Saison de Sang
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Dupuis
nous propose un magnifique album, aux dimensions imposantes et à la couverture massive, signé de Si Spurrier, auteur passé par la case Marvel mais qui s’est surtout fait remarquer par des productions plus confidentielles, comme Weavers. Quittant les sentiers rebattus des aventures super-héroïques ou le fantastique contemporain, il nous fait cette fois voyager dans un univers étrange, entre fantasy et uchronie teintée de steampunk. Ce contexte intrigant est à la fois un des atouts et un des rares points faibles de cette œuvre singulière qui mérite d'être lue.

Mais voyons d’abord ce que nous propose l’ouvrage, la quatrième de couverture s'avèrant rien moins qu’alléchante : 

Une petite fille s'avance. Elle ne sait rien de plus. Elle DOIT avancer - toujours en ligne droite - à travers un monde dangereux, superbe, fantastique. Si elle tente de s'arrêter, ou d'opérer un demi-tour, ou de changer de direction, l'air autour d'elle prend vie et s'anime d'ombres furieuses qui la poussent à reprendre son chemin. Elle est terrifiée mais elle avance vers un destin aussi extraordinaire qu'inattendu...

Ajoutons à cela qu’à son réveil, nous la voyons flanquée d’un gigantesque robot, à moins que ce ne soit une énorme armure métallique animée par une personne invisible, un moteur inconnu, ou une magie inexpliquée. Cela peut faire penser au Madureira de Battle Chasers, sauf qu’au lieu d’un récit de sword & sorcery flamboyant, on se retrouve (au moins au début) plongé dans un monde désert, âpre, quoique parfois majestueux. Est-on seulement sur Terre ? Y a-t-il eu une apocalypse ? La fille est-elle la seule survivante d’une civilisation condamnée ? Les réponses viendront, ou pas, au long d’une histoire la voyant grandir à l’abri des mille dangers qui l’entourent grâce à la puissance imposante et la vigilance permanente de cette sentinelle de fer. Sentinelle et mère de substitution, qui n’hésite pas à faire preuve de fermeté devant les inévitables caprices de l’enfant, ou de tendresse lorsqu’il est nécessaire de la consoler. Mais, surtout, qui persiste dans cette mission impérative, qu'elle semble juger capitale : avancer, toujours avancer, comme le rappelle le titre original (Step by bloody step).

Alors, notre esprit de lecteur toujours aux aguets repense à un autre récit, bien différent, un des chefs-d’œuvre de la science-fiction, où une ville mobile était également condamnée à progresser vers un point inaccessible : Le Monde inverti de Christopher Priest. Les tenants et aboutissants de ce voyage inéluctable y étaient fournis au compte-goutte, et Saison de Sang procède de la même manière, les mots en moins. Car si notre étonnant duo finira par rencontrer d’autres êtres humains, nul dialogue ne nous sera rendu intelligible : les rares bulles seront emplies de glyphes pour lesquels aucun décodage ne sera proposé. Les seuls textes que l'auteur nous offre sont les introductions des quatre chapitres.


Les saisons défilent, la fille grandit, les terres traversées finissent par se peupler et se couvrir d’improbables royaumes où des armées s’affrontent et des humains tuent, pillent et exploitent d’autres humains. On finit par reconnaître des symboles, par identifier quelques protagonistes mais – et c’est peut-être ce qui frustrera ceux qui tenteront l’aventure – on n’aura aucune explication sur la genèse ou la structure de ces sociétés, passées ou futures, terrestres ou autres. L’essentiel pour l’auteur est ailleurs, dans l’immuable progression du géant d’acier et de cette fille devenue assez âgée pour commencer à vouloir prendre ses aises. Les ados, vous savez ce que c’est ! Et si gérer des caprices d’enfant était finalement chose aisée pour cette nounou géante, il n’en va pas de même avec les envies irrépressibles d’une jeune femme…
L’autre réussite de cet album presque muet, mais doté d’une poésie et d’une charge émotionnelle puissantes, consiste en ces dessins de Bergara : les visages hiératiques, les silhouettes graciles et les mouvements parfois peu lisibles peuvent rebuter, cependant l’illustrateur nous propose des pleines pages, parfois des double-pages, sur des décors à couper le souffle. L’alternance entre des cases resserrées autour d’un geste impératif, d’un regard équivoque, d’un détail que la nature offre à nos deux aventuriers de l’impossible, et des planches où l’on perd de vue nos personnages dans l’immensité des paysages surréalistes aux reliefs torturés, à la végétation onirique et au bestiaire échappé d’une version dévoyée de Donjons & Dragons est incontestablement un autre des atouts majeurs de cette œuvre. Des cases qui permettent au récit de prendre sa respiration sur un rythme propre, calqué sur les saisons qui s’égrènent comme semble s’égrener ce monde jusqu’au fatal point de non-retour.

Un projet parfaitement maîtrisé pour un très bel ouvrage d’une fantasy plus profonde, plus riche que prévu, puisant autant dans les racines de la sword & sorcery à la Conan que dans les plus graves et intenses récits post-apocalyptiques.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un album soigné, solide, à la couverture épaisse.
  • Un récit prenant, qu'on comprendra petit à petit.
  • Le concept d'une histoire sans parole (ou presque) traité avec finesse.
  • Des paysages somptueux, mis en valeur par des pleines pages ou des double-pages méritant des posters.
  • Beaucoup de poésie dans les textes introduisant les chapitres.


  • Un univers puisant dans la fantasy, le post-apocalyptique voire l'uchronie, aux contours difficiles à cerner.
  • Pas vraiment de grosses surprises pour les lecteurs aguerris, on sait où tout cela nous mènera (mais si l'on peut deviner la destination, le voyage reste sublime).
Parmi les ombres de Bayard
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Qui se souvient encore aujourd’hui de Georges Bayard ?
Écrivain pourtant prolifique, il est notamment l’auteur de la série Michel, parue en son temps dans la mythique Bibliothèque Verte. Il n’a pas la renommée d’un Stephen King, le côté sulfureux d’un Houellebecq et encore moins le lyrisme et la résonnance poétique d’un Hugo, mais il fait partie de ses hommes de lettres, de ses honnêtes artisans d’un temps révolu bien que pas si lointain, qui parvenaient à modifier des vies en manipulant des mots.
Au même titre qu’un Maurice Leblanc, Bayard a eu sur l’enfant que j’étais une influence importante, me dévoilant un chemin caché que j’arpenterais bien plus tard. Contrairement à ce que le titre laisse penser, Michel n’est pas seul dans ses aventures. Il est accompagné de son cousin Daniel, de l’ami Arthur et de la charmante Martine. Ensemble, ils affrontent des malfaiteurs souvent stupides et toujours défaits par l’ingéniosité du groupe. Car Michel est un personnage à l’ancienne, façonné par une bienséance que d’aucuns jugeraient désuète aujourd’hui. Lui et ses compères sont polis, instruits, intelligents, raisonnables, débrouillards et bienveillants. Pas vraiment d’aspérités donc pour ces protagonistes destinés à faire figure de modèles dans une littérature pour la jeunesse qui est encore austère et n’admet même pas un quelconque sentiment amoureux (encore moins un baiser, même chaste !) entre des adolescents qui échappent aux affres de leur âge en même temps qu’aux contraintes de la vraisemblance. Mais cela n’avait pas vraiment d’importance, car c’était l’aventure qui comptait. Lorsque nos yeux encore juvéniles parcouraient les lignes du vieux Bayard, l’on se retrouvait sans peine dans les rues de Corbie, transposés dans une France d’un autre temps afin de résoudre mystères et énigmes. Et même si l’on devinait qu’il ne pouvait rien arriver de bien grave, l’on frissonnait tout de même sous la couette, en tournant les pages avec ce bonheur réel et paradoxal que la fiction engendre lorsqu’elle est bien écrite.
Et puis, le temps est passé. Les enfants ont grandi, les pages ont jauni, les éditeurs ont commencé à appliquer des idées de commerciaux (dont on sait la pertinence) à la littérature jeunesse, en l’esquintant, en n’utilisant que le présent dans ses lignes, en supprimant des descriptions jugées trop longues ou inintéressantes alors que, sans elles, le charme de l’action s’envole aussi sûrement qu’une bernache en septembre. Mais, contrairement à ses britanniques confrères du Club des Cinq, Michel a échappé à ce traitement. Non pas parce qu’il aurait bénéficié d’un quelconque sursaut de sagesse, mais simplement parce que ses aventures n’ont progressivement plus intéressé les lecteurs. Sur les 39 tomes publiés entre 1958 et 1985, seuls deux sont disponibles actuellement dans la collection « Les Classiques de la Rose » (pertinent pour une série issue de la… Verte). 
Il faut s’y faire, c’est ainsi, certains personnages ne sont pas destinés à devenir immortels. Après quelques décennies, ils retournent dans ce néant d’où ils ont été tirés par des rites d’écrivain, à coups de gymnastique mentale et à l’aide d’un peu d’encre. Ce n’est cependant pas une raison pour les oublier. D’ailleurs, un lecteur qui a tenu compagnie à un héros pendant des milliers de pages peut-il réellement le chasser de son esprit ?
Victor Hugo a 2555 rues à son nom en France. Georges Bayard en possède une seule. Non là où il est né, pas plus que là où il est mort, mais à Corbie, lieu de résidence de son plus célèbre héros. Bayard n’a jamais reçu aucun prix ni aucune distinction pour son œuvre. Il ne reste de lui que cette ruelle, dans un petit lotissement de Corbie. Mais ce n’est pas ainsi que l’on mesure l’importance d’un écrivain. Ni au nombre de prix décernés par des comités compassés ni au nombre de rues rebaptisées que l’on peut arpenter. L’aura d’un auteur se mesure à la trace qu’il laisse dans l’esprit de ses lecteurs. 
Georges Bayard fait partie de ces phares qui permettent aux imprudents d’éviter les pires écueils lorsque la nuit est noire et épaisse. Ces phares-là ne sont pas assujettis à la froide sentence des horloges et à la sinistre érosion qu’elles impliquent. Ils demeurent debout. À jamais.
Parfois, poussé à l’introspection par un élan nostalgique agréablement douloureux, j’ai l’impression d’être resté à Corbie, quelque part entre les lignes. Nous marchons, Michel et moi, dans une ruelle pavée bordée de murs sur lesquels se reflètent des ombres inquiétantes. Mais je sais que je ne suis pas vraiment en danger. Je suis sous la protection du meilleur bouclier qui soit : une plume. 


ps : la photo illustrant cet article présente diverses éditions, issues de ma collection personnelle, du même roman. Il en existe au moins une autre, un livre "2 en 1" publié par Coëtquen Editions, qui contient donc Michel poursuit des Ombres mais aussi Nadine et les terroristes, une autre œuvre du même auteur. Je n'ai jamais réussi à mettre la main dessus, alors si vous lisez ces lignes et souhaitez vous débarrasser de votre exemplaire (en bon état), n'hésitez pas à me contacter en passant par UMAC. ;o)

Entretien avec... Tanngrisnir !
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Ambiance scandinave et médiévale aujourd'hui, puisque nous avons le plaisir de recevoir les membres de l'association Tanngrisnir, qui vont nous faire découvrir leur passion et nous entraîner dans le monde des Vikings !

 Tout d’abord merci de nous accorder un peu de votre temps, pouvez-vous commencer par présenter votre association ?
— Basée à Saulnes, Tanngrisnir est une association (loi 1901) de reconstitution historique ayant pour but de promouvoir la connaissance de l’ère viking (793-1066) à travers la pratique artisanale, le combat et la vie communautaire, mais aussi la musique, les rites et traditions…
An 980 : le clan Tanngrisnir, Varègues marchands, guerriers et Hommes libres, sillonne les routes de l’Est en quête de richesse et de gloire...

— Qu’est-ce qui vous a attiré plus particulièrement dans cette culture ?

— Je pense que beaucoup d’entre nous sont déjà des passionnés d’histoire. Le fait d’avoir une certaine liberté dans le groupe y fait beaucoup aussi. Concrètement, il n’y a pas de limite dans le sens ou chaque membre est libre de proposer ce qu’il lui plaît du moment qu’il a fait des recherches pour le justifier historiquement.
L’artisanat est tellement vaste qu’il y a énormément de domaines à couvrir : forge, travail du bois, du cuir, poterie, musique, pêche, cuisine… la liste est longue. Bon nombre d’entre nous ont été emballés par le côté sportif du combat.
De manière générale, en creusant un peu le sujet des vikings, on remarque vite qu’il y a énormément de clichés qui ne sont pas du tout représentatifs, c’est l'un des buts de l’association de casser ces idées reçues et transmettre nos connaissances.

— J’ai eu la chance d’assister à quelques combats impressionnants lors du Fensch Viking Festival, à Florange. J’imagine que cela nécessite une grosse préparation, quel entraînement suivez-vous exactement ?
— Le combat demande une condition physique et mentale. Nous nous retrouvons tous les dimanches après-midi pour les entraînements et en profitons également pour échanger sur notre passion.
Le côté fraternel des membres de la troupe se ressent d’autant plus sur le chant de bataille. Un lien de frères d’armes se crée. Et le fait d'être soudés est une force, cela permet de se dépasser.

— Les armes sont émoussées et vous disposez bien entendu de protections, mais dans le feu de l’action, arrive-t-il parfois de prendre un "mauvais coup" ?
— En effet, il faut prendre conscience que c’est un sport de combat. Comme un boxeur qui a les oreilles déformées, le nez cassé… les mauvais coups peuvent être de la partie, mais l’une des premières choses à maîtriser lors de l’entraînement est justement la maîtrise de sa force et de ses coups.

— Vous participez je crois à des manifestations dans toute l’Europe, auriez-vous un souvenir marquant à partager ?
— Pour en citer deux, un souvenir particulièrement marquant est notre première participation au festival viking de Wolin en Pologne : un village entier reconstruit en bord de mer, de l’artisanat historique, des échoppes à ne plus savoir où regarder, une sortie en bateau, et une bataille monstrueuse avec près de 800 combattants !
Le second est notre victoire dans la catégorie Bridge-Fight lors du festival de Rocroi (dans les Ardennes) où les meilleures équipes européennes se sont retrouvées pour sans doute le plus grand rassemblement de France. Nous remettrons notre titre en jeu en 2024.

— Lors des manifestations, vous établissez un campement, vous faites du feu, etc. Est-ce que vous essayez de pousser la reconstitution jusque dans les plus petits détails ?  Par exemple, quel serait le repas type d’un viking ?
— Pour une reconstitution de qualité, chaque détail compte, le but est justement de maîtriser et de faire attention à tous. Une bougie, un godet, la structure d’une table, les coutures des vêtements, cela doit être fait main, il faut faire attention à la matière… tout doit être historique.
Nous adaptons les repas à notre région, tous comme le faisaient les vikings. Quelques exemples : une potée aux légumes, du poisson fumé sur une planche accompagné de galettes cuites au feu de bois. Les bêtes étaient plus importantes vivantes ; la chèvre pour le lait, les poules pour les œufs, la vache était le tracteur du paysan à l’époque…

— D’un point de vue plus pragmatique, combien coûte environ une tenue complète, disons dans la version la plus simple (sans les armes ou éventuelles protections spécifiques) ?

— Il faut différencier la tenue civile et la tenue de combat. Le budget peut vite exploser. Une tenue civile simple peut aller de quelques centaines d’euros selon la qualité jusqu’à plusieurs milliers.
Une tenue civile de paysan peut être de 300 euros environ, une tenue de marchand peut aller rapidement jusqu'à 1400/1500 euros. Pour une tenue de combat il faut compter 400 euros minimum mais cela peut également dépasser les 1000 euros. Nous mettons un point d’honneur à ce que les choses soit faites à la main dans la mesure du possible, et l’artisanat et la main-d’œuvre ont un coût !

— Les membres de votre groupe paraissent très soudés, on sent une forme de bienveillance, d’amour fraternel presque entre vous (que l’on ne retrouve pas forcément dans d’autres pratiques, sportives notamment), est-ce dû au fait de pratiquer une activité un peu hors normes ?
— Il y a un lien très fort entre nous, nous nous considérons comme une famille, et personne ne doit être mis à l’écart. De là à savoir si c’est dû a notre activité, c’est difficile à dire mais possiblement. Nous fonctionnons comme a l’époque avec un système de "Thing".
Le thing, terme dérivé du vieux norrois þing, se réfère aux anciennes assemblées qui se tenaient dans les pays d'Europe du Nord. On a décrit les things comme le berceau viking de la démocratie car leur naissance constituait la première tentative d'introduire un système représentatif permettant de régler les différends sur une place publique neutre, de façon non-violente, plutôt que par des querelles sanglantes. C’est tout naturellement que nous avons donc repris ce terme pour nous rassembler et aborder les sujets qui le nécessitent, tout en laissant les nouveaux membres prendre leur place dans la troupe.

— En parlant des liens qui vous unissent, votre association est-elle ouverte à tous ? Y a-t-il un rite d’initiation, des conditions particulières ?
— Toute personne le souhaitant est bien sûr la bienvenue pour venir découvrir notre passion et en discuter. Nous accueillons régulièrement des personnes qui s’intéressent à nos activités. Pour tester le combat, se renseigner… Mais il faut garder en tête que l’aspect financier est significatif et cela freine beaucoup de monde. Pour participer à des évènements, une tenue civile est obligatoire. Chaque nouveau membre se fois assigné un parrain pour aider, répondre aux questions et ne pas faire d’achat non historique et inutile.

— Vous devez sans doute avoir vu la série Vikings, qu’en pensez-vous ? Est-elle selon vous représentative du mode de vie de l’époque ?

— C’est un bon divertissement mais ce n’est en rien une référence historique, autant en termes de tenue que d’histoire. Un viking est avant tous un marchand opportuniste. Les guerres et les massacres sont une infime partie de leur histoire.


— J’imagine qu’il n’est pas toujours facile de trouver des détails précis justement sur les habitudes de l’époque, les vêtements, les outils, les armes… quelles sont vos principales sources d’information ? Auriez-vous par exemple un ouvrage à conseiller ?
— Dans les grande lignes, l’association représente à l’origine une caravane marchande fondée entre Gotland, une île suédoise, et Birka, à la fin du Xe siècle. Cette caravane a connu son heure de gloire sur la route commerciale de la Volga (passant par Kiev, Gnezdovo, Byzance et allant jusqu’à Bagdad). Des cultures plus tardives ou trop éloignées sont donc à exclure.
Le but est de représenter de manière immersive la culture scandinave à la fin du Xe siècle, ses us et coutumes, son artisanat, son mode de vie, l’organisation de la société… Cela astreint les membres à un certain niveau d’authenticité dans leurs propositions de reconstitutions. La cohérence du costume est donc importante et permet de situer l’échelle sociale de celui-ci en s’appuyant sur des recherches personnelles, des sources archéologiques, iconographiques, historiques, des livres, certains éléments dans les musées…
Chaque personne se dirigera vers des ouvrages différents selon ses recherches. Un bon exemple : une personne souhaitant représenter un personnage du port commercial de Birka trouvera énormément d'informations dans le Birka Die Gräber de Holger Arbman.

— Il y a des enfants parmi vous, j’imagine que pour eux, ça doit être extraordinaire d’avoir un papa et une maman vikings, et d’être plongés dans une reconstitution grandeur nature. Ils sont aussi passionnés que vous ?
— Nous sommes depuis plusieurs années dans la reconstitution, et certains d’entre eux ont grandi parmi nous depuis leur plus jeune âge, dans la nature, coupés des écrans, certains présentent même des activités ou échangent avec le public. La relève est bien présente !

— Diriez-vous que votre pratique a également une dimension philosophique ? Est-ce par exemple comparable spirituellement à la « Voie » des budo japonais, en ce sens que la « gestuelle », la technique, outre l’aspect martial, constitue aussi un support pour grandir l’individu et trouver une certaine forme d’aboutissement, d’éveil ?
— Excellente question qui mériterait peut-être un échange de vive voix. Je pense qu’un aspect spirituel est déjà lié à notre pratique, dans le sens où nous allions la mythologie nordique à nos actes et représentations. Un certain respect pour la nature, les forces de chacun, l’honneur, le soutien… etc.
Peut-être y a-t-il une dimension philosophique dans tout ça. Une ligne de conduite, un respect du feu qui nous nourrit, du bois, du fer, des choses rares à l’époque et que l'on ne prend plus en compte de nos jours. Notre activité tend à transmettre ces choses-là.

— Si vous deviez corriger une idée reçue sur les Vikings et leur mode de vie, quelle serait-elle ?
— Il y en a tellement…
Le viking n’est pas une civilisation mais un mode de vie, c’est un marchand avant d’être un guerrier.
Le casque à cornes est apparu avec les opéras de Wagner et n’a jamais existé avant.
La corne à boire est à proscrire des tenues historiques.
La femme avait un rôle extrêmement important dans la famille et était très bien traité. Elle avait même le droit de divorce.
Le therme "drakkar" n’existe qu’en France, c’est une erreur de traduction qui est entrée dans la langue française par accident. Le Langskip est le nom utilisé pour un navire de guerre, mais plusieurs noms existe en fonction de la taille et de l’utilité du navire.

— 
J’ai vu sur votre page facebook qu’il vous arrivait apparemment de naviguer sur des navires d'époque. Alors ça, c’est juste fou ! Quel est le plus long trajet que vous ayez effectué ? Avez-vous construit vous-même ces navires ?

— Il nous est arrivé à deux reprises de faire des sorties en bateau. La première sur le Dreknor, une reproduction faite à l’identique d’un navire exposé au musée d’Oseberg (24 m de long) par une association située à Carentan (Normandie). Une sortie en mer de près de trois heures. La seconde à Wolin en Pologne, bateau plus petit mais une immersion des plus fortes. Une expérience extraordinaire pour nous tous.

— Certains d’entre vous parlent-ils le vieux norrois ? Utilisez-vous certains termes de cette langue lors des combats par exemple ?

— Nous n’avons personne qui parle le vieux norrois malheureusement, mais nous avons une personne qui écrit couramment en runes. Les ordres donnés pour les formations et déplacements sont en islandais, qui est la langue la plus proche du vieux norrois. Nous faisons également des cérémonies comme Yule, Litha, des mariages… tout cela est très immersif.

— Le Xe siècle et la culture viking constituent un vaste domaine, particulièrement riche et qui semble susciter de plus en plus l’intérêt du grand public. Serait-il envisageable, avec l’aide de la Région, de quelques communes peut-être, d’établir un village viking permanent, un peu sur le modèle du village des « Vieux Métiers », dans la Meuse ? Y seriez-vous favorables ?
— Járnfjall : Sans doute le projet le plus ambitieux de l’association. "Járn" signifie le fer, "fjall" peut se traduire par montagne, ce qui nous fait donc "La montagne de fer". C’est le nom choisi pour notre projet de village, en Lorraine, région lourdement marquée dans son histoire par ses mines, la sidérurgie et toutes les activités tournant autour du minerai de fer. Un travail sur plusieurs années et qui demande beaucoup d’organisation et de motivation. 

 Savez-vous déjà quel est le prochain festival où l’on pourra vous découvrir ? (En Moselle ou ailleurs)
— Nous arrivons en fin de saison, nous serons présents au marché de l’histoire de Compiègne les 19 et 20 novembre prochains. Il faudra attendre l’année prochaine pour la reprise des festivals et prestations publiques de l’association. Nous faisons également des rassemblements privés pour une immersion totale et sans public, pour vivre notre passion à fond.

— Nous terminons toujours nos entretiens par cette question traditionnelle : si vous pouviez avoir un super-pouvoir, quel serait-il ?
— Pour rester dans le thème, je pense qu’on dira voyager dans le temps !




Top Gun - Maverick
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Pete Mitchell
, alias Maverick, est de retour. Quelques décennies ont passé mais le pilote est toujours aussi accro au vol, au point même d'avoir tout fait pour ne pas monter en grade et finir dans un bureau. Après un nouveau coup d'éclat qui lui vaut de passer très près d'une mise à la retraite d'office, l'officier est muté à Top Gun pour une mission bien particulière. Maverick doit en effet entraîner les meilleurs pilotes de l'aviation US pour une mission à très haut risque, en territoire ennemi.
Mais les méthodes du vieux Mitchell ne vont pas tarder à déplaire à ses supérieurs...

C'est le 2 novembre que sort en DVD, Blu-Ray et Steelbook le très savoureux Top Gun - Maverick
Profitons-en pour revenir sur ce film de Joseph Kosinski (Tron Legacy, Oblivion), avec bien entendu Tom Cruise dans le rôle principal. 
Il existe sans doute deux façons très différentes d'aborder ce film. Soit vous n'avez découvert le premier Top Gun que longtemps après sa sortie, et c'est pour vous un film anecdotique, soit vous l'avez vu en salle en 1986, et alors vous savez à quel point il fut un phénomène à l'époque, à quel point c'était bluffant et jouissif, à quel point ce film vous foutait une sacrée claque. Du coup, aborder cette suite en faisant partie de la seconde catégorie permet évidemment d'en savourer toutes les "subtilités" (ou plutôt les grosses références très appuyées mais parfaitement orchestrées). 



Top Gun - Maverick est une excellente suite, parfaitement calibrée et destinée avant tout aux nostalgiques. Ce film vous offre ce que vous êtes venu chercher, pas plus, mais surtout pas moins ! Plus qu'une suite, il s'agit là d'une œuvre hommage à un film culte, à un style, presque à une époque. La mission que les pilotes doivent remplir est très anecdotique puisqu'elle n'est qu'un prétexte pour se prendre des shoots d'adrénaline (et de mélancolie) durant 131 minutes quasiment parfaites.
Tout est fait pour rappeler le premier opus, de la scène d'ouverture, copie conforme de l'originale, aux scènes clé (convocation dans le bureau de l'officier supérieur, tour en moto...), en passant par certaines mimiques et même l'éclairage ! C'est soigné, nerveux, ça tape là où il faut, et même les petites touches d'humour fonctionnent fichtrement bien.

Cruise est fort bon dans le rôle, même plus sympathique d'ailleurs qu'en 1986 (où il avait quand même un côté "petit con"). Les scènes de combat, privilégiant le côté spectaculaire et non le réalisme, en mettent plein la vue. Et le choix du premier rôle féminin (la fameuse Penny Benjamin !) est une excellente idée, montrant le soin avec lequel les scénaristes ont décidé d'exploiter la moindre allusion faite dans le premier film. Même la musique est excellente, avec notamment un coolissime I Ain't Worried de OneRepublic lors de la scène avec les "boys", sans parler du thème original, bien entendu.
Bref, toutes les cases sont cochées, c'est propre, rien ne dépasse, et c'est sans doute la seule réserve que l'on peut émettre sur ce film : il s'avère très scolaire et attendu. Une petite prise de risque aurait sans doute permis de dépasser le côté "fan service" (pas désagréable pour autant) pour en faire un long métrage plus ambitieux (il n'y a qu'à lorgner du côté de Cobra Kai pour voir comment l'on peut relancer une vieille franchise en réinventant complètement sa structure narrative de départ). 
Mais bon, on ne va pas bouder son plaisir, c'est clairement très bien fait et parfaitement jouissif. 

Un film "pop-corn", à regarder avec un grand sourire d'ado et des petits frissons dans le ventre. 




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Les références, parfaitement calibrées et placées où il faut.
  • Les scènes d'action, impressionnantes.
  • Une réalisation très carrée, qui flirte avec le premier opus jusque dans la photographie.
  • Penny Benjamin !


  • Des scènes parfois fort peu vraisemblables.
  • Très lisse au final, mais c'est clairement voulu.
Un récit complet en comic pour "Star Wars - La Haute République"
Par
 
En marge des comics Star Wars - La Haute République - Les Aventures (cf. le sympathique premier tome et le catastrophique second), un récit complet annexe intitulé Le Monstre du Pic du temple est en vente depuis le 13 juillet. C'est cette fois Cavan Scott qui le scénarise (à qui l'on doit l'excellent roman L'Orage gronde – pas encore chroniqué – et l'écriture de l'autre série de comics, sobrement intitulée Star Wars - La Haute République). Découverte de cette histoire en quatre chapitres.
 
Ty Yorrick
(anciennement Tylera) était une Padawan Jedi qui a abandonné les principes du célèbre Ordre. Convertie en mercenaire et chasseuse de monstres, elle continue d'utiliser son sabre laser (rose) mais ne fait jamais appel à la Force. Yorrick et son droïde KL-03 sont missionnés sur une planète hostile, Loreth, pour tuer le monstre Gretalax (dans le fameux Pic du Temple donc). Sur place, l'ancienne Jedi rencontre Drewen, créature bavarde capable d'être invisible et voulant devenir un Jedi. Le duo s'aventure dans des grottes afin de chercher leur proie…

Ce récit « simpliste » de prime abord révèle quelques bonnes surprises. Il en est de même pour le second arc narratif, se déroulant dans le passé, à l'époque où la Padawan s'entraîne avec Klias, tous deux élèves du maître Jedi Cibaba
 
L'on navigue ainsi entre présent et passé avec une fluidité épatante. Une écriture maîtrisée – exposition, enjeux, dialogues, action, connexions… – doublée de dessins d'excellentes factures, signés Rachael Stott, des traits globalement fins et élégants, détaillés et pourvus d'un découpage lisible et efficace. Seule la colorisation détonne parfois le temps de quelques planches (deux artistes opèrent sur cet album, Vita Efremova et Nicola Righi, conférant un ensemble graphique parfois différent l'un de l'autre mais ce n'est pas bien grave).

En plus de ces qualités, le point fort de la bande dessinée est sans aucun doute son accessibilité. Pas besoin de connaître les autres œuvres de La Haute République (aussi bien les romans que les comics). Ty Yorrick a été introduite dans L'Orage gronde, également écrit par Cavan Scott, croisée brièvement dans La Tour des Trompe-la-mort et le temps de quelques cases dans Mission Bilbousa. Autant dire que les fans du personnage seront ravis de la retrouver ici.
 
Pour les autres, eh bien…(c'est l'un des défauts de la fiction), étonnamment, la mercenaire génère peu d'empathie. Elle envoie chier à peu près tout le monde même si elle revient sur quelques choix car « c'est une héroïne, elle fait le Bien » (en gros). Têtue et un poil arrogante et agaçante, on l'apprécie davantage dans ses flash-back, plus fragile, vulnérable, touchante. Malgré tout, au fil de l'aventure, on s'accroche un peu plus, peut-être grâce à Drewen qui apporte un équilibre entre les deux. Autre remarque « négative » : la raison pour laquelle Ty s'est détournée des Jedi semble étrange (si tant est que c'est bien celle qu'on pense comprendre en fin d'histoire). Cela mérite une confirmation, qui sera probablement au cœur d'un autre titre à venir.

Du reste, l'univers de Star Wars s'enrichit habilement, explorant à la fois des préceptes Jedi qui fonctionnent parfaitement (les connexions mentales, l'utilisation limitée des pouvoirs…), le bestiaire (animaux, créatures, races…) et les lieux. De quoi savourer une aventure indépendante qui fait du bien après le moyen manga Un équilibre fragile et le mauvais deuxième tome de la série de comics éponyme.


On conseille donc Le Monstre du Pic du Temple, globalement bien écrit, bien dessiné, bien colorisé, plus original que les titres récents en BD (manga et comics) de La Haute République. S'il ne comporte que quatre épisodes, ceux-ci s'étalent sur une trentaine de pages chacun, portant donc à cent vingt pages environ le total, de quoi développer suffisamment et solidement l'ensemble. On rappelle que tous nos articles sur Star Wars - La Haute République sont compilés dans cet index.
 

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une aventure complètement indépendante et accessible.
  • Un complément idéal pour les fans de Ty Yorrick.
  • Des retournements de situation peu prévisibles.
  • Une double narration (au passé et au présent) efficace.
  • Un enrichissement de Star Wars plutôt pertinent.
  • De beaux dessins, dynamiques, pleins de couleur et homogènes.


  • Une héroïne pas forcément attachante.
  • (Une étrange conséquence suite à un acte en flash-back…)
Thomas publie trois livres en un !
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Petite parenthèse auto-promo ! Entre ses chroniques Star Wars sur UMAC (cf. index La Haute République), son travail (titanesque) sur Batman sur www.comicsbatman.fr, notre rédacteur Thomas a trouvé le temps de ressortir ses romans, compilés en un seul ouvrage de près de 600 pages !

Au programme, La mort de l'Amour, un titre écrit très jeune (17/18 ans) et publié peu après (en 2007, quand Thomas avait… 19 ans !). Quelques années plus tard, en 2011, c'est Démissionne ou je détruis ta vie qui voit le jour chez un autre éditeur. Ces deux romans n'étant plus disponibles depuis quelques années (les deux éditeurs ayant rendu l'âme) – et se déroulant dans le même univers –, l'auteur a donc décidé de les rassembler dans le même livre, accompagné d'une troisième fiction, Journal post-rupture d'un geek romantique (sorti en 2015) et de quelques textes inédits (scénarios, poèmes…).

Thomas en parle plus en détail sur son site personnel, où vous pourrez lire des résumés de chacune de ces histoires ainsi qu'une explication transparente sur le choix (clivant) d'utiliser l'auto-édition proposée par amazon pour cette réédition. En effet, pour se procurer cette compilation de romans, il est obligatoire de passer par la célèbre plateforme, seul endroit où elle est disponible, au prix de 17,99 €. Attention, comme souvent chez UMAC, le professionnalisme et la rigueur font foi. Thomas a donc embauché une correctrice et collaboré avec différentes personnes afin d'aboutir non seulement à un « bel objet », mais aussi à un livre bien mis en page et au texte corrigé par quelqu'un dont c'est le métier (ISBN 979-8836589868).

Félicitations donc à Thomas (Suinot de son vrai nom) qui se tourne désormais vers un autre projet : un essai sur la série Lost (dont il parlait déjà lors de son arrivée chez UMAC il y a six ans) !

Supergirl : Woman of tomorrow
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Chez Univers Multiples, Axiomes & Calembredaines, on commence à bien aimer Tom King. Il nous avait enchantés par son surprenant traitement de Vision, personnage paradoxal du Marvelverse, et proposé quelques excellents numéros sur la série Batman rebirth, même s’il avait eu du mal à tenir la qualité sur la durée. Mais cet été, il confirme chez nous les grandes espérances qui étaient placées en lui avec coup sur coup deux œuvres de qualité majeure : Strange Adventures, dont on vient juste de vous vanter les qualités, et Supergirl : Woman of tomorrow.

Avec l’acuité et la justesse de ton qui le caractérisent, mais également une grande finesse d’écriture, King va nous parler d’une héroïne trop souvent mise sous l’éteignoir par son illustre cousin dont l’ombre cosmique s’étend jusque dans les prémisses de cet album : car si Kara Zor-El est désormais connue de l’univers entier en tant qu’héroïne, symbole vivant de droiture et de courage (impossible à quiconque l’a lu d’oublier la scène où Superman, en larmes, étreint son corps après qu’elle s’est sacrifiée pour sauver le monde en péril – foncez lire Crisis on Infinite Earths sinon !), si elle a plusieurs fois contribué à la sauvegarde des siens, elle porte encore en elle le poids d’une planète morte, d’une terre natale disparue de laquelle Kal-El et elle-même sont les seuls rescapés. Et depuis que son objectif initial (protéger le futur Superman) n’a plus de raison d’être, Kara cherche à donner un autre sens à sa vie que les sempiternelles missions visant à protéger la Terre des menaces qui pèsent sur elle. 

Ainsi, si son image demeure intacte dans le cosmos, respectée par des milliards d’êtres vivants, la jeune femme peine à se détacher de son rôle de garde-chiourme : malgré son aura incontestable, Supergirl n’est rien à côté de Superman, véritable dieu vivant révéré sur chaque monde habité, craint par chaque apprenti criminel. Pourquoi s’étonner alors de la voir taquiner la dive bouteille pour fêter seule, et raisonnablement ivre, son 21e anniversaire ? Les héros aussi ont parfois besoin de se lâcher, mais quand on est invulnérable, comment faire pour que l’alcool opère quelque action lénifiante sur un organisme inattaquable ? Bah, facile : comme dans Superman contre Cassius Clay (et oui, l’album a existé et désormais, il vous est devenu incontournable, n’est-ce pas ?), on a juste besoin d’un soleil rouge pour annihiler les super-facultés kryptoniennes, tout en laissant intactes les seules capacités humaines. Si le procédé a pu permettre à Superman de s’entraîner à boxer, il peut tout à fait autoriser sa cousine à se biturer. Suffit de choisir une planète éloignée, de faire profil bas, de trouver la taverne adéquate (le genre de lieux bizarrement présents dans tous les recoins du cosmos) et de s’envoyer assez d’alcool pour voir des éléphants roses défiler devant soi. 

Tout aurait pu se passer à merveille, et notre super-blonde aurait pu tranquillement rentrer chez elle après une soirée de beuverie solitaire mais réussie, si elle n’avait pas croisé la route d’une jeune fille : voilà-t-y pas que la petite Ruthye, fille de fermiers, s’en vient en quête de mercenaires qui pourraient satisfaire sa soif de vengeance ? Car la pauvre vient de perdre son père qu’elle adorait, proprement assassiné par un individu sans foi ni loi. De quoi éveiller l’intérêt, un tantinet émoussé par l’alcool, de Kara : foi de Supergirl, ce malandrin saura ce qu’il en coûte de s’en prendre à une innocente ! Sauf que le malandrin en question s’avère beaucoup plus roublard que prévu et que Supergirl n’est pas dans son état normal : c’est ainsi que débute une odyssée interplanétaire où l’héroïne désabusée, flanquée d’une jeune idéaliste fermement décidée, naviguent de monde en monde à la poursuite d’un meurtrier implacable.

L’occasion pour Tom King de s’amuser à dresser le portrait de personnages truculents, à décrire par le menu des civilisations étranges engendrant des quiproquos ou des problèmes que notre couple devra s’appliquer à résoudre, les retardant d’autant dans cette quête que Supergirl ne voit pourtant pas d’un bon œil. La Justice, d'accord, mais la Vengeance ? N’est-elle pas bien au-dessus de cette pulsion ? Ne peut-elle pas tenter de dissuader une orpheline trop polie, trop candide, de mener à bien cette mission périlleuse qui lui fera traverser les endroits les plus sordides de l’univers ? Surtout que l’aura de Supergirl, si elle joue en sa faveur par moments, peut également générer quelques complications - et n’importe qui sait désormais qu’il suffit d’un peu de kryptonite pour venir à bout de cette prétendue sur-femme. Au travers de chapitres écrits avec talent, à la première personne (c’est Ruthye qui raconte a posteriori cette aventure hors du commun) et dans un langage extrêmement châtié - le vocabulaire employé par la jeune fille s’avère presque comiquement délicat et subtilement désuet, avec des tournures surannées pleines de fioritures qui accentuent son décalage avec la faune bien plus terre à terre qu’elle va être amenée à fréquenter si elle veut mettre la main sur l’assassin de son père - on assiste à une version euphorique de Candide au pays des super-criminels, mais avec Supergirl qui l’accompagne et veille sur elle, une Supergirl badass, qui a perdu sa patience le jour où on a abattu son chien (vous savez ? Krypto, le super-iench - et si vous êtes bien sages, vous aurez même droit à un super-cheval) : imaginez ce que peut faire une Kara vénère si elle se met en mode John Wick ! Ah, faut pas trop la faire chier, la super-miss ! 


Et si tout cela ne suffisait pas à vous appâter, dites-vous qu’aux crayons on a une surdouée brésilienne, l’artiste Bilquis Evely : son crayonné dynamique magnifie les postures et ses cases s’auréolent régulièrement de décors ésotériques à couper le souffle. Elle qui a déjà opéré sur la série Sandman : the Dreaming va encore plus loin en transcendant ses personnages : par le biais inspiré de sa patte créatrice, Supergirl s’incarne en une déesse ultime, zébrant les éons, rayonnant d’une gloire multiverselle et illuminant les espaces intersidéraux de son infinie puissance. Il y a du Druillet et du Moebius dans ces cases métaphysiques qui nous font, à l’image de la petite Ruthye face à son aînée à cape rouge, nous sentir tout petits et insignifiants devant tant de grandeur d’âme. Une grandeur et une puissance qui ne sont pourtant rien face à l’immensité de la noirceur humaine, amer constat qui poussera chacune d’entre elles à admettre que leur tâche, pourtant noble et juste, s'avère simplement impossible. Tout comme Schiller lorsqu'il affirmait : "Face à la bêtise humaine, les dieux eux-mêmes ne peuvent rien. "


Woman of tomorrow est un album somptueux, à la colorisation exquise, aux dessins éblouissants multipliant les angles, les points de vue et variant les éclairages, à l’écriture élégante teintée d’une douce ironie et d’une subtile gravité. Sous l'apparence initiale d’une quête de justice et de vérité, cette histoire se muera en voyage initiatique à double tranchant parsemé de réflexions acérées sur le statut même du héros, dont les failles, les doutes, les questionnements enrichissent davantage la force de caractère ainsi que l'impact émotionnel sur le lecteur. Des propos pertinents s'y ajoutent, interrogeant les notions d'héritage et de transmission (héritière d'un monde qui n'existe plus, que peut décemment transmettre Supergirl à une fille qui n'a plus rien à perdre ?) et baignant dans une nostalgie indolente. Tom King parvient en outre à instiller la juste dose d’un féminisme bon teint sans que cela sonne comme une figure imposée, avec délicatesse et parcimonie, et réussit à faire de Supergirl, personnage oublié, personnage sacrifié, le symbole doré d’une renaissance pleine de promesses, se permettant le luxe de jouer avec les codes de la narration pour nous offrir une fin délicieusement équivoque. 
Indispensable.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un one-shot hors continuité qui permet  d'aborder l'histoire sans être pénalisé.
  • Une édition soignée, agrémentée de quelques couvertures originales de toute beauté.
  • Une écriture sensible, élégante, usant de la narration à la première personne avec malice.
  • Un récit d'une densité inouïe mêlant vengeance, Justice, rédemption, nostalgie, initiation et héritage.
  • Un personnage central qui transcende l'archétype du (super)héros.
  • Des illustrations jouant à merveille de la richesse du support.
  • Une colorisation sublimant les crayonnés, conférant souvent une dimension onirique aux conflits.


  • Allez, pour chipoter, on peut éventuellement regretter que la dessinatrice fasse des visages un peu trop ressemblants entre eux.
Movie ghosts 1/2
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Jerry Fifth est un privé de Los Angeles qui communique avec les étoiles défuntes du cinéma.
Cela lui permet de résoudre des cold cases mais aussi de s'éprendre de l'une de ces étoiles, éperdument.


Outre sa connaissance des arcanes de la Cité des Anges, Jerry Fifth va bientôt se découvrir un don pour le moins étrange : communiquer avec nombre de vedettes et responsables du cinéma d'antan désormais décédés. Ces âmes ont encore une tâche à accomplir avant d'atteindre leur destination finale et Jerry va s'employer à en aider certaines.
Nous assistons à la prise de conscience de son pouvoir par Jerry et le moins que l'on puisse dire est que l'acceptation en est pour le moins rapide. Il abandonne vite son étrange explication à base d'acouphènes (un acouphène qui ressemble à une voix et non à un sifflement, c'était de toute façon une explication pour le moins étrange) au profit de la piste surnaturelle. Et le voilà du jour au lendemain enquêteur paranormal guidé par des indics fantomatiques. 
La rapidité de cet aspect du récit nous renseigne vite sur la nature du projet que l'on tient entre les mains : il ne se veut guère crédible mais œuvre davantage à titiller notre fibre poétique et à installer une ambiance adéquate tout au long de la lecture.

La collection Grand angle de chez Bamboo prend ici le pari de viser un public nostalgique des belles heures du cinéma (quelques grandes vedettes sont même citées dans l'album) ou suffisamment curieux pour s'essayer à un roman noir fantastico-romantique. 

Si vous vous attendez comme nous à un ouvrage fantastique qui respecterait les codes du genre, détrompez-vous. Ici, ce qui compte surtout est l'atmosphère noire, les relations troubles et la soif de vie désespérée des âmes perdues. Même les enquêtes sont, en définitive, assez cousues de fil spectral. 

Certaines idées sont désarmantes et traitées de belle façon, comme ce fantôme d'actrice incapable d'avoir une matérialité physique mais qui veut être aimée une dernière fois. La sensibilité du récit rend ce personnage émouvant et sa frustration plausible.

Stephen Desberg
 (IR$, Le Scorpion, Empire USA) livre ici un récit agréable mais qui se permet de nombreuses facilités. Aucune n'est dérangeante au point de gêner la lecture mais il est nécessaire d'être réceptif à ce type de récit pour s'y immerger suffisamment et parvenir à ne pas les sentir nous sauter au visage en nous hurlant leur existence.
Attila Fukati (Severed : destins mutilés), quant à lui, nous gratifie d'un dessin réaliste très soigné, d'un découpage intéressant, d'angles de vue assez consensuels mais efficaces et d'une mise en couleurs privilégiant l'atmosphère et la sémantique au réalisme... étant en cela cohérent avec son auteur.

Alors certes, l'ambiance est lourde à en être caricaturale. Certes, la narration joue sur trop de clichés et la voix off peut sembler bien trop présente.
Certes, les personnages sont davantage des archétypes que des êtres auxquels on croit...
Mais ce sont là des caractéristiques du polar, auquel Movie Ghosts emprunte sa forme. Il y apporte de façon assez originale une dose de surnaturel qui parvient lui aussi à se conformer à la musicalité générale.
Que l'on soit séduit ou non par la proposition, il faut admettre son originalité et le soin apporté à sa concrétisation. 
Un album intrigant mais, surtout, qui reste un peu en nous après l'avoir fermé, pour peu que l'on soit sensible à la démarche ou tout simplement à l'idée qu'un amour soit la communion de deux âmes, qu'importent les corps.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un concept intrigant.
  • Une atmosphère très réussie.
  • Un dessin soigné.
  • Un fantastique qui se ferait presque oublier malgré son omniprésence.
  • Une histoire un peu trop prévisible.
  • Des dialogues trop écrits.
  • Une voix off trop présente.
  • Une mise en couleurs parfois minimaliste.
  • Un fantastique un peu trop facilement accepté par le principal protagoniste.
Scurry - tomes 1, 2 & 3
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Dans un monde post-apocalyptique où l'espèce la plus inadaptée à un retour à la vie sauvage a périclité,
seules subsistent encore les autres qui n'y avaient pas renoncé.


Dans ce contexte, pourtant, les souris domestiques se retrouvent bien emmerdées : comme ces imbéciles de survivants dans The walking dead, elles ne vivent depuis longtemps que des restes laissés par les humains du temps de leur splendeur. Or, les stocks s'amenuisent et les maraudes deviennent aussi dangereuses que peu fructueuses.
La famine fait ses premières victimes... Il est temps de quitter l'ancienne bâtisse qui abritait nos amis. Deux camps s'affrontent alors : faut-il rejoindre la forêt et ses multiples prédateurs ou la ville et ce qui a peut-être causé la disparition des humains ? 
Nous allons suivre les trépidantes aventures de Winx, intrépide éclaireur tout roux, et de Pict, la non moins téméraire fille du chef de la colonie qui arbore, elle, un pelage blanc. 

Nous n'allons pas ici vous résumer l'histoire relativement classique de ce triptyque : c'est une quête enchaînant opposants et adjuvants de façon assez classique, mais transposée au monde de nos petites bestioles. C'est plaisant à lire, les rebondissements sont nombreux, les personnages sont intelligemment écrits (protagonistes comme antagonistes), les enjeux tiennent la route et aucun reproche ne peut foncièrement lui être fait, narrativement, sans faire œuvre de mauvaise foi. C'est une honnête dystopie animalière qui surprend rarement mais qui ne se moque jamais de son lecteur.

Il y a bien quelques passages sacrifiant à un rythme plus lent, voire même certains cédant à un verbiage un rien trop encombrant pour n'aboutir au final qu'à ce que l'on attendait déjà à la moitié de la conversation... Mais ces pauses sont intelligemment égrenées tout au long des trois tomes et ne rendent les nombreuse scènes à suspense que plus poignantes.
La mise en scène et en images de ces dernières est d'ailleurs d'une efficacité redoutable, au point qu'il est rare de trouver d'autres bandes dessinées qui permettent une telle immersion dans l'action.
Le flou de mouvement, la profondeur de champ mettant le danger en exergue... toutes les techniques du cinéma sont ici efficacement figées sur papier glacé.
Tout est expressif, jusqu'aux phylactères et aux polices de caractère.
L'histoire étant assez dure et le dessin impactant, je me risque quand même à suggérer que l'ouvrage n'est peut-être pas destiné pour un public trop jeune... Mais disons que, dès huit ans, ça devrait être une lecture très appréciée de tous.
La galerie de personnages est assez large et variée, offrant d'innombrables souris mais aussi du chat, du loup, du renard, du rapace, du serpent, du castor, de l'élan... mais la narration y reste toujours claire et jamais l'on ne se perd entre tous ces animaux si bien caractérisés par un dessin numérique de très haute volée.

Car s'il est bien un critère qui a dû donner envie à Delcourt de sortir une version papier de ce web-comic issu d'un campagne participative, c'est sans conteste son esthétique irréprochable.
Si Mac Smith nous a ici livré un scénario assez convenu, il n'en est pas de même de son graphisme et de ses couleurs. C'est splendide ! Le bonhomme est spécialisé dans les arts digitaux et a travaillé à maintes reprises pour le monde des jeux vidéo. Sa première incursion dans des cases de comic book met un généreux coup de boule au reste de la profession, renvoyant tout le monde à sa table à dessin ou à sa tablette graphique.
L'anthropomorphisation légère des animaux, les environnements, la lumière, les ombres, les textures, les profondeurs de champ, les angles de vue, le choix des plans... tout pousse à voir Scurry comme le plus abouti des storyboards pour un film d'animation éminemment sympathique.
Dans un milieu hostile, voir ces animaux minuscules confrontés au retour à l'état sauvage des chats domestiques, puis à l'appétit des rapaces, à celui des loups et aux éléments provoquant inondations et incendies... c'est de la grande aventure à hauteur de souris. 
Alors, quand c'est servi avec une telle maestria visuelle, on s'incline et on en redemande ! Et ça tombe bien puisque l'auteur sous-entend en postface que Winx et Pict n'ont pas fini de nous dévoiler leur quotidien.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un graphisme irréprochable.
  • Des protagonistes attachants.
  • Des antagonistes inquiétants, voire effrayants.
  • Un récit rondement mené.
  • Un scénario peut-être un rien convenu, dissimulé derrière mille péripéties faisant oublier la simplicité de la trame globale.