Publié le
12.11.24
Par
Nolt
Gros plan sur un film atypique : The Substance.
Avez-vous déjà rêvé d’une meilleure version de vous-même ? Vous devriez essayer ce nouveau produit :
The Substance.
Il a changé ma vie. Il permet de générer une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite.
Respectez les instructions :
Vous activez une seule fois.
Vous stabilisez chaque jour.
Vous permutez tous les sept jours sans exception.
Il suffit de partager le temps. C’est si simple, qu’est-ce qui pourrait mal tourner ?
Avouez que c'est tout de même intrigant. Quand en plus on sait que Demi Moore est au générique (ainsi que Dennis Quaid d'ailleurs, dans un rôle moins important), ça donne envie. Maintenant, comment parler de ce film tout en évitant de vous dévoiler les surprises qu'il vous réserve... eh bien, ça semble compliqué. Nous allons donc procéder en deux temps, une critique de la forme, qui ne contiendra pas d'éléments de l'intrigue, et une critique du fond, qui révélera certaines informations. D'une manière générale, si vous avez prévu de voir ce film, n'essayez pas d'en savoir trop, évitez même les simples recherches sur google, certaines images bêtement publiées par certains en disent déjà trop.
Donc, la forme. C'est bien simple, c'est un film éclatant. La photographie est magnifique, les plans savamment étudiés, on se délecte de très belles (et très peu communes) images. Malgré quelques craintes au départ, générées par de longs plans fixes, la réalisatrice, Coralie Fargeat, ne se laisse pas aller à la facilité et dévoile sa maîtrise esthétique (très importante d'ailleurs vu le sujet). Bref, un vrai film de cinéma à ce niveau-là. On est loin des plans fixes d'un Algunas Bestias par exemple, qui avaient à l'époque fait hurler au génie certaines ganaches prêtes à s'enflammer dès qu'un manque de virtuosité et une terne austérité sentent un peu le "film d'auteur".
Abordons maintenant le fond. On va tenter de ne pas trop en dire, mais considérez qu'à partir d'ici, il vaut mieux avoir vu le film.
L'histoire est centrée sur Elisabeth Sparkle, star d'une émission télévisée d'aérobic, qui est mise sur la touche par son producteur en raison de son âge. Prête à tout pour contrer les effets du temps et conserver son statut de vedette sexy, elle finit par essayer une substance dont elle ignore tout et qui est censée la rendre plus jeune, plus belle, bref, meilleure.
À partir de là, le film verse dans une sorte de gore assez malaisant, qui va aller crescendo. Si la première moitié du film est suffisamment étonnante et tendue pour générer de l'intérêt, la seconde partie (et surtout le final, très long et versant dans le grand n'importe quoi) va s'avérer décevante et manquant de finesse.
Parlons-en de la finesse. Forgeat est connue pour avoir réalisé notamment Revenge, long-métrage considéré par certains comme "féministe". En fait, ce film d'action s'avérait plutôt sympathique malgré son côté bourrin tant que justement on ne lui prêtait pas d'ambitions philosophiques ou des revendications sociétales. Car il s'agit tout bonnement d'une nana sexy - violée par un gros beauf, puis laissée pour morte par ce même gars et ses potes - qui se venge en dégommant tout le monde dans une grosse gerbasse de sang et de tripes. Dans le genre "fin", on repassera.
Là, c'est exactement pareil. Certains qualifient ce film d'allégorie sur l'âgisme et la misogynie. J'espère sincèrement que non, car dans le cas contraire, c'est clairement raté. L'âgisme, certes est abordé, mais uniquement du côté féminin et hollywoodien. C'est quand même très particulier. Quant à la misogynie, elle est totalement absente du film. À moins qu'on ne considère que remplacer une tête de gondole vieillissante soit "misogyne". Ce milieu de la télé et du vedettariat est certes implacable, mais il répond à une logique commerciale bien autre que la simple supposée haine des femmes. Le discours s'avère donc très simpliste mais également infiniment trop appuyé.
Le final, déjà évoqué, n'en finit pas d'enfoncer des portes ouvertes dans une frénésie mégalomaniaque d'autosatisfaction gênante. Le film bascule dans la quasi-comédie, avant de verser dans le pathétique puis l'absurde, le tout en faisant défiler à coups de marteau un symbolisme grossier destiné à n'oublier personne, même le demeuré à QI négatif, tant tout est évident et surligné. Fargeat (qui est réalisatrice mais aussi scénariste et co-monteuse sur ce projet) se complet donc dans le caricatural et les gros sabots. Dommage, parce que le sujet méritait sans doute mieux et ses qualités de réalisatrice, indéniables, semblent au vu du résultat final bien mal exploitées.
C'est finalement le seul côté fantastique et "conte sanglant" qui permet d'éviter le ridicule, en offrant au spectateur un film original qui ne donne pas l'impression de voir la énième version des mêmes resucées. Le film manque malheureusement trop de qualité au niveau de l'écriture pour atteindre un statut culte et sublimer (ou simplement bien traiter) son sujet.
On a l'impression que le "message", idiot mais bien dans l'air du temps, se résume à "les hommes de pouvoir sont méchants avec les femmes". Alors qu'en réalité, lorsque l'on base toute sa carrière et même sa propre estime sur l'apparence et un physique évidemment condamné à décliner, l'on ne peut qu'aller droit dans le gouffre si l'on ne prépare pas une transition (comme le font certains sportifs par exemple).
Bref, un cinéma impressionnant visuellement mais porteur d'un discours tordu et mensonger destiné à flatter les ahuris qui se délectent d'un statut de victime qu'ils sont loin de mériter, à moins de considérer qu'ils sont victimes de leur propre égarement et de leur manque de prévoyance.
Joli mais creux.
Et pour répondre à la question du titre, visuellement génial mais intellectuellement grotesque.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
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Publié le
10.11.24
Par
Vance
En 2004, Marvel lançait une nouvelle (nouvelle) mouture pour sa série phare sur les mutants, qui avait connu des sommets de popularité au moment où Jim Lee était venu illustrer les intrigues tortueuses de Chris Claremont. Ce dernier en terminait avec X-Treme X-Men et avait perdu de son aura, ronronnant sur des histoires emberlificotées qui plaisaient de moins en moins. Ce qui a sans doute poussé les pontes de la Maison des Idées à embaucher des artistes pleins d'avenir afin de donner aux X-Men le coup de boost nécessaire.
Engager Joss Whedon peut sembler paradoxal de prime abord, mais à bien y réfléchir, le créateur de la série à succès Buffy contre les vampires constituait un choix logique, quoique audacieux : le New-Yorkais savait plaire au public par ses dialogues piquants et autoréférencés, il avait été récompensé pour son travail sur le script de Toy Story et il s'était déjà frotté à l'univers mutant en œuvrant en 2000 sur le scénario du film de Bryan Singer ainsi que sur une adaptation de la série en animation. Il n'y avait pas le côté iconoclaste rebelle de certains de ses contemporains, mais bien au contraire un amour respectueux pour les héros de sa jeunesse et les figures majeures de la culture populaire. Il avait le profil pour élaborer une sorte d'antithèse à la période Morrison en mettant en avant le retour à une certaine tradition.
Et cela s'avère patent dès les premières pages, avec des références criantes au passé à partir de citations, voire de rappels de glorieux épisodes essentiellement axés sur la période Byrne-Claremont : en suivant une Kitty Pryde de retour au bercail (après un long intermède avec Excalibur notamment), Whedon semble s'atteler à faire resurgir les moments glorieux comme les heures les plus tragiques, sans omettre quelques savoureuses anecdotes qui constitueraient le sel (et la base) de ses histoires à venir. On constate chez lui la volonté intransigeante de faire progresser l'intrigue par le biais de ses personnages, lesquels sont développés sans lourdeur excessive au long de petits intermèdes souvent teintés d'humour, parfois de nostalgie ou d'une certaine amertume, entre deux épisodes plus explosifs dignes des grandes conflagrations auxquelles la série s'est prêtée. Sa maîtrise du médium télévisuel rejaillit sur son écriture, fluide et dynamique, qui ne s'embarrasse jamais d'introductions ou d'explications rhétoriques : le propos n'est jamais verbeux et il sait céder la place à l'image lorsqu'elle peut se passer de commentaires.
Sur ce plan, l'alchimie avec Cassaday s'avère concluante : tant dans sa succession de vignettes focalisées sur un visage ou par la mise en avant des personnages (au détriment d'arrière-plans réduits à leur plus simple expression, avec des décors minimalistes - sans toutefois tomber dans l'excès de l'époque Rob Liefeld), le dessinateur lauréat d'un Eisner Award pour Planetary allait conquérir le public et les critiques et en décrocher deux autres successifs pour Astonishing X-Men. Même si l'on peut trouver son travail sur Je suis Légion plus méticuleux, il faut reconnaître que sa mise en images du script de Whedon est une véritable réussite, bien aidée par la colorisation de Laura Martin, qui privilégie les cases monochromes conférant une ambiance singulière, quasi-psychédélique, à ces planches.
Dans ce premier arc, qu'on peut retrouver en version brochée en VO comme en VF, et qui constitue la moitié du tome 1 de la version Deluxe, le lecteur suit le retour en grâce de Kitty Pryde, dans une ambiance tendue : en effet, elle n'a pas oublié qu'à l'époque où elle avait rencontré les X-Men (contactée par le professeur Xavier, elle avait pu échapper au piège tendu par le Club des Damnés - cf. l'inoubliable run de John Byrne sur la saga du Dark Phoenix), leur ennemie de l'époque n'était rien moins que l'actuelle co-leader de l'équipe, Emma Frost. Cette dernière, filant le parfait amour avec un Cyclope déterminé à redorer le blason des mutants (cf. les New X-Men), jure ses grands dieux que son objectif est d'aider au respect des valeurs inculquées par le professeur, qui s'est retiré des affaires courantes à Genosha. Leur rivalité crève les cases et Whedon ne se prive pas pour leur prêter bon nombre de phrases assassines dans n'importe quel contexte.
Néanmoins, si Kitty avoue haut et fort qu'elle ne peut pas passer outre les horreurs passées, elle est prête à collaborer avec ses anciens partenaires pour reconstruire un avenir à leur espèce, plus que jamais menacée. Il y a les étudiants de l'Institut d'abord, qui doivent apprendre à maîtriser leurs pouvoirs dans un monde qui ne parvient pas à les accepter. Et il y a le statut de l'équipe, pour lequel Scott Summers a de grandes ambitions : puisqu'ils ont, plus souvent qu'à leur tour, sauvé le monde sans obtenir la reconnaissance qui leur est due (et dont jouissent les autres équipes de super-héros, Avengers en tête), il est temps d'endosser ce rôle de sauveur et de revenir aux basiques. D'où le retour aux costumes d'antan, uniformes chamarrés et flamboyants porteurs d'un nouvel espoir.
Et les voilà confrontés à un alien ultra-puissant qui les balaie comme des fétus de paille dès leur première intervention. Ça la fout mal, mais pas le temps de ravaler leur fierté que déjà une autre menace, plus sourde, se profile : un médecin affirme avoir mis au point un traitement permettant de guérir... de la mutanité (mutantisme ?), c'est à dire de permettre à des mutants, et a fortiori des individus souffrant d'une mutation trop voyante ou handicapante, de redevenir humains. En instituant ouvertement que le gène X constitue une maladie, et qui plus est une maladie dont on peut guérir, le Docteur Rao lance une véritable bombe qui met en péril l'équilibre fragile instauré par Xavier. Les X-Men se retrouvent donc à lutter contre un coriace adversaire qui leur en veut pour des raisons inconnues tout en se déchirant dans un débat éthique qui chamboule leurs convictions les plus profondes. Et pendant ce temps, des milliers de mutants affluent au centre de recherche afin de se faire retirer ce qui les rendait différents... Les cinéphiles auront bien entendu reconnu le point central du scénario de X-Men 3 : l'Affrontement final, film mal foutu et trop ambitieux, rejeté par les fans mais qui s'était essayé à entremêler cette intrigue et celle du Dark Phoenix cité plus haut.
Les six épisodes de l'arc Gifted nous offrent donc un récit enlevé, intense, percutant qui ne s'embarrasse guère de longues présentations ou d'explications verbeuses : les dialogues sont brefs et piquants, régulièrement ponctués de petites touches ironiques qui font souvent référence au passé chaotique de nos héros, les séquences d'action sont tout aussi brèves mais explosives avec un souci constant de trouver le cadrage idéal qui donnerait plus d'impact aux coups tout en renforçant le travail d'iconisation de l'équipe. Whesdon ne se prive pas d'insérer les ébauches de sous-intrigues habituelles (nouveaux personnages, nouvelle organisation, sous-entendus et menaces dans l'ombre) qui permettront de développer la série. Et l'habituel retour d'un ancien personnage-qu'on-croyait-disparu est traité ici avec élégance et humilité, engendrant l'une des plus belles couvertures de la série. L'on pourra éventuellement regretter que Wolverine soit un poil limité par moments, se laissant surprendre trop facilement (mais il saura se rattraper sur la fin).
Classique dans sa conception mais moderne dans sa réalisation : une réussite.
Classique dans sa conception mais moderne dans sa réalisation : une réussite.
+ | Les points positifs | - | Les points négatifs |
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Publié le
9.11.24
Par
Virgul
Nous vous avions déjà parlé, en début d'année, des somptueux romans publiés par Callidor, avec notamment Le Roi en Jaune et Le Grand Dieu Pan (cf. cet article), l'éditeur récidive cette fois avec une nouvelle version du célèbre roman de Stoker, sortie le mois dernier.
C'est peu de le dire, l'objet en lui-même est superbe.
Grand format (17,5 x 24,5 cm), hardcover, vernis sélectif, nombreuses illustrations (plus d'une trentaine) de qualité et belle mise en page, avec des touches de couleur et des changements de typographies. Sur la forme, il y a donc un véritable travail, très soigné. Mais nous allons voir que le contenu vaut le détour également.
Outre le roman Dracula en lui-même, l'ouvrage contient une courte préface de Stephen King ; une introduction de Dacre Stoker ; l'avertissement de l'édition originale (1897) de Bram Stoker ; la nouvelle L'Invité de Dracula, préfacée et postfacée de nouveau par Dacre (et qui complète le roman, elle aurait même probablement fait partie de sa première version) ; un texte de l'illustrateur, Christian Quesnel ; et enfin la table des matières et des illustrations !
Certes l'ouvrage coûte un certain prix (39 euros) mais il est amplement justifié. Alors que le terme "collector" est de plus en plus galvaudé (cf. la médiocre réédition de Danse Macabre), ici on a le plaisir de manipuler et admirer un très beau livre qui sera du plus bel effet dans une bibliothèque et dont les illustrations, collant parfaitement à l'atmosphère du récit, permettent de s'immerger encore plus profondément dans les mystères de la lointaine Transylvanie.
Sans conteste la plus belle édition du roman à ce jour.
Publié le
6.11.24
Par
Nolt
Je ne vais pas revenir sur la métaphysique et la spiritualité, censées aller de pair avec la physique et le cartésianisme, je vous invite donc à lire cet article si vous souhaitez une sorte de préambule à ce qui suit.
Lorsque l'on a recours à des rituels, des pratiques magiques et plus généralement lorsque l'on embrasse le néopaganisme (bien que le terme soit assez fourre-tout et trop vague pour désigner en réalité quoi que ce soit), il est intéressant de profiter du savoir et de l'expérience d'autrui en consultant des ouvrages de qualité. Malheureusement, à part quelques classiques, bien souvent, ces ouvrages sont soit un peu "ternes" (noir & blanc, pas d'illustrations...), soit mal rédigés (fautes, novlangue faussement "inclusive"), soit inadaptés aux croyances ou envies de chacun (prosélytisme déplacé ou dessins peu inspirants).
Dans ce domaine, trouver un ouvrage dont on fera un compagnon de longue date est aussi complexe que de trouver un tarot ou un oracle dont les cartes sont compatibles avec votre univers intérieur. Aussi, lorsque l'on tombe sur une petite pépite, il est sans doute intéressant de le souligner.
L'Almanach de la Sorcière moderne est écrit par Sarah A.L. et magnifiquement illustré par Neven. Il a été publié par les éditions Véga l'année dernière. Comme le sous-titre l'indique clairement, il s'agit de passer une année (n'importe laquelle, l'almanach n'est pas lié à une année précise) à la découverte des pratiques magiques et païennes.
Ce qui frappe tout d'abord, c'est le soin formel apporté à ce livre : grand format (19,5 x 26 cm), papier mat de qualité, belle mise en page, illustrations à la fois discrètes et au charme certain, accompagnant parfaitement le texte.
L'avant-propos, quant à lui, précise le but de ce recueil : que chacun puisse découvrir diverses pratiques et d'anciens cultes afin de "piocher" ce qui lui semble le plus approprié. Là encore, on suit les principes très libres de la wicca, ce qui n'est pas pour me déplaire.
Eh bien, un peu de tout. Là, il va falloir préciser le but de tout cela. Il ne s'agit pas de vous donner des informations exhaustives sur un domaine précis mais plutôt d'en survoler des dizaines, tout en vous donnant des clés de compréhension et un topo tout de même compréhensible et intéressant sur chaque sujet abordé.
L'on part donc du principe que vous pourrez (et sans doute devrez) approfondir les domaines qui vous parlent le plus. Ou peut-être que vous allez développer vos propres pratiques à partir de ces informations et d'un peu d'intuition. Aucune démarche, dans le domaine de la spiritualité, n'est mauvaise tant que vos intentions sont bonnes.
Mais quels sont-ils ces fameux domaines ? C'est là le point fort de cet almanach, ils sont aussi variés qu'importants. L'auteur aborde en effet les animaux de pouvoir, les arts divinatoires, les cristaux, les créatures légendaires, différents folklores, les phases de la Lune, les mythologies celtique, égyptienne, nordique, les outils liés aux rituels et à la pratique magique, certains rituels, la roue de l'année, les runes, les végétaux, les chakras, les signes astrologiques ou encore divers symboles. Pour chaque sujet, selon sa nature, vous trouverez une description succincte ou plus élaborée. En général, les informations sont relativement embryonnaires mais permettent tout de même de cerner l'idée générale, d'autant qu'elles sont parfois accompagnées de correspondances (couleur, astre, élément, genre...). Certaines pages sont plus denses que d'autres, mais il s'agit surtout de se laisser bercer par les découvertes et l'atmosphère de chaque jour. Ajoutons que des espaces sont souvent réservés aux expériences et observations personnelles, dans le cas où vous voudriez prendre des notes.
Autant dire que tout cela est vaste et propre à ouvrir vos horizons.
Bien entendu, il n'y a rien ici qui puisse se "prouver" avec des outils propres à la physique. Nous sommes dans un autre domaine, celui du divin et de la magie, de la spiritualité et de la métaphysique. Chacun peut donc y puiser ce qui lui semble nécessaire et agréable.
Quant aux pratiques païennes, elles doivent être considérées comme un complément aux outils physiques à votre disposition. Elles ne dispensent pas de la médecine ou de la science en règle générale. Elles complètent ces domaines. Et vous complètent vous. Si vous avez un rhume ou que vous souffrez d'une fracture du tibia, un médecin sera plus utile qu'une pierre ou une rune. Il faudrait être stupide pour ne pas s'en rendre compte. Le danger vient toujours des individus qui ne savent pas utiliser sereinement et intelligemment un savoir, non de la pratique païenne elle-même. Vous êtes adulte, vous êtes donc pleinement responsable de vos choix, qu'ils soient bons ou complètement cons. Si vous avez un pneu crevé, la magie ne vous le changera pas. Pas plus que le scientisme d'ailleurs. Il va falloir agir, dépenser de l'énergie, de manière sensée, en effectuant des tâches hiérarchisées par le simple bon sens. N'allez pas à la magie ou aux rituels païens par facilité ou fainéantise, il ne s'agit pas d'une rustine sur vos faiblesses mais d'un plus dans la vie d'une personne saine et équilibrée.
Bref, un ouvrage au charme certain, ouvrant sur des mondes infinis et merveilleux.
Encore faut-il qu'il vous convienne et vous "parle".
Publié le
6.11.24
Par
Virgul
Les éditions Jean-Claude Lattès viennent de sortir une réédition du recueil Danse Macabre de Stephen King. Voyons cela en détail.
Son sous-titre l'annonce fièrement, ce livre est censé être "collector". Au niveau de l'aspect, déjà, on ne peut pas dire que ce soit d'un goût très sûr. Certes on a droit à une hardcover et un grand format (14,5 x 23 cm), mais les couleurs dégueulasses (vert bouteille et violet sur fond marron, c'est la bonne idée de l'année) et le lettrage criard lui donne un aspect très "bouquin des années 70". Il faut aimer. On est loin de l'illustration de Frank Frazetta de l'édition J'ai Lu des années 80. Certes, ça n'avait aucun rapport avec le contenu, mais au moins, ça faisait son petit effet.
Côté "plus", là, c'est le vide total. Pas d'illustrations, même pas un ruban signet histoire de faire un peu cossu, aucune valeur ajoutée. Parfois certaines éditions font un petit effort de présentation en ce qui concerne les pages intérieures, avec un travail typographique au niveau des titres ou des marges ornementales, mais là, rien de particulier. C'est du brut de chez brut. Pour du matériel ancien vendu à 26 euros, ça fait cher quand même. Attention donc à l'utilisation très abusive du terme "collector".
Au final, seule la nouvelle traduction présente un intérêt réel. Bien entendu, ce n'est pas toujours synonyme de modifications positives (cf. la trad ridicule du nouveau 1984), mais dans ce cas précis, l'adaptation est assurée par Jean Esch, qui avait déjà fait un boulot remarquable sur la série Lockwood et qui signe là encore des textes de qualité. Notons que les titres des nouvelles se rapprochent plus cette fois de leurs noms anglais. Par exemple Night Surf, autrefois traduit par Une Sale Grippe, devient Vagues Nocturnes. Dans le même ordre d'idée, I am the Doorway, précédemment appelée Comme une Passerelle, devient Je suis la Porte. Sometimes they come back passe de Cours, Jimmy, cours à Parfois ils reviennent. Ce n'est évidemment ni mieux ni moins bon, juste un choix différent et une question d'inclination personnelle.
Pour ceux qui ne connaissent pas du tout cet ancien recueil de notre brave ami du Maine, notons qu'il s'agit de nouvelles assez brèves (et non de novellas ou de mini-romans comme King en écrira par la suite dans des recueils comme dans Différentes Saisons). Les récits et ambiances sont donc variés. En tout, vingt nouvelles, pour la plupart très bonnes.
L'on peut citer l'épouvantable transformation de Matière Grise, la manière originale et bien flippante d'arrêter de fumer décrite dans Desintox S.A., le froid mordant et le suspense insoutenable de La Corniche, ou encore les "habitants" quelque peu effrayants de l'usine dépeinte dans Équipe de Nuit. Notons également que sont présentes les nouvelles Camions (anciennement Poids Lourds, adaptée de manière désastreuse à l'écran par King lui-même, sous le nom Maximum Overdrive) et Les Enfants du Maïs (qui a donné lieu carrément à toute une licence de produits cinématographiques ou télévisés de qualité médiocre). Les thèmes horrifiques abordés vont du très classique (les vampires), aux plus inattendus (une broyeuse, des petits soldats), en passant par des sujets plus réalistes voire prophétiques (une pandémie). De quoi passer un bon (ou épouvantable, selon votre façon de voir) moment et frissonner sous la couette.
Signalons enfin l'avant-propos (qui date de l'époque de sortie de la première version du recueil) de King, très intéressant. L'auteur y parle notamment de l'écriture et de son obsession (possédant selon ses propres termes une "valeur marchande") pour le macabre, de nos pulsions voyeuristes et surtout de la peur, sous toutes ses formes.
Une édition qui aurait pu être plus soignée et plus attractive mais qui a le mérite de contenir d'excellentes histoires, bien traduites. Un achat cependant nullement indispensable si vous avez déjà l'une des précédentes éditions.
Publié le
4.11.24
Par
Nolt
En 1988, Descartes publie la version française de Killer, un JdR conçu par Steve Jackson. Les règles en sont très simples et simulent un affrontement, plus ou moins long (plusieurs jours, semaines voire même mois !) entre des joueurs dont le but est de descendre, d'une manière originale si possible, les autres participants.
L'ensemble des règles de base, conseils, armes présentées et scénarios tient dans un livre format BD qui va contribuer à fortement populariser le jeu, notamment dans le milieu étudiant.
Le jeu connaît bien des variantes et peut se décliner dans de multiples versions. Au départ, chaque joueur reçoit un contrat qui va comprendre diverses informations comme les coordonnées du Maître de Jeu, les armes autorisées, l'emplacement du panneau d'information de la partie, les limites de la zone de jeu et divers autres détails.
Le joueur va alors pouvoir tenter d'assassiner sa cible, son propre assassin s'il découvre son identité, ou toute personne portant une arme qu'il va repérer. Témoins ou complices peuvent avoir un rôle dans chaque assassinat selon les règles choisies.
Les armes sont, elles, extrêmement variées. Cela va d'une chaussette-grenade à un pistolet-banane, en passant par du poison (mettre une étiquette "poison" au fond d'un verre que la cible va boire) ou de l'uranium (planquer un cylindre peint en orange vif sous le lit de la cible). C'est sans doute l'un des éléments qui ont fait le succès du jeu : l'inventivité concernant la manière de flinguer une cible est quasiment sans limite. Virus, bombe, électrocution et pièges en tous genres, tout est bon pour déglinguer l'adversaire ! Le livre décrit un grand nombre d'armes, classées d'ailleurs en 4 catégories selon leur dangerosité réelle : de A, sans danger, à D, absolument interdites. Les classes B et C étant à employer avec précaution et en suivant certaines règles.
Rien n'interdit, bien entendu, d'inventer son propre piège "mortel" à faire valider par le MJ.
Jackson propose plusieurs variantes au jeu de base (vous avez une cible désignée et devez en même temps échapper à un assassin que vous ne connaissez pas, si vous éliminez votre cible, la personne qu'elle devait éliminer devient votre nouvelle cible), engendrant déjà pas mal de paranoïa.
La variante la plus connue est celle du dernier survivant, les participants connaissant alors l'identité de chaque joueur. Mais bien d'autres sont proposées, avec une partie "roleplay" plus ou moins importante : "le parrain", version dans laquelle des gardes du corps protègent leur boss des tentatives d'assassinat d'une faction rivale ; "les Borgia", une variante médiévale opposant des familles ; l'option "vampires", ou un unique tueur en début de partie peut éliminer ses cibles ou choisir de les mordre pour créer un clan ; l'excellente variante "la chose venue d'ailleurs", qui permet à un joueur incarnant une créature extraterrestre prenant possession des humains de changer de corps, la nouvelle victime devenant la créature tueuse !
L'ouvrage se termine sur des conseils de jeu (un grandeur nature peut vite générer des problèmes si l'on ne respecte pas certaines règles), un contrat type à photocopier, quelques certificats de décès et une table des armes (avec les dégâts qu'elles infligent ainsi que leur prix si de l'argent fictif est employé dans le jeu).
Au final, Killer s'avère un jeu très simple mais demandant un minimum d'organisation (et des joueurs un peu rigoureux) pour qu'il se déroule bien. Avec un bon scénario et une aire de jeu suffisamment vaste, cela promet de longues journées tendues, passées à éviter les pièges adverses tout en mettant au point les méthodes d'assassinat les plus discrètes, efficaces ou farfelues.
Bref, un classique.
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Publié le
1.11.24
Par
Virgul
Hier, Dupuis a pris la décision de retirer de la vente l'album Spirou et la Gorgone Bleue, de Yann et Dany.
Pour quel motif ? Eh bien, encore une fois, un éditeur tremble devant quelques excités fanatiques sur twitter. En effet, plus d'un an après la sortie de cet album, certains demeurés ont jugé que les Noirs et les femmes étaient "mal représentés" dans cette BD. L'album, et donc son dessinateur, seraient racistes et sexistes. Rien que ça.
Évidemment, cela pose d'immenses problèmes.
1. Tout d'abord, dans son communiqué, Dupuis indique réagir suite aux "prises de parole qui se multiplient". Or, quelques wokistes sur le net, ce n'est en rien représentatif du lectorat, encore moins de la population. Pourquoi faudrait-il tenir compte de l'avis d'extrémistes qui condamnent sans rien connaître de cette BD et de son auteur ? Et rappelons que même quelques milliers de commentaires (et on en est loin !) seraient de toute façon négligeables d'un point de vue statistique. Il y a quelque temps, les mêmes avaient pleurniché à propos de Friends. Mais il ne s'agit pas d'une "génération", juste des plus cons de la bande. Ou des plus cyniques, pressés de démontrer à moindre frais à quel point ils sont de "bonnes personnes".
Est-ce aux activistes dorénavant de décider de ce qui sera lisible ou non ? Rappelons-nous les autodafés au Canada, où des écoles organisaient la destruction de milliers de livres jugés "inbon" (comprendre "sexistes" ou "racistes").
2. Comment une maison d'édition, qui a validé le travail d'un auteur et d'un dessinateur, peut-elle ensuite, plus d'un an après la publication, laisser croire que ce travail serait raciste et sexiste ? Et donc, entacher la réputation du dessinateur, sans qu'il puisse évidemment se défendre. Un auteur n'est-il pas en droit d'attendre un minimum de soutien de la part de sa propre maison d'édition ?
La manière de réagir de Dupuis, violente, lâche et définitive, en dit long sur le courage intellectuel de ses dirigeants.
3. Ce qui est mis en cause dans cet album, c'est le style graphique du dessinateur. Certains n'aimeraient pas la manière dont les Noirs sont dessinés. Mais, rappelons qu'il s'agit d'un style non réaliste, très caricatural et propre à bien des BD franco-belges. C'est exactement le même genre de polémique qui a été soulevée, il y a quelques années, sur la représentation de la vigie du bateau pirate dans Astérix (cf. cet article). Représenter un Noir avec des grosses lèvres ou un Asiatique avec des yeux bridés n'est en rien "raciste". Ça n'induit pas une forme de hiérarchisation des races.
Au pire, on peut trouver que c'est mal dessiné, mais les auteurs ont le droit, évidemment, d'être mauvais, de se tromper, de ne pas aller dans le sens du vent, d'être simplistes, caricaturaux ou de faire simplement ce qu'ils veulent ! C'est le principe : si ce n'est pas illégal, alors c'est permis.
Extrait d'un incroyable brûlot "raciste et sexiste". |
4. Comment se fait-il qu'un album pédopornographique comme Petit Paul (qui, lui, tombait sous le coup de la loi) ait été commercialisé dans l'indifférence générale (et avec le soutien des gauchiasses, évidemment, il faut dire qu'il n'y a pas si longtemps, leurs représentants - politiciens, journalistes, philosophes, artistes... - n'hésitaient pas à signer une pétition publique, parue dans la presse, pour réclamer la légalisation de la pédophilie... ceci explique cela) alors que ce Spirou est interdit pour un style graphique jugé "inapproprié" ?
5. L'accusation de sexisme (parce que le dessinateur ose représenter des femmes... en bikini !), on l'a déjà vu (cf. cet article), est systématique [1] dès qu'un auteur représente une femme (qu'elle soit féminine ou qu'elle possède des caractéristiques habituellement attribuées aux hommes). Et si un auteur met de côté les personnages féminins, c'est également jugé sexiste. Avec la grille de lecture de la moraline gauchiste actuelle, un auteur ne peut pas ne pas être sexiste. Ce qui est évidemment ridicule.
Le nombre d'œuvres accusées de sexisme est d'ailleurs proprement ahurissant : Astérix, les Schtroumpfs, Martine, Crocodile Dundee, Il était une fois l'Homme, Blanche Neige, SOS Fantômes, Wargames, Retour vers le Futur, Indiana Jones, Petit Ours Brun, Le Club des Cinq, Sissi... cette accumulation délirante serait drôle si elle n'était pas révélatrice de la menace qui pèse sur les auteurs actuels et les œuvres anciennes. Or, à part ne pas écouter ces revendications scélérates et résister, il n'y a rien à faire. On ne peut gagner dans un débat face à l'absurde (cf. cet article). Car pour les wokistes, l'homme blanc est raciste (ou sexiste, ou homophobe) de base. Et s'il nie ce fait, pour eux, ça prouve simplement qu'il l'est encore plus.
Le nombre d'œuvres accusées de sexisme est d'ailleurs proprement ahurissant : Astérix, les Schtroumpfs, Martine, Crocodile Dundee, Il était une fois l'Homme, Blanche Neige, SOS Fantômes, Wargames, Retour vers le Futur, Indiana Jones, Petit Ours Brun, Le Club des Cinq, Sissi... cette accumulation délirante serait drôle si elle n'était pas révélatrice de la menace qui pèse sur les auteurs actuels et les œuvres anciennes. Or, à part ne pas écouter ces revendications scélérates et résister, il n'y a rien à faire. On ne peut gagner dans un débat face à l'absurde (cf. cet article). Car pour les wokistes, l'homme blanc est raciste (ou sexiste, ou homophobe) de base. Et s'il nie ce fait, pour eux, ça prouve simplement qu'il l'est encore plus.
6. Bien entendu, cela ne fait pas disparaître la BD qui est devenue une véritable aubaine pour les spéculateurs. Elle se vendait à 60 euros ce matin, cette après-midi, elle est proposée sur Le Bon Coin entre 100 et 300 euros. Les auteurs n'en profiteront pas (on leur retire une source de revenu sans raison ni jugement légal) mais les opportunistes se régalent.
Cela démontre aussi l'ineptie du comportement de Dupuis qui vient juste de rendre culte et collector une BD qui était passée complètement sous les radars.
Cela démontre aussi l'ineptie du comportement de Dupuis qui vient juste de rendre culte et collector une BD qui était passée complètement sous les radars.
Pour résumer, voilà donc un acte de la part de Dupuis qui fragilise les auteurs, qui renforce le pouvoir d'une meute virtuelle avide de sang, qui valide des diffamations et un jugement à l'emporte-pièce, qui soutient la censure dans ce qu'elle peut avoir de plus abjecte et qui salit la réputation d'un artiste totalement innocent de ce dont on l'accuse. Pas mal pour une seule décision.
[1] Prenons un exemple déjà traité ici : le Club des Cinq de Blyton. Le cas est intéressant car, non seulement l’œuvre est écrite par une femme (si le sexe d’un individu gêne le raisonnement des wokistes, il n’est subitement plus pris en compte), dans les années 30 (les faits ne sont jamais contextualisés, ce qui est pourtant à la base d’une analyse sérieuse, qu’elle soit historique, littéraire ou même judiciaire), mais vous allez voir que, quelle que soit la manière dont l'écrivain construit son personnage, il est perçu comme sexiste.
Ainsi, la journaliste qui à l’époque s'exprimait sur Slate (un nid à débiles) condamnait le personnage d’Annie, parce que la jeune fille est féminine, timide, douce, gentille, etc. Trop caricaturale, selon elle (une femme ne peut donc pas être... féminine ?). Par contre, Claudine, qui a un caractère affirmé, est courageuse, sûre d’elle, là, ça ne va pas non plus. C’est sexiste parce que c’est… trop caricatural.
Quand un comportement est perçu comme sexiste et que son exact inverse est perçu comme sexiste également, ce ne sont pas les auteurs qui sont tous systématiquement des affreux défenseurs du patriarcat, c’est la grille de lecture qui est fausse.
Publié le
31.10.24
Par
Vance
Nous avons évoqué ici même le succès considérable du Problème à trois corps, roman de science-fiction qui a récolté de nombreuses récompenses, propulsé son auteur au rang de figure majeure du genre et engendré dans le monde l'envie irrépressible de lire davantage de textes de Liu Cixin et de ses pairs. Grâce à lui, la SF chinoise sort du placard, les adaptations en films et en série TV (sur Netflix) permettant de toucher une part plus importante du public international (ce qui n'est pas pour déplaire aux dirigeants, ravis de l'aubaine d'un soft power à moindres frais). Ne restait plus qu'à s'engager sur les deux autres vecteurs majeurs de la culture populaire : le jeu vidéo... et la bande dessinée.
Et voilà-t'y pas que Delcourt accepte d'éditer l'adaptation des nouvelles de Liu Cixin, à commencer par La Terre vagabonde, qui sera le premier volume d'une série intitulée "les Futurs de Liu Cixin". Volume initial pour lequel on donne les clefs à Christophe Bec & Stefano Raffaele : le premier, scénariste à succès (Sanctuaire, le Temps des loups, Carême) s'est déjà frotté à ce genre d'adaptations (rappelez-vous sa version de Conan le Barbare dans le plutôt réussi Xuthal la crépusculaire) retrouve ainsi son collaborateur de Pandemonium et Sarah, et du plus récent Tarzan au centre de la Terre. Et puis, il s'y connaît en grande SF, puisque auteur également de la série Crusaders dont on vous a dit le plus grand bien.
Le projet consiste donc à mettre en images une nouvelle, ce qui peut s'avérer bien compliqué. Toutefois, la narration très didactique de l'écrivain chinois, fortement inspirée par Asimov, permet sans doute d'asseoir le délicat équilibre entre explications et péripéties nécessaire pour garder l'intérêt du lecteur. Bec a juste à suivre le récit dans ce qu'il propose, à savoir le survol d'une mission devant durer... une centaine de générations. Ce qui aurait pu n'être qu'une sorte d'album souvenir en accéléré présentant un voyage long de 2500 ans se voit dépeint avec quelques détails cruciaux liés au vécu du personnage principal. Qui entreprend de nous raconter sa vie, depuis sa naissance, le Jour du Grand Crépuscule. En effet, l'humanité, se fiant à des relevés de plus en plus précis sur l'activité solaire, avait déterminé que l'astre allait entrer dans sa phase de géante rouge plus tôt que prévu, vaporisant les planètes les plus proches. La Terre était condamnée et, ainsi, l'espèce humaine. Au pied du mur, les nations finissent enfin par mettre leurs querelles de côté pour entreprendre leur plus grand projet : permettre aux hommes de quitter le Système solaire, qui deviendrait inhabitable, afin de trouver refuge dans celui de Proxima du Centaure, l'étoile la moins éloignée.
Une entreprise évoquée depuis des décennies dans les pages des innombrables écrits de SF évoquant le futur. Sauf que, la plupart du temps, on parle de vaisseaux géants, des arches stellaires sillonnant le cosmos sur plusieurs générations (par exemple Croisière sans escale de Brian Aldiss), quand ce n'est pas un dispositif extraterrestre permettant de transiter presque instantanément vers des points éloignés de la galaxie (la Grande Porte de Frederik Pohl) ou une technologie permettant de dépasser la vitesse de la lumière comme les moteurs à distorsion de Star Trek ou le "saut" hyperspatial chez Isaac Asimov. Là, il ne s'agit pas de faire voyager une poignée d'individus sélectionnés pour leurs capacités ou leur potentiel, mais toute l'humanité. Des milliards d'individus. Il faudrait des centaines de milliers de vaisseaux... projet soutenu par certains, mais auquel est finalement préféré un autre, encore plus ambitieux : déplacer la Terre elle-même, en faire un vaisseau spatial gigantesque.
Si James Blish évoquait quelque chose d'approchant, mais en plus modeste (avec des engins antigravitationnels surnommés spindizzies, l'on pourrait faire décoller des cités terrestres et les faire voyager dans l'espace - cf. la série des "Villes nomades"), si la série Cosmos 1999 avait fait de la Lune un astre errant avec les survivants de la Base Alpha comme passagers malgré eux, l'entreprise a tout de même de quoi donner le vertige. C'est sans doute pourquoi, dans un bienveillant souci de clarté, Liu Cixin entreprenait de nous faire comprendre les tenants et aboutissants du projet à travers les yeux du jeune garçon, né donc le jour où des titanesques réacteurs à plasma stoppèrent la rotation de la Terre avant de la faire progressivement sortir de son orbite, puis accélérer jusqu'à atteindre la vitesse nécessaire pour quitter l'attraction solaire avant que ne survienne le flash d'hélium destructeur. L'histoire commence d'ailleurs à l'école avec sa maîtresse expliquant les fondements du projet.
Le lecteur suit donc cet enfant grandissant dans un contexte singulier, avec une humanité se serrant les coudes et s'apprêtant à vivre les jours les plus terrifiants de son existence. Tous les efforts humains sont concentrés sur la réussite de ce projet apocalyptique, au point que les relations sociales se voient particulièrement modifiées : le futile disparaît au profit de l'essentiel, les arts, l'esthétique et les sentiments sont délaissés, le genre humain entrant en mode survie. Il découvre les nuits sans fin ponctuées de cataclysmes vertigineux, les océans qui gèlent ou s'assèchent, les vagues géantes qui submergent les continents tandis que les montagnes sont petit à petit arasées afin de fournir aux réacteurs géants le carburant essentiel à leur fonctionnement. Une terraformation à l'envers, qui contraint la population à vivre recluse, loin sous la Terre dans des cités où les sciences deviennent le point focal des préoccupations, où les récits des derniers habitants nés à l'ère solaire se parent d'un voile mythique désobligeant et où l'on tente quand même, par moments, de succomber à quelques plaisirs et célébrations.
Mais le projet lui-même, conçu pour durer plus de vingt siècles, finit forcément par trouver des réfractaires. D'abord quelques illuminés défendant d'autres théories, puis des nostalgiques avant l'ère des rebelles : et si le Soleil ne mourait pas ? On aurait fait tous ces sacrifices pour rien ? Ainsi, la sœur du narrateur choisira une autre voie, puis sa future femme tandis que son père lutte vaillamment dans les forces spatiales pour détruire ou repousser les astéroïdes qui risqueraient de percuter notre planète durant son périple aux frontières de l'infini...
Les visions dantesques proposées dans ce récit se voient ainsi magnifiées par des planches spectaculaires, certaines s'étendant sur quatre pages qu'on pourra déplier pour en profiter pleinement. On sera plus réservé sur les cases plus intimes où l'on aura bien du mal à reconnaître les protagonistes, avec des visages grossièrement définis et des dialogues souvent instructifs qui viennent prendre le pas sur l'action. Les vertigineuses perspectives d'un tel voyage dans les étoiles permettent à Raffaele de nous en mettre plein la vue, dans ce qui constitue le point fort de ce travail d'adaptation, qui permettra aux lecteurs peu endurants de se frotter à la littérature d'un grand auteur du XXIe siècle, qui signe une petite préface criant son amour du genre.
Certaines des images illustrant cet article proviennent du long-métrage chinois ayant également adapté le texte de Liu Cixin. Il serait intéressant d'aller y voir de plus près...
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