Se7en : beau film et atroce constat
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Thriller noir et tragique mais aussi constat lucide et amer sur l’évolution de la société moderne, Seven reste, plus de 20 ans après sa sortie, un incontournable chef-d’œuvre d’une rare profondeur.
Petit retour analytique sur ce film à la force encore intacte.

C’est en 1995 que l’on peut découvrir Seven au cinéma. Pendant 130 minutes, David Fincher sublime un scénario d’Andrew Kevin Walker, livrant un long métrage coup de poing à l’esthétique léchée et à l’incomparable maîtrise technique, photographie en tête.
Morgan Freeman et Brad Pitt interprètent deux flics, William Somerset et David Mills, aux prises avec un épouvantable tueur en série, John Doe, joué par Kevin Spacey.
Si vous ne connaissez pas l’histoire, nous vous conseillons de voir le film avant de lire cet article car ce qui suit dévoile l’intrigue dans son intégralité.
Plutôt que de revenir sur la symbolique des sept péchés capitaux, limpide, nous allons nous attacher à d’autres aspects, tout aussi fascinants, de Seven.

1. Personnages et faux trio
Alors que l’on pourrait les croire opposés, les deux protagonistes ayant le plus en commun sont Somerset et Doe. Tous les deux sont intelligents, cultivés, patients, et tous les deux sont arrivés au même constat sur la société. Seules leurs réactions face à ce constat divergent : Somerset, vieux flic blasé, proche de la retraite, a développé une forme de fatalisme bienveillant alors que Doe, lui, va verser dans le délire métaphysique criminogène.
La véritable opposition se situe donc du côté de Mills, enquêteur impulsif adoptant un optimisme presque juvénile. Somerset et Mills sont si différents qu’il faudra l’intervention de la compagne de ce dernier pour qu’ils se « rencontrent » vraiment et parviennent à une véritable relation de travail. Il est intéressant de noter que Tracy Mills, en incarnant l’image de l’épouse modèle, de la mère aussi (elle est enceinte, mais aussi enseignante, ce qui n’est pas anodin), reste (avec le Livre, comme nous le verrons plus tard), la seule touche positive du film.
Cette disposition psychologique asymétrique des personnages n’est donc pas très courante puisque, à la vision de Mills, s'oppose celle de son collègue plus expérimenté et du tueur qu’ils poursuivent. Bien qu’encore une fois leur réaction soit différente, l’incarnation de la sagesse (Somerset) est parvenue au même constat que l’incarnation de la folie (Doe) : le monde est un cloaque.
Et pour mettre en scène cet égout moral, Fincher va utiliser un autre personnage. La ville.

2. Enfer Urbain
Rarement l’on aura vu un environnement urbain aussi bien décrit dans ce qu’il peut avoir d’angoissant et oppressant (avec des relents de Brazil parfois). La ville est sombre, éclairée par une lumière sale, jaunâtre. Les ruelles sont nombreuses, petites, sordides. La circulation est dense, le bruit constant. Des trombes d’eau s’abattent sans discontinuer sur cet enfer devenu le réceptacle de tous les vices.
Chose rare, même l’appartement de Tracy et David Mills, qui devrait être un havre de paix, est « contaminé » par la pollution urbaine, puisque situé à proximité d’une ligne de métro qui cause régulièrement tremblements et vacarme.
Même le bureau de Somerset (qui deviendra celui de Mills) au commissariat est étriqué, sombre. Les casiers sont ternes, la lumière provenant de l’extérieur presque inexistante. Lorsque les deux inspecteurs se retrouvent dans une salle plus spacieuse des locaux de la police, il s’agit d’une fourmilière presque plus angoissante encore, dans laquelle s’alignent des tas de bureaux éclairés au néon et pleins d’un fatras épouvantable.
Dans Seven, l’on n’échappe pas à la ville, au système qui s’impose au détriment de l’humain. Le glauque est présent à l’extérieur mais il s’infiltre dans les foyers et sur le lieu de travail.
Même lorsque, enfin, les flics quitteront la ville en voiture avec Doe, pour se perdre dans une nature désertique et aride, la ville les poursuivra par la présence de pylônes électriques immenses. Ainsi, même la campagne évoquée à plusieurs reprises (par Tracy qui en vient, par Somerset qui rêve d’aller travailler dans une ferme) est peu à peu rongée par les maux de la ville, donc du système.
L’univers dépeint est d’autant plus angoissant qu’il ne semble pas y avoir d’échappatoire possible. Pourtant, il existe une planche de salut… celle de la connaissance.



3. Une Bulle de Beau
La connaissance en général, et le pouvoir du Livre en particulier, sont évoqués à de multiples reprises dans le film, souvent d’ailleurs dans des buts différents.
C’est par leurs lectures communes que Somerset parvient à identifier Doe. Les deux personnages lisent beaucoup, ils écrivent aussi (Doe, ses pensées sur des milliers de cahiers, Somerset, des rapports, tapés à la machine, ce qui lui donne une distance par rapport à la chose écrite que n’a pas Doe). À L’inverse, Mills peste contre les bouquins, s’énerve, a du mal à comprendre même certains noms (il prononce « Sade » comme le nom de la chanteuse [1]).
Les livres ne sont pas seulement utilisés pour souligner la proximité ou l’opposition des personnages, ils sont aussi (avec Tracy) la seule note d’espoir du film. Un espoir cependant bien mince et teinté d’amertume. Alors que Somerset se rend dans une bibliothèque pour y faire des recherches, il déambule parmi les rayons. La lumière est artificielle mais plus discrète, moins crue que celle diffusée au commissariat. Les livres demeurent dans la pénombre, pleins de mystère. En fond sonore, plus de bruits de circulation, de cris ou de polutions mécaniques, mais… du Bach. Des violons. Un moment de grâce, une bulle de beau au milieu de la merde.
Mais les livres, bien sûr, ne règlent pas tout. La bibliothèque est vide, seuls quelques gardiens, qui jouent au poker, sont présents. Somerset leur fera la réflexion qu’ils ont des milliers de livres à portée de main et qu’ils préfèrent jouer aux cartes. La réponse, cruelle, ne se fera pas attendre. « On sait tout ce qu’il y a à savoir » dit l’un d’eux sur le ton de la plaisanterie.
Le désintéressement de la populace pour les ouvrages écrits et la connaissance en général sera ainsi plusieurs fois souligné (Tracy est déprimée car les conditions de travail, en ville, sont si épouvantables qu’elle ne peut pas exercer son métier de professeur). Fincher et Walker parviennent ici à revenir sur la cause première de tout effondrement sociétal et civilisationnel : si l’enseignement n’est plus assuré, si les livres sont délaissés, la pensée niée ou corrompue, alors tous les autres domaines s’effondrent, de la morale à l’économie en passant par la justice ou la science.
Car sans réflexion, seule l’émotion surnage.

4. Humain par la rage
La fin du film est évidemment tragique [2]. Elle est pourtant inéluctable et brillamment construite. Mills, réfractaire aux livres (« c’est de la poésie de pédé ! » s’exclamera-t-il dans un élan de colère) est manipulé par un Doe dérangé et sadique mais familier du Papier. Somerset, lettré et respectueux des livres, tente de venir en aide à son collègue, mais c’est tout bonnement impossible.
Mills n’a ni le recul ni l’expérience de Somerset, il est jeune, porté par un idéal utopiste. Il s’est fermé à des voies essentielles qui auraient pu l’amener à d’autres choix.
Un être humain est un mélange, pas toujours équilibré, d’émotion et de réflexion. Hors causes psychiatriques, la réflexion vient toujours contrebalancer la pulsion émotionnelle. Dans un cas aussi extrême, peut-être ne serait-elle pas suffisante, mais l’on voit dans le film que Mills cède à l’émotion dans d’autres cas (quand il fracture la porte de l’appartement de Doe, au risque d’annuler toute procédure judiciaire par la suite).
Sans construction suffisante de la pensée, la réponse émotionnelle est la seule possible. Elle n’est pas seulement possible, elle devient nécessaire.
Sans cette réponse, que serait Mills ? Pas grand-chose, car s’il échappe à la réflexion ET à l’émotion, alors il n’a plus rien d’humain. Cette colère qui l’habite est une manière de boucler la boucle non pas tant pour Doe (qui après tout n’est qu’un pauvre taré assassin) mais pour Fincher, qui démontre ici qu’une société délabrée, apathique et amorale ne peut engendrer de la part de ses composantes qu’une réponse émotionnelle violente.
À ce point de l’analyse, l’on pourrait alors objecter que Somerset, lui, n’est pas violent, qu’il est lucide, calme et réfléchi. Ce qui nous amène au pire…



5. Noir extrême
Somerset, à bien des égards, est infiniment sympathique. Il est intelligent, bienveillant, de bon conseil, il respecte la loi, aide Tracy… c’est le brave type que l’on aimerait tous avoir comme pote. Sauf que… si Somerset est aussi tranquille, c’est qu’il a renoncé à sa condition humaine.
Tout d’abord, il est célibataire. Il n’a pas d’attache sentimentale. Ensuite, il a eu l’occasion d’avoir un enfant et a demandé à sa compagne de l’époque d’avorter. Non parce qu’il ne l’aimait pas, mais parce qu’il estimait que mettre un bébé au monde dans un tel système, dans un monde aussi violent et injuste, était une folie. Somerset ne « joue pas le jeu » dans le sens où il se construit un mur émotionnel qui le rend intouchable. Ce détachement, ce recul, cette froide analyse ne lui vient pas seulement de son expérience mais de sa volonté de s’extraire des joies et des peines de la vie. Si Mills cède trop à l’émotion, Somerset commet, lui, l’excès inverse.
Somerset s’apparente ainsi bien plus à un robot insensible qu’à un humain. Il est méthodique, son appartement est rangé d’une manière minutieuse, il a toujours une apparence parfaite (contrairement à Mills qui se roule par terre avec ses chiens), même un métronome, présent chez lui, donne à son intérieur un ton mécanique. Surtout, il n’a personne à aimer, pour qui s’inquiéter.
Mills est mort involontairement, du moins moralement (il est inconcevable qu’il se remette de la mort de sa femme, seul élément positif de son monde, lui qui n’a pas accès à la « bulle de beau » évoquée plus haut), Somerset est mort depuis longtemps (en se privant de l’amour d’une femme, du risque lié au fait de devenir père, il s’est privé de l’essentiel de la condition humaine), Doe est mort physiquement (le seul qui ait réellement désiré cette mort d’ailleurs), seul le système perdure, atrocité poussée par une force d’inertie inéluctable.
C'est la Nuit Totale. 
Il n'y a rien à quoi se raccrocher. Soit on nie la réalité (Mills) et l'on en devient la victime, soit on la sublime au sens strict du terme (Doe) et l'on devient un criminel, soit on la met à l'écart (Somerset) et l'on se déshumanise aussi, d'une manière moins violente mais bien plus radicale encore. 

Se7en, plus de 20 ans après sa sortie, n’a rien perdu de son impact émotionnel. Surtout, chaque vision permet d’en apprécier les nombreuses subtilités et l'horlogerie implacable.
Cette métaphore sur l’état de nos sociétés est l’une des plus dures mais aussi des plus lucides parmi celles qui ont été portées à l’écran. Elle n’épargne rien ni personne et ne laisse que peu d’espoir quant à l’avenir. D’autant qu'en 1995, le constat était violent, le trait appuyé, alors qu’aujourd’hui, je le crains, le film apparaît comme bien en dessous de l’atrocité du réel.

Le film se termine sur cette citation de Somerset, citant lui-même un auteur fabuleux :
« Hemingway a écrit "Le monde est un bel endroit qui vaut la peine que l’on se batte pour lui". Je suis d’accord avec la seconde partie. »
J’ai bien peur pour ma part de n’être d’accord avec aucune partie de la citation d’Hemingway. Ce qui en dit long sur moi mais probablement aussi sur vous le monde.




[1] Un exemple de plus montrant que les VF sont très souvent bien en-deçà du texte (voire du sens) de la VO. En VF, Mills dit simplement « marquise » à la place de « marquis », ce qui lui donne certes l’air d’un benêt mais n’a pas vraiment de sens, alors que la VO le montre faire une confusion entre une chanteuse et le nom d’un écrivain, ce qui en dit un peu plus long sur les habitudes du flic, plus impacté par la radio que les bibliothèques. Plusieurs sites présentent d’ailleurs la confusion comme réelle, Pitt s’étant apparemment trompé lors de la scène et ayant insisté (avec raison) pour conserver l’erreur qui nourrissait parfaitement le personnage.   
[2] Nous avons cependant échappé à deux fins insipides et idiotes. Les studios ont en effet suggéré à Fincher une happy end, où Mills sauvait sa femme, ce qui évidemment enlevait toute sa force au final et venait à l’encontre de tout le propos du film. Pire encore, il fut proposé au réalisateur une fin dans laquelle la boite livrée en rase campagne ne contenait pas la tête de Tracy mais… celle d’un des chiens de Mills. Peut-on faire plus con ? Oui, il ne faut jamais sous-estimer l’imagination d’un commercial. 
Activités paranormales et franches rigolades sur youtube
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Petit sujet particulier sur un domaine qui fait fureur sur youtube et amène un tas de margoulins à truquer – plus ou moins bien – leurs vidéos : le paranormal et, notamment, les « chasseurs de fantôme ».

Je commence par préciser que je ne porte aucun jugement de fond sur le paranormal en général. Il existe d’ailleurs parfois des sujets relativement bien faits (mais qui n’ont rien de spectaculaires) qui traitent d’expériences réellement troublantes. N’oublions pas non plus que la science elle-même défend des dogmes qui sont amenés à changer et qu’elle ne pourra de toute façon jamais expliquer « tout », ne serait-ce que l’existence de l’univers [1].
Faut-il croire aux esprits, aux phénomènes de hantise ? Je n’en sais fichtre rien. Il convient certainement de garder l’esprit ouvert et parallèlement d’éviter de tomber dans la crédulité totale. Ce qui n’est peut-être pas chose facile pour de très jeunes gens ou des personnes souffrant de troubles psychologiques ou de difficultés passagères.

Il existe un chasseur célèbre sur youtube, plutôt sympathique, dont le pseudo est GussDx. Il n’aborde d’ailleurs pas que le seul domaine du paranormal mais aussi le gaming par exemple. Il a été totalement décrédibilisé en avouant un jour avoir truqué l’une de ses vidéos. Un peu dommage d’autant que le gars n’était pas un illuminé et que certains de ses reportages avaient même parfois une certaine valeur culturelle ou historique par rapport aux lieux visités.
Enfin bon, il s’est laissé avoir au jeu du spectaculaire, mais il a avoué. Rien de méchant, personne n’est à l’abri d’une erreur, et en plus, le mec assume.

Tout le monde n’a cependant pas ce genre de remords ou d’intégrité. Il existe des spécialistes du fake qui osent tout et se moquent bien en réalité du sujet qu’ils traitent ou des gens à qui ils s’adressent. Et dans ce domaine, il en est un qui surpasse tout le monde : Jery, chasseur de fantômes. Vous trouverez facilement sur youtube des exemples de ses « enquêtes ».
Même si ça m’embête un peu de lui faire de la pub, je ne résiste pas à l’envie d’évoquer le François Pignon du paranormal. Parce que vous allez voir, ce n’est vraiment pas le plus doué de la bande. Et ce qui est gênant, c’est qu’il en vient même à proposer ses « services » à des gens apparemment en grande détresse. Et là c’est beaucoup moins drôle.


Alors, voyons un peu le gaillard. Déjà, Jery, c’est monsieur 100%. Où qu’il aille, il rencontre systématiquement des « phénomènes paranormaux », ah ben, ça serait con de gâcher une vidéo. Il faut dire que pour lui, un plancher qui craque ou une vague ombre au fin fond de la forêt, c’est une entité.
Oui, à ce compte-là, chez moi aussi c’est Amityville, et la forêt derrière chez moi, c’est Blair Witch.
Bien sûr ce grand enquêteur ne peut pas se contenter de petites choses banales comme ça, donc il truque ses vidéos. Cela a déjà été démontré techniquement sur le net, des internautes ont par exemple retrouvé des sons dont il s’est servi (il les a collés en stéréo sur une piste mono, en inversant simplement le sens de lecture) ou encore ont repéré des coupures lors de scènes présentées comme tournées en continu. Mais, démontrer techniquement ses élucubrations, c’est lui faire un bien grand honneur car, honnêtement, rien ne va dans ses reportages et on se marre au bout de cinq minutes.

D’abord, c’est un bien piètre acteur. Il faut le voir jouer l’étonnement ou la peur, dans le genre « j’en fais des caisses », ça vaut le détour. Mais surtout, rien ne colle jamais, tout est mal improvisé, plein d’hésitations, d’incohérences, d’énormités, c’est un festival. C’est même souvent (involontairement) très drôle. Par exemple, Jery s’est fait attaquer par Amon, un démon égyptien (qu’est-ce qu’il foutait en France, on ne sait pas, peut-être avait-il eu vent de la réputation de Jery) qui l’a méchamment griffé pendant son sommeil. Ooh ! Oui, les démons, ça griffouille de nos jours, c’est plus ce que c’était.
Attention quand même, Amon, c’est déjà le démon costaud et gradé, une sorte de général, chef de 40 légions démoniaques, à l’origine des loups-garous, c’est pas le peigne-cul du coin, il a un joli CV. Et en même temps, vu que c’est gratos, Jery n’allait pas prendre un sous-fifre. Lucifer himself, ça aurait été trop gros, mais Amon, il s’est dit que ça passait.
Bref, il se filme en nous montrant son bide et de vagues traces de griffures (je l’imagine en train de se lacérer avec le capuchon de son Bic… misère) et explique qu’il a peur (normal) et qu’il hésite à retourner à l’endroit où il a rencontré le fameux démon (normal, si un truc comme ça t’arrive, tu flippes sévère). Sauf que là, s’il hésite, c’est dit-il parce « qu’il se connaît, s’il y retourne, il va lui rentrer dedans ».
OK, le mec traite cette affaire (un minimum dangereuse si elle était vraie) comme une embrouille avec un voisin quoi. Il a peur de ne pas pouvoir se contenir en fait, haha.

Évidemment, Jery est très courageux, donc il décide d’y aller, parce que « ça se fait pas d’agresser les gens comme ça ». Et là, il se livre à une séance d’exorcisme à se pisser dessus. Du jamais vu. Même dans une parodie, personne n’aurait osé ça. Il parle au démon comme si c’était une racaille de quartier, il s’énerve tout seul, tape un sketch hallucinant qui ferait passer Jim Carrey pour un introverti qui joue tout en retenue.
Jery contre Amon reste pour moi l’un des chefs-d’œuvre youtubesques comiques incontournables, c’est bien simple, c’est beau comme du Azoulay. Mais il y a des gens qui, contre toute attente, prennent ça au premier degré. Pourtant on ne peut pas dire que le mec fasse des efforts niveau crédibilité.


Un truc qui est très difficile à faire quand on ment (surtout quand on improvise, or Jery, c’est pas le bosseur minutieux, c’est plutôt le glandeur près du radiateur), c’est de rester cohérent. Et chez lui, ça ne loupe pas, c’est maladresse sur maladresse (je rappelle que ses « truquages techniques » ont déjà été démontrés, je ne reviens donc pas dessus et m’intéresse juste à son « jeu » d’acteur et sa narration).
Par exemple, alors qu’il explore une baraque abandonnée, il installe du matériel pour permettre un contact avec des entités. Il s’adresse aux esprits, leur demande de se manifester… et quand il entend un vague bruit, il joue le mec stupéfait, puis dit qu’il va se barrer parce qu’il a peur. Donc, un démon légendaire, il lui met un coup de pression comme si c’était un caïd de cour d’école, mais un plancher qui craque, ça lui file la chiasse au point qu’il songe à détaler… bizarre quand même. D’autant que c’est ce qu’il est soi-disant venu chercher.

En réalité, bien entendu, il essaie juste de créer une ambiance, mais bêtement, sans se préoccuper de la personnalité qu’il affiche dans d’autres vidéos. C’est un peu comme si vous aviez combattu un dragon mais que vous sursautiez au moindre écureuil aperçu.
Des exemples de mensonges mal gérés, il y en a des tas. De nouveau concernant cette même bâtisse, Jery raconte une histoire, survenue « 10 ou 15 ans auparavant », que son oncle lui aurait rapportée. En gros, le tonton tombe en panne, de nuit, devant la baraque, là il entend des « hurlements » effrayants (abominables, vraiment le truc qui lui glace le sang). Il essaie de faire du stop pour se barrer, pas moyen. Finalement, il pousse sa caisse tout seul, et « au bout de quelques dizaines de mètres, elle redémarre ». Le tonton rentre chez lui, apeuré et convaincu d’avoir vécu une expérience paranormale terrifiante.

Elle n’est pas longue cette anecdote hein, mais qu’est-ce qu’elle contient comme conneries…
Déjà, un truc comme ça, ça marque un peu non ? Tu entends des cris épouvantables dans la nuit, alors que tu es seul, en panne sur le bord de la route, il y a moyen de s’en souvenir. Or là, il y a une fourchette de 5 ans quand même. On pourrait se dire que c’est Jery qui ne sait plus trop la date, et non le tonton, mais Jery est passionné par le paranormal depuis l’âge de… huit ans, car comme il l’expliquera dans des vidéos « story time », il a vécu un tas d’évènements étranges (ce qui est bien pratique pour faire une vidéo à la maison entre deux explorations). Donc, un truc comme ça, soit on s’en souvient, soit on demande des précisions, surtout si l’on sait que l’on va faire un sujet dessus.
Bon, je passe sur le mec qui pousse sa caisse tout seul, ce qui est possible, mais au point de lui donner de l’élan sur « plusieurs dizaines de mètres » et ensuite de la faire redémarrer… c’est un putain de Golgoth le tonton.
Et puis le final, évidemment, décrédibilise tout le reste. Parce que, si vous entendez des hurlements atroces venant d’une maison, même abandonnée, de nuit comme de jour, vous faites quoi vous ? Ben oui, vous téléphonez à la gendarmerie, parce que vous ne savez pas en réalité ce qu’il se passe, quelqu’un se fait peut-être agresser ou pire. Vous ne vous dites pas, « tiens, ça crie, ça doit être un fantôme ».
D’ailleurs, un comportement sensé rajouterait du crédit à l’histoire, puisque l’on pourrait alors finir sur « les flics sont venus et n’ont rien trouvé », quelque chose dans le genre, hop, je termine en légende urbaine. Mais non, Jery veut simplement placer ses hurlements sinistres, et comme il n’a rien préparé, il les balance sans se soucier de l’habillage, de la cohérence du récit.


On pourrait continuer comme ça longtemps, évoquer l’utilisation de la spirit box [2], du K II et du Mel Meter [3], mais le simple babillage de Jery est si énorme et maladroit qu’il est déjà à lui seul une source inépuisable d’émerveillement et de rigolade.
Allez, un exemple supplémentaire. Lorsqu’il s’adresse aux « entités », Jery leur demande de s’exprimer, d’utiliser son matos pour parler, il va même plusieurs fois toucher sa langue de son doigt en émettant des sons bizarres, comme s’il s’adressait à un demeuré (ah mais, je vous jure, il faut voir ça, le mec est hallucinant). Heu… je suppose qu’un esprit, en se désincarnant, ne devient pas complètement con pour autant. Comment expliquer les mots (l’interprétation poussée que Jery en donne en tout cas) de la spirit box si les fantômes sont crétins au point de ne pas comprendre ce que « parler » veut dire ?

C’est comme ça tout le temps, on navigue entre débilités et pseudo-spectaculaire. Parce que le mec n’a pas juste combattu un démon, bah non, il a été aussi possédé, il a libéré des âmes d’un ancien cimetière (il aime rendre service), il a été ceinturé chez lui, dans l’escalier, par une apparition, il s’est même fait jeter des cailloux par un esprit (certainement l’esprit le plus lucide de la bande, qui en avait plein le cul du gaillard).
Attention, je ne me moque pas de sa propre éventuelle crédulité, il n’est pas du tout crédule ce mec, c’est un escroc, je me moque du fait qu’il soit malhonnête mais surtout extrêmement maladroit et fainéant dans sa malhonnêteté.
Il n’est pas le seul à truquer des vidéos, on voit ça tout le temps, en urbex [4] par exemple, où de jeunes gens (souvent) mettent en scène de fausses agressions, la découverte de faux cadavres, etc. Ce n’est pas très glorieux, mais ce sont la plupart du temps des one-shots, sans véritable but. Qu’un adulte essaie de gagner sa vie sur de l’esbroufe, en abusant les plus naïfs, c’est déjà plus douteux. Mais qu’il se propose en plus « d’aider » des gens qui, certainement, souffrent réellement (de la perte d’un proche, d’une dépression, peut-être même de véritables phénomènes effrayants), ça devient non seulement malsain mais moralement puant. Et cerise sur le gâteau, le type fait même genre de tenter de déceler, chez les autres, les éventuels « fakes ». Sans complexe, à la Cahuzac.
Cela tourne même à l'horreur et au sordide extrême quand le type fait semblant de s'adresser à des enfants morts et leur parle comme s'il était dans une cour d'école et jouait avec eux... 

Jery (ou Steve, ou Kevin, ou Piou-Piou, peu importe son vrai nom) a certainement des tas de qualités. Il pourrait sans doute même être drôle s’il assumait ses fictions. Mais ce n’est ni un enquêteur, ni un exorciste, ni un spécialiste d’un domaine qu’il ne connaît pas. Et encore moins un psychologue ou un mec bien intentionné, capable d’aider une personne en réelle détresse.
La course au fric (ou à la popularité), sur le net ou ailleurs, ne permet pas tout.
On peut ou non croire au paranormal, on peut s’amuser du sujet ou le traiter avec sérieux, mais abuser les gens les plus crédules, même pour gagner un ou deux abonnés, surtout sur un sujet aussi potentiellement scabreux [5], c’est tout de même une belle attitude de crétin sans principes. Il n’est ni le premier ni le dernier, mais de temps en temps, ce n’est pas si mal de tenter de sortir certains d’une bouse qui peut être amusante de loin, au second degré, mais qui peut vite boucher les sinus et d’autres choses essentielles si l’on sniffe ça avec trop d’espoir et un discernement altéré par la peine.

La fiction peut avoir un effet cathartique, pas le mensonge.




[1] Peu importe l’explication, que ce soit un Big Bang précédé d’une origine mathématique, un dieu, une percussion de branes dans un multivers, au bout du bout, il faudra un effet qui soit sa propre cause, ce qui échappe totalement à notre logique humaine.
[2] Il s’agit d’un appareil, assez bruyant, qui scanne des fréquences en continu. Cela permet de générer, au milieu d’une sorte de bruit blanc, des sons aléatoires qui peuvent ensuite s’interpréter, avec beaucoup de largesse, de manière « intelligible ».
[3] Il s’agit d’appareils censés mesurer les perturbations ou champs électromagnétiques, un simple talkie-walkie les fait monter dans le rouge. De plus, contrairement à ce que beaucoup pensent, le fait que l’électricité soit coupée dans un bâtiment ne signifie pas forcément qu’il n’existe aucun champ électromagnétique en son sein (d’ailleurs, le propre matériel de l’enquêteur influe sur ce genre de gadgets, très différents du matériel professionnel).
[4] Exploration urbaine, qui consiste à visiter des lieux abandonnés et à filmer ou prendre des photos des différents spots. Sur le fond, ça n’a rien de récent, qui n’a pas exploré étant jeune une baraque abandonnée ou un fort ? (en Moselle, les accès à la ligne Maginot ne manquaient pas il y a encore 20 ans, j’avoue que je suis moins axé sur le crapahutage de nos jours)
La seule différence aujourd’hui réside dans le fait qu’il faut montrer l’exploration, et donc générer des vues, ce qui donne lieu à une surenchère souvent ridicule.
[5] Si vous abusez des pigeons en leur vendant une méthode pour agrandir la bite, c’est tout de même moins impactant que parler d’esprits et de communication avec l’au-delà, donc d’éventuels proches. Exploiter l’idiotie ça reste de l’escroquerie, mais ce n’est pas comme exploiter la souffrance. Même dans l'enculerie, il existe une échelle.

Retroreading - Iron Man : la Seconde Guerre des armures
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Sous ce gros titre un peu pompeux sur la couverture cartonnée de la version française (disponible dans la jolie collection "Best Of Marvel" chez Panini) se cache ce qui s'est davantage avéré être un prologue géant à un énième affrontement entre l'Homme de Fer et le Mandarin, ce dernier étant sur le point de conquérir la Chine avec l'aide du dragon mythique Fin Fang Foom.
Mais alors, ciel, ce serait un attrape-nigaud ? Non, mais on n'est pas loin de la publicité mensongère. Certes, Iron Man va bien avoir affaire à un pseudo Homme de Titanium avant d'affronter au final un ennemi coriace qui revêtira également une armure, toutefois on peut légitimement se sentir frustré si, comme moi, on a été attiré vers ce volume par la nostalgie de l'époque Michelinie/Layton et l'envie de relire la quête de Stark cherchant à retrouver tous ceux qui utilisaient sa technologie et ses brevets à des fins belliqueuses. Il ne s'agit donc pas du tout d'une suite à l'arc Armor Wars que, du coup (oui je suis revanchard), je chroniquerai d'ici peu.

Outre le titre ronflant, ce qui m'a attiré vers cet ouvrage tient également dans le duo d'artistes : pour un lecteur des premières heures comme votre serviteur, dénicher John Byrne et John Romita Jr aux commandes d'un titre, ça stimule un brin. Cette fois, ce n'est pas le Byrne dessinateur qui s'était investi aux côtés de Chris Claremont pour l'une des plus importantes périodes de la série Uncanny X-Men mais bien le scénariste qui, ayant fait ses armes sur les mutants, a ensuite officié sur Fantastic Four, Alpha Flight et She-Hulk avec talent et humour.
En 1990, au faîte de sa gloire - après un run controversé mais osé sur Superman - il se voit confier la série de Tête de Fer et adjoindre très vite les services de John Romita Jr. Le style de ce dernier a beaucoup évolué depuis l'ère où il se faisait encrer par le méticuleux Bob Layton (on en reparlera à l'occasion de l'article sur le Diable en bouteille) qui parvenait à conférer une formidable touche high-tech à ses crayonnés dynamiques.
Ici, c'est Bob Wiacek qui gère les finitions de ses esquisses, lesquelles ont évolué vers quelque chose de plus imposant mais moins fluide, torpillant les limites des sacro-saintes cases pour donner la pleine mesure aux déchaînements de puissance des super-héros majeurs (le Laser vivant qui dévaste un bâtiment) mais pénalisent les situations sans armure ni combat (des visages grossiers qui se ressemblent tous, des silhouettes disgracieuses) : il y a clairement une rétro-influence de Jack Kirby dans ces protagonistes aux poings démesurés et aux armures surdimensionnées. On n'a donc plus cette sensation de finesse technologique caractéristique de l'époque Demon in the Bottle (en gros 10 ans plus tôt), mais la lutte âpre d'un homme qui cherche à s'amender (le spectre de l'alcoolisme n'est jamais vraiment loin) et qui se voit trahi par son propre système nerveux : Stark ne doit donc plus courir après des hommes en armure à travers la planète mais comprendre comment quelqu'un parvient à "piloter" son corps à distance. Les anciens pourront y voir un autre parallèle avec l'époque où Justin Hammer était en mesure de télécommander  l'armure d'Iron Man, lui faisant commettre l'irréparable (le meurtre d'un diplomate). Autre élément du script qui rappellera des souvenirs : le moment où Tony Stark se retrouve enfermé dans sa propre armure (et cette fois, pas d'Ant-Man pour aller le secourir de l'intérieur, comme lorsqu'il avait vaincu Hulk).

Le récit est plutôt bavard, mais relativement conforme aux normes de l'époque, et se pare de très nombreuses réflexions sur la condition du héros, des soliloques parfois poussifs mais tout de même plus intéressants que les dialogues qui prennent souvent l'eau. Cela se lit sans déplaisir, c'est bien rythmé et on assiste à quelques duels impressionnants qui annoncent les futures déflagrations parsemant les comics qu'il dessinera (je pense notamment à la série Thor de l'époque Guerres obscures) : on peut déplorer le manque de finesse qui accompagne cette évolution du dessin (des traits tendus, un recours régulier aux angles droits) mais cela convient à certains moments où l'intensité des combats prime sur le réalisme des personnages.
Pas original donc puisque la plupart des idées ont été développées par ailleurs, mais un sujet plutôt bien traité par John Byrne qui se débarrasse un peu cavalièrement des seconds rôles afin de se concentrer sur deux duos : Stark/Rhodey et le Mandarin/Chen Hsu dans un montage parallèle maîtrisé décuplant le suspense.
Le plus gros défaut, finalement, de l'album, est qu'il s'achève sur un happening autrement plus saisissant que les déboires du milliardaire aventurier.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Deux artistes au sommet de leur art, piliers historiques de la Maison des Idées.
  • Une bonne bouffée de nostalgie.
  • Le retour de deux des ennemis les plus redoutables d'Iron Man.
  • Un album imposant, au format idéal.
  • Un style assez grossier mais qui illustre bien les combats titanesques.

  • Une histoire qui ne sert que de prologue à un arc plus important.
  • On est assez loin de l'esprit de la Première Guerre des Armures.
  • Des personnages dépeints sans finesse - et Stark n'est pas encore débarrassé de son horrible coupe de cheveux "années 80".
  • Pas vraiment d'originalité dans les situations.
  • Un contenu éditorial comme toujours (chez Panini) réduit à sa plus simple expression : une petite intro et quelques couvertures originales.
Batman & Robin Eternal : Dick, Jason et Tim dans l'ombre du Chevalier Noir
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Après les quatre tomes de la série Batman Eternal [1] — une semi-réussite, captivante mais s’étant trop éparpillée et nécessitant pas mal de connaissances à cause des nombreuses connexions avec d’autres histoires — la « seconde saison » est cette fois deux fois moins longue (26 chapitres répartis en deux tomes). Mais attention, la lecture de Batman & Robin Eternal est conseillée uniquement si l’on est à jour dans d’autres séries : la Batman de Snyder et Capullo (au moins jusqu’au tome 8), Grayson (au moins jusqu’à la fin du tome 2) et, moins obligatoire, la « suite » de la série Batman & Robin, c’est à dire l’event We Are Robin. Par conséquent, le résumé de l'histoire va révéler plusieurs passages liées aux séries listées ci-dessus. 


Dans un passé proche, Batman est rentré blessé à la Bat-Cave et a lu un fichier audio dans lequel on lui dit que Robin se rapproche de découvrir « la vérité », à savoir : ce qu’a conçu le Chevalier Noir pour priver d’un tout autre destin Dick Grayson…
Aujourd’hui, ce dernier est l'Agent 37, de retour à Gotham City (voir Grayson – Tome 02 : Nemesis) auprès de Red Robin (Timothy Drake) et Red Hood (Jason Todd). Bruce Wayne est amnésique et c’est un « Bat-Robot », avec Gordon à l’intérieur, qui remplace Batman (voir Batman – Tome 08 : La Relève).
Dick enquête à propos « des Orphelins », des enfants qui ont l’air sous emprise d’une certaine « Maman » et qui cherchent tous à tuer Dick. Cette mission est liée à une ancienne affaire qu’il avait suivie avec Batman à ses débuts, face à l’Épouvantail, son premier « vilain ». Les deux justiciers l’avaient traqué durant un an autour du monde. Batman a chargé Cassandra Cain de remettre un message à Dick si le Chevalier Noir venait à disparaître…
C’est ce qu’a fait cette dernière tout en s'en prenant à Harper Row, alias la justicière Sialia [2]. Dick va devoir résoudre un mystère du passé lié à son mentor et sa jeunesse, épaulé par ses alliés.

Prendre quelqu’un qui vient de subir un traumatisme,
et le transformer pour répondre à ses propres désirs…
C’est absolument innommable…
Mais ne suis-je pas moi-même coupable de ce crime ?
Batman

Batman & Robin Eternal n'est pas vraiment une « suite directe » (de Batman Eternal) à proprement parler.  C’est le même « concept » (à savoir un chapitre par semaine durant six mois au lieu de douze) avec plusieurs scénaristes et dessinateurs aux manettes, chapeauté par le duo Snyder/Tynion IV à nouveau. Dick Grayson est au cœur de l’intrigue. Lui qui était absent de Batman Eternal se voit ici offrir le rôle principal. Batman est très peu présent : il y a Gordon/Bat-Robot éphémèrement et Bruce Wayne apparaît comme un figurant. En revanche, dans les flash-back entre le Chevalier Noir et Robin, Batman tient un rôle majeur, non pas dans le temps d’occupation des cases, mais dans l’énigme générale liée à l’histoire. Celle-ci est à la fois convenue et originale. Assez basique dans son approche : une « maman » qui recueille des orphelins (voire les rend orphelins) et les façonne ensuite à sa guise avec des traumatismes et une éducation spéciale. Jusqu’ici, rien de très novateur, cela rappelle d’ailleurs fortement Talia As Ghul et le traitement sur Damian Wayne (qui revient soudainement dans le second tome, on en parle plus bas).

L’originalité se situe au rapport moral de Batman, l’homme chauve-souris (dans le passé) et ses alliés (dans le présent) s’interrogent sur la façon de faire de Batman : n’est-elle pas plus ou moins la même finalement ? Cela est d’autant plus délicat lorsque les Robin apprennent que Batman a bien eu recours aux services de « Maman » pour trouver un nouveau Robin (mais lequel ?) De ce point de vue, l’enquête ne s’éparpille pas trop. Dick mène les opérations, secondés par le duo Cassandra Caïn (qui fait son apparition dans les NEW52) et Sialia – deux figures féminines qui fonctionnent très bien, on regrette juste l’apparition trop brève de Batgirl et même de Spoiler (découverte dans Batman Eternal).

Un autre binôme n’est pas en reste : Red Robin et Red Hood. Pour ce dernier, l’humour excelle même si les principaux chapitres qui leur sont consacrés prennent place à Santa Prisca avec une alliance inédite avec Bane face à… Jean-Paul Valley et l'Ordre de St. Dumas. Cette (courte) revisite des emblématiques protagonistes de la saga Knightfall est l’un des points faibles de la série. De manière plus anecdotique, citons un personnage totalement télépathe (fin du premier tome), donc avec un « super pouvoir » du registre « fantastique » (et arrivant un peu trop facilement) qui gâche le côté thriller et légèrement science-fiction qui se dégageait de l’ensemble. Ce sont deux éléments peu importants sur l’ensemble du récit, donc ce n’est pas trop grave.

Le tout est brillamment rythmé, sans temps morts et avec une solide intrigue qui tient en haleine (surtout dans le premier tome). Les échanges entre les multiples héros sont bien écrits, avec une certaine fraîcheur et, comme déjà mentionné, un humour bien placé. Mettre en avant l’entourage du Chevalier Noir au détriment de celui-ci fonctionne très très bien. Seul défaut : les nombreuses connexions à d’autres séries. Le lecteur néophyte risque d’être bien perdu entre tous ses protagonistes et leurs situations de départs (il est quand même possible de comprendre Batman & Robin Eternal sans cela, mais c’est plus ardu).  La double lecture (passé/présent) et les échos lointains d’une époque révolue (un Batman fonctionnant à deux avant d’avoir toute une équipe complète) sont là aussi une bonne idée plaisante.

Mais... tout ceci se perd peu à peu dès le deuxième (et dernier) tome. Autant le duo Red Robin/Red Hood fonctionne toujours bien en terme d’alchimie et d’humour, autant leur arc avec Jean-Paul Valley/Azraël n’apporte pas grand chose, il apparaît même inutile (juste « sauvé » de justesse sur la toute fin avec le retour d’Azraël mais c’est un peu maigre). Un premier retournement de situation est plutôt bien vu à propos de Harper Row. Les parents de celle-ci ont été attaqués par Cassandra, qui a tué sa mère, et Batman le savait et devait la prendre sous son aile… Difficile de savoir si le scénariste (Scott Snyder) savait où il allait dès les prémices du personnage de Harper dans sa série Batman, mais ça fonctionne bien et offre un bon enrichissement à la jeune femme ainsi qu’une évolution importante et complète.


Hélas, toute cette dernière partie de la série est une suite d’invraisemblances dans un énorme affrontement : des enfants du monde entier se mettent à scander « Maman » et à s’en prendre aux membres de la Bat-Family (grâce à l’hypnose/lavage de cerveau — sic). Ainsi « Batman » (Gordon et son Bat-Robot) et « Robin » (le jeune Duke) sont à Gotham, Damian (qui est soudainement revenu sans explications ou note éditoriale — il faut se référer, une fois de plus, à un autre ouvrage, à savoir Batman & Robin : Tome 07 – Le Retour de Robin — qui chevauche Goliath, une chauve-souris géante — re-sic) est à Londres, Red Hood à Toronto, la Matrone (Héléna Bertinelli) à Bologne, Black Canary à Mexico, Katana à Kuala Lumpur, Red Robin à Moscou, Batwoman à Dubaï, Batgirl à Paris (à la Tour Eiffel, forcément…), l’ergot (des Hiboux) à Shanghai, Catwoman à Sydney et des agents de Spyral à Tokyo.

Le Midnighter (déjà intervenu dans le premier tome de Grayson), antagoniste charismatique et drôle, coordonne les combats à distance pour aider toute cette Bat-Army. Problème : la plupart durent une case ou deux pour les héros les moins notables, les autres s’en sortent grâce à une « porte magique », c’est à la fois confus, facile et dommage. Plus tôt dans l’ouvrage, c’était une situation similaire qui avait lieu au pensionnat St Hadrian, bien connu des lecteurs de Grayson (les autres ne vont pas trop comprendre).
Toute cette fin, hyper prévisible (de même que celle du passé avec Batman) n’apporte finalement pas de nouvelles choses surprenantes. Seule la relation entre Harper Row et Cassandra évolue d’une tournure intéressante, ce sont deux protagonistes qui ont davantage été au cœur du récit que d’autres, plus connus de prime abord. Grayson est par exemple plus en retrait dans le second tome. Pas un défaut en soi, au contraire, un des bons points du livre.
Dans le lot des incohérences (ou invraisemblances, c’est selon) : difficile d’imaginer que Batman n’ait pas réussi à venir à bout de « Maman » plus tôt, encore plus de voir que les Robin abandonnent et pensent ne pas être de taille non plus… Le pire étant, comme évoqué brièvement, cette facilité scénaristique du lavage de cerveaux sur des gamins un peu partout dans le monde (avec des antennes sur des bâtiments en hauteur pour les activer). Ce n’est absolument pas crédible.

L’hypnose et l’endoctrinement sont deux éléments très difficiles à rendre plausible par le biais d’une œuvre. Sur un petit nombre de personnages, cela peut fonctionner, lorsque c’est sur une multitude de sujets, comme ici, dans ce contexte si particulier, de façon internationale et sur des orphelins, c’est très risqué voire ridicule. Ça ne prend pas vraiment.


De même, le terrible Épouvantail est relégué à un ennemi craintif qui ne fait pas honneur à ce qui était annoncé au début de la série. Le nouveau vilain, « Maman » donc, arbore un nom ridicule mais a un véritable but et sert un dessein auquel il croit fermement (même si celui-ci n’a rien d’original : créer un nouveau monde plus fort avec des gens qui n’auraient aucune peur). Les architectes de l'histoire, Scott Snyder et James Tynion IV, sont épaulés par plusieurs scénaristes : Tim Seeley, Steve Orlando, Geneviève Valentine, Jackson Lanzing, Collin Kelly et Ed Brisson. Clairement, il ne se dégage pas forcément une tendance ou une patte chez l'un en particulier, de ce côté-là on observe une certaine fluidité bienvenue.

Côté graphique, on a globalement une homogénéité (ce qui n’est pas gagné de base !) avec du très bon (Tony Daniel et Paul Pelletier) et du moins réussi. Il faut dire, qu'un nombre hallucinant d'artistes enchaînent les chapitres : Scott Eaton, Ronan Cliquet, Steve Pugh, Alvaro Martinez, Roge Antonio, Geraldo Borges, Fernando Blanco, Christian Duce,  Marcio Takara, Andrea Mutti, Roger Robinson, Goran Sudzuka, Javi Pina, Carlo Pergulayan et Igor Vitorino.

D’une manière générale, les planches sont bien découpées, chaque chapitre s’ouvre sur une double page avec des dessins horizontaux, et le tout est plutôt élégant. Du reste, on voyage aussi en Europe, surtout à Prague, puis très succinctement dans le monde entier. Les couvertures sont sublimes, toutes de très haut niveaux, c’est à souligner, et Urban en propose certaines en bonus, en noir et blanc, crayonnées ou encrées.


Le premier tome est donc original et bien dessiné avec un scénario finement écrit, même si parfois bancal, mais le second est clairement une déception… Il accumule les maladresses et un final certes explosif côté forme mais hyper convenu côté fond. Il y a de bonnes choses attention, de très bonnes même, mais la fin manque cruellement de surprise, de finesse et d’enjeux. Faute à une faible originalité et des situations assez ubuesques. Autant relire Batman & Robin Eternal, qui était très long et s’éparpillait un peu trop dans différentes situations mais avait le mérite d’être davantage épique et faisait intervenir toute une galerie de personnages avec de bonnes trouvailles scénaristiques.

L'hésitation entre la pancarte OK et BOF a duré longtemps. Mais si on prend le récit dans son ensemble, les défauts priment autant que les qualités et, surtout, toute la dernière partie de l’œuvre contribue à un constat global assez décevant et ne mérite donc pas forcément un achat. 45€ pour les deux tomes, un prix correct mais réservé avant tout aux fans de l'univers Batman et encore… Ou aux moins ceux appréciant particulièrement Harper Row et Dick Grayson.

Bruce à Damian Wayne :
« Dick est une vision plus claire de ce que Batman était censé être.
Jason est prêt à faire ce que Batman refuse, quand le monde le réclame.
J’envie à Tim son esprit de stratège. Il n’agit jamais trop tôt.
Toi, si, parfois. Mais il se peut que ça te sauve, un jour.
Je veux que vous décidiez par vous-mêmes de vos destins… de vos vies. »


[1] Pour en savoir plus sur Batman Eternal, la critique des quatre tomes est disponible sur le site de l'auteur de cet article : ComicsBatman.fr
[2] Petit oiseau plus connu sous le nom de ses trois espèces « merlebleu », rappelant le nom en VO beaucoup plus approprié : Bluebird. La traduction française en Sialia est assez surprenante.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une équipe qui fonctionne très bien avec Dick Grayson en tête.
  • Le duo Harper Row & Cassandra Cain, mis en avant et touchant, mais aussi le duo Red Hood & Red Robin, fun et souvent drôle.
  • Bonne cohérence graphique (et couvertures des chapitres et des deux tomes soignées et réussies).
  • Un très bon rythme, avec une double enquête mêlant passé et présent.
  • Une situation inédite dans le Bat-Verse.
  • (Plutôt un Grayson 2.5 qu'un réel "Batman & Robin".) 
  • Un premier tome plutôt bon.
  • Une moitié plutôt originale et avec de bons rebondissements...

  • ... mais une autre moitié soit invraisemblable, soit inutile.
  • La partie avec Batman (dans le passé) hyper prévisible, les derniers chapitres (dans le présent) également.
  • Un ennemi au nom ridicule et des situations liée à "Maman" ubuesques.
  • Les passages avec Azrael et l'Ordre de St. Dumas ratés.
  • Une bataille finale peu épique et confuse.
  • Des références et connexions multiples à de nombreuses séries annexes.
  • Bruce Wayne, Alfred, Batgirl et Spoiler en retrait voire absents.
  • (Plutôt un Grayson 2.5 qu'un réel "Batman & Robin".) 
  • Un second tome décevant qui donne un ensemble finalement très moyen.
Hatred : autopsie d'une polémique
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La sortie du jeu Hatred a engendré à l'époque une vive polémique, des condamnations de principe en masse et quelques boycotts.
Tentons de revenir à froid sur ce jeu qui pose d'intéressantes questions quant à notre rapport à la fiction et aux univers ludiques.

Hatred est un jeu PC que vous ne trouverez pas dans les rayons de votre supermarché local. Sorti sur la plateforme steam à un prix relativement modique (16 euros), le titre en a été retiré pendant un temps avant d'être remis en vente. Il faut dire que son concept est particulièrement trash, violent et foncièrement non politiquement correct. La polémique avait d'ailleurs commencé bien avant sa sortie grâce à d'habiles trailers qui ont parfaitement rempli leur rôle (le but étant bien entendu de faire connaître le titre).
Voyons donc en quoi il consiste. Il s'agit d'un shoot'em up en vue isométrique qui vous permet d'incarner un sociopathe qui se lance dans une "croisade génocidaire" et dont le but va être de flinguer un maximum d'innocents en attendant de se faire lui-même dégommer par les forces de l'ordre.

Le jeu en lui-même est plutôt bien réalisé, avec des décors que l'on peut détruire, une ambiance visuelle bien pensée (des niveaux de gris agrémentés de couleurs lors de scènes particulières : explosions, gyrophares...) et quelques idées malsaines (le personnage fait le plein de points de vie lorsqu'il achève un blessé, par exemple en l'égorgeant ou en le terminant à grands coups de tatane dans la gueule). Il reste néanmoins assez répétitif et, une fois la découverte passée, ne s'avère pas si subversif que ça (il ne contient aucun message).
Bien entendu, il est tout de même différent sur le fond d'un GTA qui, même s'il permet de buter des passants, n'en fait pas pour autant le but central du jeu. C'est ce culte apparent de la violence gratuite qui a donc généré de nombreuses réactions houleuses et, souvent, exagérées.


Certains journaux ont parlé par exemple de "simulateur de meurtres de masse". Il s'agit là de mauvaise foi ou de méconnaissance, car un "simulateur", ce n'est pas franchement ça. Un titre comme Microsoft Flight Simulator peut être à juste titre qualifié de simulateur, car il enseigne, au moins en théorie, les bases réelles du pilotage et peut aider les véritables apprentis pilotes. Mais jouer à Call of Duty ne fera de personne un sniper ni même un simple soldat. Hatred n'est en rien "réaliste" dans le sens où il ne repose (fort heureusement) sur rien de concret ou reproductible. Il suffit d'y jouer cinq minutes pour se rendre compte qu'il s'agit de tout sauf d'une simulation (cf. cet article sur la manière tronquée d'appréhender les jeux).

D'autres ont cru bon d'attaquer les développeurs sur leur supposée idéologie politique (déduite à partir... d'un like sur facebook, hum, c'est dire l'enquête poussée). Nous allons mettre de côté cet aspect qui n'a pas lieu d'être puisque, même si cette idéologie était réelle, elle n'apparait pas dans le jeu qui n'est en rien politique. L'on juge le travail de ces gens, pas leur vie ou leurs opinions.
Reste donc l'objection principale que l'on retrouve chez ceux qui condamnent ce jeu : il est immoral, immonde même, car il implique de s'amuser du fait de massacrer des gens.
La formulation est déjà fausse, il peut éventuellement être jugé immoral, mais il implique de s'amuser du fait de faire semblant de massacrer des gens, c'est tout de même très différent. Et c'est ce qui nous amène au plus intéressant : la fiction, l'art et les créations ludiques doivent-elles être limitées par un code moral issu du réel ?

D'emblée, l'on aurait tendance à penser que oui. On ne peut pas tout permettre au nom de la liberté artistique (et/ou ludique) et même les plus tolérants auront leur "limite" au-delà de laquelle ils seront choqués, dégoutés, etc.
Mais, si l'on admet la notion d'interdit, voire de morale injectée dans la fiction, qui va en fixer le cadre ? L'état, les tribunaux, les associations, les éditeurs eux-mêmes ? Et en se basant sur quel code moral ? Tout de suite, l'on se rend compte que l'idée de censure n'est pas simple à manipuler. Surtout que la perception de ce qui est ou non admissible évolue aussi avec la société. Rappelons-nous qu'il y a seulement quelques décennies, certains s'indignaient du contenu des comics à cause de leurs... couleurs "violentes". Un rouge trop vif ou un bleu trop profond étaient supposés avoir un effet négatif sur nos gamins. Cela nous paraît ridicule aujourd'hui (enfin, j'espère), mais à une époque, cela a suscité de réelles inquiétudes.

Vous allez me dire qu'entre un jaune même criard et une nana dont on explose la tête avec un fusil à pompe, il y a une légère différence. C'est entendu, mais si l'on évacue la violence de la fiction ou du domaine vidéo-ludique, on va tout de même pas mal vider les rayons. Dès les premiers pas des jeux vidéo, il a été question de flinguer des ennemis. Bien souvent il ne s'agissait que de machins pixelisés qui disparaissaient de l'écran sans effusion de sang (cf. Who dares wins II par exemple), mais au fond c'est identique, il faut nettoyer une zone pour passer au tableau suivant. Les progrès techniques ont simplement rendu les cibles plus réalistes.
D'ailleurs, l'on ne s'émeut pas forcément toujours à cause du réalisme mais plutôt du scénario, de ce qu'il implique. S'il s'agissait de tuer des salauds, Hatred n'aurait pas fait parler de lui. C'est donc bien sa morale intrinsèque qui lui est reprochée. Ou plutôt son absence.


Tout d'abord, ce jeu est destiné à un public adulte (il a reçu la classification "Adults Only" par l'Entertainment Software Rating Board, qui est un peu aux jeux vidéo ce que fut le Comics Code Authority pour les BD américaines). Il n'est donc pas question de le refiler à votre neveu de huit ans pour Noël. D'ailleurs, les parents à peu près sensés n'ont pas besoin d'un organisme pour leur dire qu'un jeu graphiquement réaliste où le but est de flinguer tout le monde n'est pas très approprié pour un enfant.
Une éventuelle censure ne viserait donc pas ici à protéger un public juvénile puisqu'il est seulement question d'adultes.

Continuons à décortiquer le truc. S'il s'agit d'interdire ce genre de jeux destinés aux adultes, c'est que l'on suppose qu'ils auront un effet néfaste sur eux. Or cela, je n'y crois pas. Un roman, un film, un jeu ne feront pas d'un benêt un génie ni d'un type paisible un criminel. Les cons n'ont pas besoin d'aide pour l'être.
Par contre, peut-être que quelqu'un de déséquilibré à la base s'intéressera éventuellement à des jeux violents, mais les jeux ne sont pas à l'origine de son problème et encore moins un vecteur de passage à l'acte. Une démarche suicidaire vient d'un mal-être bien plus profond, se construit souvent sur des années et nécessite la conjonction de plusieurs paramètres (cf. cet article, notamment l'explication sur l'acronyme JACC).
En partant de ce constat, l'on est obligé d'admettre qu'une censure ne serait donc destinée qu'à satisfaire un besoin de morale et de politiquement correct qui, à mon sens, n'a rien à faire dans la fiction. Pire, qui serait une porte ouverte à tous les excès.

La crainte, puis son évidente suite logique, la tentation d'interdire, ont frappé tous les domaines de la pop culture au fil du temps : romans, BD, jeux de rôle, heavy metal... (nous en avions même tiré un test quelque peu ironique). Il s'agit toujours d'une crispation devant non pas forcément le franchissement d'un interdit (même les JdR les plus originaux et hors des sentiers battus, comme Paranoïa, n'ont rien de malsains) mais une manière nouvelle de présenter les choses (Matrix a été accusé de faire l'apologie de la violence, voire même d'avoir inspiré la tuerie de Columbine), de s'amuser, de raconter ou de faire de la musique (Iron Maiden a été soupçonné pendant longtemps de satanisme alors que les textes du groupe figurent parmi les plus travaillés et riches du metal, cf. ce dossier, et je ne parle même pas des légendes sur Marilyn Manson).
Bon, pour le coup, Hatred verse tout de même volontairement dans le côté sombre et la provocation. Et après ?


Si l'on se dit que les jeux vidéo destinés aux adultes doivent être contrôlés, alors les films et les romans aussi. Ici il s'agit d'un taré qui bute tout ce qui bouge, mais où mettre la frontière entre l'acceptable et l'interdit ? Est-ce qu'incarner un mafieux est possible et moralement correct ? Ou un soldat ? Un pilote de bombardier ? Doit-on laisser la possibilité de prendre n'importe quel camp dans les wargames ? (cf. ce dossier, en sachant que l'un des grands plaisirs des amateurs de ce genre de jeux réside dans le fait de prendre les "perdants" et de tenter d'inverser le cours de l'Histoire). Peut-on faire d'un tueur en série le héros d'une série TV ? A-t-on le droit de parler de fantasmes morbides dans un roman ?
On le voit, une seule censure entraîne un lot de questions et des dangers bien supérieurs à ceux prétendument véhiculés par Hatred.  Et pour une mauvaise influence imaginaire, nous perdrions alors bien des œuvres qui sont autant de sources de plaisir mais aussi de réflexion.

Comprenons-nous bien, je ne pense pas un seul instant que les créateurs de Hatred aient voulu faire "réfléchir" les joueurs ou effectuer une démarche "artistique". À mon humble avis (mais je peux me tromper sur leurs intentions), ils sont simplement très futés et se sont dit qu'un "bad buzz" pouvait leur permettre de rentrer dans la lumière et de gagner un peu de pognon, ce qui a d'ailleurs été le cas.
Ceci dit, même involontairement, leur démarche a un réel impact positif sur les joueurs et certains médias qui vont s'interroger sur la démarche ludique, les interdits sociétaux, ce qu'implique techniquement une censure ou simplement leurs propres penchants.

Pour ma part, Hatred, me conforte dans mon opinion que la fiction ne doit, mais surtout ne peut, être limitée. Elle permet bien des choses, que ce soit une supposée catharsis ou un pur divertissement, mais elle ne rend pas les gens fous. Ou méchants. Ou stupides. (L'inverse est d'ailleurs vrai. Les jeux éducatifs, pourtant légion, et les romans, films et BD gentillets ne rendent pas l'Homme meilleur.)
Mais il est bien plus facile de dénoncer un constat ou un effet secondaire fictionnel que de se pencher sur les causes de comportements bien réels et les échecs amers d'une société à la dérive qui, pour compenser son délitement, tente d'imposer à la fiction une image idéale dont elle est loin de pouvoir se réclamer dans la vraie vie.
N'oublions pas non plus que la censure tue à deux niveaux : ce qu'elle interdit directement et ce dont elle empêche la réalisation par la seule crainte qu'elle inspire (éditeurs et investisseurs craignant légitimement de dépenser temps et argent dans ce qui pourrait être tout bonnement interdit ou limité). L'accepter, ce n'est pas seulement condamner des œuvres dont on a connaissance, mais condamner une partie des œuvres en devenir. Rien que pour cela Hatred mérite d'exister, à son niveau, très limité mais essentiel, non pour ce que le jeu défend ou propose mais pour ce que son absence annoncerait comme dérives.

Pas question pour autant de beugler qu'il est interdit d'interdire. Bien des choses sont interdites à juste titre dans la réalité, où les larmes, le sang et les balles sont réels, mais nous commettrions une erreur en entretenant à l'égard de la fiction, même médiocre, même sans but, une rancune ou une crainte qu'elle ne mérite pas.

Il faut jouer pour devenir sérieux.
Aristote


Comprendre le Big Bang
Par
Nous nous plongeons aujourd'hui loin, très loin dans le passé de notre univers avec un ouvrage de la série 3 minutes pour comprendre consacré à la grande théorie du Big Bang.

Quand les frères Bogdanov ne font pas les guignols à la télé, il leur arrive d'écrire de passionnants ouvrages de vulgarisation. Celui-ci, bien que s'intéressant en apparence à un sujet bien délimité, va en réalité couvrir de vastes domaines et donner de nombreuses pistes d'approfondissement pour les plus curieux.
Le livre, d'un peu plus de 180 pages, ne se lit évidemment pas en trois minutes, le titre fait référence à son découpage particulier, permettant une grande clarté et facilitant la compréhension de chaque notion. Tous les thèmes sont en effet abordés sur une double page, avec d'un côté l'explication thématique (sur Hubble et la fuite des galaxies, la conjecture de Poincaré, les corps noirs, le boson de Higgs...) et de l'autre diverses illustrations, schémas et précisions.
En trois minutes, l'on peut donc saisir l'essentiel d'une théorie ou d'une notion particulière. L'approche reste généraliste et succincte mais donne une belle vision d'ensemble du sujet qui nous intéresse, le Big Bang.

Les auteurs commencent très logiquement par les conceptions antiques de l'univers, parfois surprenantes par leur justesse au regard des avancées actuelles. Ainsi Pythagore (le mec qui vous a tant emmerdé au bahut avec son fichu théorème) est convaincu que "tout est nombre" et que l'univers a donc nécessairement eu un "début". Il s'inspire notamment de certains sages qui, 1000 ans avant lui, parlaient déjà d'œuf cosmique pour désigner le point d'origine de l'univers.
Plus tard, Platon lui-même va sentir d'instinct [1] que l'univers est né d'un chaos primordial, que le cosmos provient d'une source qu'il appelle "le monde des idées".
Malheureusement, c'est la conception d'Aristote, d'un univers figé et éternel, qui va l'emporter et s'imposer pour longtemps...

L'on fait un bond ensuite jusqu'à Galilée qui considère que l'univers est mathématique et a forcément un "commencement", tout comme la suite des nombres. Les découvertes majeures se bousculent alors (et font donc l'objet de chapitres thématiques) : Romer, en 1676, qui démontre par l'observation astronomique que la vitesse de la lumière n'est pas infinie [2], Newton qui passe à un cheveu de devenir le père de la théorie du Big Bang, Leibniz qui évoque des lois physiques mais aussi métaphysiques et part du calcul binaire pour concevoir une émergence de la réalité à partir du néant primordial... les avancées sont incroyables, les idées stupéfiantes, le génie de ces hommes indéniable.

Certaines réflexions, pourtant très simples, plaident en faveur d'un univers n'étant pas infini et ayant donc une origine. Notamment le paradoxe de la nuit noire. Cela peut sembler étonnant mais le fait que le ciel nocturne soit sombre et non d'un blanc argenté uniforme démontre clairement que l'univers n'est pas infini, puisque dans un tel cas, des étoiles au nombre infini émanerait une lumière éternelle recouvrant l'intégralité des cieux.
Certains chapitres sont ainsi plus proches du jeu intellectuel que du traité d'astrophysique, abscons et ardu. L'on surfe sur les idées avec aisance et un plaisir réel.

La période moderne est tout aussi excitante sinon plus. Hubble révolutionne l'astrophysique dans les années 1920 en parlant d'univers-îles et en imposant l'idée que la Voie Lactée n'est pas la seule galaxie de l'univers. Gödel et son théorème d'incomplétude [3] font également pencher la balance en faveur de ce Big Bang si décrié. Son nom vient d'ailleurs d'une moquerie de Sir Fred Hoyle qui, en 1949, à la radio, va parler de Big Bang de manière ironique. Ainsi, le nom qui passera à la postérité et désignera la théorie provient d'un de ses plus ardents adversaires.


L'on voit qu'à travers ce livre, l'on aborde une partie de l'Histoire de la science (il sera même question de la Cosmologie Glaciale du Troisième Reich). Mais ce n'est pas tout, des données essentielles (sur lesquelles l'on pourra méditer longuement) sont livrées, les théories les plus récentes sont abordées, même les hypothèses sur l'avenir lointain de l'univers sont décrites.
Voyons un peu ces chiffres justement, qui donnent le tournis et échappent totalement à nos efforts de représentation de part leur nature si profondément éloignée du champ humain. Remontons le temps en nous rapprochant de ce fameux Big Bang, l'univers est de plus en plus jeune, de plus en plus ramassé et dense. À un cent millionième de milliardième de milliardième de milliardième de seconde après le Big Bang, l'univers, replié sur lui-même, a une température de 10 milliards de milliards de milliards de degrés. Cette minuscule étincelle de réalité au milieu du néant atteint la densité stupéfiante d'un milliard de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de tonnes par... millimètre cube !! 

Outre ces chiffres qui laissent rêveurs, les auteurs abordent la théorie des cordes, le temps imaginaire (qui est bien réel contrairement à ce que son nom laisse penser), les univers parallèles, les singularités et, entre autres, la probable fin de l'univers et la théorie du Big Freeze. Cette fin, lointaine, est si magique, si empreinte de poésie, de merveilleux et de terreur, qu'il est impossible de ne pas être ébranlé par sa description.
Pendant encore 800 milliards d'années (je rappelle que l'âge actuel de l'univers est estimé à un peu moins de 14 milliards d'années), les étoiles continuent à se former. Dans 5000 milliards d'années environ, elles perdent peu à peu leur énergie et disparaissent. Tout se délite, galaxies, planètes, atomes, il ne reste que les trous noirs qui, eux, vont mettre très, très longtemps avant de s'évaporer à leur tour. Cette évaporation ne commencera probablement que dans... cent milliards de milliards d'années pour les trous noirs les moins massifs. Et elle pourrait durer, accrochez-vous, plus d'un milliard de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards de milliards d'années. Cette durée quasiment infinie à notre échelle a pourtant une fin. Cela sera long, mais cela viendra.

Nous sommes maintenant si loin dans le futur que plus rien n'existe. Les derniers trous noirs se sont totalement évaporés. Il ne reste qu'un néant noir et glacé, sans matière, sans énergie. Le temps, privé de ses vecteurs (d'évènements pour marquer son passage) disparait à son tour. Le Tout est revenu à son état initial : l'information.
Ce dernier terme possède deux sens bien distincts et complémentaires. D'une part l'information au sens mathématique et binaire, permettant l'agencement de la matière (les réglages de notre univers sont précis au-delà du milliardième de milliardième de milliardième de milliardième, sans cette précision, la vie n'apparait pas), d'autre part l'in-formation au sens strict, signifiant l'absence de "forme".
Physique et métaphysique se rejoignent, la boucle est bouclée.

Inutile de dire que je conseille cet ouvrage avec enthousiasme en sautillant, en chantant, en allumant des feux d'artifice, bref, en tentant d'attirer votre attention sur ses nombreuses qualités.
Simple, très bien conçu, passionnant, richement illustré, très accessible, il permet non seulement de comprendre l'origine [4] de l'univers mais aussi d'aborder une foule de personnages illustres et un grand nombre de notions fondamentales que chacun pourra approfondir selon ses envies.
Si l'on est un tant soit peu intéressé par l'astrophysique, la cosmologie et la science en général, ce livre, certes très condensé, constitue l'initiation idéale.
Pour forger une passion, il faut en général trouver la bonne manière d'intéresser, de présenter les choses. Cela ne se fait pas à coups d'équations et de calculs mais d'idées et de rêves. La plus grande qualité de ce livre, en plus de son aspect didactique, vient du fait qu'il se base sur le merveilleux de la science, sur ce qu'impliquent les avancées et les théories les plus époustouflantes.
Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'ouvrage démontre aussi que scientifiques et auteurs fonctionnent avec le même moteur, fait de songes, de fantastique et de pensées en dehors des normes.

Ceux qui rêvent éveillés ont conscience de mille choses qui échappent à ceux qui ne rêvent qu'endormis.
Edgar Poe




[1] Il est stupéfiant de constater à quel point philosophes et écrivains ont pu, au cours du temps, imaginer des concepts se révélant au final très proches de ce que la science admet aujourd'hui. Saint Augustin va ainsi écrire, vers l'an 400 de notre ère, que l'univers "n'est pas né dans le temps mais avec le temps", ce qui préfigure d'une manière étonnante la conception moderne de naissance de l'espace-temps.
[2] À l'époque, l'idée communément acceptée veut que la lumière atteigne instantanément n'importe quel point, ce qui suppose donc que sa vitesse soit infinie.
[3] Einstein, extrêmement réticent à l'idée d'un début de l'univers, finira par être convaincu par Gödel.
[4] Il s'agit bien entendu d'une origine relative à notre échelle et non absolue, celle-ci étant par nature acausale, donc sans "origine".


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un chapitrage très bien conçu.
  • Textes clairs et bien écrits.
  • Nombreux schémas et illustrations.
  • Des thématiques multiples d'une grande richesse.
  • Se lit aussi comme un condensé historique de la représentation du monde.
  • Présence de lexiques thématiques.
  • Un CD est fourni avec l'ouvrage. 

  • Que dalle.