Le Patient
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On évoque aujourd'hui un film disponible sur Netflix (et déjà diffusé sur Arte) : Le Patient

Voilà un film français, de Christophe Charrier, qui se veut intelligent (car il aborde mine de rien un sujet sérieux et passionnant) et qui flirte avec l'épouvante et le thriller. Une sorte de réconciliation entre film dit "d'auteur" et film de genre. Malheureusement, l'écriture est trop brouillonne pour que cette tentative de drame à suspense (ou de film d'horreur intelligent) aboutisse.
Pour une fois, nous allons quasiment révéler l'entièreté de l'intrigue dans cet article. D'une part parce que ladite intrigue est de toute façon ultra téléphonée, d'autre part parce que l'on va se pencher sur ses défauts, parfois importants, pour tenter de comprendre ce qui cloche dans cette histoire. 

Voyons déjà un peu comment le film est présenté. Thomas se réveille à l'hosto après un long coma. Amnésique, il découvre que ses proches se sont fait massacrer. Lui-même, gravement blessé, n'a réchappé au massacre que par miracle. Avec l'aide d'une psychologue, il va tenter de recouvrer la mémoire, de démasquer le meurtrier et de retrouver sa sœur, disparue.
Si l'on n'est pas trop nouille, on comprend qu'à partir d'un tel pitch, il n'y a que deux possibilités : soit Thomas est coupable, auquel cas il faut tout faire pour masquer cette évidence au spectateur ; soit il existe bien un tueur menaçant la vie de Thomas, auquel cas il faut faire croire que c'est lui qui délire.
Il pourrait encore exister d'autres possibilités, mais ce sont en gros les deux pistes principales. 

Dans ce récit, Thomas est bien le coupable. Vous allez me dire que c'est un peu dommage de le révéler, mais le problème, c'est que le film lui-même le révèle dès les premières scènes. Involontairement, certes, mais le résultat est le même. 
Pourtant, il y a pas mal de choses sympathiques dans ce film, à commencer par le casting, l'atmosphère générale et même certains plans plutôt léchés esthétiquement. Et la musique, notamment l'excellent titre interprété par Rebecca Williams (qui joue le rôle de Laura) : Baisers Bizarres. L'idée de départ, bien que déjà vue, n'est pas inintéressante non plus. C'est donc le scénario et ses gros sabots qui viennent gâcher l'ensemble. 

Donc, puisque Thomas est le coupable, le but est de nous faire croire l'inverse. De rendre tangible la thèse du tueur extérieur. C'est là que Charrier et Elodie Namer, la scénariste, se prennent les pieds dans le tapis. Leur objectif est de semer des indices permettant d'appuyer la révélation finale, mais sans balancer l'essentiel. Vous savez, c'est le moment où le spectateur doit se dire "ah, bordel, mais bien sûr !" alors qu'en réalité, les indices ne doivent être perceptibles qu'après révélation (c'est le principe du whodunit, on donne l'impression au lecteur qu'il peut résoudre l'intrigue, alors que toute la construction du récit l'empêche de se focaliser sur ce qui sera présenté plus tard comme des éléments permettant de trouver soi-même le coupable). 
Là, c'est tellement mal fait que, à moins d'avoir 10 ans ou de n'avoir jamais vu/lu une histoire de ce genre, tout est grillé dès le départ.



Prenons par exemple la scène où Thomas apporte un cadeau que sa sœur, Laura, remet à leur mère. Cette scène, elle n'a aucun sens. On voit tout de suite que quelque chose cloche, parce que l'on ne comprend pas pourquoi Laura a besoin de l'aide de son frère. On ne comprend pas non plus pourquoi ce dernier demeure silencieux tout le temps. Pour que ça fonctionne, il faudrait faire en sorte de donner du sens à l'attitude de Thomas et Laura. Ce qu'ils font doit pouvoir être "mal" interprété dans un premier temps par le spectateur, pour que la révélation finale vienne ensuite apporter la véritable grille de lecture. Là, c'est juste bizarre, donc trop louche pour ne pas éveiller l'attention à un moment où, justement, l'attention du spectateur devrait être au contraire détournée.

La suite est encore plus maladroite. Des phrases clés vont être balancées, l'air de rien, pour justifier après-coup le twist final. Le problème, c'est que ces phrases vont être immédiatement perçues comme étranges et importantes. Par exemple, la psy demande à Thomas ce que représente, pour lui, sa sœur. Déjà, la question pue du cul. Si sa sœur existe, ben... elle représente sa sœur, point. Mais la réponse de Thomas est encore pire. Le gars répond à la psy : "Tout." Au bout de 20 minutes de film, hein. Par la suite, le personnage dira encore "Laura et moi, c'est la même" (ou un truc approchant, de mémoire), des fois que l'on n'ait pas percuté. Le problème, c'est que ces phrases, ce ne sont pas des indices subtils qui sont censés passer inaperçus sur le moment, ce sont d'immenses pancartes décorées de guirlandes clignotantes. À ce stade, on ne sait pas encore qui n'existe pas, de Laura ou de Thomas, mais l'on comprend qu'il n'y a qu'un seul personnage.

La thèse est vite appuyée par un tas d'éléments évidents et lourdauds : Thomas qui est dans la contemplation muette lorsque sa "sœur" agit ; Thomas et Laura qui hurlent, ensemble et parfaitement synchronisés, au chien de se taire ; le tueur censé être inquiétant mais qui demeure une vague présence onirique, jamais incarnée véritablement...
Bref, non seulement la fausse piste n'est pas suffisamment crédible et étoffée, mais la "vraie" piste est d'une évidence enfantine à suivre et à comprendre. Et puisqu'il n'y a plus alors ni suspense ni crainte quant aux actions du soi-disant tueur, le film perd alors toute sa force et son mystère pour n'être plus qu'un vague récit, convenu et amer, sur un gamin victime d'un drame et des parents victimes eux-mêmes. On dirait du Dean Koontz (cf. cet article) tellement ce qui était présenté comme sulfureux se révèle au final gentillet, décevant et prévisible. 

La technique, en matière de récit, d'écriture, ben... ce n'est pas compliqué, mais c'est comme tout, ça demande un minimum de travail. Il ne suffit pas d'avoir une bonne idée pour qu'elle soit efficace une fois couchée sur le papier ou filmée. Il faut, pour la rendre intéressante, crédible et poignante, posséder un savoir-faire permettant de soigner la forme et de mettre efficacement en scène un déroulement de faits qui n'est, à la base, ni bon ni mauvais, seulement vecteur d'un éventuel potentiel que chaque auteur pourra ou non révéler et maximiser, en y insufflant sa "patte", sa signature. 
Et une insuffisance ou une maladresse ne sont pas des signatures, ce sont des fausses notes qui viennent perturber la mélodie. 

Le Patient n'est pas un mauvais film, il se laisse regarder et possède un certain charme. Et il fait même bonne figure si on le compare aux éternelles mièvreries indigestes estampillées Marvel ou Star Wars... [1] mais même s'il s'agit d'une bouffée d'air frais salvatrice dans un milieu vicié où les produits prémâchés et calibrés sont légion, cela reste malheureusement un film réalisé et écrit par des gens qui ne maîtrisent pas suffisamment l'art narratif pour installer convenablement des effets pourtant basiques et magnifier leur histoire. 
Bordel, on veut bien vous soutenir les gars, mais aidez-nous à vous aider !



[1] Ça reste des récits de "genre", il n'y a pas une différence fondamentale de nature entre les deux, mais une différence de traitement. Par contre, autant je préfère le skeid viking au navire de croisière géant ressemblant à un amoncèlement de blocs de cité, autant l'un comme l'autre se doivent de tenir la mer. Quand ça prend l'eau, ben, ça a beau être plus joli et partir d'une meilleure intention, ça reste mal foutu et impropre à tenir son rôle premier, à savoir flotter en ce qui concerne les navires de cette métaphore ou tenir la route en ce qui concerne les histoires que l'on écrit et que l'on filme. 


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Il y a sans doute beaucoup de bonne volonté là-dedans...
  • La musique est vraiment cool.


  • Tout est basé sur un twist que les auteurs (scénariste et réalisateur) échouent à masquer.
  • Des scènes ou dialogues très "appuyés", comme s'ils étaient destinés à des demeurés.
  • Des manques multiples, tant au niveau des personnages à peine esquissés que des fausses pistes insuffisamment étoffées.