Retroreading : Chants de l'espace, de R.A. Lafferty
Publié le
2.7.25
Par
Vance
Vous vous souvenez sans doute d'Ulysse 31, magnifique exemple de coproduction franco-japonaise avec un scénario élaboré, une direction artistique classieuse et une animation fluide. C'était au début des années 80 et le principe en était simple : transposer l'Odyssée d'Homère au XXXIe siècle. Dans l'espace. Avec des vaisseaux spatiaux pour remplacer les trirèmes (impossible d'oublier le design somptueux de l'Odysseus !), des races extraterrestres en guise de tribus, des robots comme soldats. Mais toujours des dieux, perfides et arrogants, qui n'acceptent pas qu'un mortel les défie. Fût-il un souverain. S'ensuivait donc un voyage de retour vers sa patrie (ou l'attendait la fidèle épouse Pénélope) semé d'embûches, de pièges mortels et d'ennemis implacables...
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L'Odysseus, le mythique vaisseau d'Ulysse dans la série animée. |
L'idée était bonne : de l'épopée, du suspense, de la magie, des personnages charismatiques, des drames auxquels s'ajoutent quelques éléments SF (astronefs, cyborgs et autres créatures, pistolet et épée-laser, champs de force, intelligence artificielle, jet-pack et autres joyeusetés futuristes) et des enfants, secondés par un adorable robot mangeur de clous histoire d'apporter une touche d'émotion et d'humour au contexte très sombre. Une production familiale qui ne prenait pas ses spectateurs pour des benêts et a été saluée par tous en de nombreux pays. Beau boulot M. Jean Chalopin ! Vous avez fait rêver des milliers de jeunes.
Cependant, cette bonne idée n'était pas nouvelle. Car un certain Raphaël Aloysius Lafferty avait déjà publié un roman reprenant exactement le même concept, et c'est de cette œuvre méconnue en France que nous allons parler à présent.
En 1968 paraissait en effet Space Chantey, qui ne fut édité en France qu'en 1974 aux incontournables éditions Opta, dans la regrettée collection "Galaxie bis". Lafferty est un auteur atypique qui s'est lancé dans la science-fiction sur le tard, sans pour autant épouser les thèmes et tendances de la nouvelle vague anglo-saxonne post-Dangereuses Visions.
Doté d'une vive imagination et d'un style bien à lui, riche d'allusions et de références, il a tout de même été suffisamment remarqué pour que certains de ses écrits soient nommés aux prix les plus prestigieux (d'ailleurs, une de ses nombreuses nouvelles décrochera le prix Hugo).
Son premier roman, traduit sous le titre Chants de l'espace, est généralement considéré par les puristes comme son plus représentatif. Et, dès son introduction, Lafferty annonce la couleur :
Et alors, est-ce que cela vaut le coup ? Sans doute, d'un point de vue culturel : un classique de la SF, qui se doit de figurer dans toute bonne bibliothèque spécialisée. Toutefois, sa lecture risque d'en faire déchanter plus d'un : là où on se serait attendu à une épopée grandiose avec un héros charismatique échappant à des dangers mortels dans le but de rejoindre sa tendre épouse harcelée par des prétendants, on se retrouve avec une sorte de comédie burlesque entrecoupée de passages lyriques, traitée un peu comme si Douglas Adams [1] avait réécrit Songe d'une nuit d'été [2]. C'est passablement déconcertant, d'autant que c'est traité avec une légèreté de ton qui embarrasse de prime abord : les personnages (présentés pourtant comme de farouches guerriers, l'élite des soldats de l'espace, revenant d'une guerre épuisante et ne souhaitant que le repos et la gloire) ont des réactions pour le moins puériles et tombent allègrement dans tous les pièges tendus, quant à la narration, elle ne s'embarrasse jamais de vraisemblance (tel héros mort revient quelques chapitres plus loin - l'auteur avouant que ce serait trop long d'expliquer comment il aurait ressuscité).
Alors certes, on sourira devant les efforts d'adaptation des Lotophages (une planète où le temps ne s'écoule que lentement dans la béatitude et la jouissance de tous les plaisirs), des Lestrygons (des Trolls se déplaçant sur des pierres en sustentation), des Sirènes, d'Atlas ou de Circé, mais transformer les troupeaux de moutons des Cyclopes en astéroïdes, c'est un peu fort de café - quand bien même ces astéroïdes seraient tout à fait mangeables.
Chaque chapitre s'avère une succession de saynètes nonsensiques dans lesquels le grand Roadstrum (le plus grand capitaine de vaisseau du cosmos, dont la réputation le précède) et ses fidèles compagnons devront davantage se fier à son arrogance, sa corpulence et son indécrottable confiance en soi plutôt qu'à la logique ou la réflexion (un seul membre d'équipage semble être doté d'une capacité de raisonner satisfaisante, mais il est rarement écouté). À chaque étape, l'équipage se réduit comme peau de chagrin mais on ne sait jamais vraiment combien ils sont ni combien il en reste et tout ce beau monde frôle la mort plus d'une fois, se retrouvant même en enfer, ou dans un succédané pas suffisamment terrifiant. Leur vaisseau, rafistolé à coups de marteau de troll, fonctionne parfois à l'envers et ils ont dû se faire greffer des langues de métal après un séjour délicat sur Lotophage. Néanmoins, en adaptant à leur avantage une technologie de fortune, ils ont pu maîtriser une forme de voyage dans le temps qui a permis à Roasdstrum de remporter le gros lot sur la planète casino.
Il faut admettre la truculence de certaines descriptions, mais on regrettera tout de même le manque de frissons, de suspense, d'épique de ces calembredaines bourrées de jeux de mots et de références pas toujours évidentes. L'âpreté de certains combats est régulièrement dynamitée par des dialogues parfois drôles, souvent pathétiques et des gags pas toujours très fins. Et aucun personnage ne dégage véritablement cette once de sympathie qui permettrait l'identification, en dehors peut-être de l'énigmatique houri qui les accompagne depuis leur première étape (Margaret, une femme qui parvient à se sortir seule des pires situations) ; les personnages secondaires et même certains des antagonistes sont souvent plus captivants que ces guerriers de l'espace en goguette.
Voilà un roman inclassable, qui ravira sans doute les amateurs de curiosité. À noter que la nouvelle Fusion de Piers Anthony, qui complète le livre dans la collection "Galaxie bis", se montre nettement plus rythmée et pose quelques questions bien pertinentes sur l'avenir de l'automobile : l'histoire d'une course impossible dans laquelle s'affrontent les prototypes des plus grandes marques de voitures, sachant que de leurs performances dépendra le chiffre de ventes. S'y affrontent des thermiques, des hybrides, des électriques et l'engin du héros, doté d'un moteur à fusion nucléaire. Classique mais palpitant.
[1] L'inénarrable auteur du Guide du voyageur galactique.
[1] L'inénarrable auteur du Guide du voyageur galactique.
[2] La comédie farfelue de Shakespeare dans laquelle un philtre magique sème la confusion dans les relations amoureuses entre hommes, dieux et autres créatures magiques.
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