Seven Sons
Par


L'excellent éditeur Huginn & Muninn nous propose un projet stimulant : de jeunes scénaristes qui s'associent à une ancienne gloire des comics (Jae Lee, dont le run sur les Inhumans est un succès critique incontestable) pour nous conter la venue d'un second Christ à l'orée du XXIe siècle.

Pour une fois dans la catégorie des prophéties bibliques, ce n'est pas la naissance de l'Antéchrist qui est anticipée, mais bien celle d'un "second fils de Dieu". Sauf que les impétrants sont sept, nés le même jour, d'une mère vierge, un 7 juillet de l'an 1977, sur chacun des sept continents. Sept fils potentiellement capables d'apporter sur Terre la prospérité promise, la paix et la moralité afférentes à ce royaume céleste annoncé de toute antiquité. Et des miracles à gogo, bien entendu.

Pourtant, tout le monde n'adhère pas à cette vision idyllique et, en parallèle de la montée d'un néo-christianisme écrasant les autres croyances sous la force implacable de la réalité (plus besoin d'avoir la Foi, la seule naissance miraculeuse de ces sept enfants suffit à convaincre la majeure partie de la population, qui n'attendait d'ailleurs que ce genre de signes divins) et multipliant de par le monde la construction de temples à la gloire des Sept, un mouvement de résistance se construit : les Gardiens d'Allah rassemblent de farouches opposants qui entreprennent d'assassiner ces "faux prophètes" avant leur avènement programmé. C'est ainsi qu'en 1999, il ne reste plus que deux de ces sept fils, et l'un d'entre eux, entouré d'un dispositif de sécurité renforcé, est sur le point, à la veille de son vingt et unième anniversaire, d'accomplir sa destinée au cours d'une cérémonie retransmise dans le monde entier depuis la Nouvelle Canaan (anciennement Las Vegas). Envers et contre tout. À moins que dans une ultime tentative, désespérée, les Gardiens ne parviennent à l'abattre - ou que la vérité sur l'existence même de ces fils de Dieu ne soit mise au jour - ou encore que cet étrange vagabond amnésique se réveillant au début de l'album ne vienne tout faire basculer. Sait-on jamais...

Découpée en sept chapitres (évidemment), l'histoire se suit avec attention, grâce aux nombreux mystères entourant tant la naissance des "Jésis" (sic) avec cet ouvrage d'un certain Nicolaus annonçant  leur venue (et propulsé instantanément en tête des ventes à l'instar d'un nouvel Évangile prophétique) que tout au long des attentats qui les ont frappés : les flashbacks à la pelle compliquent un peu la lecture, et quelques révélations obligeront peut-être les moins attentifs à revenir en arrière afin de vérifier un événement qui semblait fortuit (et notamment l'identité de l'inconnu du début). Cependant, ces artifices de narration ne sont pas rédhibitoires, et le découpage apparemment chaotique des cases sur certaines pages ne rend pas plus ardue la compréhension de l'intrigue. Si l'on comprend mal la pertinence d'un tel choix de présentation (hormis celle de faire penser à des vitraux post-modernes), ça reste nettement plus lisible que, par exemple, certaines planches d'un Dark Knight Strikes again, voire de Weapon X. L'aspect global des pages concernées est tout de même plaisant et donne une impression de majesté, voire d'énergie créatrice.
En revanche, le style graphique propre à Jae Lee peut sans aucun doute poser un vrai problème, voire carrément en rebuter certains sur le plan de la narration : si ses couvertures (reproduites à la fin de l'ouvrage) sont parfois sublimes, et s'il a été à l'origine de comic books magnifiques, il n'en va pas de même de l'intérieur de cet album, avec des personnages très difficilement reconnaissables, nantis de visages identiques et inexpressifs (il faut vraiment s'attacher à une coupe de cheveux ou une cicatrice pour parvenir à les distinguer les uns des autres). L'androgynie des Jésis demeure acceptable, après tout, cependant les personnages secondaires ne sont pas mieux lotis. Les rares scènes d'action sont proprement illisibles et l'encrage terne qu'a choisi June Cheung n'aide vraiment pas à rendre les planches les plus dynamiques intelligibles. L'artiste a sans doute ses aficionados, et bénéficie d'une aura peut-être justifiée, mais ses dessins - en dehors des pleines pages statiques souvent somptueuses - plombent nettement l'intérêt de l'album, qui s'avère pour le coup fastidieux à terminer.

Dommage, car l'entreprise était prometteuse, et, si l'on s'accroche, quitte à relire certaines pages précédentes dans le but de comprendre l'intérêt d'un objet particulier, d'un détail saugrenu, d'une affirmation pleine de sous-entendus, on s'offre un finale ambitieux, explosif et pernicieux, doublé d'un twist inattendu. Une œuvre audacieuse qui risque de faire grincer des dents une certaine intelligentsia, sous la forme d'une dystopie pointant du doigt les dérives toxiques des religions tout en laissant une (petite) place à ceux qui, sincèrement, luttent pour le bien commun, mais une œuvre difficile d'accès, donc, qui trouvera sans aucun doute des admirateurs chez ceux qui se sont écartés des comics mainstream.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un projet enthousiasmant.
  • Un album élégant, une édition soignée.
  • Une histoire intéressante, avec des implications osées.
  • Un récit déconstruit qui parvient à ménager pas mal d'éléments de surprise.


  • Un style graphique ruinant l'intelligibilité des actions et nuisant à la compréhension de l'intrigue.
Les Mystères du Meurtre
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Le premier crime a eu lieu à l'aube des temps, au Paradis. Vengeance, volonté divine et poésie sanglante sont au menu de ce comic intitulé Les Mystères du Meurtre.

Un jeune anglais se trouve dans la fournaise de Los Angeles. L'immense ville et la répétition, presque à l'infini, des mêmes boutiques, des mêmes maisons, le laissent songeur et perdu. Tard dans la nuit, il rencontre un vieux type qui, en échange d'une cigarette, va lui raconter une histoire.
Elle commence par un crime. Le premier a avoir eu lieu dans Sa maison. À cette époque, un ange attend dans une cellule vide de la Cité d'Argent. C'est Raguel. Le bras armé du Seigneur. L'instrument de Sa vengeance. L'univers n'existe pas encore. La mort n'est qu'un vague concept. Tout comme l'amour. Et pourtant, déjà, les sentiments vont faire leurs premières victimes. Pour Raguel, c'est une enquête au cœur de la fabuleuse cité qui commence. Il va aller jusqu'à interroger Lucifer, le capitaine des armées célestes, celui qui, parfois, se permet de marcher dans les Ténèbres qui entourent la cité.
La vengeance sera accomplie mais sera-t-elle juste ? Et si même les anges étaient au cœur d'un dessein qui les dépasse ?

Voilà un ouvrage qui date un peu et a été publié à l'époque par Semic. L'histoire est tirée à l'origine d'une nouvelle de Neil Gaiman, adaptée ici en bande dessinée par P. Craig Russell. Rappelons que Gaiman, chez Marvel, est l'auteur de titres tels que 1602 ou une version moderne des Éternels mais il est surtout connu pour Sandman, une œuvre fleuve devenue culte pour beaucoup. Ce n'est pas non plus la première fois que l'un des textes de l'écrivain est adapté en comics puisque l'on se souvient que Mike Carey avait assuré la scénarisation de Neverwhere. L'on retrouve d'ailleurs, que ce soit dans Sandman ou Neverwhere, des thèmes présents dans le récit dont il est maintenant question. 
Ambiance fantasy, références à certains mythes ou encore entités divines ne devraient pas surprendre les fans de Gaiman. L'histoire est assez courte (ah ben c'est une nouvelle !) mais bien ficelée. Surtout, la conclusion est habile et permet de découvrir d'autres meurtres bien plus atroces, perpétrés, eux, sur notre plan d'existence. La boucle permet même au lecteur de revenir sur les premières planches et de porter un tout autre regard sur les blancs qu'elles contenaient.

L'adaptation est plutôt de bonne facture, l'on peut notamment saluer les dessins de Russell, et ce bien qu'ils soient loin d'être parfaits. De nombreuses facilités (silhouettes un peu simplistes dès que les persos sont éloignés dans le plan, décors minimalistes, couleurs parfois un peu flashy) viennent parsemer les planches mais, malgré tout, ça fonctionne. Rien n'est jamais laid, au contraire, il se dégage un charme certain de la cité céleste lumineuse du dessinateur ou de son Los Angeles, beaucoup plus sombre. À la limite les fonds un peu vides et composés souvent d'un sobre dégradé de couleurs permettent de renforcer encore l'aspect onirique et hors du temps des événements.

Publié à l'origine par Dark Horse, l'ouvrage bénéficie, dans la collection Semic Album, d'un grand format, d'une hardcover et d'un papier glacé. Il fut à l'époque bradé en France dans certaines boutiques pour... 3,50 euros. Du Gaiman à ce prix là, ça ne se refuse pas. 
Une belle histoire, moins simpliste qu'il n'y paraît, et abordant sans avoir l'air d'y toucher des sujets de réflexion sérieux et passionnants.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une thématique originale.
  • Habile et profond.


  • Des dessins parfois approximatifs.
Joyeux Noël !
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Toute l'équipe UMAC vous souhaite de bonnes fêtes et, avec un peu d'avance, une excellente année 2024, pleine de belles surprises et de lectures fantastiques !

Pour l'occasion, vu que l'on est dans une ambiance festive et chaleureuse, nous vous offrons une grosse mise à jour de notre article : Le Désastre Panini.
Nous avons ajouté de nombreuses comparaisons VO/VF, des images et moult dingueries dont seuls Panini et son égérie, Geneviève, ont le secret. Régalez-vous, c'est cadeau (un cadeau qui nous a demandé tout de même un gros travail, mais qui demeure nécessaire afin d'étayer nos critiques).

Vous pouvez partager bien entendu cet article. Si on vous rétorque (on n'est pas à l'abri d'un ahuri) que c'est du troll, voilà la réponse : Quand Panini trolle ses lecteurs (ouais, il se trouve que Panini n'emploie pas des gens très futés pour tenir sa page facebook, étonnant non ?).

Et si on vous ment en vous répondant que Coulomb, c'est de l'histoire ancienne, voilà une longue liste qui devrait anéantir les arguments les plus fallacieux.

On se retrouve très bientôt avec des ouvrages édités par des gens sérieux !

Portez-vous bien les Matous, et Joyeux Noël ! Miaw !


Neverwhere
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Retour sur l'adaptation en comic du roman de Neil Gaiman, Neverwhere

La belle Porte court depuis des jours pour échapper aux assassins de sa famille. Blessée, épuisée, la voici perdue dans Londres. Lorsque Richard Mayhew la voit, il lui vient en aide. Cette décision va bouleverser son existence. Il va passer de l'autre côté du miroir et découvrir le monde oublié de Londres d'en Bas. Un monde dans lequel il va falloir échapper aux tueurs Croup et Vandemar ou à la hideuse bête de Londres. Un monde ou un ange détient un bien dangereux secret.
Mayhew avait auparavant une vie. Il a maintenant un destin.

Le scénariste, Mike Carey, commence par nous éclairer sur son travail dans une petite introduction où il rend hommage à Neil Gaiman et expose notamment sa vision de l'adaptation. Une vision d'ailleurs rassurante pour les gens qui craignent plus que tout ce genre d'exercice souvent source de profondes déceptions.
Mais intéressons-nous plutôt à l'essentiel, c'est-à-dire le contenu de ce gros volume Vertigo Cult édité à l'époque par Panini.

Les dessins sont de Glenn Fabry. Ceux qui avaient apprécié son travail sur les covers de Preacher pourront donc admirer plus longuement le talent de l'artiste. Il faut dire qu'il nous livre ici un univers dense, beau, très détaillé, et des personnages charismatiques. Certains plans, pleine page, sont d'ailleurs de pures merveilles. La scène où Mayhew, précédé de Carabas, descend une échelle vers Londres d'en Bas en donnerait presque le vertige.




Mais qu'est-ce donc exactement que ce Neverwhere ? Difficile de déterminer le genre autrement que sous l'appellation générique de "fantastique". Gaiman a composé ici un véritable conte moderne, peuplé d'une faune étonnante. Le Marquis de Carabas ou l'Ange Islington sont des exemples de ces êtres issus d'un monde onirique fascinant. Les noms de certains personnages (Porte ou encore Anesthésie) peuvent surprendre, tout comme leur accoutrement ou leurs mœurs, mais une fois le premier étonnement passé, l'atmosphère se teinte d'une poésie baroque qui enveloppe le lecteur presque à son insu.

Petit hic, au milieu de cette foule bigarrée et de la folie ambiante, Mayhew, qui fait à la fois office de héros et de narrateur, paraît bien terne. L'on a du mal à s'y attacher, encore plus à s'identifier à lui, ce qui a pour conséquence de rendre cette histoire, pourtant belle, peu intense, indifférent que l'on est au sort de ce londonien paumé entre deux mondes. L'impression qui se dégage une fois le livre refermé est du coup mitigée. Si le voyage était intéressant, l'on regrette de n'avoir pas pu s'immerger un peu plus dans la féerie ambiante. Mais dire de l'univers d'un auteur que l'on regrette de n'avoir pas eu plus l'impression d'en faire partie est presque plus un compliment qu'une critique.

Une histoire à savourer comme un rêve, peuplé d'impressions fugaces, et dont l'intrigue apparaît un peu faible en comparaison de la richesse des personnages et du monde décrit. 




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Des personnages fascinants.
  • Une ambiance onirique fort agréable.


  • Un héros manquant de charisme.
  • Une intrigue qui aurait mérité d'être plus étoffée.
La Vengeance du Comte Skarbek
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Bien qu’il existe en deux tomes séparés, et dans une intégrale incomplète, c’est avant tout de l’album de l’intégrale de 2018 dont nous allons parler ici. Car s’il est doté d’un scénario accrocheur empli de rebondissements et de références à la vie culturelle de la France sous la Restauration, et est fondé sur le principe d’une vengeance dont Le Comte de Monte-Cristo constitue l’incontestable archétype, cet album est d’abord le fruit d’une collaboration… et d’un pari. C’est aussi une œuvre ambiguë et hybride, pas totalement achevée et dont certains petits coquins attendent une version intégrale… encore plus intégrale.

Ça y est ? Vous êtes intrigués ? Alors plongeons-nous dans les arcanes de cette BD qui avait tout pour faire parler d’elle. Et commençons d’abord par le casting : à ma droite, Rosinski, exilé de sa Pologne natale avec un diplôme d’Académie des Beaux-Arts de Varsovie et qui vient de connaître la gloire et la consécration pour la série Thorgal rédigée par le grand Jean Van Hamme. Touche à tout et désireux de faire évoluer son style, il choisit de ne pas se reposer sur ses lauriers et entreprend de s’essayer à d’autres genres du neuvième Art. C’est à ce moment qu’il rencontre Yves Sente (avec lequel il devait plus tard continuer la saga sur le Viking balafré venu des étoiles). 
À ma gauche, donc, ce jeune scénariste qui s’est fait connaître en signant un scénario de reprise pour Blake & Mortimer et qui se voit proposer une collaboration pour un one-shot. Désireux de satisfaire le maître polonais auréolé de prix, il décide de coucher sur le papier les passions plus ou moins avouées du dessinateur afin de lui offrir sur un plateau le « scénario ultime » qui parviendrait à réunir dans un seul récit une histoire de pirates et une autre de cape et d’épée autour de peintures… érotiques.

Synopsis : Paris, 1843. Fraîchement débarqué des Amériques, un inconnu se faisant appeler le comte Skarbek décide d’acquérir des toiles du peintre Louis Paulus, toiles sur lesquelles le marchand d’art Northbrook possède un droit d’exclusivité. Grâce à l’appui de l’ancien modèle et égérie du peintre, la troublante Magdalène, le comte intente alors un procès retentissant au marchand, procès dans lesquelles de nombreuses révélations vont jeter le trouble dans la capitale encore meurtrie par les excès de l’Empire…

Des pirates, des brigands, des duels à l'épée et du cul... C’est ainsi (mais en d'autres termes) que Sente présente, dans son avant-propos de la réédition de 2018, la genèse de la gageure qu’a été la création de cette histoire. Toutefois, cela ne s’arrête pas à ce moment précis : à sa sortie, en 2004, le script fonctionne suffisamment pour remporter l’adhésion du public et le Grand Prix du Scénario à Bruxelles, pourtant il ne contient pas certains des éléments fournis par Sente. Car le dessinateur, peut-être trop timoré, a choisi de s’en passer. La réédition de l’intégrale n’apporte donc quasiment rien de neuf à ceux qui ont lu les deux albums – pour ce qui est de l’intrigue proprement dite – mais elle insère plus ou moins adroitement en plusieurs endroits du récit, stratégiquement choisis, des planches très olé olé. Ces dernière se repèrent vite : elles ne sont pas finalisées, nous n’avons droit qu’aux crayonnés d’un Rosinski qui couche avec passion sur le papier les fantasmes de son auteur. Des scènes très osées qui permettent de remarquer un changement dans la physionomie de Magdalène par rappoer à celle qu'elle arbore sur les planches définitives. Sans doute raviront-elles les amateurs d’actes sexuels dessinés car tout y passe ou presque. En revanche, leur intégration n’est pas toujours heureuse et peut même nuire à la fluidité du récit – sans parler du changement radical dans l’encrage. Cette rupture de ton a le don d’agacer, surtout si l’on commençait à se sentir à l’aise avec l’utilisation des couleurs directes, principe après lequel le dessinateur courait depuis un certain temps et qu’il reproduira par la suite sur Thorgal.


En dehors des planches supplémentaires, l’album est fort agréable à parcourir : les arrière-plans et les décors (les chambres luxueuses des hôtels particuliers, les rues d’un Paris en plein bouleversement, les scènes maritimes et leurs combats navals, la baie des pirates et le somptueux palais aux jardins luxuriants du chef corsaire Delfrance) sont rehaussés par une technique parfaitement maîtrisée et surtout un emploi judicieux de la lumière. Les marines ou certaines cases au crépuscule ou dans une aurore feutrée et embrumée font penser à du Turner, et les scènes de foule rappellent Delacroix. Incontestablement un album très graphique, profondément inspiré par la peinture pré-impressionniste. Mais il saura aussi flatter l’intellect et la culture du lecteur, qui y trouvera assez tôt quelques indices sur des personnages-clefs de la période ainsi que bon nombre d’expédients narratifs dont Alexandre Dumas, qui est d’ailleurs plusieurs fois nommé dans le script, se fera le parangon. Ce qui se présente assez tôt comme une histoire de procès se mue instantanément en chronique d’une vengeance, âpre et mûrement réfléchie, à la mesure des avanies dont l’accusateur prétend avoir été la victime : il ne faut pas beaucoup de pages pour voir le comte révéler sa véritable identité et découvrir comment l'infâme Northbrook l'a spolié naguère, le mutilant et le condamnant à l'oubli. Intrigué par ces affirmations péremptoires, le juge va laisser assez généreusement Skarbek narrer ses mésaventures - et elles sont nombreuses ! Le (faux) comte va ainsi s'épancher sur son passé et les circonstances qui l'ont fait fuir son pays natal, trouver refuge en France et entamer une carrière prometteuse d'artiste-peintre. Les retournements de situation abondent, et bon nombre de situations se résolvent dans le noir, à la nuit tombée : les silhouettes et les ombres s’entremêlent, et on règle ses comptes à coups de couteau et sans pitié.




Un album riche en anecdotes sur l’époque et en événements, où les personnages connaissent l’amour, l’amitié et la haine, se trahissent et se vengent, s’invectivent et se battent en duel ; un ouvrage plein de fougue et de sensualité où les canons tonnent en pleine mer. La vérité est mise à mal, les masques tombent et les langues se délient. Pour peu que l’on soit dupe, ébloui par le procédé, on ira de surprise en surprise et on admirera la pirouette finale, pleine d’à-propos et un brin tendancieuse. En revanche, on peut regretter aussi certains détails inutilement appuyés (servant à guider le lecteur ou à l’orienter sur une fausse piste) et une trame déjà vue et lue maintes fois. C’est alors qu’on se dit que ces fameuses pages de sexe, finalement, n’avaient pas d’utilité.  




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un bel album, dense et bourré de rebondissements.
  • Deux artistes au sommet de leur art.
  • Une histoire de vengeance pleine d'exotisme et d'anecdotes historiques.
  • Une époque foisonnante mais pas très connue.
  • D'innombrables références au monde littéraire et artistique de ce temps.
  • L'utilisation des couleurs directes qui donne un incontestable cachet aux planches.
  • Une histoire sans concession, à réserver aux adultes (surtout à cause des planches supplémentaires).


  • Malgré les retournements incessants de situation, la mécanique bien huilée rappelle aisément d'autres récits bien connus.
  • Les fameuses planches de sexe, inachevées, n'apportent rien d'autres que du voyeurisme parfois malsain.
Écho #28 : Points d'entrée dans le Disque-Monde
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Suite à notre récent article dans lequel nous vous présentions des cartes et encyclopédies du vaste Disque-Monde, nous avons reçu moult demandes et invectives nous suppliant de renseigner le lecteur, curieux mais décontenancé, souhaitant s'atteler à la découverte des 41 romans de Sir Pratchett.
Eh bien pas de panique noble aventurier, nous allons fournir pistes et renseignements !

Tout d'abord, il faut savoir que les nombreux romans (et nouvelles... et ouvrages annexes...) du Disque-Monde ne doivent pas nécessairement être lus dans l'ordre de parution. En effet, ils forment plusieurs sagas plus ou moins indépendantes, bien que savamment entremêlées. Ça a l'air compliqué, mais en fait pas tant que ça. Les romans sont divisés en "parcours" à suivre selon les différents personnages impliqués. L'on pourra ainsi s'intéresser aux soldats du Guet, aux Mages, à la Mort (qui est un personnage) ou encore aux Sorcières. 
Toutes ses "pistes" dont détaillées sur le guide de lecture de L'Atalante, reproduit ci-dessous (cliquez dessus pour pouvoir lire tout ça confortablement). 

En pratique, sachez qu'il existe deux recueils regroupant les trois premiers romans consacrés au Guet (Au Guet ! ; Le Guet des Orfèvres ; Pieds d'Argile) et aux Sorcières (La Huitième Fille ; Trois Sœurcières ; Mécomptes de Fées), cf. la photo ci-dessus. Bien entendu, les romans sont trouvables à l'unité, mais qui n'a pas envie d'exposer dans sa bibliothèque de si joufflus et épais ouvrages ? D'autant que les illustrations ont quand même de la gueule !

Bon, si vous vous sentez perdu au milieu de ces gardes, sorcières et autres traîne-savates, on vous conseille aussi le Vade-Mecum nec plus ultra, une encyclopédie très complète (mais plus austère, car moins illustrée, que les guides dont nous avons parlé ici). 

Allez, plus d'excuse, avec tout ça, vous voilà paré ! 


Click !


Rocketeer
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Loopings, espions nazis et jolies filles sont au menu de Rocketeer.

Cliff Secord est pilote au sein du cirque volant Bigelow. Le casse-cou est autant réputé pour ses voltiges que son caractère impulsif. Lorsqu'il découvre par hasard une sorte de mini-fusée, il imagine immédiatement quels numéros incroyables il pourrait ajouter à son show. Sa première sortie en public sera pourtant improvisée puisqu'il va devoir porter secours à un pilote qui n'a pas bu que du thé avant de décoller.
Cliff apprend peu à peu à manœuvrer l'engin, son ami Peevy lui confectionne un casque, le Rocketeer est né ! Mais déjà les ennuis se profilent à l'horizon. Les nazis sont sur les traces de l'engin expérimental, tout comme d'ailleurs son légitime propriétaire. Et pour ne rien arranger, Cliff doit également gérer sa relation houleuse avec la sulfureuse Betty, une starlette qui rêve d'une grande carrière mais se limite surtout, pour le moment, à poser pour des photos de charme, ce qui n'est pas vraiment du goût de son pilote de fiancé.
De Los Angeles jusqu'à New York, l'homme-fusée va bâtir sa légende...

Rocketeer est une série qui date des années 80 et dont scénario et dessins sont signés Dave Stevens. Cette nouvelle édition a été complètement recolorisée par Laura Martin (qui a notamment bossé sur l'adaptation en comics du Fléau de King), un signe de qualité donc. Et en effet, les planches sont magnifiques. Le trait de Stevens est d'une grande modernité et les nouvelles couleurs en font ressortir l'élégance et la finesse, que ce soit au travers des visages, des appareils volants ou des quelques jolies demoiselles (dont Betty, inspirée par Bettie Page) qui parsèment l'œuvre.




L'histoire rend hommage aux vieux pulps américains et aux BD d'aventures. Le personnage principal se sort de situations rocambolesques de manière assez spectaculaire, sans parfois trop de souci de réalisme. Les scènes de vols notamment sont plutôt parodiques : on s'accroche à une aile, on saute d'un avion à l'autre, on amorce une ressource au ras du sol tout en pétant le pare-brise du véhicule des bandits en fuite, le tout à bord d'un courtaud Gee Bee model R, dont la difficulté de pilotage est légendaire dans le milieu aéronautique. Fun et action prennent donc le pas sur la vraisemblance, ce qui se conçoit tout à fait dans ce genre de récit.

La narration est quelque peu vieillotte (en quelques pages seulement le héros est présenté, équipé et prêt à en découdre) mais, là encore, cela convient bien à l'aspect rétro de l'ensemble et au parfum si particulier des années 30. La psychologie des personnages est peu développée même si la seconde partie de l'ouvrage, avec la tragique histoire de Teena, s'avère un peu plus riche à ce niveau.
Reste que les lecteurs iront sans doute chercher dans Rocketeer un brin de nostalgie et de nombreuses péripéties, et si tel est le cas, le cahier des charges est bien rempli.

Ce comic a été adapté en version française par Delcourt en 2011 dans une édition plutôt luxueuse (hardcover, papier glacé) qui contenait également des illustrations originales issues de diverses séries, dont The Rocketeer Special Edition, The Rocketeer, The Rocketeer Adventure Magazine, The Rocketeer : Cliff's New York Adventure ou encore Amazing Heroes, ainsi qu'un dessin servant d'illustration aux cartes postales personnalisées dont se servait Stevens pour répondre aux fans.

De l'aventure old school, servie par de superbes planches.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Graphiquement superbe.
  • De l'action old school.
  • Gentiment sexy.


  • Des péripéties peu vraisemblables, mais c'est le genre qui veut ça.
L'Heure des Sorcières
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Retour sur un comic publié par Semic : L'Heure des Sorcières.

Fais attention à ton vœu car l'on doit tous répondre à l'heure des sorcières...
Pour certains, la partie commence avec un cadavre dans le coffre de leur bagnole, d'autres ont une valise pleine de billets ou un père absent. Les cartes sont distribuées. Il va falloir les abattre. Gérer son jeu. Comme dans la vraie vie, l'on peu tricher, mais pas trop.
Il y a longtemps, Amanda White a dû quitter l'Irlande pour traverser l'Atlantique. Il y a un peu moins longtemps, elle est morte, brûlée vive sur un bûcher en échange d'une promesse : celle de stopper, après sa mort, la chasse aux sorcières. Depuis, le temps a passé. Le rite wiccan a fait son œuvre. Mademoiselle White est de retour et une autre promesse est en passe d'être tenue. Celle de Gray. Un esprit ouvert. Un homme sage de 600 ans d'expérience. Un gentleman comme l'on n'en fait plus. Sa promesse ? Veiller sur Amanda. Pour toujours et un jour...

Il convient tout d'abord d'avertir certains lecteurs. Le comic dont il est question aujourd'hui risque de surprendre, voire même de décevoir. Car bien qu'il soit subtil, beau et original, il s'avère aussi terriblement confus dans sa narration. Mais lorsque l'on est dans les bonnes disposition, il passe comme une lettre à la poste (enfin, même mieux que ça si l'on tient compte des performances réelles de notre Poste). Pourquoi me direz-vous ? Et je reconnais que ça m'arrange bien que vous me demandiez pourquoi parce que j'avais un peu prévu de continuer l'article comme ça... bref, pourquoi ? Eh bien c'est ce que nous allons voir.




Tout d'abord, le scénario. Il est signé Jeph Loeb (Spider-Man : Blue, Batman : The Long Halloween) et se révèle pour le moins complexe. De nombreux destins sont entremêlés, des personnages dont on ne sait rien débarquent et se mettent au service de dialogues parfois fort peu évidents, bref, l'on s'accroche aux premières planches sans vraiment comprendre grand-chose ni voir vers quoi ce vieux briscard d'auteur veut nous amener. Et à un moment - et c'est un peu pour cela que l'on vous a mis en garde un peu plus haut - on lâche la rampe. On ne cherche plus à comprendre, on est dedans, comme dans un joli rêve confortable et ouateux à souhait. Cela n'a en soi rien d'inquiétant sauf que cette totale confiance, cette immersion dans la fiction, dépend en général tout autant de vos centres d'intérêt que de l'habileté de l'auteur. Et ce qui, chez certains, va passer pour une récréation d'une rare poésie peut fort bien, chez d'autres, n'être qu'un long et déchirant parcours du combattant. C'est typiquement le genre de livre où il ne faut surtout pas essayer de se raccrocher aux branches mais, au contraire, accepter de tomber.

Évidemment, la chute n'est pas inconditionnelle. On a beau mettre du sien, il est rare de se précipiter dans le vide juste sur l'hypothétique valeur accordée à un conteur. Heureusement, Loeb est ici admirablement secondé par Chris Bachalo. On connaît bien l'artiste pour son travail sur Amazing Spider-ManUltimate X-Men ou encore son excellent passage sur Doctor Strange. Son style est en général très facilement reconnaissable. Ses personnages dégagent une impression de puissance et un esthétisme musclé. À l'instar d'un Humberto Ramos, il joue souvent la carte de la disproportion, comme le prouve son Captain America dans Homeland, une série ou Steve Rogers est particulièrement charismatique mais inhabituellement massif.
Cependant, ici, il n'y a pas de gros bras à mettre en scène. Ni de flingues. Ce qui donne à l'artiste l'occasion de montrer une facette plus mesurée, moins attendue, de son talent, Gray et White étant, sans conteste, les personnages les plus réussis : à la fois humains et mystérieux, tour à tour séduisants ou inquiétants. Et que dire des décors... Bachalo réussit à imposer des ambiances feutrées et idéalement magiques, sans esbroufe et avec une simplicité au charme exceptionnel. Son New York de nuit est tout simplement fabuleux.

Ce récit aurait gagné à être plus limpide, c'est certain, mais il a le goût et l'odeur du thé chaud lorsqu'il fait froid dehors et que l'on peut admirer la neige tomber, bien à l'abri derrière une fenêtre mince mais efficace. Et la saveur du thé chaud en hiver, c'est sans doute ce qu'il y a de plus dur à exprimer en BD après la douceur d'une Guinness en été.
Une œuvre à part, qui ne convaincra pas tout le monde mais qui offrira de précieux et jolis moments pour peu que l'on soit disposé à se laisser envoûter.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Doux et enchanteur.


  • Une narration parfois confuse.
Caliber
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Avec Caliber : First Canon of Justice, voilà le mythe arthurien transposé dans l'Ouest américain. Un western épique mêlant six-coups et magie.

Telacoma, Oregon. Le capitaine Pendergon, de l'armée des États-Unis, doit faire face à une situation tendue. Un ranch vient d'être attaqué et tous les indices semblent désigner comme responsables les indiens de la réserve locale. Une rencontre entre les tuniques bleues et les klamath est organisée pour tirer les choses au clair mais, dans l'ombre, des êtres puissants ont tout intérêt à ce qu'elle se passe mal. Lorsque le premier coup de feu retentit, la confrontation commence.
Pendergon y perd la vie et laisse un fils derrière lui : Arthur.
Il ne le sait pas encore mais il est déjà recherché par Whitefeather, un shaman qui a pour mission de remettre un puissant revolver à celui qui méritera de le manier. Cette arme spéciale ne fonctionne que lorsqu'elle est portée par un homme juste au service d'une noble cause.
Pour Arthur il ne sera donc pas question de vengeance mais de justice. Une justice qui pourrait ramener indiens et hommes blancs sur un même chemin, celui de la paix.

Le genre western étant relativement délaissé par les éditeurs de comics français (exception faite de l'excellent Loveless par exemple), il faut donc aller se frotter à la VO pour sentir l'odeur de la poudre et le doux fumet du crottin de cheval. Et dans ce cas précis, cela nous amène à faire connaissance avec Radical Comics, un petit éditeur basé à Los Angeles et ayant tout de même déjà quelques séries à son actif.




Pour ce qui est de Caliber, la série s'est limitée à ce premier arc de cinq épisodes. Le scénario est de Sam Sarkar. Le type a bossé essentiellement pour la télévision et le cinéma et il s'attaque ici à un projet ambitieux, celui de transposer les légendes arthuriennes au Far West. Et même dans le nord-ouest plus précisément. Le choix de l'Oregon n'est pas innocent puisque cela permet d'utiliser des décors variés mais surtout enneigés. Certains personnages, comme Whitefeather, sont également plutôt originaux. Le shaman est en effet mi-indien, mi-français, ce qui lui permet d'être une sorte de trait d'union entre les magies européennes et amérindiennes. Et puis l'idée de départ, autrement dit l'existence d'un revolver forgé dans le même métal que la légendaire Excalibur, est franchement séduisante.

Visuellement, on peut dire que c'est joli. Le travail est effectué par Garrie Gastonny pour les dessins et Imaginary Friends Studios pour la colorisation. Le style est réaliste, avec de fort beaux effets de lumières et une peinture digitale venant magnifier les décors. Tout n'est pas parfait cependant. Les visages de certains personnages manquent de nuances et semblent parfois un peu trop lisses voire trop semblables. Quant aux scènes d'action, elles ne sont pas toujours très évidentes à décrypter, car si les poses ou les panoramas sont plutôt sublimes, les séquences où ça bouge un peu sont beaucoup moins maîtrisées. Tant que l'on est dans les reproches, la fin est un peu trop vite expédiée et manque de tension dramatique, comme d'ailleurs l'ensemble de la saga de manière générale. Un peu dommage pour un récit qui se veut épique. Même Arthur semble froid et peine à générer de l'empathie chez le lecteur. Au final, toutes ces petites imperfections laissent un goût d'inachevé dans des yeux qui étaient prêts à partir pour la grande aventure.
Notons tout de même le soin apporté à cette édition, avec hardcover, papier glacé et, en guise de bonus, une interview assez longue du scénariste.

Une bonne idée et un rendu très esthétique mais manquant de passion. Un peu d'âme n'aurait pas été de trop. 
Dommage qu'il n'y ait pas eu de suite car les possibilités étaient immenses.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le mélange western et légende arthurienne.
  • De belles planches.
  • Les scènes d'action, peu lisibles.
  • Un manque de lyrisme et de dramatisation nuisant à l'aspect épique que l'on était en droit d'attendre.
  • Pas de suite !

Philosophie en Comics
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Les héros du jour sont bardés de neurones puisque Platon, Nietzsche, Bodhidharma, Freud et quelques autres débarquent en force dans une bande dessinée retraçant leurs parcours exceptionnels de manière instructive et drôle.

La plupart des philosophes abordés ici sont très connus, au moins de nom, mais traînent parfois derrière eux une réputation d'austérité parfaitement injuste. Cela vient sans doute, en partie, de la manière dont ils sont enseignés. Aussi, tout comme Logicomix avait pu dévoiler le côté passionnant de la science, Super Philo (ou en VO, Action Philosophers) aborde les grands questionnements philosophiques avec une décontraction aussi sympathique que didactique.

Le scénariste qui a relevé ce petit défi n'est autre que Fred Van Lente, connu notamment pour, chez Marvel, son travail sur Amazing Spider-Man, Wolverine : First Class, X-Men Noir ou encore Marvel Zombies. En ce qui concerne les dessins, ils sont l'œuvre de Ryan Dunlavey, qui emploie ici un style simple et direct, venant parfaitement illustrer le propos en apportant un décalage qui tombe souvent juste et permet au lecteur de sourire, voire même de rire franchement de temps en temps.
Au programme, en plus des illustres noms déjà cités, l'on retrouvera également Ayn Rand, Thomas Jefferson, Saint Augustin, Carl Jung et Joseph Campbell.

L'ouvrage se présente sous la forme de courts chapitres qui sont concentrés sur la vie et la pensée d'un personnage particulier. Bien entendu, tout cela est très résumé, mais l'essentiel y est. L'on peut même découvrir des anecdotes assez étonnantes. Par exemple, le fait que Platon était avant tout un lutteur (assez balèze en plus apparemment) ou encore que Jefferson, tout en participant à la législature virginienne, trouva le temps de construire lui-même sa maison, d'ouvrir un cabinet de juriste, de devenir un violoniste accompli, d'inventer un bureau portatif, une nouvelle charrue et d'amasser une collection de plus de 6400 livres ! À méditer lorsque l'on pense parfois être surmené. 

Au niveau des idées, puisque c'est tout de même de cela qu'il s'agit, le contenu est relativement riche. Surtout, il n'est pas purement ethnocentré puisque l'on abordera même la très riche pensée asiatique. Cette manière très particulière de concevoir l'illusion du Moi et l'Éveil, ou Satori (des concepts relativement abscons pour un occidental), est plutôt bien expliquée, notamment grâce à l'utilisation de certaines énigmes ou paradoxes (Koan) propres à favoriser la méditation et apportant un peu de concret dans une vacuité de l'esprit qui reste probablement l'un des concepts les plus difficiles à appréhender. Évidemment, ça ne remplacera pas un ouvrage spécialisé sur le sujet, mais cela permet d'en saisir les grandes lignes.

Outre certains incontournables, comme Platon ou Nietzsche, les auteurs ont également accordé une place non négligeable aux fondateurs de la psychanalyse et de la psychologie analytique que sont Freud et Jung. Leurs divergences sont évoquées mais resteront sans doute un peu opaques pour les non-initiés. Pourtant, là encore, l'essentiel est exposé, que ce soit les réticences de la communauté scientifique de l'époque, un exemple d'interprétation des rêves, un schéma fort simple expliquant le mécanisme du refoulement ou la mise en scène du phénomène de transfert.

Au final, si l'on survole des sujets qui mériteraient chacun plusieurs livres afin d'en faire le tour, ce petit rappel - ou cette découverte pour les plus jeunes - s'avère bigrement intéressant et surtout très intelligemment conçu. L'humour dont font preuve Van Lente et Dunlavey rend non seulement l'ensemble très digeste mais permet également de rendre très accessibles des notions parfois un peu déroutantes. Ces introductions aux plus grands penseurs de l'Histoire sont si bien faites et si ludiques qu'elles peuvent sans problème être conseillées même à des enfants. Pour avoir un aperçu du style global et du décalage, jetez un oeil à la planche ci-dessus. Tout le monde n'accrochera peut-être pas, mais le contraste entre les théories, fort sérieuses, et leurs mises en situation s'avère souvent irrésistible.

Ce premier tome, en noir et blanc, a été à l'époque édité en version française par Milady et coûtait 9,90 euros.
Il regroupe les épisodes #1 à #3, parus aux États-Unis. D'autres épisodes, portant sur Aristote, Marx, Descartes, Wittgenstein, Kant ou encore, entre autres, Confucius, sont sortis en VO. Visiblement, ça n'a pas tellement pris de ce côté de l'Atlantique. Dommage.

De la philosophie comme elle doit être : captivante et séduisante.
Ce comic d'utilité publique est plus que vivement conseillé.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Intelligent. Et bien foutu, donc très accessible.


  • Un noir et blanc quelque peu austère.