Happy Birthdead
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Boucle temporelle et ambiance épouvante sont au menu de Happy Birthdead, dispo sur Netflix.

Tree est une jeune et jolie étudiante assez odieuse avec tout le monde. En bonne place dans une sororité de snobinardes insupportables, elle ignore ou parle mal à la majorité des gens qu'elle connaît, à commencer par sa coloc ou son propre père.
Après une fête mémorable et de gros abus d'alcool, Tree se réveille dans le lit du brave Carter, un gentil garçon qu'elle méprise et avec qui elle ne souhaite pas du tout être vue. Finalement, si l'on excepte une bonne gueule de bois, la journée se déroule normalement pour la jeune fille, qui compte même sortir de nouveau le soir même.
Malheureusement, alors qu'elle se rend sur les lieux d'une nouvelle fête, elle est victime d'un type masqué et armé d'un couteau.
Tree se fait tuer et... se réveille alors dans le lit de Carter. Encore... et encore.

Ce film réalisé par Christopher Landon, et scénarisé par Scott Lobdell, est plutôt bien fait mais très classique dans sa construction et ses effets. Dès le départ, par exemple, lorsque Tree effectue un court trajet sur le campus, un tas de petits détails très appuyés viennent jalonner son parcours (on lui demande de signer une pétition, une alarme de voiture se déclenche, des étudiants sont surpris par le système d'arrosage automatique, un bizut fait une chute, etc.). C'est si flagrant qu'à moins de ne pas connaître du tout le principe de la boucle temporelle, on est obligé de voir là un défilé de repères qui serviront plus tard (même principe par exemple pour Bill Murray à sa fameuse fête de la marmotte, qui marche dans une flaque d'eau, rencontre un ami, etc.).
Cependant, même si la construction est apparente, on ne peut pas nier qu'elle soit efficace.



Rapidement, Tree va éviter le tunnel où elle est censée se faire assassiner. Mais, manque de bol, elle finit invariablement par se faire trucider tout de même, de différentes manières. Bénéficiant de l'aide de Carter (là encore, on s'y attendait), elle va tenter d'identifier le tueur.
Alors, dans Netflix, ce film est estampillé "comédie", ce qui est tout de même assez étrange. Il y a bien, au milieu du film, une sorte de "parenthèse" humoristique, quand Tree mène l'enquête et se fait buter un nombre incalculable de fois, mais à part ça, on reste plus proche tout de même du slasher un peu fun et second degré, type Scream

Tout comme dans Un jour sans fin (qui sera d'ailleurs cité à la fin du film), Lobdell joue sur la progression du personnage principal et son changement d'attitude (frayeur, compréhension, tentatives de sortie de la boucle, colère, résignation...). Le traitement de Tree reste cependant bien plus léger et moins habile que celui du mythique Phil Connors. Seule petite originalité, Tree s'affaiblit après chaque mort et ne peut donc pas compter demeurer indéfiniment dans la boucle. 
Après moult fausses pistes, rebondissements et déductions, la conclusion vient apporter une fin convenue à un film honnête mais sans grandes ambitions. 
Notons qu'il existe une suite, Happy Birthdead 2 You, qui flirte plus avec le côté SF et s'éloigne du slasher-movie. Et un troisième opus est en préparation.

Au final, si vous souhaitez de la boucle temporelle originale, tragique, métaphysique et grandiose, on vous conseille Prédestination, inégalé à ce jour. Si vous souhaitez du léger, à consommer sur place, sans finir avec le cerveau en ébullition, Happy Birthdead fera office de divertissement convenable.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Divertissant et agréable à suivre.
  • Légèrement flippant sans être glauque, donc tout public..


  • Une intrigue classique et des effets prévisibles.
  • Un réel manque d'ambition, mal dissimulé par un second degré peinant à faire de ce film une réelle comédie.
La Véritable Histoire, de Stephen Donaldson
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Surprenant.
Parvenir à rédiger un roman de 200 pages autour d'un trio dans l'espace, c'est à ce point remarquable que, malgré le resserrement de l'intrigue, le nombre restreint de personnages, l'envie d'en savoir davantage sur les tenants et aboutissants d'une variation sur le triangle amoureux l'emporte sur la frustration. 

Connu pour ses sagas de fantasy très wagnériennes, Stephen Donaldson se lance dans le space-opera avec une sorte de malice, jubilant d'avance de la manière dont il va se jouer d'un lecteur aussi incrédule que son héros le plus célèbre (cf. Les Chroniques de Thomas l'Incrédule). Avant de clore son roman sur une ouverture en filigrane vers quelque chose de plus vaste, tant de proportions que d'implications, établissant ainsi un prélude à une nouvelle saga prenant place cette fois dans l'espace interplanétaire (Le Cycle des Seuils).

Il faut avouer que, au long de cette lecture, on se sent tour à tour floué, puis intrigué, amusé et enfin stupéfait. La situation initiale est presque risible, et le premier chapitre nous le laisse croire : Angus Thermopyle, un pirate de l'espace aussi redoutable que redouté, entre dans un bar du Secteur Delta d'une Station spatiale. Cela aurait pu n'être que la répétition routinière d'une situation propre à tout bon western (ou film noir) qui se respecte s'il n'était accompagné d'une accorte jeune femme, aussi sublime qu'il est grotesque. Évidemment, tous les yeux de la clientèle (forcément) mal famée de l'établissement sont braqués sur ce duo improbable, et les rumeurs courent déjà sur la manière dont Angus a réussi à séduire, convaincre, voire forcer la belle. Extorsion ? Chantage ? Drogue ? Ou pire ? 
Mais voilà que le couple croise la route de Nick Succorso, autre fieffé gredin, mais de l'espèce opposée, de la race de ces gentlemen cambrioleurs, aussi charmant et espiègle que dangereux. Le beau Nick dont le regard croise celui de la belle Morn : le temps s'arrête, suspendu dans l'intervalle ténu séparant ces deux êtres faits pour être ensemble. Un destin honnête, celui des contes de fées et des grandes légendes, voudrait qu'ils finissent par s'unir et que le méchant de l'histoire, l'immonde Angus, cède sa place, meurt en duel ou finisse aux mains de la Justice afin de payer pour ses trop nombreux crimes.
Et c'est précisément ce qui se passera.

Que les deux du fond qui crient au spoiler se rassurent : c'est dès la fin du premier chapitre que l'auteur nous dévoile la fin de cette histoire ! Mais alors, quid des dix-sept autres ? C'est là que Donaldson révèle son audace et sa finesse et, au lieu de nous dire ce qui se passera, voici comment il conclut ce chapitre :

Et donc, plutôt que de gloser sur les conséquences de cet affrontement dont on ne sait finalement rien, on va reprendre depuis le début et y aller voir de plus près. Le deuxième chapitre nous invite ainsi dans la peau des observateurs un peu plus subtils, pas les piliers de comptoir de base ou les bandits de seconde zone, mais ceux qui, bénéficiant d'une certaine expérience, savent interpréter et connaissent davantage les rouages de cette micro-société qu'est la Station, sa dépendance envers les cargos terrestres et les relations entre les trafiquants et les mineurs des astéroïdes. On s'efforce alors de lire entre les lignes, de décoder le moindre geste, le moindre regard entre ces trois êtres dont on ne sait, finalement, pas grand-chose d'autre que leur réputation et leur physique. On suppute, on déduit, on extrapole : mais là encore, même si on parvient à aller au-delà des apparences, on ne sait toujours pas quelle est, a été, "la véritable histoire" d'Angus, Morn et Nick.

C'est ainsi lors d'une troisième étape que nous allons nous pencher sur chacun d'entre eux, à commencer par cette brute patibulaire, aussi abjecte que pathétique, que semble être Angus Thermopyle, dont on ne connaît qu'une seule passion : celle qu'il voue à son astronef, insolemment baptisé Lumineuse Beauté. De cette manière, en comprenant qui ils sont, comment ils se sont rencontrés, dans quelles circonstances ils se sont croisés, comment Morn en est arrivée à se retrouver aux bras de cet homme répugnant, on finit par défaire les nœuds gordiens scellant cette affaire : victimes, coupables, sauveurs, tortionnaires ne sont pas ce qu'ils semblent être - et parfois, un peu tout cela à la fois. Le dessous des cartes et des situations s'avère complexe, les intentions obscures, les conséquences dramatiques : meurtres, trahisons et destructions nous seront révélés petit à petit, remplissant progressivement les trous dans ce qui paraissait de prime abord une banale histoire de duo à trois.

Le procédé a de quoi surprendre et même agacer. Les amateurs de séries TV y reconnaîtront un schéma similaire à de véritables réussites que sont Damages (tout au moins la première saison) ou encore How to get away with murder qui vient de s'achever : dès le début, on connaît la fin mais les zones d'ombre sont telles qu'on manque d'éléments pour la comprendre tout à fait.

Et incidemment, l'écrivain de nous familiariser avec un univers qu'il dépeint avec sagacité, sans s'attarder outre-mesure, demeurant en permanence à hauteur d'homme, centré sur ses trois protagonistes aux rôles mouvants et aux objectifs insoupçonnés. Les amateurs de SF spatiale se retrouveront en terrain conquis, balisé par de nombreuses références à de grands classiques, tellement ancrés dans leur tête qu'ils seraient à peine surpris si on leur disait que, mais oui ma bonne dame, la Terre a colonisé d'autres planètes, inventé un mode de propulsion permettant aux hommes d'aller au-delà du Système solaire (mais ce n'est pas sans risques), lui permettant de continuer à exploiter avec avidité les ressources minières même les plus lointaines. Qui dit exploitation minière (par exemple dans la ceinture d'astéroïdes), dit routes commerciales et trafic de marchandises, donc piraterie et contrebande. L'espèce humaine ne fera que reproduire ailleurs ce qu'elle a commis sur sa planète mère : un bar dans une station spatiale fonctionne exactement comme un bar terrestre. Ceux qui ont vu Outland ne seront guère dépaysés.

Ce n'est donc pas dans cet univers sans véritable nouveauté (en dehors de la propulsion de Seuil, qui occasionne parfois des dérèglements psychiques - on n'est pas loin d'Event Horizon) que se trouvera l'intérêt du roman, mais dans la manière dont l'auteur tisse les destins tragiques de ces trois êtres, qu'il inscrit progressivement dans cette dimension mythique qu'il affectionne - au point, dans une postface, de nous faire un cours sur L'Or du Rhin, la Tétralogie de Wagner qu'il chérit tant qu'elle interpénètre la plupart de ses ouvrages. Son tour de force est donc d'avoir réussi à construire avec une remarquable aisance une histoire plus grande que son récit, une véritable tragédie dont les conséquences débordent de leur propre cadre, appelant des suites continuant à étendre les points de vue.

Un roman qui ne demande qu'à être adapté au cinéma.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une structure spiralaire qui s'avère beaucoup plus passionnante que prévue.
  • Trois personnages abondamment décrits dont le caractère, les actes, le passé et les intentions en font des créatures complexes et dignes d'intérêt.
  • Un univers spatial classique, facile à appréhender, doté de ce qu'il faut de jargon technique pour avancer sans heurt.
  • Un prélude intéressant à une saga nettement plus ambitieuse que le sujet du roman.


  • Une intrigue qui fait du surplace puisqu'on lit uniquement dans le but de combler les trous d'une histoire dont on connaît la conclusion.
  • Un style parfois redondant, qui trahit par moments la volonté de meubler.
Sirènes & Vikings #2 - Écume de Nacre
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J'ai entendu dire, une fois, que l'adoption, c'est comme un Kinder Surprise : ça rend toujours content dans un premier temps
parce que le chocolat, tout le monde aime ça... mais pour la suite, on ne sait pas à quoi s'attendre.


Dans ce deuxième tome de la série (le premier et la collection elle-même sont présentés ici : "Tome 1 : Le fléau des abysses"), on fait la connaissance de Freydis, jeune femme nordique à la chevelure ardente qui est réputée être (et de loin !) la meilleure guerrière de Kättegland (non, pas Kattegat, bande de geeks !).
On découvre rapidement qu'elle est promise à Svein, le fils du jarl local (pour ceux qui l'ignoreraient, c'était plus ou moins l'équivalent d'un comte... pour les pointilleux qui savent ce que c'est, lâchez-moi, je sais que ce n'est pas vraiment comparable).
D'ailleurs, lors de festivités, elle participe contre lui à un combat d'entraînement et le laisse gagner pour ne pas  l'humilier devant son père et leur communauté. Oui, mesdemoiselles et mesdames : on a une héroïne supérieure aux hommes dans les domaines où les hommes excellent. Heureuses ? Eh bien ne vous réjouissez pas trop... la jolie rouquine a des facettes cachées. Beaucoup. Et pas que des facettes sympatoches !
Soudain, à la fin des festivités, trois langskips (appelez ça un drakkar si ça vous réconforte) échouent brutalement sur les côtes du village, allant jusqu'à emboutir des habitations. On ne retrouve à leur bord qu'un seul homme, blessé... et personne d'autre. Le mystère est épais mais chacun y va de sa théorie... Pour Freydis, pourtant, il n'y a aucun doute : ils ont subi une attaque de hafvrues... une attaque de sirènes, quoi !
D'un autre côté, la petite Freydis, là... elle impute la mort de son père adoptif aux sirènes (oui, elle a été adoptée, vous comprenez donc enfin le chapeau) et puis, bon, vu le titre de la collection, si c'était l'histoire de cow-boys qui affrontent des sasquatchs, on serait en droit de se sentir un peu floués. 

La suite du volume alterne entre la quête de Freydis cherchant des renforts pour botter les fesses écailleuses des sirènes et des flashbacks de son enfance nous permettant de tout apprendre de ses origines. Le tome est bien ficelé : on pense découvrir une histoire banale mais la surprisounette attendue cache son lot de plot twists et le final offre à l'héroïne de la BD une ampleur dramatique que je ne m'attendais pas nécessairement à trouver ici (entendons-nous bien : c'est le genre de fin que je souhaite parfois et qui, ici, est selon moi une des meilleures fins possibles pour donner du caractère au récit... mais souvent, les scénaristes se l'interdisent). D'ailleurs, cette fin offre une dimension supplémentaire à l'ouvrage lors de la relecture... Au final, une très bonne surprise, donc.


Les Humanoïdes Associés
, en confiant cette collection à Gihef, ont sans doute eu une bonne idée : les deux tomes parus actuellement sont très honnêtes et dépaysants.

J'avoue toutefois avoir une nette préférence très subjective pour ce deuxième tome.
La narration m'y semble dénuée des maladresses que j'avais entrevues dans le premier, se permettant même une fin qui fit naître en moi un très satisfaisant "Ah ouais ! Cool, ils ont osé".
Le dessin (ici de Marco Dominici) y est plus régulier, même si le dessinateur du premier n'a aucunement à rougir de son travail.
La mise en couleurs un rien moins saturée me semble convenir davantage au récit.
Et, globalement, je trouve à l'ensemble davantage de charme, de crédibilité et d'intérêt... quand je vous disais que c'est subjectif, hein !
Je trouve même à la couverture exécutée par Josep Homs un je-ne-sais-quoi de plus épique. Pourtant, la première couverture montre un gigantesque monstre marin. Mais justement : la démesure de la bête nous offre un carnage annoncé. Ici, Freydis et ses alliés vikings se jetant armes à la main face à de belliqueuses sirènes bondissant hors des flots déchaînés, offrent un tableau dont l'issue ne saura être révélée que par la lecture de l'ouvrage. C'est plus intéressant. La composition de l'image à elle seule, avec cette jeune femme campée sur son rocher, prête à accueillir la charge des chimères qui la surplombent, est bien plus dynamique.

C'est l'histoire d'une malédiction, l'histoire d'un sacrifice ; une histoire d'amour et de haine ; une histoire d'enfance sacrifiée et de secrets de famille ; l'histoire d'une jeune femme prisonnière de sa destinée...
Quand je vous dis que c'est épique !

Voilà donc une bonne BD, agréable à regarder, agréable à lire et à relire plus encore, dépaysante et originale, audacieuse et pas naïve pour un rond. Alors foncez, quoi !



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le scénario est intéressant et réserve son lot de bonnes surprises.
  • Le dessin est beau et régulier.
  • La mise en couleurs est soignée et pertinente.
  • La collection prend de plus en plus une bonne tournure : vivement la suite.

  • Ça monte encore un peu la barre pour le volume suivant. Sera-t-il à la hauteur ?
  • Ça fait une série de plus à suivre... ben quoi, d'un point de vue logistique, c'est lourdingue, non ?
Narcos et le procédé d'identification
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Comme son nom l’indique, la série Netflix Narcos conte la traque, par la DEA et la police colombienne, de puissants narcotrafiquants, dont le célèbre Pablo Escobar
Dès le début du premier épisode, on rentre tout de suite dans l’intrigue, grâce notamment à l’un des agents de la DEA, Steve Murphy, qui vient régulièrement en voix off commenter les images de fiction ou d’archives. Tout cela est très immersif, avec un casting particulièrement réussi et une écriture très habile. Si habile qu’elle peut parfois mettre mal à l’aise. 
C’est sur ce point que nous allons nous attarder. 

Dans un premier temps, Murphy débarque en Colombie avec sa femme et son chat. Il ne connaît rien évidemment de ce pays et va devoir faire face à la corruption et à de nombreux dangers et tentatives d’intimidation.
À cette époque, Escobar est puissant, craint par ses ennemis, adulés par le peuple dont il est issu et à qui il distribue des liasses de billets. Il a une armée de sicarios (des tueurs) avec lui. Il verse des sommes importantes aux policiers, aux responsables politiques, aux journalistes… et, selon sa devise, plata o plomo, ceux qui n’acceptent par l’argent et ne se laissent pas corrompre reçoivent du plomb.
Voilà pour le contexte général.

Dans cette partie, il est important que le spectateur puisse s’identifier à Murphy. Pour plusieurs raisons. Tout d’abord, c’est le personnage qui découvre un pays étranger, un milieu complexe, avec ses codes, ce qui permet au spectateur de s’acclimater en douceur, avec lui, à ce cadre criminel exotique. Ensuite, il est important de faire passer le danger que représente Escobar. Un type qui gagne 5 milliards de dollars par an (5000 millions, chaque année !) peut mettre très facilement votre tête à prix. En fait, comme on le verra plus tard dans la série, il peut même faire plier son gouvernement et construire sa propre "prison" (une forteresse dorée en réalité). L’identification doit donc reposer sur le personnage de Murphy, pour qui l'on doit s’inquiéter.
Rappelez-vous cet article qui présentait les bases du processus : pour que l’on puisse s’identifier à un personnage, il faut qu’il souffre. L’identification ne repose pas sur l’aspect physique, l’âge, le sexe, la profession, mais sur un affect commun. Et plus cet affect sera négatif, plus l’identification sera forte. En gros, on se fout pas mal de quelqu’un qui gagne au loto (Escobar) mais on partage la peine de quelqu’un qui perd son… chat (Murphy).

Dans la série, en guise d’avertissement, les sicarios d’Escobar parviennent à tuer le pauvre chat de l’agent. Cela donnera lieu à quelques scènes tragi-comiques quand Peña, le collègue de Murphy, considérera que c’était "un chat de la DEA" et qu’il faut riposter. Mais ça permet surtout, mine de rien, de vous faire plonger définitivement du côté du flic. Vous n’avez alors aucun mal à vous mettre à la place de ce gars, un peu paumé dans un milieu hostile, et qui doit faire face à une terrible injustice.
Le poids d’Escobar, en tant que personnage néfaste, est alors écrasant.



Par la suite, dans la saison 2 (je ne spoile rien hein, Escobar, c’est un peu comme le Titanic, à moins de vivre dans une grotte, tu sais comment ça se termine dès le départ), l’identification va s’inverser totalement. Ce qui est un exemple parfait d’effet très simple mais employé très intelligemment.
Dans la deuxième partie du récit, nous n’avons plus besoin d’avoir peur pour Murphy. Il s’est aguerri, maîtrise maintenant son milieu, et est même devenu très borderline. Escobar, lui, aussi monstrueux qu’il soit (rappelons qu’il est à l’origine de milliers d’assassinats et de nombreux actes de terrorisme, sans parler évidemment de son commerce particulier), est en train de tomber. Son empire s’écroule peu à peu, ses lieutenants se font descendre, ses labos sont attaqués, ses soutiens s’envolent, bref, c’est un processus fort long mais qui montre, au final, un homme seul, pathétique, que même son propre père repousse.

Et voilà l’idée de génie, l’utilisation pertinente d’un processus d’écriture qui, à lui seul, permet de conserver intacts le suspense et la tension narrative. Si les auteurs avaient laissé l’effet d’identification sur Murphy, l’intrigue aurait alors perdu en intérêt. Murphy ne risque en effet plus rien devant un adversaire diminué, séparé de sa famille, conscient de sa propre déchéance. L’effet d’identification va alors être porté sur… Pablo Escobar. 
Deux scènes (parmi d’autres) vont être particulièrement fortes et illustrent parfaitement le procédé. Tout d’abord quand Pablo, seul, relâche le petit lapin de sa fille, dont il avait promis de prendre soin. Tout simplement parce qu’il sait qu’il ne pourra plus s’en occuper. Il continuera néanmoins, au téléphone, à mentir à sa petite fille, en lui donnant des nouvelles de son lagomorphe. Là, il ne s’agit plus d’un criminel que l’on craint, mais d’un père qui souffre de l’absence de ses enfants. Même chose, plus tard, au téléphone, quand son fils, cette fois, va lui dire qu’il mérite "le meilleur des anniversaires". Sa réaction est alors poignante (Wagner Moura, qui incarne le personnage, est parfait à ce moment-là). Il a les larmes aux yeux, la gorge serrée, il tente de répondre, n’y arrive pas, se reprend pour enfin lâcher un "merci chaton". 

Après ces scènes-là, à moins d’être un psychopathe, vous n’avez plus du tout peur de Pablo Escobar. En fait, vous avez même peur pour lui. Pourquoi ? Parce qu’il souffre et que c’est cet affect qui vous le rend proche. L’identification se fait toujours en dépit des agissements d’un personnage, elle ne repose que sur l’aspect émotionnel brut.

Du coup, ça a un gros avantage mais ça pose aussi un petit problème. 
L’avantage, c’est évidemment que cette traque devient passionnante puisque l’on est maintenant, à notre corps défendant, du côté du traqué. Cela maintient un suspense qui serait inexistant si l’identification portait toujours sur Murphy, qui dispose maintenant d’un net avantage et de lourds moyens. Attention, il faut bien prendre conscience que, dans ce cas, vous n’avez pas eu le choix, l’identification est imposée par les auteurs. C’est une sorte de piège, mais qui sert le récit et permet d’amplifier son intérêt.
Le petit problème, moral plus que narratif, vient du fait que, par voie de conséquence, on humanise alors un criminel de masse. Bien entendu, d’un point de vue réaliste, ce n’est pas un mal, car même Escobar était aussi un père, un mari, un fils, etc. Et cette approche non manichéenne rend le personnage plus riche, plus épais. Mais, il n’en reste pas moins que l’on se met à trembler (toute proportion gardée) pour un type peu recommandable. Escobar devient même émouvant à plusieurs reprises. Or, c’est le même salaud insensible qui effrayait tout le monde et ordonnait des assassinats dans la saison 1. C’est dire la puissance exceptionnelle du processus d’identification. 

Si vous n’avez pas encore vu Narcos, et si le sujet vous intéresse, ruez-vous dessus, c’est une excellente série. En outre, si vous êtes un peu intéressé par l’écriture en général, vous allez découvrir une mise en application quasiment parfaite d’un procédé très utile mais parfois encore très incompris. Rappelons-nous Quesada annonçant à l’époque que, si l’on voulait que les enfants puissent s’identifier à Spider-Man, il fallait briser le mariage de Peter Parker. Mariage censé l’avoir trop "vieilli". Une idée d’une stupidité sans nom, puisque l’on sait bien que, lorsque des enfants jouent après avoir vu un Robin des Bois ou lu un Sergent Guam (ouais, ce n’est plus très à la mode Guam, mais j’avais envie de le citer), ils s’identifient à des adultes et font semblant d’être des adultes. 
L’identification n’a tellement rien à voir avec l’âge ou la proximité sociale que l’on peut être un honnête citoyen et néanmoins trembler, voire avoir les yeux humides, pour un Pablo Escobar. Tout cela grâce à un lapinou et un coup de téléphone. 
Et quelques astuces d’auteur. 


Chroniques des classiques : À la poursuite des Slans
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Sur une Terre future demeurée étonnamment figée après une conflagration atomique, les humains vivent dans la crainte des Slans, ces êtres si semblables à eux mais infiniment supérieurs : plus grands, plus résistants, plus forts mais surtout plus intelligents et capables de lire les pensées. Dans le but de préserver leur espèce qu'ils sentent menacée d'extinction, les hommes ont donc entrepris d'éradiquer la menace slan en pourchassant et éliminant tout représentant de cette engeance mutante susceptible de les remplacer au sommet de l'évolution. 
Jommy Cross, élevé par ses parents dans l'optique de mettre fin à cette traque et sauver le futur, se retrouve soudain seul au milieu des hommes, peut-être le dernier de son espèce, condamné à se cacher en attendant le jour où, suffisamment aguerri, il pourra partir en quête de l’héritage de son père : une arme absolue, de celles qui pourraient changer la face du monde.

Rédigé avec savoir-faire et beaucoup d'allant, ce roman palpitant quoique un peu bavard, rédigé d'abord sous forme de feuilleton au début des années 1940, est paru sous sa forme définitive en 1946 et préfigure les récits de chasse aux mutants qui devaient foisonner dans les bandes dessinées au cours des décennies suivantes. Les amateurs des X-Men ["dépoussiérés" par Mark Millar, cf. cet article] y retrouveront nombre de caractéristiques communes aux récits imaginés par Stan Lee ou Chris Claremont (ce dernier partageant sa nationalité canadienne avec Alfred Elton Van Vogt, auteur prolifique de l'âge d'or de la SF anglo-saxonne). Si les lecteurs français connaissent davantage sa trilogie sur Le Monde du à dont la traduction de Boris Vian a contribué à initier un véritable engouement pour le genre dans l'Hexagone, À la poursuite des Slans demeure son premier grand succès et cristallise un des paradigmes de l'écrivain natif du Manitoba : la lutte entre l'Homme et l'espèce qui est destinée à le remplacer. On ne parle pas encore d'homo superior, toutefois le parallèle avec les sagas mutantes notamment chez Marvel est indiscutables. 

Cependant, le texte peut souffrir de son aînesse : les critiques ont en effet régulièrement admiré l'imagination foisonnante de Van Vogt tout en déplorant son manque de talent littéraire. La traduction de Jean Rosenthal, élégante bien qu'un peu lourde, est le reflet de son temps. Au niveau hard science, Van Vogt se contente de termes un peu pittoresques et de quelques allégations proches du technobabble des premiers Star Trek (dont beaucoup de spécialistes s'accordent à dire qu'ils sont eux-mêmes largement influencés par Van Vogt) et nous propose un monde étrange, où la technologie n'a quasiment pas évolué (on circule en voiture, on communique par radio) alors que Mars et Vénus ont été colonisées. Cette désuétude et ce manque apparent d'ambition se retrouvent pourtant tempérés par une écriture dynamique, multipliant les péripéties malgré une tendance à des dialogues un peu trop verbeux. On comprend par la suite que le conflit entre humains et Slans a engendré une guerre qui a mis fin aux progrès technologiques qui ne sont désormais que du ressort de ces mutants dotés de petites cornes, vivant dans l'ombre et l'espoir qu'un jour ils pourront à nouveau dominer la Terre et guider l'Homme vers un destin plus grand.

Malicieusement, l'écrivain canadien parvient à demeurer sur la tangente tout en introduisant régulièrement quelques retournements habiles rehaussant le suspense. La narration s'accélère alors et offre quelques visions grandioses cohabitant avec des moments délicieusement vieillots, quelque part entre Jules Verne et Philip K. Dick [cf. cet article]. Puis Van Vogt enfonce le clou en introduisant une troisième force occulte, agissant également dans le secret et bien décidée à éliminer les Slans comme les Humains (tant qu'à faire). Cette multiplication d'intrigues et de protagonistes sera une de ses marques de fabrique par la suite, lui qui appréciait le fait d'insérer de nouvelles idées au fur et à mesure qu'il rédigeait, même si leur intrication et leurs connexions pouvaient parfois s'avérer artificielles ou contre-productives. On pourra grimacer devant certaines de ses justifications, mais le tempo enlevé finit par nous embarquer jusqu'à une fin qui a dû être surprenante en son temps.

Riche en péripéties et en surprises, un roman au style suranné mais encore flamboyant, qui mérite sa place au panthéon de la SF.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un roman précurseur des histoires de mutants.
  • Un classique de la SF, d'un auteur prolifique et incontournable du genre.
  • Un récit enlevé, suffisamment surprenant malgré son âge et empli d'idées.


  • Une intrigue surannée, des retournements souvent aisément identifiables qui trahissent son âge.
  • Une vision du futur manquant d'ampleur et d'acuité.
  • Des personnages abrupts, parfois archétypaux.
  • Des dialogues redondants.


The Wretched
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Aujourd'hui, chronique du film-événement du confinement covidien. 
Aujourd'hui, on se penche sur le film d'horreur qui a rempli les drive-in américains.
Aujourd'hui, on parle de frissons à l'ancienne.

zē ˈreCHəd

Qu'il me soit tout d'abord permis de remercier UMAC d'être un site écrit et non (ou non encore ?) un podcast : me voici donc dispensé d'avoir à prononcer ce titre qui m'aurait à coup sûr valu une triple torsion du genioglosse et une luxation de l'hyoglosse.
The Wretched est donc ce film à petit budget des frères Drew T. et Brett Pierce (Deadheads) qui fit les gros titres des journaux pour son succès dans les salles et les drive-in.
En cette période de pandémie, les studios ont retardé la sortie de leurs blockbusters. C'est pour cela que, en l'absence notable du sans doute très sobre Black Widow ou de l'intimiste Fast and Furious 9 (pour ne citer qu'eux), ce petit film à l'ancienne s'est vu propulsé par sa sortie en plein désert à la première place du box-office américain. 
En un petit mois, il récolta 360 000 dollars. Alors certes, ça en fait le numéro un du box-office le moins impressionnant de ces dernières années, mais ça en fait aussi un succès d'une ampleur que même les deux réalisateurs n'avaient pas anticipée.
Mais ce succès n'est-il qu'une heureuse coïncidence ou est-il néanmoins mérité ? La sortie des éditions francophones en bluray et DVD chez Koba Films au prix de 14,99 € va nous permettre d'en juger. 


Ben a peur

À ce propos, il sortira bientôt Winter is for lovers, un album instrumental... Comment ça "Qui ?"... Ben Harper, essayez de suivre ! Pardon ? Oui, bien sûr que j'ai honte de mon jeu de mot pourri. Oui... Évidemment !

Mais venons-en au film. Tout commence avec une introduction ressemblant à un court métrage. Une introduction se déroulant 35 ans avant notre histoire où l'on fait connaissance avec une créature anthropomorphe qui semble féminine et qui, apparemment, aime beaucoup les enfants... en guise de goûter.  
Vient ensuite l'histoire en elle-même, 35 ans plus tard. Ben (John-Paul Howard) est un enfant du divorce, un ado de 17 ans qui a fait une bêtise suffisamment importante chez sa mère pour se casser l'avant-bras gauche qu'il a désormais plâtré et pour se faire renvoyer chez son père.
Là-bas, il devra supporter de vivre avec papa Liam (Jamison Jones), de travailler avec papa et de rencontrer la nouvelle conquête de papa. Mais papa est du genre sympa, la conquête aussi (même si ce petit ingrat ne lui laisse pas d'emblée la moindre chance), et le job à la marina locale pourrait être bien pire, d'autant que les demoiselles (clientes comme collègues) y sont avenantes.
Jusque-là, on est sur du teenage movie classique avec un parfum d'amourette de vacances... sauf que certains détails peuvent, dès les premières secondes du film, mettre la puce à l'oreille.
Au fil du récit, on se rendra compte que l'ami Ben est observateur (et un peu voyeur), ce qui lui permettra de constater d'étranges événements dans son voisinage. Les gens y ont des comportements pour le moins particuliers.

La plus intrigante des personnalités du coin est sans doute sa voisine, Abbie (Zarah Mahler), mère de deux enfants, qui semble avoir pas mal changé depuis ce jour où elle a percuté un chevreuil avec son véhicule et qu'elle s'est mis en tête de vider la bête comme le faisait son paternel.
On va donc suivre Ben et ses conquêtes plus ou moins heureuses, Ben et ses incartades adolescentes, Ben et sa paranoïa grandissante, Ben et... son combat contre le fantastique !


Agrougrou, le monmonstre !

Parce que ce film ne fait pas semblant : il vous montre clairement au bout de quelques minutes qu'il compte bien vous mettre face à du fantastique pur et dur. On n'est pas dans le tiède avec des doutes permanents sur la possible origine humaine des événements... Non, ici, il y a une créature fantastique qui nourrit pour le quartier des desseins peu bienveillants et qui, d'ailleurs, a des seins et se nourrit du quartier pourtant bienveillant... c'est incontestable !
Si la créature est rapidement identifiée, le dévoilement de ses objectifs et de son modus operandi, lui, est plus progressif et égraine lentement des indices jusqu'à ce que les intentions de la bestiole ne fassent plus aucun doute. 
Par contre, j'en viens à regretter la candeur avec laquelle les victimes du fantastique compulsaient de vieux grimoires, dans les films des années 80, pour se renseigner sur la menace... ici, Ben va sur internet et "paf" (ou "bim", hein, je ne suis pas sectaire), grâce aux occultes arcanes de Google, il trouve vite des légendes locales décrivant un peu trop rapidement le monstre auquel il est confronté. Heureusement, les réalisateurs semblent conscients que, pour crédible que soit ce réflexe de recherche sur le net, cela ôte un peu de sel à l'aventure et ils s'empressent de se moquer du procédé grâce au personnage de Mallory (Piper Curda) qui se gausse du ridicule du site "Witchypedia". D'ailleurs, à mon tour de rigoler : un symbole est utilisé ici pour représenter la malédiction, la possession par l'entité en question... eh bien c'est le même que le symbole représentant Le Roi Cornu dans le lore de Warhammer (la divinité des Skavens - les hommes-rats - qui ronge inlassablement l'édifice de l'univers). Voilà, ça ne sert à rien de le savoir mais c'est un truc que ne vous dira pas le journaliste du Monde qui a analysé le film.


Papaoutai, mamanoutai ?

De prime abord, le film peut sembler répondre à un schéma narratif des plus classiques jouant sur le dévoilement progressif du fantastique et accumulant les transgressions conscientes et le manque de prudence du héros. Mais s'il n'y avait que ça, je me serais effondré, assoupi et bavant, ma joue s'imprégnant peu à peu de la forme de la poignée du tiroir de la table basse du salon, et ce avant même la fin de la dixième minute. 
Parce que, mine de rien, ma génération en a bouffé à toutes les sauces depuis le biberon, du fantastique ! Ça a commencé par Scooby-Doo, Duckula (Comte Mordicus, amis français) et autres dessins animés, ça a suivi avec les Goosebumps (Chair de poule, amis français) puis une avalanche de séries plus sérieuses avec X-Files (Aux frontières du réel, amis français) en tête de gondole. De la comédie avec Ghostbusters (S.O.S. Fantômes, amis français) jusqu'au séries avec Buffy the vampire slayer (Buffy chasseuse de vampires, amis français) et aux films vachement plus sérieux (j'en ai marre, trouvez des madeleines cinématographiques pertinentes vous-mêmes), les quarantenaires comme moi avons eu la possibilité de ne littéralement nous divertir qu'avec du fantastique si on le voulait... et je dois bien avouer que je suis un peu dans le cas.

Du coup, j'ai appris deux choses de cette overdose de surnaturel de fiction...
Premièrement : les Belges comme moi savent tous que nos amis français traduiraient le papier toilette si quoi que ce soit était écrit dessus en anglais.
Deuxièmement : le schéma narratif de base du fantastique ne surprend plus personne au bout de quarante ans d'exposition à son effet.

Ici, il y a un rien plus d'élégance dans la narration. Certes, ça commence par cette séquence dans le passé relatant un cas précédent d'apparition de la créature mais ça devient un procédé assez classique. Certes, il y a des retournements de situation mais ça aussi, paradoxalement, on s'y attend.
Par contre, il y a dans cette histoire une construction en miroir intéressante... et si vous ne voulez pas que je vous divulgâche quelques éléments sympas (comment ça, vous utilisez le verbe "spoiler" ? vous ne traduisez pas tout ?), sautez jusqu'à l'intertitre suivant. Mais ne vous faites pas mal, hein !

Alors voilà : la créature est une chasseuse redoutable qui se nourrit des "oubliés" après avoir pris la place de leur mère... ce qui rappelle ironiquement que l'ami Ben en a pris plein la tête avec le divorce de papa et maman et que Sarah, la nouvelle copine de papa, creuse son trou dans son univers...
Il y a une scène, par exemple, où Ben déplie une photographie de famille aimantée au frigidaire parce que son père l'avait pliée de façon à cacher sa mère... Rien que par ce geste, il est déjà en train de combattre l'oubli. Et pourtant, le film nous prouvera que cet oubli s'est déjà emparé de lui dans un plot twist (oui, amis Français, un retournement de situation !) certes classique lui aussi mais vraiment bien exécuté.

Symboliquement, il y a aussi quelques trouvailles : Ben lutte pour ne pas perdre ses racines, et regardez sur la photo de droite où niche la créature à l'état sauvage : entre des racines d'un arbre qui apparaît et disparaît à loisir ! Des racines qui ne valent rien et peuvent disparaître en un quart de secondes, des racines mensongères, factices... 
D'ailleurs, à la fin du film, papa et maman se retrouvent ensemble et apparemment contents d'être réunis pour ramener Ben chez maman... Ça a l'air de se rabibocher, ça rigole, ça se chamaille affectueusement...
En réalité, donc, là où certains spectateurs verront un film agréable, un divertissement de bonne facture, je vois aussi un plaidoyer pour la famille traditionnelle, celle où les parents sont aussi les géniteurs. J'ignore tout de l'histoire familiale des frangins Pierce, mais s'ils ont grandi dans une famille recomposée, je suis prêt à parier que ça ne leur a guère plu !
Et peu importe si l'on est d'accord ou non avec ce point de vue. Ce qui est positif, c'est qu'un film de genre tout ce qu'il y a de plus classique puisse se permettre le luxe de ne pas être que ça, qu'il puisse aussi faire passer un message. C'est bien le propre de l'art que de faire penser à B en montrant A... Et parvenir à le faire sans grands moyens à travers un genre aussi corseté que le cinéma fantastique tendance "horreur", ça me semble mériter qu'on fasse de ce film autre chose que "le carton drive-in de l'ère covid 19".

Alors oui, certains Jean-Kévin-Premier-Degré me diront : "Tu abuses, mec, c'est même pas dit que les Pierce avaient pensé à tout ça...". Ce à quoi je rétorquerais que, de un, on n'a pas gardé les pangolins ensemble et que je ne leur permets pas de me parler sur ce ton et que, de deux, il en va de même pour toute oeuvre artistique : qu'importe si l'auteur l'avait prévu, si elle évoque quelque chose au spectateur, c'est qu'elle est assez puissante, simplement, pour avoir un pouvoir d'évocation. Elle parvient à faire réfléchir. Et ça, c'est une qualité que je ne reconnais pas à des tonnes de films d'horreur.


L'égo technique

Parlons maintenant de l'aspect technique de ce film... Eh bien on y sent de bout en bout la volonté de bien faire. De faire ça dans les règles, proprement, à l'ancienne, dans le respect des doyens qui ont posé les bases du langage cinématographique.
On vous parlera des effets spéciaux en dur qui sont convaincants, des maquillages qui sont vraiment réussis, du jeu des comédiens toujours au moins acceptable et parfois même très bon, de la lumière avec laquelle les réalisateurs jouent fort bien. 
Juste deux bémols...
D'abord, le 
bruit que fait la créature est un peu proche de celui d'alien... c'est certes angoissant mais pas très original, pour le coup, ce genre de son ayant été maintes fois repris depuis. Notez bien, vu ce qu'en fait désormais Ridley Scott, autant le filer à d'autres, ça ne peut pas être pire !
Ensuite, cette façon dégingandée qu'a la créature de se tenir et de bouger fait furieusement penser aux fantômes des films asiatiques... mais ça fait son petit effet, alors à quoi bon critiquer ?

Toutefois
, en tripatouillant les photos pour faire ma mise en page, une chose m'a sauté aux yeux ; chacune de ces captures d'écran répond à des règles de base du langage photographique et cinématographique : les yeux des personnages importants posés à l'intersection des lignes de force, la symétrie de certains plans... c'est tellement propre que c'en est presque scolaire !
Mais force est de constater qu'un film fantastico-horrifique qui prend un peu son temps, dont la caméra ne tremble pas, qui sait poser ses lumières et ses ombres, qui ne joue pas la surenchère et qui a quelque chose à dire mérite un traitement classique, sobre et (oserai-je le mot ?)... beau ! 
On ne regarde pas le Shining de Kubrick. Ça n'en a ni la profondeur ni l'expertise... mais je ne serais pas étonné, par contre, qu'il y ait chez ces deux frères une passion du cinéma propre et bien fait égale à celle de l'ami Stanley. Je suis sûr que ces gars avaient envie de fournir un produit dont ils pourraient être fiers et qui, techniquement, se rangerait avec aisance au sein des films dont on peut dire qu'ils étaient autrement meilleurs que ce que l'on attendait d'eux.
Et vous savez quoi ? À notre époque, ça me semble tellement rare que je dois bien conclure que ça me fait aimer ce film. Il est bon. Simplement. 

 

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La créature est originale.
  • Sa mythologie fonctionne
  • Les personnages ne sont pas des décérébrés téléguidés par le dieu Scénario.
  • L'image est belle.
  • La technique cinématographique est maîtrisée.
  • Le scénario est plus subtil qu'il n'y paraît.
  • Il n'est pas monté comme un clip musical, ça repose !

  • La nature de la créature révélée par la recherche sur le net, c'est un peu frustrant.
  • Les personnages secondaires sont un peu monolithiques, même si ce n'est pas dramatique en soi.
  • L'originalité n'est pas nécessairement le point fort du film, vu son classicisme.

Anthologie Misty
Par


Nous l’annoncions en 2018, l’anthologie Misty, publié par Delirum, distille un concentré de récits horrifiques issus de la revue éponyme dont la cible originelle était les jeunes filles, dans la pure tradition des illustrés britanniques entre les années 50 et 80 [1].
Misty fut créée par Pat Mills, à qui l’on doit l’hebdomadaire 2000 AD et le cultissime Judge Dredd. Elle connut son heure de gloire à la fin des années 70, là où, en France, les bandes dessinées à destination d’un public féminin brillaient par leurs quasi-absences.

L’anthologie concoctée par l’éditeur francophone Delirium alterne des récits à épisodes et de très courtes nouvelles. Les auteurs creusent le sillon de l’ambiance et des phénomènes paranormaux avec une certaine subtilité puisque même l’aspect social n’est pas oublié. Pouvoir psychique, manipulation mentale, dimension parallèle... constituent le sommaire de ce numéro riche en atmosphères éclectiques qui propose un joli panorama du fantastique des années 70-80.

Le livre se compose de 5 histoires :

Moonchild : brimée par ses camarades de classe qui voient en elle une sorcière, Rosemary Black endure les sévices de sa mère qui pense que le mal croit en elle ; la faute a une cicatrice en forme de croissant de lune. Pourtant, cette femme qui refuse l’électricité est elle aussi considérée par ses voisins comme maligne. Les ragots, le milieu scolaire sont autant d’épreuves pour Rosemary, dont le cœur oscillera entre le Bien ou le Mal. Moonchild ne cache pas sa relecture de Carrie, écrit par Stephen King.

Racines : Jill Trotter se retrouve chez son grand-père, dans un petit village loin de tout. La nature est belle, les personnes âgées, en pleine forme ! Mais pourtant, tout cela parait bien irréel.

Les quatre visages d’Ève : Ève Marshall est sujette à de nombreux cauchemars depuis son lit d’hôpital. Elle ne se souvient de rien avant son accident. Seule, sans amie, elle découvre que la fenêtre de sa chambre dispose de barreaux, qu’un gardien rôde dans le jardin avec son chien. Impossible pour elle de sortir... Mais voilà qu’au beau milieu de la nuit, ses parents l’emmènent dans une maison isolée. Cette histoire est inspirée par Audrey Rose, un film de Robert Wise.

L’ombre d’un doute : la jeune Mary entend claquer la porte de la grange, en pleine nuit ; elle décide d’aller voir ce qu’il se passe.

Les sentinelles : Deux immeubles se font face, deux tours jumelles. L’un agréable à vivre, l’autre, en délabrement. La famille de Jan est expulsée du logement qu’elle occupe ; contraints de squatter dans le bâtiment en ruine, ils seront confrontés à des événements troublants. Les auteurs nous proposent de suivre des personnages au sein non pas d’une maison hantée, mais d’un immeuble !

Pour un prix modique, au vu du nombre de pages, l'anthologie Misty, s’avère, pour le lecteur francophone, une véritable curiosité de ce que les Britanniques offraient aux jeunes filles. Si les graphismes accusent leur époque, ils n’en demeurent pas moins variés, élégants et soignés. Le découpage se veut audacieux mais frôle de temps en temps l'indéchiffrable. Les noirs et blancs apparaissent très contrastés, avec des détails parfois bouchés et charbonneux ; les planches proviennent de pages numérisées des revues. Peu de coquilles dans cette compilation, si ce n’est la présence d’une tirade mal placée sur la tête d’un personnage.

L’anthologie Misty nous montre que l’on peut créer des récits où les auteurs ne ménagent pas leurs héroïnes, en ciblant un public de jeunes filles sans tomber dans la mièvrerie, avec des dessins gracieux et des mises en pages ambitieuses, à défaut d’être toujours parfaitement lisibles. Un second opus serait le bienvenu !
Pour ceux que la langue de Shakespeare ne rebute pas, quelques recueils sont disponibles et proposent des thèmes comme "Loups-Garous femelles"...

Anthologie Misty, traduit de l’anglais par Jean-Paul Jennequin et François Peneaud. Scénario de Pat Mills et Malcom Shaw. Dessins de Juan Ariza, John Armstrong, Maria Barrera Castell, Mario Capaldi, Brian Delaney. 176 pages, 24 euro

Site de l'éditeur

[1] Pour en savoir plus sur l’histoire de la bande dessinée britannique pour les jeunes filles : ici.


+ Les points positifs
- Les points négatifs
  • Des graphismes et des récits variés.
  • Le rapport prix/nombre de pages.
  • Couverture rigide, belle qualité d'impression sur papier très blanc, images nettoyées.


  • Planches à la lecture parfois confuse.
  • À quand un autre opus ?
Réédition de Cheese Powers : des pouvoirs et du rock !!
Par


Waouh !! Neuf ans après la sortie de Cheese Powers, Les 3 Fromages nous proposent une réédition anniversaire de leur deuxième album ainsi que du contenu exclusif !

Cette réédition se compose de 13 morceaux aux sonorités rock et catchy ! Je ne sais pas du tout ce que veut dire "catchy" en fait, mais en gros, disons que c'est vachement bien et qu'une fois rentrés dans la tête, les titres de ces gaillards n'en sortent plus jamais. 


En plus de retrouver de chouettes morceaux tels que Sombre Héros, Emmène-moi là-bas, Ma botte au cul ou encore Ma raison d’être, cette édition anniversaire comprend deux titres live exclusifs, De Cannes à Nice et La Wave Attitude (enregistrés en 2012 à Vannes), et aussi une chouette affiche réalisée par Alice Patulacci.

Mais au final, Les 3 Fromages, c'est qui, c'est quoi ?

Eh bien non, ce ne sont pas nos copains gitans dont on essaie de vous refourguer le CD enregistré à l'arrache entre deux cambriolages (note du correcteur : pas politiquement correct, pense à supprimer ce passage avant de poster l'article, on n'est plus dans les années 80 !). Oh, bien au contraire ! (NdC : là c'est carrément débile, ça serait quoi le contraire de ça ? Des Bretons sympas ? À reformuler !)

Formé en 2006 en Bretagne, le groupe de Rock’N’Drôle se compose d’Éric (guitare, basse, chant), Kevin (claviers, chœurs), Tibo (guitare, basse, chant) et Willy (batterie, voix, cascades de baguettes). 
Comme ils sont 4, ils ont eu à la bonne idée de s'appeler les... 3 Fromages (ouais ben, ça va, on n'a pas tous suivi une filière scientifique, d'accord ?).
Et depuis, ces joyeux et talentueux lurons composent des mélodies accrocheuses à base de bonne humeur, d'humour et de spoilers sur les plus grands films issus de la pop culture.

Tu aimes le rock ? L'humour ? Le punk rock Californien (Green Day, Blink-182…) ?
Va tout de suite écouter Les 3 Fromages et prends-toi un putain d'orgasme auditif. 


Site officiel Les 3 Fromages
Page facebook Les 3 Fromages
Chaîne Youtube Les 3 Fromages
Pizza aux 4 Fromages





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Du vrai bon rock positif qui ne se prend pas au sérieux au niveau des paroles mais assure grave en terme de zik.
  • Ça ne passe pas en radio mais c'est meilleur que 95 % de ce qui y est diffusé.
  • Si vous êtes bien attentif, vous pourrez remarquer la présence de Willy Gachet, du groupe Indochine.
  • La remarque précédente est une private public joke. 


  • Les albums ne sont vraiment pas assez chers, tout le monde va en avoir !
  • À quand une reprise de "J'aime ta grand-mère", des Trois Accords ? Il est temps que Bretagne et Québec s'unissent dans une étreinte moelleuse et humide !