À tire-d’aile
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Une tour en ruine à l’aura funeste, des bois, des pigeons, l’ombre planante du criminel Zigomar [1]. Il n’en faut pas plus pour des jeux immersifs issus de l’imagination débridée d’une clique d’enfants. Ils incarnent avec passion le sinistre malfaiteur, sa bande et la Police, jusqu’à un dénouement tragique.

Gigi, au visage angélique, libre et fougueux blondin, fascine surtout Kiki le petit brun. Suite au décès de sa mère, Gigi, bouleversé, disparait de la ville. Perdue sur le chemin de l’existence, L'adolescent cherche, tâtonne, expérimente. Il abandonne ses amis, et se tourne vers la mystérieuse Tour « U » et ses volatiles. Il endosse l’identité de Zigomar pour commettre ses méfaits chez les commerçants qu’il signe de fientes de pigeons.

Son esprit perturbé tourbillonne entre la réalité qu’il veut fuir tout autant que dominer et ses délires qui l’entraînent vers son désir le plus fou : prendre son envol. Envol symbolique, pour s’émanciper du poids macabre lié au décès de sa mère, de la perte de son enfance et de la fin de son innocence.

Voici un court récit semblable à un rêve, une douce folie, dans un monde lui-même fantasmé par la mangaka, nostalgique de l'Europe de la belle époque. De la tour U se déploient les lieux : la ville et le Fairyland où l’on patine en rond tout en se perdant dans un palais des glaces et où l’on profite du cinéma. Spirale, cercle et tourbillon entraînent inéluctablement Gigi vers une fin tragique. Les intentions du récit ne sont pas dissimulées et le lecteur peut deviner que tout tend à la chute du garçon ; mais le chemin pour y parvenir – danse décadente – s’avère prenant. Les symboles s’empilent : une tour, ancien lieu de torture et d’exécution, où vit un gamin devenu un criminel qui se travestira en jeune fille pour aller s’amuser en ville ; un baiser qui ne réveille pas une morte...

Cette première publication française d’Ikuko Hatoyama, À tire-d’aile (Habataki Ein Märchen) adapte de manière libre un texte de Tatsuo Hori [2] et dispense avec parcimonie un côté joliment macabre. Pas de gore apparent, mais une sensation poisseuse et glissante issue des rêves et des visions de l’enfance. Un franc noir et blanc domine les planches détaillées alors que des hachures cisaillent les volumes. Le graphisme élégant et semi-réaliste régurgite les influences de l’Europe du début du XXe siècle. Ainsi la mangaka indique dans sa postface s’être basée sur des tirages des photographes Doisneau et Brassaï, entre autres, ainsi que sur des illustrations de l’époque. De nombreux passages muets appuient les temps forts et font montre d’un découpage poussé, cinématographique, avec des choix audacieux de point de vue et d’angles. L’artiste a prêté attention au jeu de regard et aux postures de ses personnages. L’ensemble saisit malgré des faciès rigides.

Dans le paysage éditorial des manga traduits en France, À tire-d’aile brille d’une rareté : celle d’un travail soigné, s’éloignant des armées de clones qui envahissent les rayons. Pas de gros nichons, pas de bastons, pas 50 volumes pour qu’il se passe quelque chose ni de romance neuneu. Hatoyama éclate les normes de la bande dessinée nippone pour laisser vivre son art. Plus accessible qu’une œuvre de Suehiro Maruo (même s’il s’assagit avec l’âge) avec qui À tire-d’aile partage un goût avec ce dernier pour le début du XXe et les foires.


L’édition française de Noeve Grafx reprend celle sortie au Japon en 2018 en y adjoignant une postface supplémentaire écrite par la mangaka. La jaquette qui orne la couverture du livre s’avère le point faible : malgré du vernis sélectif, du fer à chaud et de l’embossage, le papier se salit vite et s’abîme aux pliures. À l’intérieur se trouve une carte à collectionner et un bandeau entoure l’œuvre, stratégie commerciale de cet éditeur (et appât à collectionneurs...).

Enthousiasmant, À tire-d’aile n’est pas parfait. Certains détails oublient d’être exploités ou expliqués. La cohérence se perd quelque peu parfois, mais paradoxalement, l’aspect fantastique s’en voit renforcé. Une œuvre étonnante que l’on range aux côtés de celles de Suehiro Maruo, Usamaru Furuya et Yoshimi Uchida.


[1] Personnage de fiction français, inventé par l’écrivain Léon Sazie dans les années 1910-1930. Ce héros de romans et de nouvelles eut droit à des adaptations en films entre 1911 et 1913.

[2] Écrivain japonais connu pour son roman Le vent se lève qui a inspiré le film éponyme à Hayao Miyazaki. Tatsuo Hori ([1904-1953) fut poète, traducteur de Cocteau et Apollinaire, et défenseur de la littérature française au Japon.




+ Les points positifs
- Les points négatifs
  • Des dessins séduisants réhaussé d'un bel encrage.
  • Des ambiances soignées.
  • Un découpage réfléchi, des points de vue audacieux.
  • L'édition française de qualité, malgré sa jaquette.

  • Une histoire un peu classique et prévisible autour de la mort.
  • Quelques raideurs graphiques.
  • Si vous n'aimez pas les pigeons...
  • La jaquette qui s'abime vite.
Avant-Première : Saint Seiya Time Odyssey
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Une aventure inédite et en couleurs des Chevaliers du Zodiaque, voilà ce que propose Kana pour la rentrée. Tout de suite, on analyse la bestiole.

J'éprouve une tendresse infinie pour Saint Seiya, malgré les maladresses récurrentes d'un Kurumada qui a été très vite dépassé par l'univers qu'il a mis en place, un peu en improvisant et, par la suite, en se répétant quand même pas mal. Je me souviens avoir découvert ça alors que, cloué au lit par la varicelle et une fièvre de canasson, je comatais à moitié dans mon lit, regrettant même pour une fois de pouvoir rater le lycée. Et puis, traversant le brouillard moite et épais qui m'entourait, ils sont apparus sur un écran tremblotant et encore cathodique... Hyoga, Shiryu, Seiya(r)... C'était épique, beau, émouvant parfois, et les armures alliées au cosmos et à la mythologie donnaient à cet univers une fascinante aura. Par la suite, j'en profitai pour plonger dans le manga, à température corporelle normale cette fois. N'étant toujours pas fan du noir & blanc et encore moins de la mode grotesque permettant aux éditeurs de publier des livres en français dans le sens de lecture japonais (cf. cet article pour les plus demeurés qui ne comprennent pas à quel point c'est une arnaque), je garde un bien meilleur souvenir de l'anime. Et j'ai toujours rêvé d'une belle édition grand format et en couleurs (en mieux que ça hein, coloriser une œuvre, ce n'est pas la "colorier", ça demande un véritable savoir-faire). D'où mon hurlement de joie (j'exagère, disons que c'était un borborygme de joie) lorsque j'ai appris que deux auteurs français allaient nous proposer une aventure inédite des fameux Chevaliers (un peu comme le récent Goldorak). Et le plaisir est au rendez-vous, même s'il me faudra évoquer un gros point noir.

Commençons logiquement par l'histoire, une saga prévue en 5 tomes et intitulée Time Odyssey. Après quelques pages présentant un peu le contexte, le récit (qui se déroule après l'affrontement contre les Chevaliers d'Argent et avant la mythique Bataille du Sanctuaire) commence par une attaque de chevaliers inconnus cherchant à mettre la main sur Ikki du Phénix. Seiya et ses potes s'interposent et l'on découvre alors rapidement qu'un nouvel ennemi se dresse sur leur route : Chronos.
Pour ce qui est du résumé succinct du début, il semblait difficile d'en faire l'économie. Cependant, si vous connaissez la saga, il est inutile, et si vous ne la connaissez pas, il s'avèrera insuffisant. En ce qui concerne la thématique du temps et le Dieu choisi pour incarner ce nouvel adversaire, tout cela est suffisamment riche en possibilités pour permettre de futurs développements potentiellement intéressants. Difficile néanmoins de se faire une idée avec ce premier tome qui n'est finalement qu'une belle introduction. 
Notons une curiosité : les noms de la plupart des techniques sont logiquement en français (l'illusion du phénix, les météores de Pégase...) mais d'autres sont en anglais (infernal spinning wheel, balance of fate...). J'avoue avoir du mal à saisir la logique.


Niveau dessin, c'est quasiment parfait. On reconnaît sans problème les personnages, c'est joliment colorisé, dans des ambiances assez variées, et on assiste à de jolis jeux de lumière. Peut-être peut-on reprocher un côté un peu "lisse", les personnages et décors étant assez "proprets". Il aurait été possible d'explorer une autre voie, un peu plus "rugueuse", mais bon, tout cela est très subjectif et il serait malhonnête d'ergoter plus avant sur ce travail plus que réussi.

Reste un aspect qui m'a bien cassé les couilles. Je pourrais dire "ennuyé" pour être poli, mais vu le niveau de je-m'en-foutisme affiché, j'estime que l'on a dépassé le stade des convenances. Qu'est-ce que c'est que ce texte de merde ? C'est blindé de conneries ! Problèmes d'espaces, de ligatures, de concordance des temps, fautes d'inattention, coquilles en tout genre ("le sort qui a été la sien", pour prendre juste un exemple)... et tout ça dans une pauvre BD ? Ce serait dans un roman de 500 000 caractères que ce serait déjà honteux, mais là, c'est incompréhensible. Comment se fait-il qu'aucun correcteur sérieux ne relise un truc pareil ? Et même mieux, comment se fait-il qu'un auteur puisse rendre un texte pareil ? On n'est pas encore à un niveau Panini (qu'il sera de toute façon pratiquement impossible d'atteindre, cf. cet article), mais on est loin du truc propre et travaillé. Et ça, c'est inacceptable. Un peu comme si on vous refilait des assiettes sales au resto, peu importe la qualité ensuite des aliments et de leur cuisson, ça ne donne pas envie. Là c'est pareil, si des ingrédients aussi basiques ne sont pas maîtrisés, comment imaginer que la narration, les personnages, les effets et autres éléments bien plus complexes que la simple grammaire seront traités avec soin ? Il ne s'agit pas, bien entendu, de pointer du doigt un manque de rigueur pour le simple plaisir. Les fautes, surtout aussi nombreuses, sont du "bruit". Et plus il y a de bruit, moins l'essentiel (c'est-à-dire l'histoire) est audible. Je ne parle même pas du côté éducatif et presque sacré de la forme écrite, censée formée les bataillons de futurs lecteurs et auteurs. Quand toutes les sources auxquelles s'abreuver sont viciées [1], impossible de simplement apprendre...

Bref, une bonne idée de départ, un traitement graphique élégant et esthétique, mais un texte pour le moins perfectible qui vient gêner l'immersion et nourrir de sérieuses inquiétudes quant à la suite.

De Jérôme Alquié et Arnaud Dollen.
Kana Éditions - 64 pages
Sortie le 30 septembre.



[1] Et c'est malheureusement le cas : sous-titres de films, livres scolaires, BD, romans... les textes "propres" sont de plus en plus rares. Ce qui est somme toute parfaitement logique, l'éducation nationale étant un vaste champ de ruines et la plupart des éditeurs n'étant plus capables de trouver des intervenants techniques compétents, la langue est condamnée à non plus évoluer grâce à l'usage littéraire, comme par le passé, mais à dégénérer suivant l'usage (donc les fautes) de la masse. 


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Fidèle à l'ambiance de la série.
  • Un nouvel ennemi prometteur.
  • De fort jolies planches.


  • Un texte indigne d'un simple "premier jet".
Strange Adventures
Par

Après le lifting offert à Mister Miracle, Tom King et Mitch Gerads récidivent
en offrant une relecture acide à un autre super un peu tombé dans l'oubli.


Adam Strange, c'est un peu une sorte de prototype de Flash Gordon. Il est le héros de deux mondes : celui de Rann, sa planète d'adoption où il est parfois projeté à cause du rayon zêta, sur laquelle il épousa la Princesse Alanna dont il eut une fille... et celui de notre Terre où il est passé, suite à ses aventures spatiales, de simple archéologue à figure emblématique de la résistance contre les envahisseurs Pykkts qui menaçaient Rann.

Adam Strange, c'est un homme diminué suite à la perte de sa fille au sein de ce conflit. C'est le mari intensément aimant de sa magnifique femme et... c'est la vedette d'une biographie rédigée par son épouse qui prend quelques libertés avec la vérité pour édulcorer la violence à laquelle il leur fallut céder face aux armées d'invasion.
Lors d'une séance de dédicace, un lecteur fait un scandale en librairie, filmé par quelques smartphones indiscrets, en accusant Adam de nombre de crimes de guerre. C'est lorsque cet agitateur sera retrouvé avec le crâne explosé par une arme dont les effets ressemblent à ceux du pistolet laser d'Adam que ce dernier va demander à ses amis de la Ligue de Justice d'enquêter sur son propre cas. Batman, lié affectivement à Adam, va refuser la mission mais acceptera de mettre sur le coup nul autre que Mister Terrific... l'homme qui incarne le mieux selon lui la droiture, l'impartialité, le fairplay et la soif de connaissances.
C'est alors une enquête qui commence et que nous suivrons sur les 364 pages de ce gros volume paru aux éditions Urban

Habitués à la désacralisation des super héros pour notre plus grand plaisir, Tom King (Batman rebirth, The Vision, Mister Miracle...) et son complice Mitch Gerads s'adjoignent ici l'aide d'Evan "Doc" Shaner (Deadpool, Justice League...)
Le premier nous offre un scénario simple mais jamais simpliste dans lequel le héros nous dévoile son humanité dans tout ce qu'elle a de plus touchant mais aussi dans ses pires noirceurs, faisant de lui une victime de traumatismes de guerre dont il devient vite malaisé de cautionner tous les actes. Le deuxième dessine de son style réaliste les scènes se déroulant au présent dans une ambiance oppressante idéale pour mettre en place une sorte de thriller. Le troisième est ici invité, de son agréable trait un peu rétro, à tracer en couleurs vives les exploits d'antan qu'Adam a accomplis sur Rann, à la façon dont ils étaient narrés en comics du temps du succès de ce personnage.


L'album ne mérite objectivement aucune critique formelle négative : tout y est soigné.
La double narration se répond avec intelligence, permettant au passé dessiné par Shaner d'éclairer de ses effets lumineux et crus emplis de vérité un présent que le doigté de Gerads rend terriblement plus sombre et propice aux mensonges et aux dissimulations. 
Les deux styles graphiques, quoique très différents, s'harmonisent aisément au point qu'un jeu de va-et-vient entre ces deux temporalités peut se faire plusieurs fois en deux planches sans pour autant nuire à l'intérêt esthétique de la double page devant nous.
La relation de Strange avec les héros emblématiques de l'écurie DC est crédible et les rares apparitions de ceux-ci sont soit pertinentes, soit amusantes.
La progression des personnages suit la déchéance de Strange au long du volume : de beau blond athlétique au sourire de mannequin pour dentifrice, on va le voir peu à peu sombrer dans une amertume et une violence qu'on ne saurait lui imaginer initialement.
Pour accompagner cette chute, les pages séparant les chapitres sont ornées d'affiches de propagande au nom de Strange se couvrant peu à peu, au fil du livre, de graffitis insultants remettant en question l'authenticité du témoignage dudit héros concernant ses exploits interplanétaires.
Tout a été pensé, calculé, écrit, dessiné pour faire de cette bonne grosse brique une œuvre cohérente et bien finie. Mais ce n'est pas tout... Car qui dit Tom King dit forcément message à faire passer à coup de combat shoes au cul de la société américaine contemporaine. 


Ancien soldat US et membre de la CIA engagé pendant sept ans en Iran et en Afghanistan en tant qu'agent du contre-terrorisme, King a un regard critique sur son pays et ne manque pas une occasion de le faire sentir.
Il attaque le racisme latent en faisant douter Mister Terrific du poids que pourrait avoir sa parole d'homme noir face au héros blond triomphant que s'est choisi l'Amérique en la personne d'Adam Strange.
Il attaque à maintes reprises la désinformation ambiante et les manipulations de la vérité, les interviews coups de poing, les procès médiatisés, les biographies quasi hagiographiques et autres procédés visant à n'offrir au public qu'une seule vision très propagandiste du Monde.
Il attaque la figure-même du héros militaire qui n'est souvent que le tâcheron d'une infecte besogne de mise à mort.
Il attaque enfin la figure du super-héros englué dans ses responsabilités et sa morale au point de ne pas toujours faire le nécessaire, de peur de se salir les mains...

Tout y passe et il est appréciable de constater qu'il est encore possible de lire un comic book sans avoir besoin, comme les disent les crétins défendant trop facilement des œuvres scénaristiquement indigentes, de "mettre son cerveau sur off et kiffer". 

Cet ouvrage sonne comme la dénonciation d'une société trop prompte à sauter sur le moindre conte de fées pour en faire une vérité.
Héroïsme, patriotisme, fidélité, honneur, amour y sont autant de thèmes abordés avec le regard d'un observateur qui ne se veut pas dupe. 
Quand le vernis des jolies histoires craquèle, il dévoile souvent la trame d'un tableau autrement moins reluisant.
Le super-héros au costume rouge, porté dans les cieux par son jetpack, brandissant son pistolaser cède alors sa place à un homme, juste un homme avec toutes ses ambiguïtés et tous ses paradoxes. Et tous ses torts.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un scénario bien ficelé qui désacralise la figure du super héros.
  • Deux dessinateurs complètement appropriés pour caractériser chacune des époques.
  • Nombre de messages engagés laissés par l'auteur à notre réflexion.
  • Parfois quelques petites facilités dans le traitement de la psychologie des personnages secondaires, mais c'est pour chicaner.

Batman : Qu'est-il arrivé au Chevalier noir ?
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Résumé
: Batman est mort. C’est ainsi. Séchez vos larmes et venez donc assister à ses funérailles auxquelles tous ceux qui l’ont bien connu sont conviés : Alfred, bien sûr, mais aussi et surtout ses meilleurs ennemis. Écoutez alors chacun d’eux conter leur rencontre, ainsi que les circonstances du décès du Caped Crusader alors que, en arrière-plan, Batman lui-même assiste, ébahi, à sa propre cérémonie funéraire… 

Neil Gaiman (cf. cet article récent sur la Mythologie viking) aime Batman - et les rédacteurs d'UMAC également, il vous suffit de piocher dans les très nombreux articles qui lui font directement référence). Sa plume adroite sait parfaitement explorer les tréfonds de l’âme tourmentée du Chevalier noir et il se joue avec une aisance déconcertante des pièges liés à la très longue vie de ce personnage iconique créé par Bob Kane [et Bill Finger surtout, comme Thomas nous l'explique dans son article sur son site] voici une éternité. Un album narrant les circonstances de sa mort illustrées par Andy Kubert (reformant le somptueux duo de 1602 concocté pour la concurrence marvellienne) ne pouvait qu’inciter à se replonger dans l’univers caractéristique du Justicier de Gotham
Si tu voulais faire respecter la loi, tu serais flic, pas sur les toits avec un masque.

En 2011, Panini comics a édité deux épisodes de ce duo d'artistes (épisodes issus originellement des séries Batman et Detective Comics) suivis de quatre courtes histoires du Chevalier noir écrites par Gaiman, le tout dans un album relié de belle facture. En 2019, Urban comics a ressorti cet album dans une édition plus cossue mais moins complète, avec un titre différent (Les Derniers Jours du Chevalier noir). Les aficionados moins fortunés se contenteront d'une version kiosque avec le Batman Universe #1 de 2010. 
Même si tout ce mal n’était que mensonge, je n’ai guère d’autre choix que de combattre. 
Alors, que vaut cette histoire ? 

Au final, on reste un peu sur sa faim. Ce double épisode ne révolutionnera nullement la série ; il n’introduira d'ailleurs aucune nouveauté dans les rapports complexes qu’entretiennent les ennemis de Batman avec ce dernier, ni dans la psyché tourmentée de Bruce Wayne. Censé se situer après l’annonce, dans la continuité DC, de la fin du Batman (éliminé par Darkseid dans le controversé Final Crisis), il s’appuie sur le parallèle entre Mort et Recommencement : on y suit en effet la lutte éternelle du « plus grand détective du monde » hissée au rang de cycle mythologique ; les époques s’entremêlent, les souvenirs se fondent et les certitudes éclatent. Les lieux, les décors, les costumes sont mouvants, on passe des ruelles sordides du Gotham d’après-guerre à des intérieurs sobres et lisses. Au travers de toutes les « occurrences » du Batman au fil des décennies, on sent bien, dans la manière qu'il a de le représenter, une préférence de Kubert pour la période Neal Adams malgré les nombreux clins d’œil vers la version « golden age ».
 

Si l’issue du double épisode en est radicalement différente, l'amateur de comic books ne pourra s’empêcher de trouver de forts relents du magistral La Mort de Captain Marvel (Jim Starlin), notamment dans la manière dont le défunt entretient une discussion avec un être transcendantal, et dont les ennemis d’hier viennent témoigner de cette complicité troublante qui les lie à lui. 
Si personne ne vous offre jamais de roses, vous finissez par cultiver les vôtres.
Les petites histoires placées sans logique à la suite de ce mini-crossover permettent d’explorer plus avant le mythe du Dark Knight avec la subtilité récurrente, la finesse et l’élégance qui sont la marque de Gaiman (même lorsqu’il est peu inspiré - comme dans l’épisode Quand une porte ? narrant les « origines secrètes du Sphinx » - inclus dans la compilation sur ce dernier de la collection Batman Arkham d'Urban Comics). On risque néanmoins d’apprécier Pavane par son côté envoûtant - un mystérieux agent enquête sur la personnalité de Poison Ivy (idem, ce segment a été inclus dans l'anthologie Batman Arkham sur la célèbre Empoisonneuse, cf. cet article sur UMAC) - et la douce ironie de Un monde en noir et blanc.
 
Un bel hommage, plein de grâce et de sensibilité, empreint d'une certaine nostalgie.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Batman. 
  • Les ennemis  adversaires de Batman.
  • Neil Gaiman.
  • Andy Kubert.


  • Le sentiment d'une œuvre un peu vaine, à la portée restreinte.
"Star Wars - La Haute République" se poursuit en comics
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Difficile de trouver des titres d'articles qui ne soient pas trop longs, ne serait-ce qu'en citant cette série, Star Wars - La Haute République - Les Aventures ! Et il faut préciser qu'il s'agit des comics, à ne pas confondre avec l'autre série quasiment éponyme, elle aussi en comics (cf. critiques tome 1 et tome 2) ! Bref, Mission Bilbousa est le titre du deuxième volume de la seconde saga en bande dessinée se déroulant dans La Haute République. Le premier était sympathique malgré quelques défauts sur le fond et la forme. Que vaut cette suite ?

Il ne faut pas s'attendre à retrouver les protagonistes du premier volet (Zeen et Lula notamment) qui ornent pourtant la couverture. En effet, ce second tome propose trois chapitres (les #6 à #8 de la série), l'épisode « annual » composé de cinq courts segments ainsi qu'un inédit provenant du Free Comic Book Day en 2021. De quoi avoir un contenu assez décousu, d'autant plus que les trois chapitres principaux forment deux histoires indépendantes. On décortique tout cela.

Dans Mission Bilbousa (chapitres #6-7), on suit les jeunes Jedi Farzala (cf. image d'ouverture de cette critique) et Qort (aperçus en tant que personnages secondaires dans le précédent tome) ainsi que leur Maître Obratuk, à bord du fameux Vaisseau, piloté par Leox, Affie et Géode (tous trois au centre de l'excellent roman En pleines ténèbres). La troupe est missionnée pour créer une délégation diplomatique avec les Hutts, par l'intermédiaire notamment d'Ishnar. En gros, comme les Jedi et les Hutts se sont alliés face aux Drengir, l'idée d'une paix durable entre eux s'impose - mais évidemment ça tourne mal.
 
Rien d'extraordinaire ici ; au contraire, tout est prévisible à souhait et mal écrit, il manque une certaine « fluidité » entre les échanges qui sont parfois très primaires (peut-être parce que le lectorat initial est censé être en bas âge ? Cela ne nous semble pas être une raison valable).
 
L'Attaque contre la Foire de la République
(issu du Free Comic Book Day) montre Zeen et Lula mais surtout Ram (découvert dans le roman jeunesse La Tour des Trompe-la-mort) au cœur de l'épisode. Les amis sont à Valo pour aider les habitants face aux Nihils et secourir la Jedi Ty Yorrick. Là aussi, en plus d'être évident, l'ensemble est assez expéditif et peu palpitant. Cela permet ensuite de converger vers Les Présentations (chapitre #8) dans lequel tous les protagonistes précités se retrouvent.
 
On renoue aussi avec Krix Kamarat, l'ancien ami de Lula qui a rejoint les Nihil, sous la protection de l'Œil. Là encore, tout va trop vite, Krix étant réduit à un gamin colérique avide de puissance et jaloux… Il manque cruellement une transition plus détaillée entre les épisodes du premier tome de Star Wars - La Haute République - Les Aventures et ce second. Et ce n'est pas forcément à découvrir dans les nombreux autres titres, c'est juste… (nous nous répétons) « mal écrit » ; c'est pourtant à nouveau Daniel José Older qui est derrière l'œuvre - et qui s'en était mieux sorti auparavant.
 
Tout ce beau monde se dirige vers Takodana, où se situent un temple Jedi et le fameux Château de Maz Kanata (vu pour la première fois dans l'affreux film Le Réveil de la Force). Ce début d'arc narratif conclut maladroitement le volume, il aurait été plus judicieux de le mettre en ouverture du troisième tome, voire d'attendre davantage afin de mieux découper et publier les chapitres…


Aussitôt lu, aussitôt oublié donc, autant directement lire le troisième tome (date de sortie inconnue, probablement fin d'année) qui poursuivra l'intrigue générale sur l'équipe des jeunes Jedi. L'épisode annual qui clôt l'ouvrage compile cinq courtes histoires (À l'abri, Dans le moindre recoin, Première Mission, Crash & son équipe assurent et Le Butin), rédigées par les auteurs habituels de la saga, Daniel José Older, Cavan Scott, Charles Soule, Claudia Gray et Justina Ireland. Un ensemble sans grand intérêt hormis celui de retrouver quelques figures issues des romans. Un bien maigre bonus…

En synthèse, Mission Bilbousa est le premier vrai « loupé » de La Haute République (en attendant le second tome du manga, Un équilibre fragile, dont le premier nous a moyennement convaincu). Si les dessins de Harvey Tolibao et la colorisation de Rebecca Nalty fonctionnent plutôt bien pour le début du livre (c'est bien découpé, richement coloré…), les styles de Toni Bruno et Nick Brokenshire qui occupent une bonne partie de la suite émerveillent peu. Les traits sont sommaires, peu détaillés, proche de brouillons… L'ensemble est donc graphiquement très hétérogène, ce qui n'aide pas le titre qui avait bien du mal à s'en sortir côté scénario.
 
On rappelle que tous nos articles sur Star Wars - La Haute République sont compilés dans cet index.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La mise en avant de Farzala, personnage qui a pris de l'épaisseur et devient intéressant.
  • Quelques belles planches pleines de couleur et d'action.


  • Un ensemble décousu.
  • Rien de très passionnant.
  • L'intrigue principale n'avance pas des masses.
  • Une écriture globale (caractérisation des personnages, narration, dialogues…) de qualité médiocre.
  • Un rythme en demi-teinte.
Capitaine Vaudou #1 - Baron Mort Lente
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Des pirates, des esclaves, des divinités du panthéon vaudou, des créatures fantastiques...
Voici un melting pot sentant bon le rhum ambré. Mais que contiennent vraiment les foudres de chêne ?



Capitaine Vaudou
est initialement un jeu de rôles créé par Jean-Pierre Pécau se déroulant dans le monde sans pitié de la piraterie du XVIIème siècle et ayant connu un joli succès dans les années 90. Récemment, le jeu fut réédité par Black Book Éditions, ce qui peut peut-être expliquer l'adaptation en bande dessinée que nous tenons entre les mains.
 
Pécau, créateur de jeux (Les 7 royaumes combattants, Krystal...) et auteur de bandes dessinées (tout l'Univers des Arcanes, Les 30 deniers, Le dernier Dernier Dragon...), est toujours maître de son univers et en signe donc le scénario... qui semble être celui d'un maître de jeu peu inspiré aspirant à faire découvrir l'univers à une nouvelle table de joueurs. Mais nous y reviendrons.

Comme attendu pour ce genre d'adaptation, la bande dessinée suit la logique du jeu en mêlant histoire et fantastique. Magie vaudou, zombies, golem, garou... tout y passe dans un scénario qui, malheureusement, est davantage un collage de séquences nécessaires à l'explication de l'univers du jeu qu'une réelle histoire.
 
L'impression première qui en ressort est que l'univers est intéressant et cohérent. La deuxième est d'avoir lu le script d'un tutoriel. La troisième est... que le personnage central de cet album servant de candide est une marionnette ; non seulement entre les mains d'une déesse vaudou mais aussi entre les mains de son scénariste. Le type a littéralement le charisme d'un petit coup de vent contraire inapte à faire frissonner une mèche de barbe .

On a donc là un tome 1 permettant de bien prendre conscience de la richesse potentielle du concept... tout ça ne donne qu'une envie : lire le tome 2 et vérifier si l'on arrive à une véritable narration plus fluide et moins balisée par d'obligatoires explications du lore par des personnages non joueurs.


Nous sommes en 1690. Enfin non, nous sommes en 2022 mais c'est une façon de poser le décor, arrêtez d'être pointilleux comme ça, c'est saoulant ! Nous sommes en 1690, donc, et les frères Mc Coffin sont deux rebelles irlandais déportés comme esclaves vers le Nouveau Monde dans la cale d'un bateau négrier. Dès le départ, l'ambiance n'est pas à la gaudriole, hein... Surtout que les premières planches présentent d'emblée une rumeur selon laquelle une entité gigantesque du panthéon vaudou invoquée par des esclaves aurait coulé un navire de ce genre. Donc les frangins sont dans une merde noire et l'on nous a appris dès le départ que le salut pourrait potentiellement venir de pire encore. Joie !
 
Car oui, ils vont être confrontés à la magie noire des Caraïbes, celle qui résiste aux Blancs depuis des décennies... Magie à laquelle le jeune Cormac Mc Coffin va être étonnamment réceptif, devenant "le cheval", le parangon, d'une entité connue sous le nom d'Erzulie, l'esprit de l'amour, du sexe et de la protection des femmes. Magie avec laquelle le second Mc Cormac, Angus, aura une expérience plus brutale d'emblée et, apparemment, plus relative à la non-vie par la suite.
 
Ce premier tome nous invite à suivre un Cormac trimballé tantôt par un compagnon de cale, tantôt par un capitaine pirate, dans sa découverte de la piraterie et de l'occulte. Il y rencontrera le Baron Mort Lente qui, pour sa part, semble bien être le principal antagoniste et se révèlera vite être un sorcier capable de ranimer les morts pour les exploiter comme équipage de son sinistre navire.
 
D'autres personnages atypiques peuplent l'histoire, comme autant de PNJ (personnages non joueurs) agréables à camper pour le MJ (maître de jeu) : le rabbin de Port Royal qui a donné vie à un golem, la tenancière d'une maison de tolérance dans laquelle les filles choisissent leurs clients...
 
Tout cela ferait presque une histoire et ne demande qu'à en devenir une. Le tome 2 a des bases généreuses, gageons qu'il s'en servira.

En ce qui concerne le dessin, Darko Perovic (Dr Watson, Alamo...) conserve son style réaliste habituel et joue énormément avec les ombres pour un album majoritairement diurne sous un soleil de plomb et occasionnellement nocturne.
 
La couverture, quant à elle, est signée Ugo Pinson, comme celle du manuel de jeu de rôles... et elle attirera sans doute à elle seule une partie du lectorat de cette bande dessinée tant elle est évocatrice du jeu (pour les anciens) et efficace pour marquer l'imagination des lecteurs potentiels totalement néophytes. 


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La richesse de l'univers.
  • Les recherches préalables de l'auteur sur la piraterie et le vaudou pour son jeu de rôles, lui ayant permis d'être documenté pour cet album.
  • La galerie de personnages.
  • L'histoire qui tarde à en devenir une... le tome 2 pourrait rattraper ça sans aucun souci et faire sourire notre mascotte.
  • Le héros ballotté par les flots narratifs.
Decorum #2
Par

"L'art de l'assassinat – comme toute aptitude requérant quelque compétence – n'a rien d'inné, et tout d'acquis. Sa maîtrise s'appuie sur trois piliers : l'éducation, l'application et la répétition."


Voilà la phrase mise en exergue sur la quatrième de couverture du second tome de Decorum. Lors de la chronique du premier volet, nous n'avions pas été très tendres (si vous ne vous en souvenez pas, venez donc chercher dans cet article votre ration de haine)... eh bien, sachez que ce sera sans doute pire encore cette fois. Les fans de ce dessinateur et, plus encore, de ce scénariste pourront bien dire ce qu'ils voudront... nous, on sort les lance-flammes !
 
Évacuons d'emblée la phrase mise en exergue... Les assassins que l'on met trois ans à former dans ce tome 2 (puisque l'on suit "l'apprentissage" de Neah au sein de la Sororité) maîtrisent tout au plus un pilier : celui du comptoir. D'éducation, ils n'en ont que trop peu, au point de n'en faire jamais qu'à leur tête ; d'application, ils n'ont que celle qui leur était naturelle avant leur formation et de répétition, ils n'ont que cette manie de tirer assez de balles dans leur cible pour la couper en deux.
 
Vous dites détecter de la mauvaise foi dans ces propos ? Oh, oui... vous considérez peut-être que la pauvre planche d'entraînement tracée à la va-vite et répétée trois fois en début d'album est convaincante pour signifier l'entraînement d'un assassin supposé être la crème de la crème du métier. Admettons... ça ressemble davantage à ces montages clipesques ridicules des films des années 80 supposés servir de présentation d'un travail de longue haleine (coucou, Rocky, Karaté Kid et autres films de mon enfance), mais admettons.
 
Il n'en reste pas moins que les formidables qualités de ces assassins que l'on nous vend ici sont à la mesure de la démarche de tout l'album : de grandes promesses pour n'assister au final à rien de très remarquable. Ici, on nous annonce les assassins les plus redoutables de l'univers et l'on voit des filles cribler de balles à bout portant des pauvres gars ficelés sur des chaises... et encore, quand elles osent le faire. Quant aux autres, ils sont d'une imbécilité effarante et tombent dans les pièges les plus basiques. Si c'est l'élite des assassins de la galaxie, j'imagine que les autres sont morts de s'être accidentellement logé une balle dans le front en nettoyant leurs armes.

Plus sérieusement, si toutefois traiter cet album avec sérieux reste possible (ses auteurs ayant épuisé toutes les postures disponibles pour vendre leur came en lui donnant un semblant d'aura de crédibilité, en vain) : Neha Nori Sood a donc intégré la sororité, la fameuse confrérie de tueuses dirigée d’une main ferme par Ma (sorte de grosse tarée se baladant non stop avec l'épée de Cloud de Final Fantasy VII lui barrant le torse). La jeune femme y apprend les différentes techniques (que l'on ne verra jamais en application) qui feront d’elle une meurtrière aussi redoutable que méthodique (sur le papier, parce que ça reste une gourdasse). Imogen Smith-Morley l’assiste à chaque épreuve de fin d’année sur l’exécution d’un contrat mais comme Neha dégobille ses tripes à chaque fois qu'elle voit un mort, il faut bien se résoudre à considérer qu'elle  n'est pas prête avant trois ans de formation.. 

Un jour, des émissaires de l’Eglise de la Singularité proposent à la sororité de partir en quête d’un œuf créé par les Mères célestes en échange d'un diamant de la taille d’une planète. Neha Nori Sood et les autres filles de sa bande d'éclopées professionnelles se dispersent donc partout dans l'univers pour mettre la main sur cet artefact. Sans aucun indice, sans aucune méthode, à la vas-y-comme-je-te-pousse.

Mais Neha va le trouver, cet œuf. Comment ? Bah, par hasard, là où elle se trouve... on va dire que c'est le destin, hein, à ce niveau-là ! La meuf regarde un bijou en vitrine (parce qu'elle est très concentrée sur sa mission) quand un voleur de sac en fuite la bouscule. Elle se bouffe la vitrine (la classe, ces assassins !), tombe en arrière où une voiture la renverse. Titubante, elle se redresse (quel charisme !) mais le sol s'ouvre sous ses pieds (non, on ne sait pas pourquoi, non) et elle tombe dans la flotte sous la ville... où elle voit un gigantesque polyèdre rosâtre. Elle sort de ce qui devait être un égout et se retrouve nez à nez (enfin, nez à façade) avec un bâtiment où est enchâssé le haut du polyèdre en question. Elle fait une ouverture dans le solide à l'aide de son canif laser (on sait, nous aussi, on est déjà largués à ce stade) et y pénètre. A l'intérieur, elle y découvre tout un biotope au sein duquel trône l'œuf convoité. Comme le contrat veut qu'elle tue la vie dans cet œuf, elle va bien entendu l'épargner (eh, c'est une professionnelle formée pendant trois ans, hein, pas n'importe qui !). Et pourquoi va-t-elle faire ça ? Ben, parce que l'occupant dudit œuf va s'avérer gaulé comme un dieu grec, tiens ! Oui, il a le crâne défoncé et ne parle pas bien mais il apprend très vite et va se révéler être le créateur du dieu de l’Église de la Singularité qui a pour but de reprogrammer sa création pour en faire un instrument amenant le Bien. Okay, pourquoi pas, on n'est plus à ça...
 
Les collègues de Neha vont vouloir la buter pour traîtrise mais comme ce sont des quiches et que les deus ex machina vont s'enchaîner, tout ira bien. Au final, elle essaiera de se faire passer pour morte mais n'y arrivera pas parce que retenir sa respiration sur une vidéo de dix secondes, c'est trop demander à une pro comme elle. Mais pas grave : elle va convaincre en un rien de temps toute la clique d'impitoyables assassins qu'elle a trahis de finalement l'aider dans une mission suicide d'attentat contre l'Eglise de la Singularité ; tout le monde accepte grâce à la seule force de persuasion du scénario. Restera à supporter ensuite le combat "dieu contre son créateur" le moins satisfaisant de l'histoire des combats en bande dessinée (voir l'image ci-dessus avec l'onomatopée "zzookk !") et un final d'une confondante banalité puis nous en aurons fini avec cette purge prétentieuse très loin de remplir la moindre ligne du contrat établi avec son lecteur.

Graphiquement, nous avons en la personne du dessinateur Mike Huddleston quelqu'un qui maîtrise son sujet, c'est indéniable : il use de multiples techniques, aborde plusieurs genres... parfois même au sein d'une seule et même planche. Tout ce que nous lui reprochions et tous les compliments que nous lui faisions dans la chronique concernant le premier volume reste d'actualité. Il fait pour le mieux avec le matériel qu'on lui demande d'illustrer.
 
Jonathan Hickman, lui, représente un autre genre de spécimen autrement plus contestable... Avec le premier album de ce diptyque, nous avions une narration inutilement alambiquée pour une histoire qui, au final, semblait relativement basique. À la lecture du second album, on se rend compte que quasi rien de ce qui a été mis en place avec peine ne sera jamais utilisé, qu'on nous a pondu un décor en béton pour accueillir une histoire en carton, que la situation initiale aura pris cinq fois plus de place que l'action, que la conclusion sera torchée en trois pages, qu'au final on nous a vendu comme magistral un comic book dont tout le mérite revient aux audaces graphiques du dessinateur qui a usé de mille stratagèmes pour tenter en vain de dissimuler la totale vacuité d'une histoire aussi prétentieuse que nulle à chier debout en pleine rue... Au final, ça pue l'esbrouffe et ça suinte de partout d'une autosatisfaction indue horripilante. 
 
Ce tome 2 devient une compilation de blagues éculées, de poncifs usés jusqu'à la cellule souche, de facilités scénaristiques, de contresens et de raccourcis proprement insupportable. Et c'est dommage. Parce que la patte graphique est là et, au service d'un bon scénario de S.F., nous aurions été plus que preneurs ! Mais il va malheureusement nous falloir nous résoudre à fuir désormais Hickman comme l'on tente quotidiennement d'échapper à l'ennui.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Huddleston sait dessiner, peindre, mettre en couleurs en cases, en pages et en images.
  • L'univers est bien planté et assez riche.
  • Les personnages sont plutôt bien caractérisés.
  • Hickman sait écrire... nous sommes persuadés qu'il connaît même son alphabet et possède des feutres de toutes les couleurs.
  • L'univers est inexploité.
  • Les personnages agissent trop souvent en désaccord avec leur caractérisation.


Stephen King : Après
Par

Sorti en 2021, Après est sans conteste un roman mineur dans le catalogue plus que rempli des œuvres de Stephen King (cf. ce dossier). Ses 330 pages n’ont ni la portée, ni la densité ni même le sense of wonder de ses textes les plus représentatifs. À vrai dire, au milieu des autres publications kinguiennes, il fait un peu pâle figure, surtout après un plutôt très bon L'Institut - et en plus, alors que sorti chez le même éditeur en France, il est un peu plus petit, ce qui fera rager les maniaques des étagères bien agencées. Pourtant, il jouit d’un atout majeur, d’une caractéristique particulière qui le rendent sinon indispensable, du moins intéressant à lire : il a été imaginé et rédigé par le créateur de Ça, de Salem et de La Tour sombre. Pour n’importe quel lecteur fréquentant à peu près assidûment librairies et/ou bibliothèques, cela représente déjà une motion de lecture obligatoire. Pour un représentant d’Univers Multiple, Axiomes & Calembredaines, c’est un incontournable, une mission impérative. Ouais, on est comme ça sur UMAC, et nous nous souvenons tous avec émotion du serment que nous prêtâmes naguère, dans un sombre sous-sol humide sous un fort obscur de la Ligne Maginot, la main gauche sur un exemplaire original de La Part des Ténèbres, la main droite levant avec fierté une canette de bière estampillée The Trooper… D’ailleurs Nolt, notre Grand Gourou, prétend que les statuts d’UMAC ont été décryptés à partir d’une copie en latin du manuscrit du Fléau. Allez savoir, si ça se trouve…

Et donc, avant d’aller plus avant, parlons d’Après. J’aurais pu me passer de ces jeux de mots laids mais l’auteur lui-même, par l’entremise du narrateur, ne se prive pas de s’y adonner. Par exemple, dès l’incipit :

Commencer par des excuses, je ne peux pas dire que ça me plaise – je parie même qu’il existe une règle contre ça, tout comme on nous interdit de finir une phrase par une préposition. Seulement voilà : je viens de relire mes trente première pages, et j’estime que je vous les dois bien, ces excuses. À cause d’un certain mot que j’emploie à tout bout de champ, un mot de cinq lettres qui n’est pas celui auquel vous pensez […]. Non, le mot dont je vous parle ici, c’est APRÈS.

Nous voilà prévenus. Et donc ainsi vous savez qu’il s’agit d’un récit à la première personne, dont le narrateur est également le protagoniste et le principal témoin. Jamie Conklin a vingt-deux ans, il est New-Yorkais et il va nous raconter une partie de sa vie, en commençant bien entendu par un événement de son enfance. Et c’est de cette façon qu’il achève sa préface :

À mon avis, ce qui suit est une histoire d’épouvante. À vous de voir.

Donc, j’ai vu, et j’ai lu. 

Et donc, non, pas vraiment. Enfin si, si on veut. Effectivement, le roman pourrait être rangé dans cette catégorie. Néanmoins, les vieux de la vieille ne trembleront guère devant ce témoignage d'un jeune homme se souvenant d'une époque pas si lointaine où, parce qu'il voyait les morts, il a été confronté à l'horreur. Parce que, c’est comme ça, Jamie voit les morts. Et ceux qui ont regardé Sixième Sens savent combien ça peut perturber un gamin.

Pour le reste, c’est du déjà vu, ou lu. On n’abordera pas de front les problèmes métaphysiques que cela soulève, et il n’y aura pas de course à la mort désespérée face à l’emprise d’une horreur indicible, ou le serment vibrant (tiens, on y revient) d’une amitié indestructible. Non, juste une petite histoire presque insignifiante – mais dont King sait à merveille magnifier chaque élément. De fait, ça se lit aisément, avec délectation, le long de ces tout petits chapitres (parfois une seule page !) narrés avec cette manière inimitable qu'il a de rendre ses phrases si réalistes et convaincantes, d'injecter ses références pop de-ci de-là afin d'enrichir son propos, de l'ancrer plus fermement dans une réalité si proche. Loin de son Maine coutumier,  il plante son décor dans la Grosse Pomme et s'en sort comme s'il y avait toujours vécu, nous invitant à tourner les pages avec délicatesse et talent.

Quand on a six ans et que c'est maman qui demande, on dirait oui à n'importe quoi. Sauf si elle nous commande d'aller au lit, naturellement. Ou de terminer notre assiette de brocolis.

Car mine de rien, le roman s’avère accrocheur. Non pas tant à cause du suspense (les ressorts dramatiques n’ont rien de neuf, et certains événements sont plutôt prévisibles) ou de l’aspect macabre (on est davantage dans de l’horreur sourde, avec une ambiance assez proche des séries comme The Haunting of Hill House) qui peut éventuellement traumatiser un gosse mais pas de vieux roublards comme nous, mais bien en raison de cette faculté qu’a Stephen King de partager avec un soin exquis les mille et un travers d’une vie quotidienne, ces petites joies et peines qui remplissent l’existence : entre les clins d’œil subtils mais pas trop pointus, les autocitations osées mais si pertinentes et un humour bon enfant à hauteur de garçonnet, on est vite pris au jeu dans cette histoire assez enlevée bercée de nostalgie lancinante. 

Une des pires choses quand on est gamin - peut-être même la pire de toutes - c'est la façon qu'ont les adultes de vous ignorer quand ils se noient dans leurs conneries.

Et là où les productions Netflix semblent un peu trop construites sur des critères un peu trop visibles, avec la bonne dose de représentants de toutes formes de minorités (ce qui les rend souvent un peu trop artificielles), King parvient à s’inscrire dans la mouvance actuelle avec aisance : la mère de Jamie, agent littéraire, a une petite amie qui travaille dans la police, et les relations que le jeune narrateur aura avec cette femme très « rentre-dedans » font une grande partie du sel du récit.

Un roman vaguement initiatique, plaisant à lire, qui fera doucement frissonner et parfois sourire. Une mini-série est en cours de production avec Lucy Liu dans le rôle féminin principal (à surveiller donc, même si les portages à l'écran des textes de King n'ont pas toujours été une grande réussite, cf. ce petit dossier). Les images en noir & blanc sont tirées d'une série limitée d'illustrations par Rob Gale.

J'ai découvert après que pas mal d'auteurs mouraient à leur table de travail. Une profession à risque, on dirait.

 


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Stephen King. 'nuff said.
  • Un roman agréable, relativement court (pour du Stephen King) et plutôt rythmé.
  • Une histoire de revenants traitée à hauteur d'enfant.
  • Des personnages dépeints avec minutie et justesse.


  • Des péripéties prévisibles.
  • King choisit de ne pas entrer dans l'explication des phénomènes surnaturels et opte pour l'angle du fantastique ordinaire. C'est parfois frustrant.
  • Un récit à la portée réduite, qui ne vaut que par sa narration.