
Un album aux proportions généreuses est apparu sur les étals de vos librairies préférées peu avant les fêtes de fin d'année. En voici le pitch :
Une faille dimensionnelle a surgi quelque part sur Terre, de laquelle des créatures monstrueuses ont surgi. Passées les premières défaites, les nations humaines ont réagi en s'associant pour mettre au point la technologie qui leur permettra de venir à bout de ces envahisseurs invincibles ; des robots géants, pilotés par l'homme, ont réussi à égaliser les chances. Désormais, la tendance s'est inversée, ces pilotes de mechas, devenus de véritables superstars, tiennent la dragée haute aux terreurs de l'au-delà...
Et là, comme un seul homme, vous vous levez pour hurler : "Je connais, c'est Pacific Rim !" tout en vous demandant si cela n'était pas déjà sorti en bande dessinée. Perdu ! C'est de Dawnrunner, écrit par Ram V et publié chez Bragelonne, que nous allons parler.
Et là, je sens que vous faites la grimace. C'est que ça ressemble tellement à l'intrigue du film ! Et vous avez raison. C'est sans aucun doute un élément qui risque de limiter l'intérêt de l'ouvrage, la crainte de ne lire qu'une resucée, même talentueuse, d'un film certes primaire mais très réussi (contrairement à sa suite nettement plus laborieuse). Je ne vais pas vous mentir, j'ai même failli reposer l'album après une dizaine de pages, tant j'avais l'impression de lire une pâle copie du script de Guillermo Del Toro.
Pourtant, c'est de Ram V qu'il s'agit, et l'auteur nous avait enthousiasmés avec deux de ses précédents comics : le moins que l'on puisse faire c'est de lui donner sa chance et d'aller au bout du projet pour voir ce qu'il a dans le ventre.
Bien nous en a pris. Est-ce que la suite ôte le sentiment de déjà-vu trop tenace ? Non, ce serait exagéré de le prétendre. Toutefois, sur la base d'une histoire sans surprise, le scénariste élabore quelque chose de plus subtil, plus profond et déconcertant. De Pacific Rim, on se sent glisser insidieusement vers du Mamoru Oshii (tendance Patlabor) voire le Hideaki Anno d'Evangelion. C'est un peu comme si on avait deux récits parallèles, chacun étant intimement intriqué dans l'autre.
Reprenons. Anita Marr est la pilote vedette de la société Cordon : chacune de ses sorties contre les Tetzas, ces monstres qui émergent régulièrement de la faille ouverte un siècle auparavant en Amérique centrale, est suivie par des millions de fans, et ses prestations aux commandes d'un des Iron Kings sont quotidiennement commentées. De ce fait, elle est chouchoutée outre-mesure par son PDG et mentor, qui décide de surfer sur ce succès, au point de refuser de partager ses avancées technologiques avec les quatre autres firmes produisant les armes capables de faire face aux Tetzas. D'ailleurs, c'est à Anita qu'est promis le tout dernier modèle d'Iron King, au nom de code ronflant : Dawnrunner bénéficie des progrès stupéfiants réalisés en étudiant ces envahisseurs, notamment en termes d'interface homme/machine. L'objectif est de réduire le temps de latence entre l'ordre conscient et le geste sur le champ de bataille : chaque milliseconde gagnée pourrait sauver des vies. À défaut d'être parvenus à déchiffrer le langage de ces monstres (au bout de cent ans, quand même !), les scientifiques de Cordon promettent un avenir radieux à Anita aux commandes de leur dernier joujou.
Évidemment, tout ne se passe pas comme prévu : plongée dans la cuve permettant la meilleure connexion possible avec la machine, Anita se retrouve immergée dans les souvenirs d'un autre, un homme à la recherche de ses enfants, au tout début de l'invasion Tetza... Et plus elle utilise son Jaeger robot, plus la connexion est profonde, au point qu'elle en arrive presque à fusionner avec l'individu, vivant ses propres aventures, pourtant vieilles de plusieurs décennies. Mais dans le temps présent surgit de la faille une créature sans commune mesure avec ce qui en était sorti auparavant... si Anita ne reprend pas le contrôle, personne ne sera en mesure de vaincre ce titan et le monde sera perdu.
Rien de bien original, on le voit. Néanmoins, Ram V parvient à insérer un brin de suspense presque l'air de rien, notamment lorsqu'un des partenaires de notre héroïne, qui surveille ses connexions neurales, lui annonce que le gars avec qui elle est en symbiose n'a jamais retrouvé ses enfants : dans ce cas, si ce ne sont pas des souvenirs, est-elle en train de réécrire le passé ? Et ce père de famille, peut-il alors interférer sur le présent ? Oui car en outre, Anita élève seule une fille qui se meurt à cause d'un virus importé par ces satanés aliens... Voilà un embrouillamini assez touffu qui redonne du piment au concept. Et c'est tant mieux car, côté dessins, on n'est pas à la fête. Attention ! Evan Cagle n'est pas le dernier venu, loin de là, et il nous gratifie de temps à autre de planches absolument magnifiques. Ce graphiste de formation nous campe une Anita fort séduisante, racée et énigmatique, accompagnée de personnages aux visages subtilement dépeints. Les tenues et les décors sont particulièrement soignés. Reste que l'un des axes principaux de l'album consiste en une confrontations entre des géants mécaniques et des créatures monstrueuses, et là, c'est la cata : on n'y comprend goutte, on a un mal fou à réussir à deviner la morphologie d'un Tetza dans ce fouillis de lignes qui s'entrecroisent et ce n'est guère plus évident quant au design des Iron Kings. Les scènes de combat sont illisibles et les phylactères n'aident guère : on ne parvient pas à savoir si le mecha a tranché un membre, vidé son chargeur ou décoché une mandale titanesque, on sait juste que c'est cataclysmique. Dommage, et terriblement frustrant. La galerie de dessins préparatoires en fin de volume apportera une petite aide bienvenue cependant, démontrant le sérieux de l'entreprise.
Un album qui, cette fois, ne fera pas date, intéressant mais pas aussi réjouissant qu'il aurait pu l'être, et plombé par cette persistante impression de déjà vu.
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