La Parenthèse de Virgul #38
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Hello les matous ! 
On évoque aujourd'hui un célèbre Club, une très mauvaise idée et un produit hybride qui vaut quand même le coup d'œil. 
Bonne lecture ! Miaw !

Le Club tente la fusion impossible
Qui ne connaît pas la célèbre série de romans The Famous Five, traduite en français sous le nom tout aussi célèbre de Club des Cinq ? Les récits d'Enid Blyton ont en effet réussi l'exploit de faire vibrer (et d'initier à la lecture) des centaines de milliers de lecteurs. Après la disparition de l'auteur, la traductrice française, Claude Voilier, se voit confier la difficile tâche de faire perdurer le groupe d'adolescents. De 1971 à 1985, ce sont donc 24 aventures supplémentaires qui vont être publiées.

Jusqu'ici, l'idée peut sembler bonne, Voilier ayant le mérite de très bien connaître l'univers du Club. Mais ce n'est pas tant le style du nouvel auteur (jugé moins bon que Blyton, surtout en Grande-Bretagne, ce que l'on peut aisément comprendre) qui va être en cause, mais l'idée, assez absurde avec le recul, de l'éditeur.
Les premières éditions de ces ouvrages vont en effet comporter une particularité de taille : ce sont à la fois des romans et des bandes dessinées. Une sorte de fusion de supports...
Et cette fausse bonne idée va nuire profondément à cette seconde série, en réussissant l'exploit de décevoir tout le monde.

Voyons un peu comment cela se présentait à l'époque. D'un côté (pages de gauche), l'on pouvait lire le récit en roman, et de l'autre côté (à droite donc, forcément), l'on avait la même scène en BD. Première remarque, il ne s'agit donc pas d'une histoire racontée à moitié en prose et à moitié en BD, mais bien de la même histoire racontée deux fois. Là, déjà, ça peut surprendre. Pourquoi voudrait-on relire en BD un récit que l'on vient de terminer en roman, ou inversement ? 
Mais surtout, ce mélange des genres va en fait parvenir à ruiner les deux transpositions.

Ces livres ont notamment la même pagination que les romans originaux de la première série. Ils ne sont pas plus longs. La partie roman est donc très courte, ce qui déçoit forcément les fans, habitués à avoir une histoire bien plus développée à se mettre sous la rétine. Pour la partie BD, c'est pire encore. Le petit format ne permet pas de placer plus de deux ou trois (petites) cases par planche (cf. illustrations ci-dessous). Ce qui interdit toute narration fluide et suffisamment bien fichue. En fait, la partie BD n'est qu'un très bref résumé de la scène qui est décrite en vis-à-vis. Difficile du coup, pour les amateurs de BD, d'accrocher à un récit bancal et artificiel. Et en plus, les illustrations sont en noir & blanc, seules quelques pleines pages bénéficiant d'une colorisation. 
Il faut également noter que certains lecteurs, par curiosité, étaient naturellement tentés de lire la partie BD après avoir lu la page roman correspondant à la même scène (après tout, c'est un peu comme ça qu'on est censé lire un livre, on ne saute pas une page sur deux), ce qui revenait non seulement à se taper un mauvais résumé de ce qu'ils venaient de lire, mais ce qui parvenait aussi (un comble !) à casser le rythme de l'histoire. Bel exemple de maquette mal pensée qui dessert le contenu qu'elle est censée mettre en valeur. 

Ces versions hybrides se sont tout de même vendues, parce que mine de rien, il s'agit d'une grosse licence qui rassemble un grand nombre de passionnés encore aujourd'hui, mais ce format totalement grotesque a fait un énorme flop alors qu'il était censé élargir le public du Club...
Résultat : quelques années plus tard, la partie BD a été supprimée des rééditions, les versions "roman/BD" devenant alors une simple curiosité à placer, dans votre bibliothèque, au rayon des drôles d'expérimentations commerciales. 

Allez, tant qu'à évoquer le Club, on vous conseille cet excellent roman de Michel Pagel, dans lequel l'auteur fait revivre d'une incroyable manière ces personnages bien connus à l'âge adulte.
Et ça, c'est un pur roman, sans petits dessins une page sur deux. Miaw !





Le MCU, c'est de la merde !
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— Un MacDo après un bon Avengers, qu'est-ce qu'on peut demander de plus ? 
— Clair, on est trop bien là. En plus, j'ai reçu mon t-shirt Captain America. Si j'emballe pas des bonnasses avec ça...



Il est grand temps de dresser un bilan du MCU et de s’intéresser aux raisons d’un naufrage artistique totalement prévisible mais tout de même regrettable.

Pour bien aborder le MCU, donc l’adaptation au cinéma de l’univers Marvel, il est important de faire tout d’abord un rapide état des lieux de l’univers de base, en comics. Car si Marvel regorge de sagas cultes (Civil War, House of M, pour ne prendre que deux exemples modernes) et d’auteurs talentueux (Straczynski, Bendis, Morrison…), il est navrant de constater à quel point la direction éditoriale actuelle a abouti à une surenchère d’events vides de sens qui se suivent sans pour autant apporter un regain d’intérêt et, pire, qui aboutissent à un surplace narratif que nous avons déjà évoqué, entre autres, ici. Bien entendu, il existe des exceptions, comme l’excellente saga The Vision (par Tom King) ou, si l’on remonte un peu plus loin, le début des Runaways. Clairement à chaque fois des personnages ou groupes secondaires. La même qualité peine à se retrouver sur les plus grosses licences. Pour une raison simple : plus un personnage est connu, moins les auteurs semblent libres dans leur écriture.
Et ce défaut va se retrouver au cinéma, de manière incroyablement amplifiée.

Car, si les films Marvel sont si médiocres, c’est avant tout parce que ce ne sont pas des œuvres artistiques mais des produits pré (et mal) fabriqués à partir de cahiers des charges aussi contraignants que sclérosants.
L’on peut prendre n’importe quel personnage ou équipe (Thor, Iron Man, les Avengers...), chaque film se ressemble dans son manque d’ambition et sa pauvreté. Au point qu’arriver à en visionner un jusqu’au bout sans pour autant s’endormir relève de l’exploit. Entendons-nous bien, ce sont probablement d’excellents films pour enfant, et j’aurais sans doute adoré les voir à 8 ou 10 ans, mais quand on a envie d’assister à un peu plus qu’un joli son & lumière (et une histoire doit évidemment être plus que cela), impossible de ne pas être déçu par ces fast-movies qui sont au cinéma ce que MacDonald est à la gastronomie : un produit ultra-calibré, trop gras et produit à la chaîne par des mercenaires/employés qui n’inventent rien.

Rien ne va dans ces films. Même l’humour tombe à plat tellement on sent que les répliques sont artificielles et ne correspondent qu’à un besoin de cocher la case « vannes » (parfois avec un peu de réussite, comme dans Deadpool 2, parfois en confinant au ridicule, comme avec la plupart des films mettant en scène Thor). Si l’action est certes souvent bien fichue (encore heureux !), elle est systématiquement soporifique ; ce qui est tout à fait normal, vu qu’il n’y a aucune liberté au niveau des enjeux, donc aucune dramatisation possible. L’action pour l’action n’a évidemment aucun intérêt. Si elle ne sert pas un propos, elle devient lourdingue et inutile.
Et parlons-en du propos ! Mais… bordel, quand donc les boss de Marvel se décideront-ils à engager des réalisateurs avec une vision, un style, une ambition quelconque ?  [1] (Et surtout à leur donner carte blanche !) Rien ne fonctionne jamais, tout est survolé, il n’y a aucun fond, aucune thématique qui tienne un peu la route, aucune prise de risque.
Quand je pense que des adultes en viennent à pleurnicher quand on leur « spoile » une de ces merdes ! Déjà, un spoiler, ce n’est pas une info (cf. cette Parenthèse de Virgul), mais surtout, comment on pourrait gâcher un film fade et terne dont on connaît le déroulement avant même de l’avoir vu ?

Certains trouveront sans doute ces propos un peu « durs », alors qu’il s’agit d’un simple constat lorsque l’on fait preuve d’un peu de recul et d’honnêteté. Cela commence d’ailleurs dès les Spider-Man de Raimi : les deux premiers sont atroces et le troisième commence un peu à remuer quelque chose d’intéressant (mais, sans surprise, c’est celui qui est considéré comme le moins bon par le grand public). Ne serait-ce qu’au niveau des personnages, les problèmes sont légion et de taille ! Mary Jane, d’abord. Dans les comics, c’est une fille « spectaculaire », elle prend toute la vue quand elle débarque quelque part, elle est sûre d’elle, pleine d’énergie et de charisme. Avec Raimi [2], elle se transforme en « girl next door » fadasse et pleurnicheuse ! Et le traitement de Peter est encore pire… on a envie de lui foutre des baffes (alors que Peter doit attirer la sympathie) ! Le changement a depuis été salutaire, Tom Holland étant un excellent Peter Parker (il incarne à la perfection le Parker Ultimate, plus jeune que sa version Amazing), et il y a des scènes sympathiques dans les films qui lui sont consacrés, mais ça reste des gags et du fan-service. Au final, aucun propos, aucune vision, aucune profondeur, c’est aride, vain, plat, donc forcément chiant.



Il est nécessaire à ce stade de se poser une question essentielle : que va-t-on chercher dans une histoire ?
Non, déjà il faut effectuer quelques précisions, notamment évacuer les psychopathes qui sont prêts à envoyer des menaces de mort aux auteurs si un film ne leur plaît pas. Et on va évacuer également de l’équation les connards de wokistes qui sont aussi fragiles en apparence qu’un bébé prématuré mais qui ont des manières de hooligans enivrés par la bière tiède et l’effet de meute.
Donc, reformulons, qu’est-ce qu’une personne saine d’esprit, équilibrée, mature et construite intellectuellement va chercher dans une histoire ?
Eh bien, au-delà du genre (du récit), des différences de styles, des inclinations personnelles, l’on va chercher de l’émotion ou du sens dans un récit. Et bien souvent, pour bien faire passer l’un, il faut la présence de l’autre. Il faut de l’affect et une maîtrise de la forme pour souligner un propos et le rendre digeste. Et il faut du fond pour que l’action ou le divertissement ne soient pas qu’une vaine agitation. C’est donc un juste équilibre qu’il faut trouver. On peut parfois, pour des tas de raisons, faire un peu pencher la balance d’un côté ou de l’autre, mais ce n’est jamais une bonne idée de n’aller que dans un seul sens.
Privilégiez l’intelligence du propos sans vous soucier de l’aspect divertissant de votre histoire et vous obtenez des récits peu engageants voire élitistes et pédants. Faites l’inverse, privilégiez l’emballage et les paillettes, sans vous préoccuper du fond, et vous obtenez le MCU (et d’autres saloperies équivalentes, ce n’est en rien un cas unique).

Et que l’on n’aille surtout pas m’objecter (comme Alan Moore, qui peut dire parfois des trucs intelligents mais qui sort aussi régulièrement d’énormes conneries) que le genre super-héroïque induirait, par nature, un propos enfantin ou limité. Ce serait comme dire que la science-fiction ou le western sont destinés, par nature, aux demeurés et aux enfants : c’est évidemment faux. Le genre super-héroïque est un simple contenant. Le contenu est déterminé par le niveau des auteurs et la liberté qu’on leur laisse.
Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un œil à Defendor, le meilleur film de super-héros jusqu’à aujourd’hui, qui n’est pourtant jamais sorti en salles. Attention, parce que je sais déjà que les génies de la bande ne vont pas bien comprendre ce qui est dit ici (et bizarrement, c’est toujours les premiers à ouvrir leur gueule). Bien sûr qu’on peut ne pas aimer Defendor, il y a aussi une composante subjective dans l’art narratif. Il ne s’agit pas de ça, mais de l’aspect technique, qui lui est aussi objectif que de constater que des boulons sont suffisamment serrés et bien à leur place. Dans Defendor, il y a un propos, bien amené, construit, et des scènes d’action qui servent des personnages rendus touchants par une mise en place habile. Et il y a aussi de l’humour, mais bien écrit. Il ne s’agit pas d’une vanne attendue et kitsch que l’on sent venir à des kilomètres. C’est cela qui manque au MCU : une écriture propre, fine, efficace. Bref, un vrai travail.

Il serait faux de penser que ces défauts se retrouvent uniquement chez Marvel, ils sont la conséquence d’un système de production lamentable qui fait des dégâts bien au-delà de ces seuls films. La grande majorité des comédies françaises n’ont, par exemple, pas plus d’intérêt que les marvelleries. Il y a d’ailleurs des similitudes assez incroyables entre ces deux genres de productions, séparées pourtant par un continent : scénario convenu et prévisible, personnages à la psychologie inexistante, absence de style, d’ambition et de fond. Autre point commun, les comédies françaises sont montées sur le casting (et non la qualité du scénario), ce qui est un peu le cas des films du MCU également (pas forcément le casting en termes d’acteurs, mais de « grands noms » de personnages issus des comics).

Alors, faut-il pour autant jouer les vieux cons et beugler sur des films qui, au final, peuvent ne pas se regarder si on ne les aime pas ? Ben… oui. Les vieux cons, c’est important. Je vais tenter de vous expliquer pourquoi.
À une époque, j’allais très souvent au cinéma, voir des tas de films. On était dans les années 80, j’étais adolescent, et je n’étais pas d’accord avec la plupart des critiques que j’entendais alors (même celles d’Hebdogiciel). Aujourd’hui, avec l’expérience et le poids des ans, il y a des films de cette époque que je défends toujours et que je considère comme de grands films (et d’honnêtes divertissements), comme Aliens, Die Hard, Platoon, Retour vers le futur, Karaté Kid, Stand by me… et il y a des films qui, même s’ils peuvent me procurer un frisson nostalgique, me semblent aujourd’hui bien pauvres, voire indigents (Cobra, SOS Fantômes, Les Goonies, Karaté Tiger…).
Il est normal que le palais s’affine avec le temps. Tout comme il est normal, une fois adulte et (au moins un peu) cultivé de déceler des facilités, des égarements, des maladresses qui échappent aux plus jeunes.
Cet univers Marvel, à la base, je l’apprécie. Je n’ai donc aucune raison de le condamner « par défaut ». UMAC existe justement parce que, à une époque où ce n’était pas la mode, je souhaitais défendre la qualité de la bande dessinée américaine (ou du moins, de certaines BD, pour peu qu'elles soient bien adaptées, cf. le désastre Panini). Si aujourd’hui je critique non seulement le MCU mais la majorité de la production comics, ce n’est pas par « principe », mais parce que j’essaie toujours de considérer la qualité intrinsèque de ce que je lis ou regarde. Je ne vais pas défendre des merdes (dessinées ou filmées) sous prétexte qu’elles sont estampillées « Marvel ». Je ne fais partie d’aucune « communauté », encore moins la supposée communauté des lecteurs de comics (jamais compris pourquoi je devrais me sentir proche d’un inconnu sous prétexte qu’il a en partie les mêmes lectures que moi… je connais pas mal de gens qui se lavent les dents, et on ne forme pas une « communauté » pour autant). Marvel, pour moi, est juste un éditeur parmi d’autres, qui produit parfois de très bonnes choses, parfois des bouses infâmes. En tant que lecteur, mieux, en tant que « lecteur expérimenté » ayant envie de défendre ce qui vaut le coup d’être acheté et lu, il me semble important de ne pas simplement plier sous le vent et le sens de la mode mais d’essayer au contraire de tenir un cap simple et essentiel : si c’est bon (pas si on aime, ça c’est subjectif, je parle de qualité technique), on défend. Si c’est à chier, on le dit aussi (en argumentant). C’est la ligne de conduite que j’ai toujours défendue et imposée sur UMAC.
Il est important de faire le tri, de s’extasier sur des œuvres magnifiques, qui ont demandé du travail et de l’investissement, mais aussi de condamner des conneries mal foutues et produites à la chaîne. Parce que tout ne se vaut pas.

On essaiera toujours, du moins, les escrocs et les incapables essaieront toujours de vous faire croire que tout se vaut. C’est dans leur intérêt. Mais c’est faux. Et il n’est pas nécessaire d’être soi-même un brillant technicien ou un artiste accompli pour le comprendre. Il y a une nuance entre Racine et Hugo. Il y a un gouffre entre Hugo et Lemaitre (qui sont tous les deux bons). Et il y a un univers de distance (donc des règles physiques différentes) entre Lemaitre et Legardinier. Cette hiérarchisation technique de la capacité à conter, elle est présente aussi dans les comics ou les films. Et elle donne des résultats bien différents. Souvent non compris par la masse (masse qui, comme chacun le sait, ne se distingue pas par son discernement).
Ce n’est pas vrai que tout est histoire de goût. Le goût existe, oui, et il concerne l’ananas ou l'artichaut sur la pizza. Pas sa cuisson. Quand on vous sert un mets cramé, c’est une faute technique, un manque de maîtrise d’une étape essentielle. Peu importe si certains clament leur amour du trop cuit. C’est quand même trop cuit.
Les vieux cons, du moins, ceux qui sont plus érudits que bêtement égocentrés, sont utiles parce qu’ils permettent de rappeler cette distinction entre ce qui relève de l’inclination personnelle et la technique objective. Entre les ingrédients et la cuisson. Entre l’esbroufe et l’investissement réel.
Vous avez le droit de préférer une pizza à une fricassée de noix Saint-Jacques aux champignons. Et vous avez le droit de choisir les ingrédients sur votre pizza. Mais le fait qu’elle arrive cramée n’est pas un choix, même si certains vous le font croire.
Et il n’y a pas plus cramé que le MCU.



[1] On rêve de voir ce que donnerait la vision d'un Tarantino, d'un Cameron, des frères Coen ou des frères sœurs formes de vie Wachowski aux commandes d'un Marvel. Pour peu qu'on ne leur impose pas des idées de commerciaux à la con, bien sûr. 
[2] Si vous voulez voir un bon film de Sam Raimi, il y a par exemple Jusqu'en Enfer. Mais si vous voulez voir un putain de chef-d'œuvre, on vous conseille Un Plan Simple

Sea of stars
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Les spectateurs habitués des vidéos du Joueur du Grenier seront surpris de constater que certaines pratiques
de développeurs de jeux semblent s'être répandues jusque chez les auteurs de comics indies...
Parce que, clairement, ceux-ci carburent à quelque chose !


Et c'est de la bonne, les amis !

Sea of Stars a l'indéniable qualité de ne pouvoir laisser indifférent. Ça foisonne d'idées, de gags étranges, de situations grotesques, de messages spirituels, de péripéties, de personnages typés... Mais, bon dieu de bois auquel je ne crois pas, qu'il nous fut difficile d'y adhérer ! L'entrée en matière relativement réaliste et crédible fait bien vite place à une sorte de séquence de délire inspirée par je ne sais quel champignon peu comestible qui sera ensuite justifiée par la présence d'un artefact appartenant à une divinité extraterrestre. Cela vous donne-t-il une idée de notre niveau de perplexité au bout de quelques dizaines de pages ? Mais, osant tout et ne reculant devant rien, l'histoire a fini par nous embarquer et nous laisser, au terme de ces 275 pages, un peu perplexes et dubitatifs.
La science-fiction, c'est le terrain de jeu idéal de l'imaginaire. Jason Aaron (Southern Bastards) et Dennis Hallum (Vader : Dark Visions) l'ont bien compris et nous gratifient ici d'une œuvre assez touchante émotionnellement, mais diablement barrée et ne faisant aucun compromis : elle a des envies extravagantes de narration et elle ne se gênera nullement pour vous les jeter sur papier !

Nous suivons donc le jeune Kadyn qui, avec son père Gil, traverse l'espace dans un vaisseau convoyeur transportant une cargaison issue d'un musée alien. Il s'ennuie ferme et décide de jeter un œil à cet exotique chargement. C'est le moment que choisit une sorte de grosse abomination spatiale pour bouffer le vaisseau sans même la moindre présentation préalable. Fils et père vont être séparés lors de l'explosion qui s'ensuivra et tout le reste de l'histoire nous présentera la quête de Gil pour retrouver sa progéniture ainsi que l'étrange odyssée de Kadyn qui va, pour sa part, devenir détenteur de pouvoirs divins suite à une exposition à l'un des objets présents dans la collection muséale.
Jouant avec les codes des épopées maritimes, Sea of Stars nous fera rencontrer des populations extraterrestres rappelant furieusement les peuples autochtones sud-américains assez évidemment appelés les Zzazteks. Initialement pris pour la réincarnation d'un dieu disparu, Kadyn échappera de peu à un sacrifice rituel visant à le séparer de sa part divine de la façon la plus tranchante qui soit.

Au dessin, Stephen Green se met au diapason de l'écriture de ses deux potes et nous gratifie de cases colorées faisant la part belle au mauve et au rose, ce qui fait d'ailleurs la spécificité graphique de cet album. Les couleurs sont majoritairement des aplats ombrés de noir. Le dessin est correct et de qualité constante, offrant des personnages très identifiables et une action très lisible.
L'on peut se prendre aisément au jeu des références et, pour le dessin comme il en était pour l'histoire, les allusions culturelles ne manquent pas... par exemple, le look initial de la Zzaztek ci-contre doit être inspiré par des artworks du jeu vidéo Destiny ; ou les deux ont une inspiration commune que l'on ne connaîtrait pas.

Avant toute autre chose, ce comic présente l'histoire d'un fils, un fils dont le père ferait tout pour le retrouver. C'est l'histoire d'un amour paternel et d'un amour filial. C'est une histoire universelle, aux confins de l'univers...

L'on trouvera tout autant de partisans de ce récit que de personnes affirmant n'être pas parvenues à le lire jusqu'au bout. Outre le fait qu'il faille selon nous être une nouille dotée d'une volonté aussi épaisse et digne qu'une flaque de pisse de syphilitique pour ne pas parvenir à lire une BD de moins de 300 pages en entier, il nous semble intéressant qu'elle soit à ce point clivante. Sans doute est-ce dû à sa grande liberté de ton, aux libertés prises avec la crédibilité dans un genre SF qui en fait parfois un mantra, à son personnage central qui peut parfois se montrer horripilant d'insouciance... Peu importe. Car si c'est un album de Jason Aaron qui fait moins l'unanimité que d'autres, il aura au moins l'intérêt d'offrir une véritable proposition et de fournir à son lecteur quelques pistes de réflexion vraiment intéressantes, tant sur l'univers en lui-même que sur la science-fiction en particulier.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un dessin très efficace.
  • Un scénario original.
  • Une réflexion par l'exemple sur la nature de la science-fiction.


  • Une mise en couleurs qui peut déplaire.
  • Une scénario qui semble parfois en roues libres.
  • Une œuvre clivante, comme toutes les œuvres ayant un véritable propos.

Les Mythes de Lovecraft
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C'est à un voyage très complet au cœur du mythe de Cthulhu que nous convie cet ouvrage de plus de 200 pages.

Autant le dire tout de suite, Les Mythes de Lovecraft présente un contenu de grande qualité. Ce qui n'est pas si courant que ça (cf. cet ouvrage consacré à Stephen King et blindé d'erreurs, d'approximations et de coquilles). En effet, le nom de Lovecraft fait vendre et attire certes des passionnés mais aussi parfois des opportunistes ou simplement des gens très vite dépassés par l'ampleur d'une tâche dont ils peuvent sous-estimer la complexité. Ce n'est heureusement pas le cas ici, les éditions Ynnis ayant visiblement apporté une grande attention à la qualité des textes compilés dans ce livre.

L'ouvrage est organisé en quatre grandes parties. La première est consacrée à H.P. Lovecraft, la seconde aux autres auteurs ayant contribué au mythe (ou l'ayant inspiré), la troisième décrit dans le détail les créatures du mythe, et enfin la quatrième s'attarde sur les différentes déclinaisons, en jeux notamment.
Le grand format (24 x 27 cm environ) et le papier glacé de qualité permettent de mettre en valeur les très nombreuses illustrations qui aèrent les articles. Ces derniers sont particulièrement agréables à lire et contiennent une foultitude d'informations en tout genre. L'on regrettera de rares tournures malheureuses (comme "les auteurs et autrices", pourquoi inventer un terme inélégant et absurde alors que "auteurs" désignent déjà les femmes de lettres ?), mais il faut dire que je chipote un peu. 

Le "bestiaire" présentant dieux, créatures et serviteurs est particulièrement exhaustif. Chaque "fiche" de créature contient une courte citation servant d'introduction, une description de la bestiole et de son rôle au sein du mythe, une ou plusieurs illustrations ainsi que la liste des récits dans lesquels elle apparaît. 
L'on a droit aussi à la présentation des lieux notables (Innsmouth ou R'lyeh par exemple), des différents ouvrages impies et des explorateurs malchanceux qui ont souvent mal fini. 

En ce qui concerne la section dédiée à la pop culture et aux différents produits dérivés, là encore, c'est assez dense et vaste puisque films, jeux de rôles et de société, jeux vidéo et bandes dessinées sont passés en revue. De passionnants domaines à aborder néanmoins avec précaution, cette lecture pouvant causer divers effets secondaires, comme se lancer éperdument dans la quête de quelques objets de collection relativement coûteux (d'autant que des photos de figurines sont également présentes)...

Voilà donc un ouvrage agréable qui permet de (re)découvrir le célèbre écrivain de Providence et son mythe en faisant voyager le lecteur d'îlots d'analyses subjectives mais pertinentes en continents d'informations parfaitement présentées. 
Joli et fort intéressant.

Les Mythes de Lovecraft - Ynnis Éditions
35 euros
205 pages
Déjà disponible






Nobélisation du néant
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Le prix Nobel de littérature à Annie Ernaux… putain.
C’est comme si on remettait un prix Nobel de science à un platiste. Ernaux, c’est l’antithèse de la littérature ! Ah ce n’est pas Hugo ou Racine, la Annie : elle ne parle que d’elle, à longueur de bouquins interminables et fades. Elle est encore plus égocentrée et imbue d’elle-même que Christine Angot, ce que personne ne pensait humainement possible. Et elle a l’imagination aussi sèche que la bouche d’une momie égyptienne ! Ces seuls sujets sont elle, sa mère, elle, son père, elle, son amant, elle, ses atermoiements, elle et parfois, quand il lui reste des pages, elle parle un peu d’elle.
Mais va voir un psy bordel, au lieu de gâcher du papier !

Alors, évidemment, ce genre de littérature doit exister aussi. Là n’est pas la question. Le problème vient du fait que l’on ne récompense QUE ce genre de littérature (sauf très rares exceptions, comme Pierre Lemaitre). Parce que pour les génies inspirés qui remettent ces prix, les livres n’ont de valeur que lorsqu’ils sont bouffis d’orgueil et dénués d’inspiration. Pas de divertissement, s’il vous plaît, c’est vulgaire ! Pas de personnages, de récits, d’idées, de rythme ou d’audace ! Cette littérature-là, que personne (ou presque) ne lit, qui est grise et compassée, froide comme un cadavre au cœur de l’hiver, se doit d’être hostile et désagréable, presque inabordable, pour être respectée.
Car bien sûr, les membres de l’Académie Suédoise (ce sont eux qui décernent le torchon dont il est question) estiment que l’intelligence de la forme ou la richesse du propos ne peuvent aller se nicher dans un roman de genre, trop populaire et poli (ne pas emmerder ses lecteurs et faire passer du fond en soignant la forme étant une forme de politesse pour l’écrivain respectable) pour mériter l’intérêt de ceux qui passent leur temps à se féliciter entre eux, dans d’obscures salons où le lecteur véritable ne mettra jamais les pieds. 

Ernaux ? Mais enfin, est-ce que ceux qui se réjouissent de ce prix ont au moins déjà ouvert un de ses bouquins ? Les effets de manche grotesques se disputent aux platitudes. C’est le mariage improbable de la vanité du fond et de la vulgarité de la forme. Il est tout de même incroyable que les auteurs qui pratiquent « l’auto-fiction » soient ceux dont la vie n’a absolument rien d’exceptionnel. Parce que, Ernaux, elle n’est pas astronaute ou exploratrice. Elle est née en Normandie, dans une famille de petits commerçants, elle est devenue prof, s’est mariée, a eu deux enfants, puis a divorcé… wow, ça a l’air passionnant, je t’en prie Annie, rue-toi sur ton traitement de texte pour nous compter tout ça dans le détail en 17 romans !! 

En ce qui concerne sa vision de l’écriture, c’est encore pire. Elle revendique elle-même un « style neutre » (ah ben ça, oui, on avait vu que c’était bien neutre, trop neutre même, mais ce n’est pas forcément le terme qui me serait venu à l’esprit) et une « absence de métaphores » (ça tombe bien, l’écriture, ce n’est pratiquement que ça, sinon l’on se condamne à aligner les lieux communs et les expressions toutes faites). Elle semble, à 82 ans, n’avoir rien compris, ou presque, de l’essence même de son métier. Consacrer sa vie à une seule tâche et trouver le moyen de ne rien y entraver, oui, ça méritait peut-être un prix Nobel après tout…

Oh et puis merde, franchement, tant mieux ! Ce monde inepte, ridicule et cynique mérite de tels « héros », tant qu’à faire n’importe quoi, autant aller jusqu’au bout de la démarche. Donnons le Goncourt à Angot et le Femina à Legardinier ! Célébrons les handicapés de la Plume, les cuistres et les béotiens ! Roulons-nous dans la fange des impérities revendiquées et des petites ambitions ! Jouissons à n’en plus finir de ces pages déjà jaunies par la vacuité avant même d’avoir été embrassées par les horloges ! Chantons les louanges des traîne-savates et des petits fonctionnaires de la littérature ! Au diable le lyrisme, l’intelligence, la technicité et le noble artisanat, glorifions le vide, fêtons l’aridité, louons le règne de cette Nuit qui s’insinue partout et assombrit chaque mot, chaque virgule…

Pour le prochain Nobel, j’imagine que Marlène Schiappa est en bonne place. Une dinde dont le QI est inférieur à la pointure de ses godasses et qui écrit des livres de cul, niveau bêtise et vulgarité, elle n’est pas encore en mesure de rivaliser avec une Ernaux, mais elle n’a que 40 ans, il ne faut donc pas désespérer, elle a encore suffisamment d’années devant elle et de temps de cerveau disponible pour inscrire son œuvre au panthéon de la littérature atrophiée et multi-récompensée.


Jukebox Motel 2/2 - Vies et morts de Robert Fury
Par

Thomas Shaper, alias Robert Fury, nous livre la suite et la fin de l'histoire
du Jukebox Motel, cette envoûtante vieille bâtisse isolée. 


Le premier tome nous avait beaucoup plu et le second (oui, deuxième et dernier, Jean-Kévin) est dans la droite ligne de son prédécesseur. Il va nous être malaisé de parler de ce tome-ci sans trop en dévoiler mais tentons l'exercice...

Entre son intoxication à la peinture, sa paternité toute récente et un peu culpabilisante, ses amitiés fluctuantes, le contrat qui le lie à un marchand d'art cupide, son lien étrange avec le Jukebox Hotel et les idéaux qu'il voudrait dorénavant respecter après les avoir mis à mal, Tom va avoir fort à faire.
Et c'est précisément tout ce que cet album va s'employer à narrer : comment un homme enlisé dans autant de problèmes va-t-il bien pouvoir s'en sortir ? Par quelle habile pirouette va-t-il parvenir à devenir l'homme qu'il aspire désormais à être ? 
Eh bien, en usant des ressorts émotionnels et narratifs installés tout au long du tome 1, pardi ! En effet, comme dans une œuvre bien écrite.
C'est fou, non ? Ça existe encore, ces machins ? Vous savez : les auteurs qui savent écrire... Il faut croire que oui. Et c'est bien agréable.

En revanche, l'histoire ne bascule jamais franchement dans un fantastique qu'il nous sembla pourtant voir poindre par moments... Non, ce n'est pas une histoire extrêmement glorieuse ou palpitante... Non, notre protagoniste principal n'est pas irréprochable... Non, les motivations des personnages ne sont pas toujours claires... Mais tout cela rend justement ce diptyque terriblement humain. On y croit, à cet étrange peintre, ami de Johnny Cash, ayant fait fortune un peu par hasard grâce à l'engouement généré par une de ses toiles. On croit à ses revers de fortune, à ses complexes, à ses doutes, à ses hontes et à ses moments de flamboyance.

L'intégralité des qualités que l'on reconnaissait à la première partie est toujours présente ici et le tout a le bon goût d'être cohérent tout en parvenant à boucler absolument tous les arcs narratifs ouverts au fil du récit.
Notre seul conseil, par conséquent, sera le suivant : allez donc lire notre chronique relative à La Mauvaise Fortune de Thomas Shaper (très chouette jeu de mot autour de la polysémie de "fortune" collant parfaitement à l'histoire, d'ailleurs) et ajoutez-y la certitude que tout va pour le mieux qualitativement dans le tome suivant... Si cela vous convient, foncez vous procurer ces deux bandes dessinées signées Tom Graffin et Marie Duvoisin dans la collection Grand Angle de chez Bamboo (une collection devenue incontournable depuis quelque temps, tant la qualité et la diversité de ce qu'elle propose continue à surprendre).

Une réflexion très actuelle sur ce qu'est le bonheur, au-delà des apparences, des attraits de la fortune, des gloires éphémères, de la célébrité et autres artifices. Une sorte d'ode à une simplicité salutaire et aux relations humaines enrichissantes.
Simplement un bel ouvrage !


+Les points positifs-Les points négatifs
  • Un scénario et un dessin maîtrisés.
  • Une histoire intéressante et inspirante.
  • Une certaine poésie.
  • Une évocation réussie de cette Amérique particulière.
  • Honnêtement, difficile de trouver un véritable point négatif si ce n'est que ces deux albums gâchent la mise en page en n'offrant rien à mettre dans cette colonne et en nous forçant à faire du remplissage.
A World at War
Par


On se plonge aujourd'hui dans un wargame stratégique légendaire : A World at War.

Bon, les amis, autant se le dire tout de suite, là on n'est pas du tout sur du Bang ou du Shogun, si votre but c'est de faire une partie rapide entre amis pendant l'apéro, vous pouvez oublier tout de suite AWAW, vous n'êtes probablement pas la cible. Parce que ce jeu, il va falloir le mériter. Lire les 200 pages de règles, déjà. Et les nombreux appendices. Préparer le terrain et les armées. Trouver une place chez vous pour étaler cartes, tables de résolution et tout votre bordel. Et dénicher quelqu'un d'assez fou pour s'embarquer sur une partie qui va durer probablement quelques... semaines ? Mois ?

Maintenant qu'on vous a un peu fait peur, commençons par le début. 
AWAW est un wargame à l'échelle stratégique se déroulant sur les théâtres d'opération européen et pacifique durant la Seconde Guerre mondiale. Huit puissances majeures sont jouables : France, Angleterre, Allemagne, Italie, URSS, États-Unis, Japon et Chine. La simulation est très poussée, puisqu'elle comprend, outre les opérations militaires, des volets diplomatiques, économiques et scientifiques. Même la météo est simulée. Bien sûr, comme souvent dans les wargames, le ravitaillement va s'avérer crucial.
Un tour de jeu représente trois mois dans la réalité (chaque année étant décomposée en 4 tours, correspondant aux 4 saisons). La plupart des actions nécessitent des points de ressources économiques, appelés BRP. C'est ce qui va vous permettre de construire des unités, développer votre recherche ou encore déclarer la guerre à certains pays.   

Une petite partie des planches de pions présentes dans le jeu.


Les cartes sont détaillées et indiquent notamment
zones industrielles et ressources pétrolières.
Le jeu contient 4 cartes, représentant l'Europe (et une partie de l'Afrique du Nord et du Moyen-Orient) pour deux d'entre elles, une partie de l'Asie et de l'Océanie, ainsi que le Pacifique pour les deux autres. 
Assemblées, 2 cartes (représentant donc un théâtre d'opération) recouvrent une surface de 110 x 75 cm.
En ce qui concerne les unités, nous sommes sur des pions (bien plus pratiques que des figurines, notamment pour l'empilement) de différentes couleurs affichant des symboles OTAN. Outre le type d'unité (infanterie, paras, blindés, aviation, destroyer...), l'on trouve sur ces pions diverses indications, notamment la puissance, la mobilité et parfois certains renseignements secondaires (le nom de la division ou du bâtiment). 

La boîte contient 2800 pions, répartis sur 10 planches. L'on retrouve divers marqueurs, les armées des puissances majeures citées plus haut, mais également les troupes de certains pays mineurs (Irlande, Pays-Bas, Suède, Norvège, Ukraine, Belgique, Pologne, Turquie...). Bref, il y a de quoi faire.
Un rangement en plastique (avec une vingtaine d'emplacements) ainsi que des sachets sont fournis. D'une manière générale, le contenu est soigné, très complet et relativement pratique (sauf les règles, livrées en feuillets détachés qu'il faut relier, mais elles existent aussi en PDF et en français, et sont facilement trouvables sur le net). 
Le nombre de joueurs peut varier de 2 à 6 (voire plus en fait) et l'on peut même tenter des parties solo.

Une infime partie du théâtre pacifique, où les unités aéronavales joueront un rôle déterminant.


Passons au vif du sujet et au point qui fait peur : la jouabilité.
Il faut dire que AWAW se traîne une réputation (pas entièrement fausse) d'usine à gaz. Et il est vrai que l'immense richesse du jeu le rend également relativement complexe. Peu de gens ont notamment envie de s'attaquer au pavé de règles. Ceci dit, il convient de préciser plusieurs points à ce sujet.
Tout d'abord, il faut savoir que 10 % des règles sont utilisées 90 % du temps, ce qui est courant dans ce genre de jeu, vu l'extrême particularité de certains points. De plus, les concepteurs ont fait le choix d'être volontairement redondants, afin que les joueurs puissent facilement trouver l'info qu'ils recherchent. Par exemple, une information concernant les effets de la météo sur les unités blindées se trouvera à la fois dans la rubrique météo et dans la partie unités. De plus, cette version étant la troisième édition du jeu, lui-même dérivé d'autres jeux plus anciens (Advanced Third Reich et Rising Sun), les auteurs ont intégré de nombreuses précisions grâce aux retours et questions des joueurs. Enfin, il est tout à fait possible d'écarter certains éléments (la recherche par exemple) pour se laisser le temps de maîtriser les règles essentielles.

Le jeu prévoit aussi d'éventuelles attaques atomiques.
Sympa, non ?
Tout cela fait que, mine de rien, AWAW est moins effrayant qu'on pourrait le croire. Mais effectivement, il nécessite un engagement conséquent, même d'un point de vue logistique, ce qui le destine aux passionnés du genre. On n'est clairement pas sur un Uno. D'autant qu'une partie va nécessiter de trouver, outre des joueurs motivés, un support suffisamment grand pour y installer cartes, rangements, règles et tableaux. Et ce pour une durée indéterminée. 
Il faut encore aborder la question du prix. Cette lourde boîte est estimée à 190 euros sur certains sites, on peut toutefois la trouver en neuf aux alentours de 150, ce qui est correct vu le contenu et la portée du jeu mais reste un investissement conséquent. Là encore, ce n'est pas vraiment le grand public qui est visé.

Il s'agit donc d'un excellent jeu, ambitieux et passionnant, mais qui cible une catégorie de joueurs très particulière : ceux dont l'imagination est enfiévrée lorsqu'ils contemplent pendant des jours des petits carrés sur des hexagones. Probablement les mêmes qui ont passé autrefois des heures sur Tobruk 1942 ou Battlefield Germany (cf. cet article) et qui connaissent donc le plaisir subtil de refaire l'Histoire tout en étant à la tête des plus prestigieuses armées.

Différents tableaux et résumés aident à "digérer" les règles.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une simulation poussée et très complète, ne se limitant pas au seul domaine militaire.
  • Un matériel globalement de qualité (notamment les unités). 
  • Représentation des forces de nombreux pays mineurs.
  • Rangements fournis.
  • De jolies et grandes cartes. 


  • Nécessite un investissement en temps important.
  • Cartes sur du simple papier, et non un support cartonné.
  • Le côté "usine à gaz".
  • Le prix, même si on est loin d'être volé vu le contenu.
  • Les feuillets de règles à relier soi-même. 
Safrane Chu #2
Par

Mangeaille et picoles entre amis, peintures et enchères,
voyages dans le temps et meurtres de sang froid.


Le premier tome de Safrane Chu nous avait plutôt plu et c'est donc avec entrain que nous nous ruâmes sur ce deuxième bouquin.

Premier constat : John Layman et Dan Boultwood remettent le couvert, ce qui assure une continuité narrative et graphique à la série... et c'est pas plus mal quand on considère ce qu'est Safrane Chu. Pas sûr que des tas d'auteurs puissent se livrer à un tel exercice tant c'est en dehors de la plupart des codes.

Cette fois, notre ciboparse (elle capte les connaissances, capacités et secrets des gens avec qui elle casse la dalle) va se lancer dans un braquage improbable dans le monde des amateurs de pinard de luxe. Elle y découvrira même un cru permettant de remonter dans le temps en se téléportant à l'endroit et à l'époque de sa mise en bouteille... Voilà qui est bien pratique lorsque l'on convoite quelques antiquités et que l'on sait que l'effet se dissipera dès l'ivresse évaporée !

Son fidèle acolyte Eddie Molay est encore de la partie et s'avère toujours aussi ringard, inutile et potentiellement encombrant ; le vieux papy Ong Chu, quant à lui, reste le genre de grabataire qui ne cesse de grabater et dont nos tourtereaux usent et abusent pour leurs escroqueries diverses et variées, comme si le pauvre vieux catatonique en chaise roulante n'était qu'un outil parmi d'autres.
Sur leur chemin se dresseront d'anciens ennemis et de nouveaux ; à leur côtés émergeront de nouveaux associés... mais nul n'est ici à l'abri d'un courant d'air intra-auriculaire généré par une balle impromptue, à part nos "héros".

La commande est passée, l'assiette est servie et la recette est respectée mais il nous est impossible de ne pas ressentir comme un arrière-goût étrange... un peu comme si, conscient que le piquant était son point fort, un marchand de tacos en vendait avec une teneur en épices et en piments interdite par les accords de Genève.

Avoir une héroïne sexy à la violence décomplexée, continuellement transgressive et dotée de tous les savoirs et toutes les capacités que l'on peut maîtriser à condition d'avoir partagé un mets avec un spécialiste de la discipline est un parti pris de départ que l'on peut entendre... Qu'elle soit dans l'excès est donc naturel. Que le tout se passe dans un univers "plus cartoon, t'es un toon", soit. Que le scénario semble n'être là que pour servir de fil sur lequel enfiler scènes de violence, humour crétin et roublardise, admettons...
Mais nous sommes plus embarrassés par la vanité contradictoire de ce tome. Safrane apprenant énormément de choses lors de chacune de ses aventures grâce à ses talents de ciboparse, l'on serait en droit de la voir évoluer bien davantage. Il n'en est malheureusement rien. Et ce bémol a tendance à se répercuter sur notre perception de l'ensemble : pourquoi tant de victimes et de dégâts dans le sillage de la jeune femme si c'est pour qu'elle en retire au final si peu ? Tout cela semble alors trop gratuit et certains des meurtres de Safrane passent dès lors pour du vice de sociopathe... Mais a-t-on envie de suivre les aventures d'une clopeuse alcoolique dérangée tuant de sang froid, quand bien même fut-elle gaulée comme une ambassadrice Aubade dopée aux hormones féminines ? Rien n'est moins sûr et, pour ma part, elle a perdu la sympathie que j'avais pour elle à plusieurs reprises.

Comprenons-nous bien, je ne donne pas ici de leçon de morale à l'auteur : il est bien libre de faire crever dans la douleur 99 % de ses personnages si ça le réjouit... mais que cela ne fasse en rien avancer le récit est plus problématique narrativement parlant.
Quand on n'a plus rien d'autre à raconter que la mort d'un homme, c'est qu'on n'a rien à dire. Et trop souvent, ici, des personnages sont tués pour simplement les faire disparaître de la narration, sans que cela ait la moindre incidence sur le monde environnant.

C'est donc animé d'une légère déception que je termine mon assiette. Je n'hésiterai pas à me servir à nouveau au même buffet mais ce sera essentiellement en espérant un assaisonnement plus digne des ingrédients de base.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Toujours aussi coloré et délirant.
  • Le scénario est juste assez loufoque pour être intéressant.
  • Cet univers de "héros alimentaires" est riche en promesses.
  • L'histoire est au final un rien décevante par sa simplicité malgré des artifices complexes.
  • L'absence illogique d'évolution du personnage rend l'aventure un peu vaine.