Luther Strode #2 : la Légende
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Lorsque le premier volume de la série de Justin Jordan & Tradd Moore était paru, Nolt et moi avions eu peu ou prou la même vision des choses : un récit honnête, fondé sur des thèmes très souvent abordés dans la littérature liée aux super-héros, mais qui laissait sur sa faim car on manquait d'éléments permettant d'en apprécier le fond. L'usage de l'ultra-violence, voire du gore, nous avait interpellés de manière similaire, car si on ne pouvait manquer d'évoquer les créations de Mark Millar comme références (Superior ou Kick-Ass) - cf. le dossier sur Millar - le caractère décalé du récit comme des dessins lorgnaient davantage vers des produits plus "satyriques" comme Bad-Ass

Depuis, Delcourt a sorti le second volume, nanti d'un long résumé du premier, et agrémenté en fin d'ouvrage d'un carnet de croquis des personnages principaux, la plupart en pleine page. Il y en aura au moins un troisième. Il en ressort certains éléments qui ont plutôt tendance à rassurer, même si on aurait pu préférer que les auteurs en terminent au plus vite. 

D'une part, la violence graphique, déjà redoutablement présente dans le premier tome, atteint ici des sommets et cadre plutôt bien avec une évolution sensible des dessins vers moins de réalisme, à la limite de la caricature : les gars costauds sont trrrrès costauds - Luther en remontrerait au Hulk période Panthéon (illustré par Dale Keown) - les membres en action s'allongent et se déforment afin d'amplifier le mouvement, les têtes explosent et le sang coule à flot continu. Il faut dire que l'action se déroulant 5 ans plus tard, Luther Strode a non seulement amélioré ses capacités surhumaines, mais aussi domestiqué la moindre parcelle de son corps (même son sang peut devenir une arme entre ses mains !). Et aussi, et surtout, les adversaires qu'il rencontrera sur son chemin, et qui orienteront définitivement son destin, sont à la hauteur de ses facultés : on a donc plus de combats insensés, plus d'hémoglobine, plus de souffrances, de pièges pervers et de tortures. Ça pourrait n'être qu'une litanie de bastons gore ne visant qu'à satisfaire les blasés du comic-book mainstream.

Heureusement, les auteurs ont le bon goût de réorienter le récit vers l'épopée vengeresse qui s'apparente à une quête des origines, d'y insérer un peu plus de considérations d'ordre mythologique (certains éléments rappellent d'ailleurs the Sword des frères Luna) et de nous présenter une sorte de condensé du destin d'un héros, lequel, après avoir découvert ses pouvoirs dans le premier tome et affronté son premier super-adversaire, devient un champion anonyme des forces du bien avant de se voir forcé d'aller combattre, dans un futur volume, celui qui est à l'origine de ce qu'il est devenu, et qui cherche à l'abattre. Histoire de densifier un tantinet le propos. Mais ce n'est pas tout : là où le récit se distingue des histoires précitées, c'est dans l’immixtion de la petite amie. Sans doute le motif le plus réjouissant de l'entreprise Luther Strode. Rappelez-vous : Petra était cette jeune gothique qui n'avait pas froid aux yeux, avait fait comprendre à Luther tout l'intérêt qu'elle avait pour lui (bref, elle l'avait déniaisé dans tous les sens du terme) et avait illuminé le premier volume par sa verve et son côté piquant. La voici de retour, et elle parvient même à nous surprendre. Loin de l'archétype "petite-amie-du-héros-et-son-principal-point-faible", elle dynamise le récit en s'adjugeant par moments le rôle du sidekick, tout en continuant à rester fidèle à ses propres principes.


Charmante, donc. Certes, elle sera au départ plutôt comme un chien dans un jeu de quilles, mais sa force de caractère lui fera prendre une part active dans ce qui aurait pu n'être qu'une opération de sauvetage pour Strode. Le dernier tiers, après deux premiers déjà intenses, est une accumulation de confrontations épiques où le dessinateur s'en donne à cœur joie et les combattants dépassent les limites qu'on pensait leur connaître. Les répliques fusent autant que les balles, le sang éclabousse chaque case et on ne s'ennuie guère dans ces luttes apocalyptiques allant crescendo dans la destruction. Après le terrible Bibliothécaire du premier tome, on a droit au Relieur qui aura besoin d'un allié de poids, un certain Jack, parangon de cruauté perverse, le type même de l'arme qu'on hésite à employer tellement elle est incontrôlable. Et, dans l'ombre, attendant son heure, celui qui est à l'origine de tout ceci : Caïn.

L'oeuvre du fameux Jack : un artiste à l'esprit complètement barré. N'agrandissez l'image que si vous avez le cœur bien accroché !

L'intérêt teinté de perplexité que le premier volume avait engendré est donc maintenu, et renforcé, quand bien même on hésiterait devant cette entreprise un peu trop cool pour être honnête, pas clairement parodique, pas tout à fait sérieuse et qui semble viser le même public que les Gardiens de la Galaxie (le film de James Gunn) ou Kingsman. Bon, tant que ce n'est pas 50 nuances de Grey...

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une histoire menée tambour battant.
  • Toujours un humour bien dosé, alternant avec de la violence, des déflagrations et des hectolitres d'hémoglobine.
  • Les personnages secondaires ne sont pas des laissés pour compte.
  • Un dessin qui a tendance à se styliser, jouant sur la symétrie, décalant les points de vue et augmentant l'impact visuel. 


  • Les exactions de Jack et les flots de sang peuvent, à raison, rebuter plus d'un lecteur.

LUTHER STRODE #1 : UN BIEN ÉTRANGE TALENT
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Nous faisons connaissance aujourd'hui avec un nouvel apprenti super-héros portant le nom de Luther Strode.
Luther est un adolescent banal, ce qui sous-entend qu'il galère avec les filles et passe son temps à essayer d'échapper aux brutes qui le malmènent. Un jour cependant, Luther reçoit un livre contenant une méthode pour développer le potentiel physique et mental des individus. Il la teste et, très vite, se rend compte qu'il ne s'agit pas d'un attrape-nigaud et qu'en plus les effets sont spectaculaires !
Luther ne craint plus personne, son meilleur ami lui suggère même de devenir un super-héros et de patrouiller, en costume. Malheureusement, Luther va se rendre compte que de grands pouvoirs impliquent... de gros ennuis.

Le premier tome de Luther Strode vient tout juste de sortir en VF chez Delcourt. Le scénario est de Justin Jordan, les dessins de Tradd Moore.

Le concept de départ ne brille pas franchement par son originalité, l'on retrouve même tous les poncifs du genre (le souffre-douleur devenant tout à coup surpuissant, les amours contrariées, les patrouilles nocturnes...). L'on peut cependant s'amuser de la "méthode" permettant d'acquérir les fameux pouvoirs, celle-ci sortant tout droit des vieilles publications pour la jeunesse, dans lesquelles d'improbables publicités vantaient les merveilles de méthodes de musculation ou de lunettes pour voir à travers les vêtements. De l'arnaque vintage en quelque sorte.

Le récit évolue cependant vers quelque chose d'assez violent, et la scène d'ouverture donne d'ailleurs le ton d'entrée de jeu, avec une double planche particulièrement gore.

Impossible, à la lecture de l'ouvrage, de ne pas faire un parallèle, au moins au début, avec Kick-Ass, l'ambiance faisant penser à la méthode Millar : scènes choc, ultra-violence et grosse baston qui tache. Tout va très vite mais les personnages n'en souffrent pas trop, sans doute parce qu'on les connaît déjà bien (Luther étant un Peter Parker moderne, en plus trash, avec une tante May rajeunie). Quelques pointes d'humour au niveau des dialogues permettent de prendre un peu de recul et de ne pas simplement assister à un déluge de coups. 


Les six premiers épisodes réunis ici se laissent lire, mais il est difficile de crier au chef-d'œuvre, notamment parce que l'on ne sait pas trop encore vers quoi l'on se dirige. Et pour conserver une comparaison millarienne, l'on imagine bien qu'une tournure à la Nemesis serait assez différente d'une évolution à la Superior. Et entre le naufrage et l'agréable croisière, il suffit souvent d'un petit rien pour faire la différence (un gros glaçon par exemple).

Reste le "problème" de l'ultra-violence. Car l'on peut finalement s'interroger sur la nécessité de recourir systématiquement au gore, quitte à tomber parfois dans l'excès. Une pratique finalement devenue, sinon courante, du moins régulière (cf. No Hero, Crossed, Black Summer ou même encore Brit dans une moindre mesure).


Il ne s'agit pas, bien entendu, de jouer les moralistes, encore moins d'envisager une censure, mais simplement de s'interroger sur une certaine banalisation des actes les plus horribles. Une fiction a-t-elle besoin d'en passer par là pour intéresser les lecteurs ? Il est certain qu'un titre un peu "couillu", estampillé "pour lecteurs avertis", à des chances d'attirer l'attention (souvent des moins avertis d'ailleurs). Or, ce qui fait la différence entre une violence "acceptable" et une simple opération commerciale, c'est bien sûr l'utilité que cette même violence peut avoir.
Il appartient aux auteurs, aux auteurs responsables en tout cas, de ne pas en faire simplement un show vide de sens. Quant aux lecteurs, ils ont aussi leur mot à dire et leur responsabilité dans l'évolution globale des comics. Après tout, ce sont eux qui représentent le nerf de la guerre, en mettant ou non la main au portefeuille. Difficile cependant, dans un monde où la plupart des media artistiques de masse tendent vers la médiocrité (la télévision en tête, même s'il existe des exceptions, notamment dans le domaine des séries TV), de ne pas emprunter les chemins qui semblent les plus faciles et qui sont, en tout cas, les plus familiers.


Reste, pour les auteurs, à faire cohabiter le besoin de vendre (qui n'a rien de honteux) et une certaine intégrité, permettant, parfois, de ne pas suivre les vents dominants. On va moins vite, on se prend un peu de poussière, mais cela permet souvent de trouver des endroits uniques et encore vierges.

Un premier tome sympathique, qui n'a pas encore toutefois suffisamment de fond pour que l'on puisse réellement se faire une idée de l'ensemble.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un récit sympathique et enlevé.
  • Des touches d'humour bienvenues.
  • Une violence sans filtre.


  • Un point de départ convenu, avec des personnages presque archétypaux.
  • On peut estimer que l'usage de l'ultra-violence n'est pas justifié.