"Trois Jokers" (Batman) vs "Harley Quinn" (Batman White Knight)
Par

Comment une humble itération d'Harley Quinn limitée à l'univers White Knight développé par Sean Murphy
met une fessée au très fanfaronnant trio de Jokers davantage taillé pour la continuité officielle
et imaginé par Geoff Johns.


UMAC : À l'occasion de la sortie chez Urban de Batman White Knight : Harley Quinn et de Batman : Les trois jokers, nous recevons ces deux étranges personnages en guise d’invités exceptionnels. Harley, Joker, bonjour à vous et merci d'avoir accepté de nous rejoindre. Pouvez-vous, dans un premier temps, nous parler de ces albums qui vous ont amenés parmi nous ?

Harley :
Bonjour. Moi, mon histoire se passe dans un univers dans lequel Bruce Wayne est toujours enfermé en prison pour les différentes exactions qu'il a pu commettre à Gotham (cf. Batman : White Knight)… et je me rapproche de lui de plus en plus étant donné qu'on se trouve pas mal de points communs. Comme vous le savez sans doute, dans le dernier tome, j'ai malheureusement dû précipiter mon ex-compagnon, Jack Napier (celui que tout le monde connaît sous le nom de Joker, chez moi), vers une mort certaine, faisant de moi une maman isolée avec mes deux adorables jumeaux (dont il est le papa, bien entendu). Évidemment, l'album ne raconte pas simplement ma vie de famille, sinon il n'y aurait pas grand-chose à dire. Quoique… avec mes bébés, la vie est agitée. Mes bébés, ce sont mes hyènes, pas les jumeaux. Eux, ce sont mes enfants !
En gros, à peu près deux ans après l'incarcération de Bruce, un tueur en série nourrissant l'ambition de recréer une nouvelle association de super-vilains sévit dans Gotham City. Il tue d'anciennes vedettes de cinéma et il repeint leur cadavre en noir et blanc, ce qui est un choix esthétique intéressant mais, avouez-le, plutôt pas banal. D'ailleurs, ça donne l'occasion de mettre en scène en chair et en os Simon Trent, le fameux acteur qui joue le Fantôme Gris qui apparaît dans l'épisode Le plastiqueur fou dans la série animée Batman ; c'est l'épisode 18 de la première saison. Ici, il fait partie des anciens comédiens mis en danger par le criminel que je pourchasse. Pour ceux qui l'ignoreraient, le personnage est clairement adapté d'Adam West. C'est d'ailleurs lui qui doublait Trent dans l'épisode en question. Oui, Adam West : l'homme qui incarnait Batman dans la série télévisée bien kitsch des années 60 qui nous a tous fait découvrir le personnage. Comme vous le voyez, mon album est élégant, il se permet même des clins d'œil un peu méta de ce genre.

Mais revenons à ces meurtres de tous ces anciens comédiens et à toute la mise en scène qui est faite autour. Si moi je suis au courant de tout ça, c'est parce que Duke Thomas est venu me contacter afin que j’intègre le GCPD dirigé par Renée Montoya. Ils sont persuadés que je suis la plus apte à comprendre les motivations et le modus operandi d’un criminel aussi tordu que celui-là. La première piste sur laquelle je me lance est évidemment celle de Néo-Joker (mon ancienne rivale qui est une espèce de copycat du Joker) car vous connaissez comme moi son goût pour la grandiloquence et les mises en scène. Ça s'avèrera être une fausse piste extrêmement éloignée de la véritable solution. Comme quoi, parfois, il faut éviter de se fier à sa première impression. Regardez-moi, par exemple, j'ai l'air très sage maintenant... mais je vous réserve des surprises.
Fort heureusement, je vais avoir le soutien de Bruce, qui est désormais mon ami, même s'il reste toujours en prison (mais on ne retient une chauve-souris en cage qu'en lui tranchant les ailes)... Et même, dans une moindre mesure, de ma vieille pote Ivy. C'est en définitive un album qui parle de la façon dont je tâche de concilier un nouveau métier de consultante-enquêtrice au sein du GCPD, une ancienne identité de criminelle de haut vol et la vie compliquée de maman… qui est un rôle pour lequel je suis loin de me sentir à la hauteur. 
Cet album a ouvertement un ton qui fait penser à un polar psychologique, ce qui devient assez classique finalement sur les albums qui parlent uniquement de moi. Comme l'a dit Katana Collins, la scénariste : "À l’époque on regardait la série Mindhunter, et c’est un peu comme ça qu’est née Harley la détective. […] Harley n’a jamais su qui elle était, elle oscille toujours entre de nombreuses personnalités, entre être un médecin ou un arlequin. Maintenant c’est une mère. Elle peut s’adapter à tout.". Matteo Scalera, grand fan de Sean Murphy et ami proche du dessinateur ajoute même : "Le cœur de l’histoire, ce sont les gens. C’est un mélange d’interactions humaines et d’émotions."

UMAC : À vous, Joker, que raconte votre album ?

Joker :
Oh moi, une fois de plus, je vais vous raconter une bonne blague. J'ignore si vous vous en souvenez mais, en 2016, Geoff Johns (qui scénarisait alors La guerre de Darkseid) concluait le dernier numéro avec une révélation assez marquante. En effet, alors qu'il était assis dans la chaise de Mobius (qui, je vous le rappelle, permet d'accéder au savoir infini et universel) Batman a formulé une et une seule question,  à savoir : "Quelle est l'identité du Joker ?" Ah ben j'étais mal, hein ! Mais en gros, je crois bien que l'auteur, ce jour-là, s'est pris au piège tout seul... parce qu'il lui faudrait dès lors répondre un jour à la question !
C'était un tel piège qu'il n'y a d'ailleurs pas du tout répondu ! En effet, l'unique réponse que nous aurons à cette interrogation un peu plus tard, c'est qu'il n'y a pas une identité de Joker mais trois Jokers distincts ! Avouez que ça n'a rien à voir avec la question, mais peu importe... Geoff n'est pas du genre à se soucier de si peu de chose, apparemment !
Ça a un peu perturbé toute la fanbase, cette idée... Et l'auteur, donc, a promis un comic en trois chapitres qui s'appellerait Les trois Jokers pour expliquer tout ce micmac.
Après, Scott Snyder l'a remplacé en tant que grand architecte de l'univers DC et Geoff Johns s'est mis en tête de superviser le DCEU (avec ce souci de la cohérence tout relatif qu'on lui connaît). Puis, laissant bien mariner les fans, il a imaginé une suite à Watchmen avec Doomsday clock, histoire de mettre un peu le brin dans un écrit d'Alan Moore avant de faire de même chez Batman... Responsable créatif devenu consultant attitré de Warner à chaque adaptation de DC à la télévision ou au cinéma, il s'est embarqué dans la série Star Girl puis a été affilié à des projets comme Green Lantern Corps.
Et ce n'est qu'au bout de quatre longues années qu'il est revenu avec son histoire de trois jokers. En nous promettant "l'histoire ultime entre Batman et le Joker". On n'allait pas être déçus, selon lui. Hahaha !

UMAC : Oui, c'est bien joli, mais ça ne me dit pas de quoi parle l'histoire.

Joker : Oui, effectivement, mais je vous assure que c'est par là qu'il faut commencer parce que ça explique un petit peu tout le brol que ça va donner par la suite. Alors, en gros, il a tenu parole : on se retrouve dans une histoire où, effectivement, je suis trois... ou plutôt on est trois à être moi, enfin non, je veux dire, je fais partie de trois personnes qui sont... c'est très compliqué. Mais en réalité, pour le lecteur, c'est beaucoup trop simple ; le scénario ne demande rigoureusement aucun effort d'attention, si ce n'est pour distinguer ces trois Jokers qui n'ont même pas le bon goût d'être suffisamment différenciés ! 
L'histoire commence avec une enquête menée par Batman, Bat Girl et Red Hood. On comprend très vite que trois meurtres qui sont signés par le Joker ont été commis exactement au même moment. Pas besoin d'avoir fait de grandes études pour deviner dès lors qu'il y a sans doute des personnes agissant sous le même nom à des endroits différents. Je ne vous dirai pas lequel je suis. Mais chacun de nous a une identité particulière. Il y a parmi nous le Clown, le Criminel et le Comédien. Chacun correspond à une période dans l'histoire des comics de Batman. En gros, il y a plus ou moins celui des années 1940, celui de l'Âge d'Argent et puis celui de Killing Joke.


UMAC : Mais... mais celui des années 40, il doit avoir à peu près 100 ans voire plus, non ? Et vous vous ressemblez pourtant, tous les trois... Vous ne vieillissez pas ? 

Joker :
Oh, mon petit vieux, si vous vous arrêtez à ça, vous n'avez pas fini. Ne traquez pas les incohérences dans ce bouquin, Il y en a absolument partout. D'ailleurs, il y en a une dès le départ ! Honnêtement, si vraiment vous découvrez qu'un mec comme moi existe en trois versions (pour trois fois plus de fun ! Hum...), que vous vous appelez Batman et que vous décidez d'arrêter les trois versions de ma personne... Qui employez-vous comme alliés ? Les personnes que j'ai le plus traumatisées au monde ou bien des personnes aptes à répondre de façon efficace ? Mauvaise réponse ! Batman a un esprit complexe et donc, forcément, il va prendre des décisions complexes qui sont très éloignées de vos raisonnements stupides de simple mortel trompé par le bon sens ! Du coup, les alliés de Batou dans cette enquête ne seront autres que Red Hood et Bat Girl. Oui, précisément, les deux personnes que j'ai fait le plus souffrir dans son entourage. Ah, ben ce serait dommage de pas pouvoir raconter une bonne petite histoire de traumatismes avec un bon petit couteau remué dans la plaie, vous ne trouvez pas ? Enfin, moi je dis ça, ça m'arrange : ça m'amuse. Mais évidemment, je comprends bien que pour le lecteur, tout de suite, ça semble être une incohérence assez coupable.

UMAC : Mais... c'est complètement con !

Joker : 
Ah mais je ne vous le fais pas dire ! Mais l'idée de base est débile dès le départ, comment voulez-vous bâtir un truc sympa par-dessus ? Il y a une raison à ça et je l'ai suggérée dès le début : un auteur à la recherche d'une idée qui paraîtra originale aux yeux de tout le monde à tout prix. Quitte à écrire de la merde, peu importe ! C'est un mauvais plan, tu vois : et je connais bien ça, en tant que méchant de comics... l'idée paraît géniale de loin mais de plus près, c'est une collection de failles. 

UMAC : Non mais là vous êtes sévère quand même, c'est un professionnel, il sait un peu ce qu'il fait.

Joker : 
Non ! Le gars nous raconte une enquête criminelle sur un triple meurtre et l'enquête met la Bat Family au contact de plusieurs centaines de gars disparus infectés par le produit qui transforme en Jokers. Plusieurs centaines ! Mais la police n'a remarqué que trois meurtres... c 'est tout ? Ce flots de mecs devenus des zombies-Jokers, là... personne n'a signalé leur disparition ?
Et ce n'est pas faute d'avoir envie que ça marche, hein... Moi, j'aurais bien aimé, je vous assure. Avoir une histoire emblématique de plus à mon palmarès, ça ne m'aurait pas gêné.
Quand Grant Morrisson m’a présenté comme une sorte de malade enfermé dans Arkham et qui se réinvente chaque jour en réécrivant ses origines, ce qui permet effectivement d'avoir des tonnes d'albums sur moi racontant mes débuts, tous cohérents avec ce background... j'ai trouvé ça simplement génial.
Quand Scott Snyder a fait de moi une espèce de légende urbaine dans son très bon Mascarade, avouez que ça avait de la gueule !

Mais là, non, non, non, je ne peux pas cautionner ; je ne sais pas ce qu'il a voulu me faire exactement, mais c'est foiré. Normalement, on fait de moi un personnage complexe, ambigu, aux multiples personnalités. C'est précisément ce que les gens aiment chez moi. Enfin, "aiment", c'est sans doute ce qui les effraie, aussi. Mais c'est cool, les gens doivent avoir peur de moi. Et ce qui fait peur chez moi, c'est que je suis totalement imprévisible. Ah, ben forcément, puisqu'on est plusieurs dans ma tête. Mais Johns, lui, il fout tout ça en l'air. Je ne suis plus un être unique complexe aux multiples personnalités. Je suis trois êtres fades au possible sans aucune forme d'excentricité ! Non mais sans blague : dans tout ce récit, on est chiants comme une boîte sans clown à ressort ! Parce que, outre mon teint blafard séduisant et mes cheveux verts, avouez quand même que c'est aussi ma personnalité qui vous plaît. C'est mon sens de l'humour. C'est le fait que je sois capable d'illuminer vos vies grâce à mes farces et attrapes au beau milieu d'une scène de crime. Mais ici, rien de tout ça. On est juste un trio de méchants qui a l'air de se rendre compte qu'il n'est plus vraiment à la hauteur.
Du coup, on prétend vouloir créer un quatrième Joker adapté à la nouvelle génération. Et vous savez quoi ? C'est une idée qui aurait pu être sympa... Mais vous connaissez la meilleure ? Ça n'arrivera pas ! Du tout ! Mais de toute façon, même si c'était arrivé, pour incarner le joker en question, on a choisi le pire bonhomme possible: un mec qui n'a plus du tout envie de s'en prendre à Batman ! On est allé déterrer l'assassin des parents de Bruce. En fait, quand je dis "déterrer", c'est parce qu'il est en taule. On est allé le kidnapper alors qu'il est à l'article de la mort : le pauvre est en phase terminale. Et le plan serait de lancer le type dans la cuve du produit toxique qui fit de nous des Jokers... Ah oui, c'est brillant : il est sur le point de crever ! Ça va être palpitant, les aventures de Batman à venir si jamais le plan réussit : "Batman contre le Métastaseman qui rit."
Oh bah, de toute façon même Batman n’est que l'ombre de lui-même. J'ai déjà été déçu par nos héros dans certaines aventures mais, ici, on les a promenés du début à la fin. Honnêtement, ce n'est jamais eux qui décident. C'est nous qui faisons tout et eux, ils suivent comme des petits chiens partout. De toute façon aucun des héros n'a de personnalité dans ce tome.
Red Hood ressasse à longueur de temps le fait que Batman l'ait abandonné, le fait que personne ne soit jamais là pour l'aider et du coup, il veut tout prendre en main tout seul, au point parfois de faire n'importe quoi et de se jeter la tête la première dans le premier piège venu.
Bat Girl est devenue l'espèce de boussole morale du trio, l'incarnation de l'effort et du courage. Ah ça, elle en a, du courage, la fillette. Non, parce que pour faire les cabrioles qu'elle fait encore maintenant, alors qu'il n'y a pas si longtemps que ça je l'avais clouée d'une balle dans une chaise roulante... Il faut avouer qu'elle a de la suite dans les idées et un super kiné ! Haha !

Et le pire, c'est sans doute Batou. Je lui reproche souvent de ne pas avoir le sens de la blague, mais alors là : c'est tirage de tronche non stop. Il est carré, monolithique, inapte au dialogue… Il s'avère insensible, vaguement rationnel et ne manifeste aucune caractéristique du rôle de leader de la Bat Family qu'on peut le voir endosser dans d'autres albums. Pire : les rares fois où le pauvre Jason essaie de lui expliquer pourquoi il est si mal dans sa peau, sa seule réaction, c'est de le plaquer au mur en lui hurlant dessus. Ah ben bravo, le père de substitution ! J'en suis à me demander si je ne serais pas meilleur papa que lui !

Harley :
Permets-moi d'en douter. Par contre, dans mon monde, je ne serais pas contre le fait d'avoir le soutien de Jack, ton alter ego, malheureusement disparu. Tu sais... Jack ? C'est toi avant que tu deviennes le Joker. Parce que chez moi, tu as un nom !
Mais dis, personne autour de toi n'a jamais remarqué que vous étiez trois ? Dans tes complices, non ? Personne ? 
Et comment se fait-il que la version de moi de ton univers n'ait pas remarqué que tu étais trois personnes différentes ? Elle a quand même bien dû voir que vous n'aviez pas tout à fait le même physique, elle en a été plutôt proche à maintes reprises. Elle a dû entendre que vos voix n'étaient pas les mêmes, quand même. Non ? Vous ne causez pas ?
C'est une psy, elle doit faire la différence entre un schizophrène et trois individus différents, bon sang !

Joker : Non... parce que les femmes, c'est des débiles qui ne pigent rien à rien et qui ne remarquent rien, même quand on le leur agite sous le nez !


UMAC : Mais je vous en prie, vous ne pouvez pas dire ça !

Joker : Mais bien obligé puisque c'est ce que le scénario raconte dans mon album. Je ne vous ai pas dit que je le pense. Les femmes, selon l'auteur de mon album, ce sont visiblement des personnages relativement creux mais rebondis... parce que la seule qu'on y croise, c'est Barbara ; une femme à la psychologie peu travaillée et aux formes hypertrophiées moulées dans la combinaison la plus slim que l'on ait pu voir sur Bat Girl.
Dans mon univers aussi, Harley est brillante. C'est une psy de talent. Mais en effet, apparemment, dans mon univers selon Johns, Harley n'a rien vu venir du tout.
D'ailleurs, elle n'est même pas présente dans l'album. Mais Johns est-il seulement conscient qu'elle est supposée exister ? À ce propos, je vous remercie de l'avoir invitée en même temps que moi. Ça me fait du bien de la revoir. Salut, ma poulette.

Harley :
Pour ma part, je pense avoir compris pourquoi on nous a invités en même temps. En réalité, je suis tout ce que tu n'es pas. Cette idée, qui pourrait paraître originale de prime abord, de faire de toi trois personnes différentes, est un échec total puisque ça fait de toi, finalement, trois personnes trois fois moins intéressantes. D'autant plus que ça ne raconte plus grand-chose, vraiment, sur la façon dont on peut vivre avec différents troubles psychologiques… Ça appauvrit ton mythe. 
Pour ma part, au contraire, cette nouvelle histoire fait de moi quelqu'un de plus complexe : je ne suis plus seulement une bouffonne ou seulement une psychiatre. C'est peut-être même, de toutes les histoires qui ont été racontées sur notre relation (comme Joker/Harley : criminal sanity ou Harleen), l'histoire qui met le plus en avant mes tentatives de conciliation entre ces deux identités. 
Et même, comme je le disais, avec une troisième toute nouvelle : ce rôle de mère. 
Dans mon album, Ivy a un super conseil pour moi. En gros, elle me dit que je peux toujours être moi, que si je suis devenue folle, c'est parce que je pensais que c'était le seul moyen de sauver Jack. Selon elle, on est tous habités par différentes versions de nous-mêmes, différentes personnalités... et la seule manière de survivre, c'est de réussir à les combiner. Parce que, au final, elles font toutes partie de nous. Et c'est comme ça pour Bruce aussi, d'ailleurs... il a essayé de compartimenter Batman pendant des années et ça l'a mené où ? Ben, en taule ! 
Et toi, Joker, séparer tes différentes personnalités, c'est ce qui t'amène à ta perte dans mon monde. J'ai essayé tant bien que mal de séparer mon Jack du Joker et tout ce que j'ai réussi à faire, c'est étouffer Jack sous le Joker. Le seul moment où Jack se portait bien, c'était quand le Joker était au fond de lui et qu'il l'acceptait. 

Si mon album nous apprend quelque chose, c'est qu'on doit apprendre à rassembler tous les aspects de nous-mêmes ; en ce qui me concerne : la mère, le docteur, la femme, la criminelle, la profileuse... Et au bout du compte, il faut qu'on accepte le chaos qui en résulte. Parce que c'est ça, la vie : c'est du chaos. Toi, ce qu'ils t'ont fait, c'est qu'ils t'ont coupé en trois personnalités qu'ils ont mises dans des cases bien rangées ; alors on n'y croit pas. Parce que la vie, ce n'est pas bien rangé ; la vie, c'est chaotique et normalement, c'est encore plus chaotique quand c'est la vie du Joker ! Normalement, le Joker, ça part dans tous les sens, ça ne peut pas être bien rangé, bien organisé et bien compartimenté tout le temps.

Joker : C'est quand je t'entends parler comme ça que je me rends compte qu'effectivement tu es un plus dans mon univers. Te retirer de mon histoire par simple facilité scénaristique, c'est vraiment une erreur grossière. Je pige mieux en quoi tu as aidé ma figure grotesque à survivre depuis ton apparition dans la série d'animation de l'autre pipistrelle, là !

UMAC : Au moins, chacun de vos livres laissera-t-il dans vos univers respectifs un impact important. En effet, la situation change drastiquement entre le début et la fin de l'album.

Harley : Ah ça, clairement ! Moi, j'accepte enfin d'endosser un rôle dont Bruce me croit digne depuis un bon moment. Comme vous le savez, il m'a déjà acceptée auprès de lui pour l'aider et, maintenant qu'il est en prison, ça va être un peu à moi de prendre les manettes des opérations. D'ailleurs, ce n'est pas compliqué : dans mon tout dernier phylactère avant la postface, je dis : "Je ne te décevrai pas, Batman." Avouez que venant de Harley Quinn, c'est quand même un changement assez radical, non ? Et toi, Monsieur, J ? Quelle est ta fin révolutionnaire ?

Joker :
 Bah... la mienne, au moins, elle est à peu près à la hauteur de la qualité de l'album vu qu'il y a un joli retour au statu quo : je redeviens seul. Ouais, les deux autres sont tués. Tu vois, c'est vachement original. La prise de risque optimale ! Oh... Oui, non, j'oubliais : dans ton album, la postface est assez accessoire mais la mienne se permet de se torcher le popotin avec Killing Joke. Sans déconner : les dernières cases de cet album se permettent de dire tout simplement que certains événements de Killing Joke étaient totalement faux, de bons gros mensonges ! Killing Joke, un de mes récits emblématiques ! C'est supposé relancer l'intrigue, j'imagine… mais ça sent surtout la tentative bon marché de vouloir créer un effet de surprise complètement bancal.
D'un autre côté, qui sait ? Cet élément sera peut être repris dans un album inutile tout comme cette idée qu'il existe trois versions différentes de moi a été reprise pour faire un pauvre album qui ne marquera pas l'histoire de ma licence. Parce que, ne nous leurrons pas, le fait qu'il y ait eu à un moment trois Jokers ne va plus rien changer. Je suis à nouveau unique.

UMAC : Vous ne trouvez vraiment rien de bon scénaristiquement parlant dans votre album ?

Joker : 
Je n'irais pas jusque là. Certains clins d'œil sont sympathiques. J'ai bien aimé recommencer à lancer des cartes acérées. J'ai aimé me voir à nouveau utiliser des poissons jokers. Et cette bonne vieille fleur projeteuse d'acide, ça faisait des années qu'on ne l'avait plus vue, hein... Qu'est ce qu'on se marre ! Mais globalement, c'est plat ; c'est archi plat. 
Toute la première partie est précipitée. On aurait au moins pu créer une espèce de suspense, se demander comment les Bat-Détectives allaient réussir à découvrir que nous étions effectivement trois, mais ils le découvrent au bout de quelques planches parce que c'est juste tellement absolument évident qu'il faudrait être aveugle, sourd et muet pour ne pas le comprendre. D'ailleurs, Bats le savait déjà, comme on l'a dit auparavant. 

UMAC : C'est vrai, ça... pourquoi n'en a-t-il jamais parlé à ses proches, d'ailleurs ? 

Joker : Allez savoir ! Le personnage est assez mutique, on va dire. Ou il a oublié parce qu'il a jugé que ce n'était pas important... Hahaha !

UMAC : Rien à sauver, alors ?

Il y a bien cette tentative un peu émouvante de faire de Joe Chill un meurtrier repenti qui écrit à Bruce Wayne depuis des années pour lui demander pardon sans jamais oser envoyer les lettres et qui parvient enfin à le faire lors d'un face-à-face pendant lequel Batman se montrera à peu près aussi intéressé qu'un zombie bouffeur de cerveau face à Marlène Schiappa.
"Je sais qui tu es", lui dit Chill... Ah bon ? Tout le monde sait tout sur tout le monde, dans cet album ! C'est bien la peine de jouer les mystérieux ! Hahaha !

Mais, sérieusement... faire de cette réconciliation entre Bruce et l'assassin de ses parents un des enjeux principaux du livre ? Je dois avouer que même moi je ne l'avais pas vu venir. Et je ne dis pas ça parce que c'est extrêmement original, hein ! Je dis ça parce que ça n'a aucun intérêt et que c'est daubé du croupion. On voudrait vous faire croire que ça a été mon plan depuis le début, de retirer à Batman ce qui fait sa force, cette envie de vengeance ; que le pardon l'affaiblirait, que ça casserait son identité, que ça le foutrait en l'air, et qu’enfin je deviendrais sa seule et unique obsession. 
Mais depuis quand est-ce que je ne suis pas l'obsession de Batman ? 
Et puis, sincèrement : ça fait des décennies que le gars crapahute toutes les nuits sur les toits simplement pour venger de façon virtuelle la mort de ses parents... et sur quelques pauvres lettres découvertes dans une cellule qui n'ont jamais été envoyées et un petit face-à-face avec un criminel en fin de course qu'il vient de sauver d'une transformation en Joker, il faudrait qu'il pardonne tout d'un coup ? 
Vous pensez vraiment qu'un traumatisme, ça se soigne comme ça ? Non, parce qu'à la base, l'auteur avait quand même vendu ce comic en disant que ça allait précisément revenir sur les traumatismes de chacun et les analyser en profondeur comme autant de blessures de leurs petites âmes meurtries ! La blague ! 
On revient sur le traumatisme de Barbara. Oui, il faut le dire vite ! Elle en parle à Jason pendant trois lignes pour bien lui faire comprendre que finalement, bah, sa façon à elle de gérer les choses étaient quand même méchamment plus mature et courageuse.

On revient sur le traumatisme de Jason. Oh bah oui, pour qu'il le vive une seconde fois, dans une scène qui mime son exécution, dis donc ; ça valait bien la peine que je me décarcasse la première fois à l'exécuter de façon bien violente au point de l'envoyer carrément six pieds sous terre pour que, quand il ressorte, on me refasse faire exactement la même chose. Le gars était brisé, il n'a pas réussi à se reconstruire et tout ce qu'on me pousse à faire, c'est quoi ? Le briser à nouveau ? Mais le pauvre n'est même pas reconstruit ! Je pourrais éventuellement avoir eu l'idée saugrenue de faire de lui le nouveau Joker rien qu'en le tabassant. De la même façon que j'ai déjà fait de lui Red Hood (et donc un peu moi) au moment où je l'ai tué. Mais c'est tout pourri. Pourquoi ? Parce que ça ne marche pas ! Non, parce que vraiment, Jason, en nouveau Joker, pourquoi pas ? Cette idée aurait fait changer les choses. Au moins, l'univers aurait un peu avancé. Mais là, c'est tellement le statu quo qu'on dirait un Marvel !

Harley : Dans mon histoire aussi, on revoit la scène où tu veux tuer Jason. Mais ça n'arrive pas parce que je le protège et c'est le moment ou j'appelle Batman. Et c'est d'ailleurs le moment ou tu te fais arrêter. Et c'est malheureusement la fin de tout pour toi. C'est le moment ou je te trahis parce que c'est vraiment le moment où, pour moi, tu vas trop loin. Et ça en dit beaucoup sur mon personnage.


Joker : Ouais et au moins ça raconte quelque chose d'intéressant. Même si j'avoue que je préfère nettement la version où Jason meurt.

Harley :
Moi pas. Parce que dans mon univers, Jason devient quelqu'un de bien : un capitaine de police, puis un directeur de prison. C'est vrai qu'on ne le voit pas beaucoup dans l'album, mais on comprend qu’il a continué sa vie.
Pour revenir un peu à moi, je suis vraiment très contente de ce qu'on a fait de mon personnage. Et du nouvel univers Batman White Knight. Ma transformation en justicière se fait peu à peu. Elle est vraiment justifiée au sein du récit. C'est écrit avec finesse, avec douceur et même un peu de tendresse. 
Et puis toute l'enquête sur laquelle l'album est basée est centrée sur un duo qui peut rappeler ma relation avec le Joker et qui, forcément, va me faire beaucoup réfléchir sur la relation toxique que j’entretenais avec lui, sur cet espoir vain que j'avais de le sauver de lui-même.
De manière générale, l'histoire de mon album ne souffre d'aucun défaut majeur et garde même le lecteur en haleine.
J'ai lu que certains ont regretté que les dernières scènes se déroulent encore dans un cinéma, vu que ça devient un thème un peu récurrent dans les albums liés au Joker... mais toute mon histoire parle d'anciennes gloire du cinéma, alors c'est on ne peut plus justifié !

Joker : Hahaha ! C'est marrant, ça : moi aussi, mon histoire s'achève sur une scène dans un cinéma... mais moi, c'est juste un clin d'œil poussif, tardif et mille fois fait et refait au film que Bruce est allé voir avec ses parents le soir de leur meurtre. Originalité, quand tu nous tiens !
Et tout ça pour projeter l'enregistrement d'une déclaration faite par un personnage de toute façon présent sur les lieux ! Inutile, donc... C'est vraiment une façon, idiote d'affirmer : "Hey, z'avez vu ? J'ai casé la référence au cinéma. C'est bien , hein oui ? Allez, dites qu'il est bien, mon album nul..."


UMAC : Hum... Et graphiquement, que pensez-vous de vos ouvrages respectifs ?

Joker : Ah là, par contre, rien à redire : c'est du beau boulot. Aussi bien au niveau du dessin que de la colorisation. On peut dire que les gars, franchement, ils ont mis le paquet. Je suis juste surpris que dans une BD qui claque autant, on range toute cette action dans des cases aussi ordonnées et aussi scolaires. Au final, avec un dessin d’une telle qualité, je ne pense pas qu'il y ait nécessairement besoin d'une mise en page tape-à-l'œil mais c'est surprenant, ces petites cases bien sages. Ça me ressemble si peu... mais comme le dit Harley : ils ont essayé de contenir et ordonner mon chaos, ces salauds !

Harley : En ce qui me concerne, c'est un trait un peu plus particulier puisque l'univers White Knight bénéficie de la plume de Sean Murphy mais que moi, je suis dessinée par Matteo Scalera. En gros, Matteo a plus ou moins essayé de copier les angles de vue que Sean Murphy utilise dans le reste de White Knight. Du coup, il y a une espèce de cohérence graphique sur tout l'univers mais une identité esthétique propre à mon album. Matteo a une approche plus douce, moins virile. Ça convient parfaitement à cette histoire qui finalement me raconte, moi, devenant une femme pleine, entière et épanouie. Finalement, on me voit quand même assez bien dans des scènes du quotidien où je vis ma vie avec mes enfants et où je soigne mes hyènes… Et Matteo a le chic pour dessiner des visages qui expriment vraiment des émotions en quelques simples traits. Ce n'est pas compliqué : la planche où je rencontre Jack alors qu'ils n'est pas encore le Joker et que je ne suis pas encore une arlequine et où on tombe amoureux l'un de l'autre est sans doute l'une des plus belles et poétiques de l'album simplement à cause de cette légèreté... et pourtant , j'étais quand même gogo dancer à cette époque et lui était déjà un criminel passablement instable !


UMAC : Alors, en résumé ?

Joker : Un très bel album visuellement ; scénaristiquement, totalement dispensable. Préférez les vrais classiques !

Harley : Un album atypique dans un univers atypique de plus en plus indispensable ! 

UMAC : Merci à vous et à la prochaine fois !

Joker : C'est ça, à plus ! Tu ne m'en voudras pas si je te zigouille avant de partir ? Juste histoire de ne pas décevoir ma fanbase. Harley, file-moi mon arme !

Harley : Je ne suis pas cette Harley-là, Monsieur J...

Joker : Raaah ! Décidément, c'est une sale journée. Bon, ben... je vais me le faire à la canne, alors !



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Batman White Knight : Harley Quinn. Une relecture de Harley vraiment inspirée et quasi inspirante !
  • Un dessin très sympa dans chacun des deux albums.
  • Batman : Trois Jokers. Une approche du Joker qui se voudrait originale et innovante mais qui fout en l'air le mythe.
  • Un scénario vraiment trop facile pour Trois Jokers où une Bat Family restreinte se fait balader sans jamais vraiment avoir la main sur l'enquête.

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Tic-tac-tic-tac, le passé trépasse en un râle


Tiburce Oger fait partie de ces artisans de la bande dessinée qui ont fait les belles heures de mon adolescence et de ma vie de jeune adulte. Avec sa série Gorn, son spin-off Dame Gorge et Orull, le souffleur de nuages, il a stimulé mon imaginaire lors de nombreuses lectures et relectures.
J'ignore pourquoi j'avais, depuis, perdu cet auteur de vue... mais c'est avec plaisir que je vis son nom sur cet album.
Apparemment, le Monsieur est un grand amateur de western, un genre décidément à la mode ces derniers temps en BD et dans ces colonnes (avec West Legends, Horseback 1861, Les Dragons de la frontière, voire Pulp et Fausses pistes, par exemple). Le confinement imposé par le Covid (oui, "le") lui a permis de faire une liste des projets qu'il aurait toujours aimé mener à bien. L'auteur des westerns Ghost Kid, Buffalo Runner et La piste des ombres s'est alors pris à rêver d'écrire des histoires prenant place dans le grand Ouest pour tout un tas de dessinateurs de renom partageant avec lui cette passion ; Go West Young Man venait de passer au stade embryonnaire !
Afin d'éviter le patchwork disparate d'histoires courtes reliées en un recueil, il fut vite décidé d'offrir à ces récits un fil rouge (parfois ténu) sous la forme élégante et symbolique d'une montre de gousset ouvragée en or. Elle passera, traversant un siècle et demi d'histoire américaine, entre les mains d'autant de propriétaires que nécessaire pour accomplir tous les fantasmes de collaboration artistique d'Oger qui, pour une fois, ne dessinera pas le moindre trait dans un album arborant pourtant son nom (je le regrette, aimant son dessin... mais ça bénéficie au concept). Enrico Marini (sans doute occupé par Noir Burlesque) n'a su se libérer que pour dessiner cette très efficace couverture, ce qui est déjà pas mal.


1938 L'album s'ouvre et se ferme sur le travail toujours séduisant de Paul Gastine (L'héritage du diable, Jusqu'au dernier) introduisant et concluant la longue épopée de cette fameuse montre qui, de hasards en coups du sort, va traverser l'histoire de l'Amérique.
Un jeune agriculteur, poussé à la vente par La Grande Dépression, va devoir se séparer de ses terres... vendra-t-il aussi la fameuse montre à gousset ?

1763
La rébellion de Pontiac a pour objectif de chasser de leurs terres les soldats de la couronne britannique au lendemain de la guerre des Sept Ans. Le chef indien provoquera sans le vouloir le fameux épisode du siège de Fort Pitt. 
Le dessin de Patrick Prugne (Tomahawk, Vanikoro, Iroquois, Poulbots, Pawnee, Frenchman, Canoë bay et déjà complice d'Oger avec L'auberge du bout du monde en 2004) tient, comme toujours, davantage de la peinture et offre ici des scènes brumeuses fleurant bon les premiers âges des colonies britanniques sur le sol américain. 
Cette histoire explique l'apparition de la montre sur le sol américain.

1825 Malheur River, ou l'histoire d'un trappeur très pieux installé dans le futur Wyoming. Marié à une squaw pour avoir le droit de chasser sur le territoire de ses ancêtres, il recueille un orphelin français qui ne tardera pas à plaire davantage que lui à son épouse indigène. Le dessin et la mise en couleurs donnent envie de se remettre à la lecture des classiques d'Olivier Taduc (Chinaman en tête parce que j'adore cette série mais aussi Le Réveil du tigre, Griffe blanche ou Mon pépé est un fantôme).

1842
Conestoga, l'histoire d'un amour interdit entre une blanche et un noir fuyant la Louisiane dans l'espoir d'avoir le droit de s'aimer en la lointaine Californie, m'a fait découvrir Benjamin Blasco-Martinez (Catamount, L'Homme de l'année, Le Garde Républicain) et c'est une découverte on ne peut plus plaisante : un trait réaliste et élégant, expressif et dynamique mais capable de sensibilité, soutenu par les couleurs de Serial Color.

1860 On connaît bien le nom du Pony Express et la réputation de ses coursiers rapides mais on ignore souvent que l'existence de ce service de distribution du courrier fut elle aussi expéditive : ça n'a tenu qu'un an et demi. C'est sur cette surprenante information que repose Pyramid Lake War, sous le crayon de Ralph Meyer (Undertaker, Asgard, Berceuse assassine, Page noire, Des lendemains sans nuages, XIII Mystery, Ian). Une histoire tristement ironique pour un dessin agréable mais colorisé de façon un peu terne.

1863 C'est Félix Meynet (Sauvage, Dolorès de Villafranca, Les Eternels) qui illustre dans Ne meurs pas les dernières pensées d'un infortuné confédéré tombé au combat. On sent chez lui une réelle maîtrise de la retranscription des scènes de bataille.

1875
Par son superbe parti pris graphique inédit dans l'album et la poignante histoire des Sœurs Austin, Dominique Bertail (Madeleine, Résistante, Mondo reverso, Paris 2119, Pilote, Infinity 8, Ghost money, Omaha Beach, 6 juin 1944, Premières fois, Shandy, Un anglais dans l'Empire) se distingue ici de fort belle façon. La libération de ces deux frangines des mains d'Indiens les ayant capturées vous réservera une surprise de taille.


1879 Colorisée par Jérôme Maffre et illustrée par Hugues Labiano (Le Lion de Judah, Etoile du désert, Black OP, Mister George, Les quatre coins du monde, Vivre libre ou mourir), J'ai connu Wild Bill raconte le face à face entre un Marshall usé et le pilleur de diligence Douglas Mac Gerthy qui a tué une femme et un enfant juste pour mettre la main sur un objet dont vous devinez la nature puisqu'il est le moteur de tout cet album. À mon sens, l'histoire qui sent le plus le western tel que je l'imagine avec le fantôme de Hicock qui plane sur l'histoire.

1881
 Sans doute la plus dérangeante et glauque des histoires de cet album : ce qu'il advint d'un rouquin soupçonné d'être un voleur de bétail, raconté par l'un de ses bourreaux. L'ours commence comme une petite conversation au coin d'un bar mais vous n'êtes pas prêts pour l'au revoir ! Les dessins de François Boucq (Janvier 2015 - Le procèsNew York Cannibals, Face de lune, Jérôme Moucherot, Bouncer, Le janitor, Portrait de la France, Rock Mastard, Superdupont, Le Procès Carlton, Point de fuite pour les braves, Un Point c'est tout, Little Tulip) sont mis en couleurs par Jack Manini. Le duo fonctionne bien mais c'est très classique. Pour le coup, la vraie claque est ici l'histoire.

1882 La montre continue à changer de mains et arrive au bordel de Maria pour un western un peu kitsch avec des filles de saloon, des gros durs et une exécution primaire dans The Girls and the Doc. Eric Hérenguel (The Kong crew, Pilote 18, Kiliwatch, Ulysse 1781, Kerubim, Balade au bout du monde, Remington, Nuit safran, Krän le barbare, Lune d'argent sur Providence, Kerozen et Gazoleen) enchaîne avec bonheur les caricatures de films de genre.

1883 Avec La lettre, Michel Blanc-Dumont (La jeunesse de Blueberry, Cartland, Une folie très ordinaire), Steve Cuzor (Cinq branches de coton noir, XIII Mystery, O'boys, Quintett) et Tom Cuzor (aux couleurs) font une petite visite de politesse qui tient en deux (très belles) planches.


1885 Ruse, bluff, tuniques bleues en version pas comiques et Géronimo au programme de cette aventure bien ficelée qu'est La montagne qui parle. Christian Rossi (Moonshine, Niala, Ballade du soldat Odawaa, Le cœur des amazones, XIII Mystery, W.E.S.T., Deadline, Paulette comète, Alef Thau, Les errances de Julius Antoine, Une folie très ordinaire, La gloire d'Héra, Tirésias) nous livre des planches respectant les vieux préceptes de la BD réaliste européenne... ça fait un bail que je n'avais plus vu de telles cases. Je vais relire mes Aleph Thau, moi !

1894
 Parce que les pionnières existaient aussi, il fallait au moins un récit offrant au lecteur un épisode de vie d'une de ces femmes sévèrement burnées. C'est chose faite avec Cattle Kate dessinée par Michel Rouge (Gunfighter, Kashmeer, Le samaritain, Shimon de Samarie, Marshal Blueberry, Blueberry) et colorisée par Corentin Rouge pour des planches majoritairement jaunes et... hum... rouges !

1916 La révolution éclate en novembre 1910 au Mexique. Viva Villa met en scène la traque de Pancho Villa sur les indications d'un gamin mexicain prétendant vouloir venger son frère... Un descendant du premier propriétaire de la montre va refaire surface mais dans ce maudit pays, tout se paie et a le goût du sang. Ronan Toulhoat (Sigrid, Ira dei, Block 109, Conan le Cimmérien, Zeppelin's war, Maruta, Tales from the Crypt, Le Roy des Ribauds, Sherlock Holmes Society, Prométhée, La Nuit des morts-vivants, Le Monde perdu, Chaos team) illustre agréablement ce récit de cases un peu sépia mais carrément étouffantes... 


Go West Young Man est un projet séduisant, une entreprise menée à bien, sans conteste.

150 ans de poussière, de sable, de gunfights, de charges de cavalerie, de duels, de lynchages, d'esclavagisme, de prostitution, de saloons, de bagarres, de colonisation, de chasses et de révoltes résumés en une centaine de pages par un auteur et seize dessinateurs de talent... on ne voit pas ça tous les jours. 
"C’est un peu comme si j’avais réussi à rassembler John Wayne, Clint Eastwood, Gary Cooper et consorts pour faire mon film !", confesse un Tiburce Oger reconnaissant.
Oh, l'album n'est pas exempt de défauts, comme souvent les œuvres chorales. Certains épisodes sont moins passionnants ou moins beaux que d'autres, mais il y a toujours quelque chose à tirer de chacun pour peu que l'on aime cette BD franco-belge classique : la pureté d'un trait, la malice d'une narration, l'intelligence d'une colorisation... avec autant d'artisans à l'œuvre, Go West Young Man ne saurait être dépourvu de faiblesses mais il parvient à les faire oublier et à séduire tant la passion de chacun de ses papas (c'est sexiste, le Far West !) pour leur sujet est palpable.
C'est documenté et ça ne fait pas des masses de concession au western classique : ici, on dénonce la noirceur de l'humain et ni les pionniers ni les indigènes ne s'en sortent à bon compte... 

À noter que Bamboo (car c'est un album de la collection Grand Angle) sort une édition de luxe avec reliure en cuir, dessin de couverture alternatif signé Paul Gastine et tout le toutim... qui coûte quasiment 30 €. Pourquoi pas ? Mais pourquoi ?
Oui, c'est un album assez exceptionnel regroupant des pointures XXL de la bande dessinée européenne passionnées par le Far West. Et oui, si l'on est collectionneur, on s'empressera de se jeter sur la version bling-bling de l'objet. Je peux comprendre.
Mais si l'expérience vous tente et que vous n'êtes pas un passionné acharné, l'édition classique est déjà un très bel objet qui en jette.
Voyez la version luxe comme un bonus superflu mais agréable, tout au plus, tant celle de base est qualitative en terme de travail d'édition.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une impressionnante réunion de cadors de la BD franco-belge sous la houlette d'un Tiburce Oger plutôt inspiré.
  • Les histoires sont toutes traversées par un fil rouge commun parcourant les 150 ans qui s'écoulent en plus de 100 pages.
  • L'objet est aussi beau qu'intéressant et documenté. 
  • Quelques histoires sont moins enthousiasmantes que d'autres.
  • Malgré tout le respect que l'on a pour eux, certains maîtres dans ce casting trois étoiles (de shérif) ont parfois un trait assez daté.
  • La colorisation n'est pas toujours aussi riche qu'elle pourrait l'être.
Le Bazaar de l'Épouvante
Par


Sortie en édition collector d'une nouvelle version du Bazaar de l'Épouvante.

Ce récit est avant tout un roman de Stephen King, sorti en 1991 chez Viking aux États-Unis, sous le titre original Needful Things. La version française, intitulée Bazaar, sortira l'année suivante. L'adaptation cinématographique qui nous intéresse ici date de 1993 et ressort chez Rimini Éditions dans une version restaurée haute définition accompagnée d'une version longue inédite. 

Mais dans un premier temps, voyons un peu de quoi il est question.
L'action se déroule dans la petite ville de Castle Rock (un lieu important du kingverse), dans le Maine. Ses habitants y coulent une vie plutôt paisible, malgré les petits défauts et secrets de chacun. Le shérif Alan Pangborn veille sur cette petite communauté, tout en prévoyant de s'engager plus sérieusement avec sa petite amie, Polly Chalmers.

C'est dans un cadre quasiment idyllique que débarque Leland Gaunt, un brocanteur qui va ouvrir une boutique juste en face du restaurant de Polly. C'est à partir de ce moment que la situation va peu à peu se dégrader. Les braves citoyens de Castle Rock, piqués par la curiosité, se rendent tout naturellement dans ce nouveau magasin. La plupart vont d'ailleurs y trouver l'objet de leur rêve, que ce soit une carte de collection très rare, un buste d'Elvis ou un jouet ancien permettant de prédire le résultat des courses de chevaux. Et, cerise empoisonnée sur le gâteau pas frais, Leland Gaunt n'exige pratiquement rien en échange de ces trésors. Si ce n'est quelques pièces et... un service.

L'habile brocanteur va ainsi se servir de la cupidité de ses clients pour progressivement monter les habitants les uns contre les autres. Peu à peu, la rancœur s'accumule, la tension monte, et les premiers dérapages ont lieu.




En ce qui concerne l'histoire, pas de souci, la base et les thématiques du roman sont plutôt bien respectées (on est loin de l'escroquerie pure et simple de La Tour Sombre, qui a réussi à détrôner Shining de sa place peu convoitée de pire adaptation d'un roman de King). Bien entendu, certaines scènes sont modifiées en profondeur ou passent carrément à la trappe, mais sans jamais nuire à l'esprit du récit original. Le casting est lui aussi de haute volée, avec un charismatique Ed Harris incarnant Pangborn et un Max von Sydow qui campe un inquiétant Leland Gaunt. Notons également la présence de Bonnie Bedelia (madame McClane) dans le rôle de Polly.

Est-ce pour autant une adaptation de la trempe de La Ligne Verte ou des Évadés, qui parvenaient à parfaitement retranscrire la puissance émotionnelle des écrits de King ? Quand même pas, il manque un je ne sais quoi, au moins en partie dans l'écriture et la direction d'acteurs, pour que ces personnages souvent caricaturaux (Nettie, Keeton et Wilma en tête) parviennent à réellement convaincre le spectateur de s'inquiéter pour eux. Encore une fois, cela montre à quel point il est difficile de saisir et surtout retranscrire à l'image la magie du style du plus célèbre écrivain du Maine (et sans doute du monde).
Ceci dit, le charme de Castle Rock fait tout de même son effet et l'on prend plaisir à regarder les pièges, patiemment tendus par Gaunt, se refermer sur la faune locale. 

Passons au côté technique. Cette édition (en blu-ray ou DVD) est très complète puisqu'elle propose les versions française et originale, en 2.0 ou 5.1, ainsi qu'un commentaire audio du réalisateur. On a droit aussi à la bande-annonce en bonus. Mais c'est la version longue qui fait tout l'intérêt de cette sortie. Alors que le film original faisait un peu moins de 2 heures, la version TV (conçue au départ comme une mini-série de deux épisodes de 1h30 chacun) propose une bonne heure en plus, ce qui permet d'ajouter un nombre non négligeable de scènes intéressantes, parvenant à développer un peu plus certains personnages ou à renforcer l'atmosphère inquiétante de l'intrigue. Citons par exemple la longue scène de course-poursuite introduisant Pangborn, son adjoint et un Gaunt encore dans l'ombre. Malheureusement ces ajouts n'ont pas pu bénéficier du même traitement que le film original, ils ne sont donc pas restaurés mais apportent sans nul doute une bien meilleure cohérence au récit.
Enfin, un livret illustré, d'une vingtaine de pages, revient sur la genèse du roman et celle du film dans ses deux versions. Plutôt complet et intéressant. 

Une balade sympathique dans un Castle Rock mythique. On vous conseille le grand tour, c'est-à-dire la visite guidée de 3 heures avec suppléments frissons.
Disponible depuis le 22 novembre.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Quelques scènes choc, qui font leur petit effet.
  • Ed Harris, parfait dans le rôle de Pangborn.
  • Le cadre mythique de Castle Rock.
  • Les scènes supplémentaires de la version longue.
  • Le livret. 


  • Des personnages secondaires souvent caricaturaux et un brin surjoués.
  • Bien moins chargé en affect que le roman.
Asumi
Par

Fantasme pour les uns, concurrente pour les autres, voisine d’à côté super sympa, bonne copine bienveillante, parfois naïve et très bien proportionnée, voilà quelques qualificatifs qui collent à Asumi, 21 ans. Cette femme au foyer japonaise, mariée à un concepteur de lingerie féminine de dix ans son aîné, vit dans un immeuble résidentiel aux nombreux voisins encombrants. Au fil des planches apparaît la gérante d’un bar à hôtesses, madame Tedokoro, dont l’époux court après la jeune femme ; madame Kurobe, plus prompte au saphisme essaie de l’approcher charnellement. Des yakuzas, le concierge, une troupe de femmes au foyer et bien d’autres encore complètent le casting.

Asumi, manga complet en 360 pages de Mitsuru Miura, compile des tranches de vie prétextes à mettre l'héroïne éponyme dans des situations cocasses et grivoises. Un vendeur au porte-à-porte sonne : elle lui ouvre et le laisse tester un électro-stimulant ; le collègue de son mari a besoin d’une fausse épouse pour mentir à ses parents, la voilà qui l’aide avec gentillesse, quitte à terminer nue dans la salle de bain...

Asumi incarne une madone aux yeux de ces messieurs : toujours encourageante, prévenante, dévouée, elle pardonne, ne juge pas et ne possède pas d’a priori ; ainsi, elle peut discuter sans soucis avec des yakuzas. Grâce au talent de l’auteur, cet idéal qui s’avérerait caricatural et indigeste chez d’autres, apparaît comme une agréable sucrerie, fondante. Les situations variées, quoique parfois convenues, font tout le sel des récits.
Jamais elle ne trompe son mari Taisuke et si elle doit embrasser la joue d’un autre homme pour le rendre heureux au moins une fois dans son existence, elle s’excuse auprès de son aimé, ému par la compassion de sa femme. L’idée ne viendra pas à Asumi de se plaindre lorsqu’un policier lui collera une main sur les seins [1] et elle trouvera toujours un côté attendrissant à chaque homme qu’elle croisera.

L’auteur joue sur l’objet de désir qu’incarne Asumi au sein de ce vaudeville, et il titille les lecteurs en variant ces tenues au grès des récits : en uniforme de lycéenne, mannequin de mode, maillot de bain, lingerie, pull à col roulé, hôtesse de bar... Œuvre de son temps, elle répond à des codes pour un public masculin : toutes les femmes portent soit des jupes, soit des robes ou des justaucorps qui dévoilent les jambes, mais pas de pantalons. Ah, les jolies gambettes !

À la différence de nombreux manga destinés aux adolescents ou à un lectorat plus âgé, Mitsuru n’emploie pas de plans "culottes" de manière artificielle ; le vent ne souffle pas de n’importe où pour dénuder une fesse, une forme vulvaire ou un sein. Il n’y a pas de tissu qui moule jusqu’au plus petit repli de chair entre les jambes à la manière de Mazakaku Katsura (Video Girl Aï, I's) passé la première histoire où il se cherche encore. Ce sont les situations qui amènent à dévoiler Asumi et encore, si peu ! Car paradoxalement, l’œuvre demeure chaste ; point d’érotisme torride ou de pornographie. Le charme avant tout. La tendresse aussi.

Asumi au présent, première partie de ce recueil, regroupe des histoires se déroulant dans la dernière période faste du Japon, durant les années 80. Asumi et son conjoint vivent dans un immeuble, permettant une plus grande proximité entre habitants, ainsi que des jeux sur les portes, qui s’ouvrent et se ferment au grès des situations. Et rien n’ébranle la fidélité d’Asumi pour son mari.

Asumi au futur déplace le concept dans un avenir tel qu’on le concevait dans les années 80, au sein de villes orbitales. Ils vivent toujours dans une résidence, accompagnés d'un robot, d'une plante tentaculaire et d'un animal extraterrestre facétieux. Quelques récits proposent des questionnements sur le désir dans le couple et la parentalité.

Le mangaka fait le tour de son concept dans cet unique volume. Asumi est un personnage dont le caractère n’évolue pas. L’introduction d’un dernier rebondissement assez bien amené permet de conclure. L’imprudence aurait été d’étirer en longueur sur des milliers de pages, jusqu’à l’ennui.

Mitsuru Miura possède un trait élégant, semi-réaliste, avec ce qu’il faut d’exagération pour les visages ; les détails soignés, des décors bien dessinés et un découpage des plus lisibles pourront évoquer à certains deux autres auteurs de cette période, Tsukasa Hojo (City Hunter) et Buichi Terasawa (Cobra), connus aussi pour la qualité de leur art. L’adaptation en dessin animé du manga The Kabocha Wine sous le titre Mes tendres années, diffusée dans le Club Dorothée dès 1989, nous a familiarisés avec le trait de l’auteur et son amour pour les belles jeunes femmes et la comédie.

De par son caractère, le personnage d’Asumi peut en agacer certains. Elle ne se plaint pas ni ne proteste avec verve et, avec l’évolution actuelle de la pensée de la société occidentale, tout le monde n’est pas à même d’aborder cette œuvre pour ce qu’elle est. Elle en dit long sur une époque, en cela elle se pose comme un témoignage intéressant. Cependant, comme tout vaudeville, ce manga reste superficiel : il n’a pas vocation à remettre en cause la place des personnages, leur métier ou la société dans laquelle ils évoluent. Passé la première histoire où l’auteur se cherche avec quelques plans plus osés, toutes proportions gardées, les aventures suivantes s'orientent plus vers le marivaudage, sans une once de vulgarité.

Asumi, de Mitsuru MIURA, Black Box éditions, 360 pages

[1] Dommage, un petit soufflet aurait été plaisant, mais cela apporterait une touche de violence à Asumi qui au contraire incarne la douceur.



+ Les points positifs
- Les points négatifs
  • Un graphisme élégant et une mise en scène lisible.
  • Complet en un seul volume.
  • Peu de redites dans les histoires.
  • Léger et tendrement drôle.


  • Disponible sur le site internet de Black Box et dans de trop rares librairies.
  • Des mœurs datées qui ne plairont pas à tous...
  • Une relecture n’aurait pas été de trop pour éliminer les dernières coquilles dans le texte et dans le lettrage.
Seconde série "Star Wars - La Haute République" en comics
Par



En marge des romans de Star Wars - La Haute République, deux séries de comics sont publiées en France. Celle du même nom, dont nous chroniquions le premier tome récemment (publiée par Marvel aux États-Unis) et une nouvelle, reprenant à nouveau le même titre suivi d'un sobre "Les Aventure" (Adventures en VO, publiée par IDW). Toutes deux sont disponibles chez Panini Comics chez nous. C'est la seconde qui nous intéresse aujourd'hui, c'est-à-dire Star Wars - La Haute République : Les Aventures.
Découverte du premier tome, Collision imminente, en vente depuis le 10 novembre dernier.

La planète Trymant IV est en détresse (probablement à cause de La Grande Catastrophe relatée dans La Lumière des Jedi). Le Star Hopper, vaisseau dirigé par Yoda et Buck, deux maîtres Jedi qui supervisent plusieurs padawans, est proche de Trymant. Les Jedi, emmenés notamment par la jeune Lula Talisola, décident d'aller secourir la population. Parmi elle, une jeune adepte de la Force qui a toujours caché ce pouvoir : Zeen Mrala.
 
Une autre menace plane sur les citoyens : les terribles Nihil, venus chercher "l'ancien Tromak", créature âgée détenant des informations secrètes… L'affrontement entre les Jedi et les Nihil est inéluctable. Zeen est sauvée par les Jedi mais son meilleur ami, Krix Kamerat, est recueilli par le chef des Nihil : Marchion Ro !

Comme toujours avec les œuvres de Star Wars - La Haute République, la situation est plus simple à comprendre si l'on est déjà familier de ce nouveau segment de la saga étoilée. La bande dessinée est bien sûr abordable mais elle se savoure plus aisément quand on connaît déjà les Nihil par exemple.
 
Dans Collision imminente, les enjeux sont posés très rapidement et si le récit semble suivre un chemin balisé, en mettant en avant Lula dans un premier temps, il s'en écarte pour se concentrer sur le destin croisé de Zeen, guerrière novice dans la Force, et Krix, son ami d'enfance qui lui est arraché et qui ne digère pas que Zeen lui ait menti toute sa vie (à propos de ses pouvoirs). Ainsi, la padawan Lula est plus ou moins reléguée au second plan après ses exploits…

C'est un peu dommage car on pensait de prime abord à une sorte de "dyade" dans la Force entre Lula et Zeen, un peu comme Rey et Kylo Ren dans le neuvième film de la saga (dont la novélisation sera au cœur d'un article à venir sur UMAC) – cf. l'image qui ouvre cette critique. Cette connexion entre les deux protagonistes n'a finalement pas lieu ici… Lula sera d'ailleurs ensuite plutôt survolée tout au long de l'aventure, qui se concentre sur Zeen et Krix, entourés de Jedi et de Nihil.

C'est l'un des rares points faibles de la bande dessinée : un manque de caractérisation véritablement poussée pour ces personnages, qu'on accompagne (trop) rapidement le temps de cinq chapitres. La complicité évidente entre Lula et Zeen en fait les frais et demeure peu exploitée (elle l'est davantage dans un roman du même auteur, on en parle plus loin). La série se veut à destination d'un jeune public mais ce n'est pas une excuse. Il est vrai qu'il y a beaucoup d'enfants (de toutes races) mais ce n'est pas gênant ici.

L'un des mentors de ces futurs Jedi est le célèbre Yoda : enfin une tête connue de Star Wars dans La Haute République ! Même s'il n'y en avait pas forcément besoin, ça fait plaisir et ça permet d'ajouter un nouveau lien un peu plus concret avec le reste de l'univers (films, romans et comics). Yoda est accompagné de Buck, une des cautions humoristiques du titre (même si, lui aussi, est peu développé).

La fiction propose à nouveau une poignée de personnages majoritairement attachants (l'un des points forts de toutes les œuvres de La Haute République). Seul Krix semble un peu idiot par ses actes, basculant dans une certaine haine puérile mais… guess what, un certain Anakin avait fait la même chose avant lui, alors why not

Outre quelques représentations de vaisseaux intercalés au sein des pages, une carte de la galaxie est proposée, permettant de mieux situer l'action – ce qui manquait cruellement aux romans.
 
Le scénario est signé Daniel José Older, auteur d'un roman jeunesse (bientôt chroniqué sur UMAC) : La tour des Trompe-la-Mort, dans lequel on retrouve Zeen et Lula déjà proches, donc idéalement à lire après cette bande dessinée. Older avait déjà écrit sur Star Wars avec, entre autres, le roman Baroud d'honneur, sur Han Solo et Lando (lié au film Solo : A Star Wars Story).

Comme déjà dit, à part quelques défauts ici et là, l'ensemble se lit bien et reste plutôt haletant, satisfaisant le fidèle lecteur avec une nouvelle œuvre connectée au reste de La Haute République. C'est un divertissement honorable, qui ne révolutionne ni le genre ni la saga en elle-même, mais qui introduit suffisamment d'éléments pour avoir envie de lire la suite avec une grande attention.

On apprécie d'ailleurs de voir davantage les Nihils, loin d'être des ennemis sauvages ou primaires. Même si on ne retrouve pas tout à fait les nuances avec lesquels ils étaient décrits dans La Lumière des Jedi et En pleines ténèbres, on sent la dangerosité de cette menace. Mention spéciale pour la relation entre Marchion Roh et Krix, dont la conclusion inaugure le meilleur pour la suite…

Tous les dessins sont de Harvey Tolibao, artiste oscillant entre DC Comics (Green Arrow, Green Lantern…), Marvel (Silver Surfer, X-Men…) et Star Wars (Knights of the Old Republic). Son style atypique permet une homogénéisation de l'aspect graphique tout au long de l'aventure. Grâce à sa patte graphique fourmillant de détails, les cases sont un régal, sublimées par la colorisation très inspirée de Rebecca Nalty (dont le nom est cité sur la couverture US mais pas en France…).

Son travail est essentiel pour conférer une vraie identité à l'œuvre et clairement lui apporter des points positifs. Elle use d'une richesse chromatique très variée, offrant de belles séquences qui tirent le titre vers le haut.

Malheureusement, Tolibao charge beaucoup trop ses planches de temps en temps, rendant le tout peu lisible (cf. grande image en fin d'article). Cela reste heureusement assez rare. Par contre, on est parfois gêné devant certains visages de Yoda, bizarrement croqué.

Côté prix, La Haute République : Les Aventures coûte 17 € et le dos du livre (souvent appelé à tort la tranche) arbore entièrement la couleur dorée du logo Star Wars (une décision de l'éditeur IDW visant à différencier ses productions de celles de Marvel). On apprécie, même si cela casse un peu l'homogénéité de la collection dans la bibliothèque.

Pour chipoter, on aurait par contre favorisé une couverture provenant des épisodes trois, quatre ou cinq (notre coup de cœur), tant ils sont plus représentatifs de l'histoire que le dessin du premier chapitre qui orne l'ouvrage ; jugez plutôt.


Dans le second tome, qui paraîtra probablement en France au printemps 2022, le récit mettra en avant Farzala et Qort (deux alliés de Lula assez en retrait dans le premier volume) qui s'allieront avec l'équipage du Vaisseau. L'occasion de retrouver Leox Gyasi, Affie Hollow et Geode, tous trois croisés dans l'excellent roman En pleines ténèbres. Cet arc narratif est intitulé Mission to Bilbousa en VO.
 
Plus tard, c'est Maz Kanata qui sera de la partie, personnage introduit dans le film Le Réveil de la Force fin 2015. Si Panini Comics suit la publication librairie en VO, alors on trouvera cette histoire dans le troisième volume (Back Together and Away Again).


On rappelle que tous nos articles sur Star Wars - La Haute République sont compilés dans cet index.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une histoire simple mais efficace.
  • (Encore) de nouveaux personnages attachants (Zeen, Lula…).
  • Un zoom sur les Nihil et une conclusion intrigante pour la suite.
  • (Retrouver Yoda dans cette nouvelle saga, donc enfin revoir une figure iconique familière de Star Wars.)
  • Une explosion de couleurs, très diversifiées, conférant une identité graphique alléchante.
  • Des dessins de bonne facture et très détaillés…


  • … mais parfois trop chargés, rendant peu lisibles des cases ou planches.
  • Une exécution de l'ensemble un brin rapide, survolant un peu trop les personnages secondaires.
  • Des décisions qui semblent peu logiques même si elles sont justifiées par le peu de maturité d'un protagoniste.