10 "secrets" de fabrication sur L'Ombre de Doreckam
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Suivant le principe développé dans l'article que j'avais consacré à l'époque aux anecdotes concernant la conception de mon premier roman, Le Sang des Héros, je reviens ici sur certains éléments de L'Ombre de Doreckam. Je précise que c'est plutôt destiné à être abordé après la lecture du roman.
Hop, on se lance dans les secrets de Doreckam !


1. Doreckam est inspiré d’un village réel.
Doreckam est l’anagramme de Rodemack, petite commune de Moselle classée parmi les plus beaux villages de France. C’est un lieu à la fois joli et tranquille, disposant de la plupart des vestiges médiévaux et lieux décrits dans le roman. Ayant l’habitude depuis des années d’aller me promener le long des remparts de Rodemack, ceux-ci ont fini par m’inspirer cette histoire. Enfin, son début disons.
J’ai décidé de créer une ville imaginaire tout simplement pour pouvoir arranger certains détails selon mes besoins et, sait-on jamais, éviter de froisser certaines susceptibilités. 

2. L’Olsberg existe aussi…
Enfin, existait, même si le nom "olsberg" est inventé. Cette ancienne maison de correction, réellement reconvertie en centre d’apprentissage, a été laissée un temps à l’abandon avant d’être démolie. Elle ne se situait pas près de Rodemack mais à Guénange. Pour l’anecdote, des cercueils y étaient réellement fabriqués. J’ai eu l’occasion d’explorer le lieu, immense, de nuit, ce qui fut assez amusant. Le haut bâtiment avait une réelle « présence » et « pesait » littéralement sur le paysage. 

3. Les Mentors et les Ombres.
La caste des Mentors et la « race » des Ombres sont inspirées des termes utilisés par Vogler, dans son ouvrage The Writer’s Journey (cf. ce dossier), pour décrire certains éléments techniques d’une intrigue. Une autre manière de faire référence aux livres et à l’écriture, qui constituent la deuxième thématique forte du récit.

4. Multivers personnel…
Les Mentors et les Ombres sont également issus d’un univers de fantasy sur lequel j’effectue des travaux de recherches depuis des années. J’ai développé au fil du temps des cartes, personnages, races, coutumes, chants, technologies et des termes qui me permettront, le moment venu, de disposer d’une solide base pour construire et développer un long récit de fantasy. Disposant d’un large background, je n’aurai plus à m’inquiéter que de l’intrigue. Cela me permet aussi de parsemer mes histoires actuelles de diverses références, plus ou moins cachées, le but étant de relier (de manière indirecte) tous mes romans (voire mes nouvelles) à ce futur « grand » récit. Un peu ma « Tour Sombre » à moi. 
Il y a d’ailleurs d'autres références à ce multivers dans L’Ombre de Doreckam, l'une par exemple se situe dans l’un des graffitis du pont des Rimes. Deux nouvelles présentes dans le recueil Jour de Neige sont également liées à ce roman : Les Remparts de Doreckam et La Chose qui fit trembler d'effroi un Vampire.

5. Premier jet.
La première version de cette intrigue faisait émaner la menace directement des remparts et vestiges de Doreckam. Mais cela fonctionnait beaucoup moins bien. D’une part, je voulais que le lieu en lui-même reste agréable et protecteur, d’autre part, l’idée d’un bouquiniste m’a paru plus intéressante, ce qui a finalement installé la thématique du pouvoir des livres (qui sont dangereux entre les mains de l’albinos, mais se révèlent aussi salvateurs à certains moments). 

6. Les Horloges…
Bien entendu, c’est le temps dévastateur, le changement, « l’impermanence des choses » comme dirait Vik, qui constitue la première thématique du roman. De très nombreux éléments font référence à ce thème dans L’Ombre de Doreckam, que ce soit de manière évidente ou plus cachée. Par exemple, l’on peut noter :
- la conversation entre Vik et Serge, lorsqu’ils évoquent le destin de l’univers lui-même, qui devrait s’éteindre dans un parfait néant, froid et silencieux, ou même le temps aura fini par s’auto-dévorer (ce n’est pas très joyeux, je l’avoue, mais c’est supposément assez juste sur le plan scientifique) ;
- les allusions aussi aux changements et aux cycles avec les bandes des Échaux et des Archères, dont les rôles se sont intervertis entre les années 80 et l’époque moderne ;
- le moment de spleen de Vik, évoquant un Thionville dans lequel il y avait encore des librairies, des salles de jeux, des disquaires et des vidéoclubs ;
- les moments où Nolan (puis Niklas dans l’épilogue) se sent murir et pressent que les liens amicaux actuels finiront par se distendre, ou que les activités paraissant normales à son âge finiront par ne plus l’intéresser ;
- Inès, dont on a volé l’enfance et que l’on a artificiellement « propulsée » à l’âge adulte ;
- la lente décomposition de la bande contemporaine des Échaux ;
- les ruines de Doreckam ; l’Olsberg à l’abandon ;
- le concert rock à la Gargouille, composé de titres plutôt anciens ;
- le lieu de vie actuel de « l’Ogre » ;
- le pont des rimes, etc.

7. Un personnage évincé…
À l’origine, un personnage relativement important, portant le nom d’Edgar Norden, devait faire partie de cette histoire. Il rendait plus ou moins compte du point de vue des médias. Norden est en réalité un journaliste (imaginaire) de seconde zone, bossant pour une chaîne imaginaire également (bien que l’on puisse trouver sans problème des chaînes similaires dans les profondeurs des box), et qui présente une émission sensationnaliste (et totalement bidonnée) sur les phénomènes paranormaux.
Deux problèmes se sont vites posés avec ce brave Edgar. D’une part, ses apparitions ralentissaient clairement le rythme du récit. Certaines pauses sont parfois salutaires lorsqu’elles ont un but mais là, c’était clairement « forcé ». D’autre part, je me suis rendu compte assez rapidement qu’il détonait dans le paysage, et pas de la bonne manière. C’était le seul à n’être pas lié à Doreckam d’une façon ou d’une autre. J’ai donc prié Edgar de retourner dans mon tiroir et d’attendre patiemment son tour… car il est rendu à un stade de développement trop avancé pour que je ne l’emploie pas un jour.

8. Changement de nom.
Le nom de travail du roman, une fois sa rédaction vraiment lancée (dans sa version actuelle), était… Paperland
Très vite, j’ai senti qu’il s’agissait d’un nom provisoire. Plus j’avançais dans la rédaction du manuscrit, plus j’étais certain que le Paperland, lieu somme toute relativement secondaire, ne pouvait pas endosser le « rôle-titre ». Et puis, mes BD (ou projets de BD) ayant toutes des titres anglais (pour des raisons souvent très logiques), je voulais absolument que tous mes romans aient des titres français. 
"L’Ombre de Doreckam" s’est finalement imposé assez naturellement. J’ai tout de suite apprécié ce titre, surtout parce qu’il est très précis mais parfaitement flou en réalité tant que l’on n’a pas lu le roman, ce qui est plutôt rare. Cela rejoint aussi la thématique du changement, du temps qui passe et modifie tout : impossible de considérer ce titre de la même manière lorsqu’on commence le roman et lorsqu’on l’a terminé. 

9. Mon vieux bahut.
Le lycée Charlemagne de Thionville, dans lequel se situent deux scènes du roman, est un lieu réel que je connais bien pour l’avoir fréquenté quelques années. Par contre, je ne me suis pas basé sur des camarades de classe ou professeurs réels. Pour une raison fort simple et très pragmatique. Si l’un de mes personnages était inspiré par quelqu’un que j’aime bien, j’écrirais alors avec une sorte de « frein à main » mental, je ne me sentirais pas libre de lui faire subir n’importe quoi. Et si au contraire je m’inspirais de quelqu’un que j’aime moins, ce serait encore pire : j’ai besoin de comprendre, presque aimer, tous mes personnages pour les écrire convenablement. Je peux côtoyer longuement un Achil, même un Bartosz, parce que ce sont mes créations, mais cela serait beaucoup moins évident avec un véritable « salaud » du monde réel. Ceci dit, je n’en ai pas connu de ce « niveau », fort heureusement.
Bien sûr, cela ne veut pas dire que tout est inventé, l’esprit de certaines personnes, l’aura de certains lieux, l’impact de certains événements réels m’ont inspiré et servi de matériau fondamental, mais c’est tellement retravaillé et transposé que personne, si ce n’est moi (et encore !), ne peut identifier les multiples essences de bois dont sont faits les personnages que je maltraite.  

10. Un effet parmi tant d'autres.
Pour ceux que ça intéresse, je vais aborder un point technique, sur la manière dont on peut se servir de la forme pour renforcer le fond. C’est un exemple, parmi des centaines, qui permet d’illustrer l’importance du savoir-faire littéraire, souvent minimisé voire ignoré par les médias. L’aspect technique de l’écriture est primordial. Comme j’ai souvent tenté de le démontrer (dans ce dossier par exemple), sans technique, une histoire, même basée sur une supposée « bonne idée », s’effondre et ne peut atteindre son but. Il est donc important de savoir bâtir une intrigue, amener des rebondissements, installer un rythme, développer des personnages, imposer si besoin une identification, se servir d’effets à bon escient, etc. 
Je vais prendre un effet assez simple et connu pour illustrer mon propos : l’allitération. 
Alors, qu’est-ce donc que ce machin-là ? Eh bien, il s’agit tout bêtement de la répétition d’une même consonne au sein d’une phrase. Pour vous donner un exemple célèbre, l’on peut retrouver cet effet dans un vers de Racine : Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes. La répétition du son « s » est voulue, et en rapport direct avec ce qui est mis en avant (les serpents, dont on a l’impression, grâce à l’allitération, de reconnaître le sifflement). 
Cependant, attention, ce n’est pas parce qu’on connaît une figure de style qu’on va tenter de la caser n’importe où, pour faire joli. Il s’agit d’un outil qui a un effet. Vous ne donnez pas un coup de marteau sur un mur si vous n’avez pas de clou à y planter. Là, c’est pareil sur le principe.
Je vais prendre un extrait de L’Ombre de Doreckam pour expliquer un peu comment se construit ce court passage. Pour donner le contexte, un personnage se remémore son passé, et notamment son enfance, dans les années 80. Il est saisit par un puissant sentiment nostalgique et se rappelle certains films, certaines chansons…
[…] ces années-là lui manquaient. Presque physiquement. Comme si on lui avait arraché un membre. Comme si un médecin sadique l’avait amputé d’une partie essentielle de son être, le laissant boiteux et hagard. Parfois, comme ce soir, la nostalgie était si forte qu’il en avait la nausée. Il aurait aimé vomir le présent, se défaire de ses oripeaux puants, revenir en arrière. 
Avant. 
Scruter Vanessa se trémousser dans un sweat saumon, revoir les Rita Mistouko casser les codes et tarir les critiques, mater Maiden modelant le Metal outre-Manche, et Daho dodelinant pour un duel […]
C’est la dernière phrase qui nous intéresse ici. Il y est question de musique, et l’allitération, dans un premier temps, va permettre de placer un effet soulignant ce fait. La répétition volontaire du même son va produire une sorte de rythme, de musicalité, qui va entrer en écho avec le sens des mots. Dans un second temps, puisque le personnage évoque aussi l’extrême variété des genres musicaux à l’époque, plusieurs allitérations différentes vont être employées successivement, pour rendre compte de ce foisonnement. Vanessa Paradis permet une allitération en « s », puis les Rita Mitsouko engendrent une allitération très « dure », en « c » et « t », avant de passer à Maiden, avec une allitération en « m », puis Etienne Daho, et une allitération en « d ».
Cette accumulation n’est pas innocente, mais bien entendu, il ne s’agit pas de l’imposer au lecteur. On n’attend pas de lui qu’il se dise « tiens, une allitération », ça n’aurait aucun sens, mais plutôt qu’il se laisse emporter par la musicalité de la phrase, ce qui aura pour effet de souligner ce qui est dit, de rendre le texte à la fois plus efficace et agréablement « chantant ». 
Ne nous méprenons pas, l’allitération ici n’est nullement indispensable. Elle tend juste à soutenir le propos et le renforcer, tout en lui donnant un aspect plus mélodique et poétique. Ce qui convient bien à ce moment particulier, très introspectif. 
Voilà, je ne vais pas plus loin, mais je tenais à aborder cet aspect pour dévoiler une part de la réflexion et du travail technique qui sont indispensables à l’élaboration d’un récit. 


Si vous avez parcouru ce petit article sur les « secrets de fabrication » de L’Ombre de Doreckam, je suppose que vous avez lu ce roman, et je vous en remercie. C’est dans vos yeux, dans votre esprit, que vivent réellement Vik, Nolan, Inès, Mel et tous les autres. Tant que le livre est fermé, ils sont inertes. Et aucun effet, aucune allitération, ne peuvent changer cela. Mais lorsque vous vous installez confortablement, dans votre fauteuil ou sous la couette, et que vous tournez la première page, c’est là que la magie opère, c’est à ce moment qu’ils prennent vie.
Je ne fais qu’agir sur la forme de l’encre. C’est vous qui faites en sorte qu’elle coule dans les veines de ces personnages…


Crédit Photos : Tiffany Durr


La Nuit de la Goule
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Il est un monstre à l'origine des autres, un monstre dont personne ne soupçonne l'existence et qui est pourtant le seul à bien exister en ce monde. Dans son sillage, il laisse épidémies et corruption, de sa capacité à manipuler les corps des hommes, il fait naître des légendes. Vampires, zombies, momies, loups-garous...
Aucun n'existe. Seule existe la goule ! 


Nous avions déjà parlé d'un autre récit de Scott Snyder : Clear. Ce titre très hautement recommandable et très largement recommandé ici-même avait placé la barre très haut. Une goule peut-elle se hisser au même niveau ? C'est ce que nous allons voir de suite.

Tout débute par l'enquête de Forest Innman, passionné de cinéma alternatif et obsédé par un vieux film : La Nuit de la Goule. Oui, le comic porte le nom du film... Non, ça ne va pas simplifier la compréhension de notre chronique, bien vu ! Produit dans un studio ayant subi un incendie (tiens, tiens...), ce film reste incomplet, le feu ayant détruit une partie de ses pellicules (tiens, tiens, tiens...). 
Le récit commence avec Forest, en route pour une maison de retraite isolée de tout, accompagné de son fils Orson (personnage dont le prénom ne saurait en aucun cas être une allusion fut-elle discrète à Orson Wells... mais non, voyons, mais non... Dans ce comic qui rend hommage au cinéma d'après-guerre ? Allons, allons... hum...) qui l'aide à enquêter sur T.F. Merrit, scénariste et réalisateur du fameux film.
Vieux, amoindri et défiguré par les flammes de l'incendie, Merrit y est bel et bien résident sous le pseudonyme de Charles Patrick.
S'ensuit alors une conversation entre Forest et le vieil homme où l'on apprend que ce film est selon lui une reconstitution et non une fiction (tiens, tiens, tiens, tiens...). La goule serait une créature dont l'existence remonterait à la nuit des temps et dont on ignorerait le nombre d'individus en notre monde. À l'origine de tous les autres récits de monstres (une idée originale, ça fait du bien), elle serait en quelque sorte le monstre primordial. Quasi indétectable, elle n'est connue que d'une poignée d'hommes se divisant en deux camps : ceux qui veulent la détruire et ceux qui lui vouent un culte (faisant furieusement penser aux cultistes de l'univers de H.P. Lovecraft).
Après quelques flashbacks explicatifs et une courte recherche de la fin du film, quelques rebondissements et retournements de situation nous ayant poussés à dire : "Tiens, tiens, tiens, tiens, tiens...", le comic s'achève sur une fin classique au possible pour un récit fantastique de ce genre (tiens, tiens, tiens, tiens, tiens, tiens...).

Je vous espère suffisamment de pertinence pour avoir perçu le premier avis que nous émettrons au sujet de ce one shot écrit par Scott Snyder et dessiné par Fransesco Francavilla... Bien vu : c'est à peu près aussi original qu'un scénario du MCU ou que l'envie de mettre du sucre dans son café. Toutefois, ici, ça a du sens. En effet, ces 168 pages sont, sans nul doute possible, à voir comme un hommage à ce cinéma qu'elles abordent. Cinéma dont proviennent les clichés et autres codes utilisés ici à foison. À moins d'être vraiment novice en lecture ou visionnage de récit fantastique, il est donc assez peu probable que vous soyez extrêmement surpris par la tournure des événements de ce volume, ce qui le distingue déjà énormément de Clear qui, lui, avait à cœur de surprendre régulièrement son lecteur et qui nous prouve donc que leur auteur commun sait le faire... Il est par conséquent raisonnable de penser qu'il a ici usé de tous ces gimmicks d'écriture pour appuyer sur l'ambiance "vieux film fantastique". Et ça fonctionne parfaitement. 

Car, en effet, si la narration n'est pas désagréable, c'est bien ici l'ambiance que l'on va privilégier : tout suinte le malaise, la corruption, le doute et les faux semblants. Rien n'est fixe, stable ou établi. Même les relations entre Forrest et son fils ou sa femme sont instables et parfois amères ou agressives... tout est perpétuellement en train de changer, de muter, dans un carcan narratif pourtant très contraignant de par son classicisme.
Tiens, tiens, tiens (oui, j'arrête, d'accord !)... une mutation constante au sein d'un cadre rigide. Serait-ce une allusion à cette créature polymorphe capable de se cacher au sein d'un corps humain à la forme fixe ? Oh mon dieu ! Ce manque d'originalité apparent abritant un récit anarchique mais encadré par des codes d'écriture pourrait-il être une allusion métaphorique à la goule ? Oh ben ça ! Aurions-nous alors là un comic bien mieux écrit que ce que l'on aurait pu croire de prime abord ? Ben oui. 
Mais ce que les gogols retiendront sans doute est et restera que "c'est un peu convenu, hein ; on a lu ça cent fois !". Oui, Jean-Kévin, et c'est putain de fait exprès ! Parce que l'horreur, l'indicible (coucou, Howard Phillips !) n'est jamais aussi terrifiant que lorsqu'il est logé au creux de la normalité de nos habitudes, là où se relâche notre méfiance et où nous nous montrons plus vulnérables que jamais.

En un mot comme en cent : voici encore un récit convaincant de Scott Snyder (comme quoi, ce patronyme n'est peut-être pas si maudit que ce que le cinéma contemporain pourrait le laisser croire).
Il va nous falloir chroniquer chaque sortie du bonhomme éditée chez Delcourt, apparemment, tant il semble pertinent de vous conseiller la lecture de ses œuvres. Pour une fois qu'on ne nous prend pas pour des idiots, c'est appréciable, non, à presque 20€ le volume ?

Et en plus, cette fois, il est servi par le dessin et les couleurs (au nombre très restreint) de Francesco Francavilla. Et autant le dire d'emblée : lui en confier la tâche était carrément une bonne idée. Son dessin semi réaliste lui permet de  rendre crédibles les personnage mais aussi les créatures. Cet entre-deux reste habilement dans le thème du comic : au sein de ce graphisme assez convenu surviendront d'inattendues mutations de style, de formes, de couleurs, tantôt dégoûtantes, tantôt grotesques et préservées du ridicule grâce à cette esthétique frôlant le réalisme sans jamais prétendre y succomber.
Entre le rouge sang suggérant la guerre et la douleur et le jaune pisseux de la fin de vie, Francavilla intercale des bleus-gris d'une contrastante froideur et ombrés au noir pur. L'ensemble donne l'effet d'un film noir et blanc auquel aurait prêté de la couleur un disciple de l'apocalypse dépressif (oui, c'est un rien imagé). Les flashbacks sont, quant à eux, illustrés dans un sépia un peu sombre et terne qui ne laisse aucun doute quant à ses intentions. 

En conclusion : offrez-vous et offrez autour de vous Clear et La Nuit de la Goule. Il faut encourager au maximum les maisons d'édition francophones à publier ce genre de one shots bien moins caricaturaux et réducteurs de ce que peut être la pop culture que le ixième Batman ou Spider-Man (même si ces titres peuvent eux aussi être éminemment sympathiques).



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un hommage au cinéma d'horreur fantastique classique.
  • Une écriture et un dessin maîtrisés et dans le thème.
  • Sans conteste, une lecture agréablement dérangeante, comme il se doit.
  • Amélie Nothomb a toujours accès à des moyens d'expression... avouez que c'est une mauvaise nouvelle, même si ça n'a aucun rapport.

Dons, un roman d'Ursula K. Le Guin
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Décédée en 2018, la romancière et poétesse Ursula K. Le Guin est sans doute l'autrice la plus honorée et étudiée des Littératures de l'Imaginaire. Les livres de son cycle de l'Ekumen ou de Terremer ont accumulé les distinctions (des prix Hugo et Nebula à la pelle, et 22 fois le prix Locus !) qui lui ont permis d'acquérir un statut envié, transcendant la SF et la fantasy dont elle se réclame toujours sans toutefois être satisfaite de ces appellations. Délaissant, presque dédaigneusement, la hard science - et le technobabble qui en découle souvent - elle s'est attelée à dépeindre avec force détails des sociétés humaines riches et foisonnantes, s'intéressant avant tout aux personnages, à leur condition sociale, leur genre, leur destin et le lien qu'ils entretiennent avec leurs congénères, des caractéristiques qui lui ont valu le qualificatif de world builder attribué par de nombreux critiques outre-Atlantique, la plaçant dans la même veine qu'un Jack Vance ou une Marion Zimmer Bradley

Après une petite pause qualitative à la fin du XXème siècle, elle était revenue en 2004 à une fantasy assez proche de l'ambiance féérique et nostalgique des premiers récits de Terremer avec la "Chronique des Rivages de l'Ouest", éditée en France par l'Atalante à partir de 2010 qui propose avec le premier volume, Dons, un bel objet de 219 pages aérées, comme de coutume imprimées sur du papier de très bonne facture, dotées d'une agréable couverture légèrement vernie.

L'histoire se déroule dans les Entre-Terres, sises au nord-est des Basses-Terres citadines et industrieuses, une région agraire peuplée de clans respectant des modes de vie ancestraux, liés à la culture du sol et à l'exploitation raisonnée de ses fruits. Leurs chefs se distinguent par leur Don, un pouvoir parfois effrayant qui leur permet d’asseoir leur autorité sur leurs domaines et de faire respecter un fragile équilibre stratégique entre les familles dominantes. Orrec est le fils de Canoc, brantor respecté de Caspromant. Jeune homme amoureux des mots (sa mère, issue des Basses-Terres, lui a appris à lire), il a choisi délibérément, un jour, de s’aveugler : en effet, il a découvert qu’il maîtrisait le don de destruction et refuse d’en user, de peur de nuire à ceux qu’il aime…


Les habitués des chefs-d'œuvre que sont la Main gauche de la nuit ou les Dépossédés ne seront pas surpris par le rythme imposé par l'auteur, toujours aussi flegmatique et pesant, bien qu'heureusement dopé par la densité des chapitres et l'intelligence du découpage. Dons se laisse ainsi bercer par le tempo calme d’une chronique attachée aux détails parfois insignifiants mais si importants pour l’enrichissement de l’univers décrit, à ces petits riens qui agrémentent une vie. La majeure partie du récit est linéaire : Orrec raconte son enfance et son adolescence dans ces Entre-Terres farouchement agricoles et, par ainsi, très moyennâgeuses dans leurs principes. Seul le premier chapitre, qui se situe peu de temps avant la conclusion de ce roman, sort de cette ligne : du fait de l’irruption dans leur domaine d’un sympathique brigand en provenance des cités populeuses des Basses-Terres, le lecteur a la possibilité d’embrasser très vite, et aisément, l’essentiel de ce qui constitue l’équilibre géopolitique au sein de ces régions situées à mi-chemin de la mer et des montagnes dans lesquelles vivent des clans recherchant une forme de stabilité au travers de la perpétuation du Don (ce qui les pousse à éviter le formariage et à privilégier les liaisons consanguines). Le voleur pose des questions auxquelles Orrec et son amie de toujours Gry répondent avec la franchise de leur jeunesse. On apprend surtout ce qui fascine les ressortissants des autres territoires : ces pouvoirs mystérieux qui se transmettent de père en fils, ou de mère en fille. Dans la famille de Gry, ainsi, certains ont le don de parler aux animaux, de les entendre aussi (ce qui leur permet d’en rameuter parfois pour les chasses organisées par d’autres chefs de clan). D’autres brantors savent mettre le feu à ce qu’ils voient, briser les membres ou les volontés à distance (d’un mot, d’un geste, d’un regard), ou encore susciter une lame. Canoc, lui, est le descendant de Caddard l’Aveugle qui possédait le don de destruction. Orrec, le fils de Canoc, attend de pouvoir le maîtriser. Mais, alors qu’il atteint ses 15 ans, le Don ne s’est pas manifesté et son père s’impatiente. Tandis que Melle, sa mère, enlevée au cours d’un raid dans une cité du Sud, lui couche par écrit tous les contes et chants de sa jeunesse…


Une fois qu’on a passé les trois premiers chapitres, alors qu’on souhaiterait accélérer le mouvement, on s’aperçoit qu’on est happé par ce monde décrit avec tant de méticulosité et de poésie, dans une langue d’une rare élégance qui privilégie cependant l’intelligibilité. Dons est peut-être destiné à un public plus jeune (il est vrai que Le Guin avait délaissé la pure SF dans les années 80, pour se consacrer à une fantasy plus juvénile) mais il n’en garde pas moins un fort pouvoir de fascination. Pourtant, l'univers dans lequel évoluent Gry et Orrec est loin d’être glamour : les ressources sont faibles, on y cultive et élève ce que produit la nature, on entretient les liens avec les domaines voisins tout en renforçant les barrières et défenses – car les incursions, les pillages, s’ils sont peu nombreux, existent toujours et certaines inimitiés entre clans font redouter aux paysans et aux serfs (qui ne possèdent, eux, aucun don) de terribles ravages. 

On est loin de  l’heroic fantasy haute en couleurs : pas de monstres, pas de chevaliers en armure, et les héroïnes peu vêtues ne se jettent pas sur le torse musclé des héros forts en gueule et invincibles l'épée en main. Néanmoins, les valeurs sont les mêmes (on insiste sur les responsabilités qui accompagnent l’usage, voire la seule possession d’un pouvoir), et on s’éprend du caractère de la jeune et indépendante Gry, de la quiétude polie de la douce Melle, de la force tranquille de Canoc tout en passant par de nombreux états d’âme à propos de ceux d’Orrec, successivement fils obéissant et respectueux puis farouche et revêche. Parallèlement, au travers de ces souvenirs magnifiquement mis par écrit, transpire une réelle adoration pour les délicates merveilles de la Nature (ces petites cascades cristallines, ces landes brumeuses, ces chevaux tous dépeints avec un luxe inouï de détails) ainsi qu’un véritable respect envers le pouvoir des mots – lequel s’avère aussi créatif ou destructeur que la magie des brantors.

Dès lors, les choix opérés par Orrec surprennent rarement le lecteur non profane : il s’agit avant tout d’un récit d’initiation avec ses passages obligés, ses figures imposées. Néanmoins, on évacue la frustration de l’absence de réelle surprise car on prend un plaisir étonnant à lire le récit de ses années d’adolescent. Un premier tome réussi qui augure d'une série enthousiasmante.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une fantasy très accessible, aux codes connus et à l'univers facilement assimilable.
  • Une édition de qualité.
  • Un style riche et élégant, empli de poésie, s'attardant sur des détails qui enrichissent le contexte et les caractères des personnages.


  • Un rythme un peu languissant.
Batman : One Bad Day - Bane / Batman : One Bad Day - Mr. Freeze
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On continue avec les One Bad Day de DC publiés chez Urban Comics.
Cette fois, Bane se rachète et Freeze change le monde.



Bonjour à tous, habitants de Gotham ! Il y a encore des gens qui crèchent ici ? Mais vous êtes des malades ! Vous savez qu'il existe de par le monde des milliers de villes où aucun gars cintré n'essaye de vous refroidir en vous congelant ou de vous allumer au lance-flammes ? Il faut déménager avant que votre appartement ne vaille vraiment plus rien, les gars, sérieux ! Il reste surprenant que cette ville soit encore habitée par des victimes civils ! Précédemment, nous avons parlé de deux autres terreurs qui auraient dû vous faire acheter un aller simple vers n'importe quelle autre cité n'ayant pas besoin d'un schizophrène déguisé en pipistrelle pour suppléer sa police corrompue : j'ai nommé Le Sphinx et Double Face. Vous verrez dans notre article que si Le Sphinx s'offre un tome vraiment intéressant, Double Face est moins gâté. Et tant qu'à faire, vous y trouverez aussi l'explication du concept de One Bad Day... On ne va pas perdre de temps à répéter ça ici, je ne veux pas vous retarder dans votre déménagement. Parce que, vraiment : il faut partir, là, les gens !

Bane est un personnage de lutteur masqué dopé au Venin, un super-stéroïde transfusé dans son cortex cérébral, bien connu des fans de comics et plus encore des gens dans l'univers de celui-ci. Après tout, il est l'homme qui a brisé la chauve-souris. Littéralement, hein : il lui a pété la colonne vertébrale en la fracassant sur son genou dans une prise de catch qui doit se nommer "le brise-reins", sauf erreur.
Depuis, Bane reproduit cet exploit soir après soir sur des rings miteux, devant une foule visiblement pas vraiment très fan de Batman. Enfin débarrassé de son addiction au Venin, il s'est donné pour mission d'éradiquer cette drogue expérimentale militaire de la surface de la Terre et a même fait équipe avec le Dark Knight par le passé, pour ce faire. 
Dans ce volume, un jeune homme va vouloir lui vendre du Venin alors qu'il n'est supposé en rester nulle part. Il n'en faudra pas plus pour que notre montagne de muscles hypertrophiés se lance dans une nouvelle croisade d'éradication de ce fléau, relançant au passage sa rivalité avec Bruce Wayne, seul adversaire qu'il juge digne de lui et qui lui avait promis un combat loyal une fois le venin disparu. 

Joshua Williamson nous offre un titre bien écrit et fourmillant de références, où un Bane repenti fait ce qu'il sait faire de mieux : péter des bouches dans des effusions de sang. Car oui, la particularité de ce One Bad Day est sans doute celle-ci : son absence totale de concession. Son personnage central a beau être ici mu par de nobles intentions, il n'en reste pas moins un colosse s'adonnant sans retenue à l'hyper violence lorsque la situation l'exige à ses yeux... et la situation l'exige souvent, semble-t-il. En ce sens, nous avons donc là un récit qui, à l'instar de celui consacré au Sphinx, respecte la personnalité de son personnage central ; et ceci dans le fond tout autant que dans la forme.

En effet, Howard Porter nous offre un dessin anguleux, torturé, déchiré, cabossé et une mise en couleurs de Tomeu Morey dont la sobre efficacité sait se faire aussi parlante qu'un direct de Bane en plein foie. Notre catcheur n'y est plus aussi monumental que lorsque le Venin lui empoisonnait les veines mais il en est d'autant plus impressionnant et radical.


Mr. Freeze est loin d'égaler le gabarit de Bane. Le seul organe impressionnant chez lui est sans doute son cerveau. Bien conscient de cela, Richard (Dick Grayson), alors tout jeune Robin, va influencer son mentor masqué afin de le pousser à aider Victor Fries dans sa recherche d'un traitement pour sa femme Nora. Mais si, vous savez : Nora, son épouse malade et cryogénisée en attente d'un traitement futur pour son mal... 

Cette histoire a été vue et revue, écrite et réécrite... l'on se souvient même d'épisodes de la vénérable série animée Batman qui nous narraient déjà ces événements. Toutefois, cette version de Gerry Duggan apporte son lot d'originalités et de bonnes nouvelles : le concept One Bad Day y est respecté, de nombreux flashbacks d'une poétique mélancolie apportent des éclaircissement sur le passé de Freeze, l'on y découvre quelques aspects et compétences rarement exploités de notre Batman mais, et c'est là le point le plus rafraîchissant (haha) de ce tome, le jeune et pétillant premier Robin nous séduit avec toute sa candeur et son énergie ; il y a longtemps que les Robin ne sont plus taillés dans ce bois et, à la lecture de cet album, on se rappelle pourquoi et comment ce personnage a pu devenir le si sympathique Nightwing que l'on connaît désormais et dont nous faisions déjà les éloges en nos pages il y a quelques mois.
Enfin, Freeze y adopte pour la première fois un positionnement radicalement différent de celui qu'on lui connaît vis-à-vis de son infortunée épouse... Plutôt égoïste et passablement misogyne, ce nouvel éclairage efface un peu de la sympathie que l'on pouvait développer pour celui que la série dérivée nous décrivait quasiment comme un héros romantique - mais cela se fait au profit d'un gain d'humanité, en ce qu'elle a de plus mesquin et veule.

Matteo Scalera, pour sa part, nous offre un dessin très expressif et fleurant bon la nostalgie d'une autre époque des comics... le tout saupoudré d'une palette limitée, restreinte aux teintes hivernales et à leurs opposées les plus contrastantes, signée Dave Stewart. L'ensemble crée une impression globale d'œuvre intemporelle (et je sais que cette formule donne l'impression que j'écris dans Les Inrocks mais que dieux et diables m'en préservent !).


En résumé, nous avons là deux bons exemples de ce que peut donner ce concept de One Bad Day. Pour peu que ce soit bien fait, ce genre de stand alone est tout autant un exercice de style qui peut ravir les connaisseurs de l'univers qu'une porte d'entrée agréable pour les novices.
Nous vous recommandons tout autant la lecture de l'un que de l'autre, cette fois. Et c'est avec une confiance renouvelée que nous voyons poindre à l'horizon les tomes consacrés à Catwoman et au Pingouin




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Deux tomes respectueux du concept, comme de leur personnage central.
  • Des histoires intéressantes.
  • Des illustrations de qualité.
  • Pas grand-chose, sincèrement !
First Look : Les Casseurs
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Un First Look consacré à deux flics qui passent leur temps à bousiller de la belle mécanique : Les Casseurs !

Janvier 1973. Dans un train, le romancier et scénariste André-Paul Duchâteau et le dessinateur Christian Denayer évoquent de futurs projets. Au cours de la conversation, Denayer parle de son envie de démolir parfois les somptueux véhicules qu'il lui arrive de mettre en scène. Duchâteau, déjà scénariste de la série Ric Hochet, est enthousiasmé par l'idée et avoue qu'il souhaiterait écrire une série orientée action, avec des scènes impressionnantes, à la limite de la parodie. Le concept des Casseurs était né... (source : Intégrale Les Casseurs, tome 1).
Et ces casseurs, ce sont en fait deux flics américains : Al Russel, jeune officier inexpérimenté mais dynamique et élégant, et Petrus Brockowsky, dit Brock, un vieux briscard en surpoids, proche de la retraite. Tout le long des 21 albums que compte la série, les deux coéquipiers vont donc mener des enquêtes musclées et se retrouver au volant d'engins aussi rapides que divers. Et inutile de préciser que vu leur surnom, ils n'ont pas l'habitude de faire dans le subtil et sèment la destruction sur leur passage.

La première aventure, Haute Tension, présente les personnages et donne le ton. Al et Brock vont devoir mettre hors d'état de nuire un gang opérant à bord d'une Phantom mais, surtout, ils vont devoir coopérer, ce qui est loin d'être gagné. En effet, fonctionnant sur le principe du "buddy movie", la série va énormément jouer sur les différences de caractère des deux protagonistes principaux. Brock est un dur à cuire, casse-cou, bourru, peu respectueux des procédures, alors que Russel est un playboy, "bon élève" et plus calme. Leurs rapports vont évoluer, mais ils ne s'entendent vraiment pas dans un premier temps, au point d'envisager de quitter la police pour ne plus avoir à se supporter.



Cet antagonisme va souvent être source de gags, parfois fort bien mis en scène. Dans cet album, le saut de Brock sur le train, par exemple. Ou encore Brock prenant mal le fait que son coéquipier lui apporte des fleurs, alors qu'il est hospitalisé. Il lui demandera même de les jeter à la poubelle, tout en... claquant le cul d'une infirmière. Ah, l'époque était bien différente, on pouvait représenter une scène imaginaire, même un peu osée, sans assister au défilé des pleurnicheuses de service.  
Et bien entendu, outre les fusillades et poursuites, chaque aventure déborde de tôles froissées et de véhicules qui finissent à la casse. Rien que dans ce premier album, si j'ai bien compté, ce ne sont pas moins de huit voitures, quatre camions ou fourgonnettes, un bus, un train et une... cabine téléphonique [1] qui sont partiellement ou totalement détruits.

Voilà donc une bonne série franco-belge, mélangeant action bien bourrine et humour, le tout dans un contexte très "seventies". Les dessins sont efficaces et spectaculaires, les chocs et les divers dommages étant en général bien rendus. Les dialogues participent également à l'ambiance rétro, sans pour autant être surannés. La colorisation est un poil trop flashy, mais heureusement l'effet n'est pas accentué grâce au choix d'un papier mat. 
Notons que la série a été rebaptisée, dans les années 80, Al et Brock afin de ne pas associer les personnages aux bandes de trous du cul qui détruisent tout dans les villes dès qu'on leur fournit un prétexte, comme un match de foot ou la neutralisation d'un criminel. 
Enfin, si vous optez pour les intégrales (7 tomes, éditions Le Lombard), sachez qu'elles contiennent les habituels bonus (dessins, photos, anecdotes...). Ce n'est pas très dense, mais c'est un plus toujours appréciable, d'autant que le prix (21,50 euros le tome) situe cette intégrale parmi les plus intéressantes financièrement.

Une sorte de Shérif, fais-moi peur urbain et policier, mené par un tandem attachant.



[1] Note pour notre jeune lectorat : une cabine téléphonique est l'équivalent d'un "portable" fixe mais qui protège de la pluie et que l'on est obligé de prêter.  




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Les personnages principaux, très complémentaires.
  • Le côté bourrin et ultra spectaculaire !
  • L'humour.


  • Des intrigues parfois limitées, l'action étant clairement privilégiée.
Reckless #4 - Ce fantôme en toi
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Un épisode de Reckless dont le héros est absent. Original.
Et le plus ironique, c'est que ça en fait un bien meilleur Reckless !


En 1989, le fameux Ethan est donc absent ; il cherche un homme disparu à Los Angeles lors du tremblement de terre. C'est le moment que choisit une ancienne gloire du cinéma horrifique pour venir proposer un contrat à Ethan. Elle est donc naturellement reçue par Anna, la fameuse associée/colocataire/amie/on ne sait trop quoi d'Ethan.
Celle-ci va accepter le job qui ne semble pas être d'une grande complexité : il faut élucider le mystère de bruits étranges dans une villa d'Hollywood où a autrefois été perpétré un crime des plus ignobles. Evidemment, ça a toutes les allures d'une histoire de fantômes mais Anna ne croit en rien de tout ça et va rester cartésienne : il y a là des enjeux et des mystères bien humains concernant des gens bel et bien vivants... dont on espère qu'ils le resteront !
L'enquête la mènera à creuser dans l'historique de cette maison et de ses occupants, à poser des questions que certains auraient voulu ne jamais entendre et à mettre son nez là où l'on ne mettrait pas un pied botté.
Le duo Brubaker/Phillips livre ici son quatrième Reckless. La traduction en français du cinquième (Descente aux enfers, retraçant l'enquête d'Ethan à L.A.) est déjà annoncée et la série poursuit son petit bonhomme de chemin éditorial, sous les louanges quasi unanimes de la presse spécialisée. Nous avons toujours été, pour notre part, plus mitigés quant à la qualité de cette collaboration qui bénéficie selon nous d'une aura de respectabilité intimidante pour certains chroniqueurs (voir nos chroniques des tomes 1 et 2)... mais cet album, par son approche davantage féminine, son exploration, d'ailleurs, d'une féminité moins basée sur le cliché de la femme fatale et sa déambulation dans Hollywood ponctuée de clins d'œil au cinéma muet, est déjà bien plus intéressant. Sans toutefois se débarrasser pour autant de défauts endémiques rédhibitoires pour certains d'entre nous.


Si l'histoire, cette fois, a un réel intérêt et parvient à éviter de trop se rouler dans les clichés du polar comme un SDF dans du vomi de toxico, il reste le sempiternel souci du dessin de Phillips et ses Phillipseries : personnages difformes, parfois peu reconnaissables d'une case à l'autre...

Et Phillips senior (le fils est à la mise en couleurs mais nous y reviendrons) n'a même pas la possibilité de prétendre que les personnages sont perçus à travers les yeux de Barry Allen et que c'est déformé par les effets de la force véloce (on ne fera pas un article sur le thème mais c'est l'argument-massue-en-plastique choisi par Andrès Muschietti pour défendre tant bien que mal les effets spéciaux datés et mal finis de The Flash, sorti il y a peu... le type ne manque pas de souffle, il peut se mettre à l'apnée).
N'y allons pas par quatre chemins : pour un duo à la réputation si légendaire, Brubaker dépasse de peu le service minimum et Phillips livre un travail honteux et indigne des ventes que ne manquera pas de faire cet album soutenu par une cohorte de fanboys aveuglés qui feraient bien de lire autre chose, parfois, histoire de revoir leurs critères de qualité.
Reste à jeter un œil sur le travail du troisième bonhomme en la personne du fils Phillips : et... non. Non, on ne fera pas ça. Nos yeux en ont marre de ses aplats sans vie, de ses aberrations chromatique, de son recours au couleurs chaudes pour les ombres (c'est dégueulasse), de son habitude de se contenter du minimum pour remplir les traits maladroits de son paternel. Mettre ça en couleurs doit en effet être démotivant, c'est concevable... mais tu es payé pour ça, espèce de tâcheron, fais-le avec un minimum de soin (même si, restons honnêtes, certaines planches sont acceptables, comme celle ci-contre) !

Vous aurez le droit de trouver injuste cette diatribe, peu importe. Mais si sa hargne pouvait un rien compenser les panégyriques infondés dont ces trois messieurs se retrouvent systématiquement couverts à la sortie de chacune de leur collaboration, comme autant d'urophiles sous des golden showers, ce serait sans doute un pas en direction d'un meilleur équilibre. Excusez-nous d'être soucieux de la vérité et de la symétrie de notre petit taijitu personnel.

Pour résumer, si vous n'êtes en rien un esthète et qu'une enquête pas mal écrite remuant les travers du vieil Hollywood vous tente, ça peut faire le travail.
Si vous êtes un de ces malheureux collectionneurs compulsifs et que vous avez déjà les autres tomes de Reckless, faites-vous plaisir (Revendez les premiers ? Je rigole !).
Si vous êtes curieux et voulez savoir ce dont sont capables Brubaker et Philips... achetez Pulp, chez le même éditeur ! C'est autrement plus qualitatif !



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • C'est plus intéressant sans ce gros bourrin insensible d'Ethan.
    Anna est un personnage autrement plus subtil.
  • L'histoire tient la route et réserve même quelques bonnes surprises.




  • L'aspect visuel complet du machin est radioactif. Sauvons peut-être la couverture et quelques planches. Pour le reste, c'est indigne d'être à ce point encensé et à peine digne d'être publié.


Jour de Neige
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Hey les Matous ! Notre ami Nolt, alias Cyril Durr, sort un nouvel ouvrage percutant, avec suspense, frissons et quelques pointes d'humour au menu !


Un chasseur frappé par une révélation mystique en forêt et qui doit faire face aux conséquences d'un grave moment d'inattention. Un ado expatrié au Japon qui découvre que pour protéger ceux que l'on aime, il faut parfois leur faire du mal. Une jeune femme, victime de violences conjugales, qui croise la route de ce qui reste de l'équipage d'un avion en perdition. Un guerrier antique qui accepte par amour la destruction de son âme. Un brave Meusien, chargé de l'entretien d'un cimetière militaire allemand, pris dans un tourbillon de tragiques quiproquos. Un jeu de gamins innocents qui vire au drame. Une meute de loups devant faire face à la pire menace qui soit. Un chevalier, un elfe noir et un troll, unis contre leur volonté. Un vétéran des tranchées, se remémorant deux moments essentiels où Éole a changé sa vie. Un vieux vampire affrontant une entité terrifiante. Un astronaute devenant parano lors d'une partie de poker en apesanteur. Deux races numériques s'affrontant pour l'éternité. Un mafieux obligé de composer avec le complice maladroit d'un soir. Une fille des rues, perdue dans la violence du Dédale et sauvée par un scribe. Un officier du Troisième Reich sur les traces des Anciens Dieux.


15 récits de genre, allant du thriller terrifiant au polar humoristique, en passant par le drame historique, la science-fiction ou le steampunk. 15 pistes à suivre et explorer. 15 lieux où se perdre totalement… ou se retrouver un peu.

Notons que deux nouvelles de ce recueil ont un lien direct avec le roman L'Ombre de Doreckam : Les Remparts de Doreckam ainsi que La Chose qui fit trembler d'effroi un Vampire.


Préface par Roland Habersetzer
Illustrations de Daniel Gattone

Éditeur : 2T2N
Publication : mai 2023
Genre : recueil de nouvelles (fantastique, thriller, polar, SF...)
294 pages / 20 euros

Disponible dans toutes les librairies. 

Pour frissonner sous la couette et découvrir ces récits doux-amers, tendres ou sombres, il ne vous reste plus qu'à vous procurer un exemplaire de ce recueil chez votre libraire habituel. Bonne balade sous la neige ! 



Quelques sites où acheter ce recueil :



















Écho #15 : Coffret Anniversaire Lefranc
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On évoque aujourd'hui un classique de la BD franco-belge, sous une forme à la fois luxueuse et économique. Ça n'a pas l'air compatible à première vue, mais vous allez voir qu'en fait, c'est possible.

À l'occasion des 70 ans de la série Lefranc, de Jacques Martin, les éditions Casterman ont sorti l'année dernière un coffret regroupant les 13 premières aventures du héros. Ce coffret contient 2 tomes. 

Le premier regroupe :
La Grande Menace
L'Ouragan de Feu
Le Mystère Borg
Le Repère du Loup
Les Portes de l'Enfer
Opération Thor

Le second contient :
L'Oasis
L'Arme Absolue
La Crypte
L'Apocalypse
La Cible
La Camarilla
Le Vol du Spirit

Malgré le grand nombre de pages, chaque volume reste aisément manipulable et lisible (c'est quand même un peu le but). Il ne s'agit pas d'une intégrale classique, donc ne vous attendez pas aux habituels bonus, chaque tome regroupe uniquement les aventures citées (et contient les couvertures grand format).
Ces deux volumes, sobres et élégants, reprennent d'ailleurs les couvertures de La Grande Menace et de L'Arme Absolue, sans aucun autre marquage. Clairement magnifique !
Bon, par contre, le papier glacé n'est pas un choix très heureux. Les couleurs sont vraiment parfois trop vives et saturées. M'enfin, ça reste correct.

Venons-en au prix. Le coffret est vendu 75 euros, ce qui est une bonne somme, mais si on la met en rapport avec le prix des albums à l'unité (12,50 euros), on se retrouve avec une ristourne de plus de 50 %. 

Bref, un achat qui vaut clairement le coup, autant pour l'aspect collection que le côté économique. 
Et si vous ne connaissez pas du tout ce brave Lefranc, jetez donc un œil à ce First Look, où l'on présente en détail le premier tome.