mardi 20 juin 2006

Ceci est un compte-rendu des évènements étant survenus en Moselle, dans la région de Thionville, le mardi 20 juin 2006.
Il a été rédigé le lendemain par Nolt.


Hier une rumeur d’accident majeur, survenu à la centrale nucléaire de Cattenom en Moselle, s’est répandue dans toute la région de Thionville, de Metz et a même dépassé nos frontières en atteignant le Luxembourg. Plusieurs écoles ont été confinées et des milliers de particuliers ont vécu d’angoissantes heures en attendant finalement les premiers démentis.

Néanmoins, plusieurs éléments me paraissent, sinon louches, du moins étonnants dans le déroulement des faits ou dans la pertinence des explications fournies. Certains de ces éléments sont simplement des interrogations logiques que je me pose, d’autres sont directement issus de ce que j’ai pu constater personnellement (puisque, j’étais, bien malgré moi, plus ou moins dans l’œil de ce cyclone).

Tout d’abord, les faits, tels que je les ai vécus.

Il est 12h10, je suis certain de l’heure car je viens d’aller chercher mon fils à l’école, quand le téléphone sonne. C’est mon père qui m’appelle de son lieu de travail situé entre Thionville et Metz. Très vite, il me demande quelque chose d’étrange :
- Il faut que tu fermes les portes et toutes les fenêtres !
(par cette chaleur, je trouve ça plutôt marrant, je me demande en rigolant s’il va m’annoncer une invasion de sauterelles, je ne vais pourtant pas rire bien longtemps)
- Fermer les fenêtres, pourquoi ?
- Il y a eu un accident à la centrale, un accident majeur, on vient de l’entendre à la radio.

À partir de là, je ne vais plus rire du tout pendant les deux heures qui suivent. La centrale est proche, très proche à vol d’oiseau, or, un accident majeur correspond à une alerte 7 sur une échelle qui va de 0 à… 7 ! Le risque est donc maximum pour la population. Je raccroche le téléphone en tremblant un peu mais me reprends car je ne veux pas effrayer mes enfants.
En fermant fenêtres, portes et volets (je vais jusqu'à coller du scotch sur les aérations et interstices), je me demande combien de radiation cela peut retenir exactement. Pas tout, ça, j’en suis sûr. Je me souviens vaguement aussi avoir lu un jour que les effets dépendaient également du type de radiation, du temps d’exposition…  je pense un instant carrément partir mais sans savoir où se dirige le nuage, ce serait peut-être une solution pire encore que de rester là.
Il me faut des informations.
Je téléphone d’abord à ma femme, sur son lieu de travail, pour la prévenir. Heureusement, elle n’est pas très loin, si l’on doit évacuer, je serai vite sur les lieux. C’est là que me revient un souvenir du matin. J’étais allé sur Thionville faire quelques courses et j’avais remarqué que l’autoroute dans le sens Thionville-Metz était complètement bloquée. Les voitures étaient vraiment stoppées sur la route, complètement à l’arrêt (cette anecdote aura son importance plus tard). Dans mon esprit, pour l’instant, ça ressemble presque à des gens qui fuient.

Je vais passer les 40 minutes suivantes à essayer de joindre quelqu’un pouvant m’en dire plus sur la situation.
Je téléphone d’abord, en toute logique, à la centrale de Cattenom.
Il est 12h20.
Ça sonne mais personne ne répond. C’est les bureaux, ils sont peut-être partis manger, tout simplement…
Ou bien ils sont tous morts
Je téléphone ensuite aux pompiers de Cattenom. Là encore, ça sonne, et malgré le fait que ce numéro est celui d’un service d’urgence, personne ne répond.
J’appelle les pompiers du bled où j’habite, là je tombe sur une sorte de vieux qui a l’air passablement éméché et qui n’est au courant de rien.
La poisse !

J’appelle finalement les pompiers de Thionville et là, enfin, on me répond et la personne est au courant qu’il se passe quelque chose. Très vite, le gars me dit de ne pas m’inquiéter (ah, que j’aime entendre ça !) mais il rajoute ensuite :
- On est en train de faire des relevés, en attendant, il faut rester chez vous. Et fermez vos fenêtres !
Merde alors. Je ne dois pas m’inquiéter mais ce professionnel de la sécurité me demande de rester confiné chez moi. C’est ça qui m’inquiète justement !

Je cherche sur Internet des infos sur la centrale et là, je tombe sur un numéro vert dispo 24h/24. Je le compose, ça sonne et… rien, là encore, ça ne répond pas.
En fait, aucun des numéros que je compose sur Cattenom ne répond, c’est peut-être dû à l’heure mais pour celui-ci, ce n’est pas normal.
Je finis par rappeler mon père pour savoir d’où il sort ses informations vu que même les pompiers de Thionville ne sont sûrs de rien. Il me dit qu’en fait, c’est France Bleu qui a annoncé ça. Depuis son coup de fil, j’écoute France Info et ils n’ont rien évoqué concernant l’accident. J’ai également la télévision d’allumée, sur les infos régionales de France 3. Là, stupéfaction, ils annoncent une radioactivité anormale (4 fois plus que la norme) relevée sur Nancy dimanche dernier (nous sommes mardi).
Là, j’ai deux hypothèses grossières :
- soit Cattenom a effectivement un problème mais ça dure alors depuis le week-end
- soit ça ne vient pas de Cattenom et un nuage radioactif suit une sorte de ligne sud-nord (pour expliquer la direction Nancy-Metz-Thionville)
Je ne sais donc toujours pas quelle direction prendre dans le cas où il faudrait partir. J’ai juste l’impression d’être piégé chez moi, sans informations valables, sans savoir quoi faire.

Je finis par essayer de trouver des numéros de magasins sur Cattenom, histoire de voir si quelqu’un est encore là-bas, mais non, idée stupide, entre midi, je ne trouverai personne !
Il est maintenant presque une heure de l’après-midi. Sans espoir, j’appelle la mairie même. Après deux sonneries, j’entends une sorte de cliquetis, je me dis que je vais avoir un putain de message préenregistré mais non, quelqu’un répond !
La conversation est surréaliste.

- Oui, Hôtel de ville de Cattenom.
- Heu… bonjour, désolé de vous déranger mais heu… j’aimerais savoir si vous avez entendu parler de la possibilité d’un incident survenu à la centrale nucléaire ce matin.
- Non, non, ne vous inquiétez pas, il n’y a rien, on a eu Cattenom ce matin, ils n’ont aucun problème.
- Ah…
- On les voit d’ici d’ailleurs, ça fume (elle veut dire qu’elle voit la fumée blanche des cheminées de la centrale), tout va bien.
- Parce que, heu… les pompiers, eux, me demandent de rester confiné chez moi.
- C’est une rumeur, ne vous inquiétez pas, mais par contre, je vais prendre votre nom si ça ne vous dérange pas.
Bon, et là, elle prend mon nom et mon adresse.
Déjà, je m’interroge sur le cliquetis que j’ai entendu avant qu’elle ne décroche. Et si quelqu’un avait basculé les appels vers un autre standard, ailleurs que dans Cattenom, pour éviter la panique ? L’idée peut paraître ridicule, même paranoïaque, mais le jour où vous serez enfermé chez vous avec l’idée que dehors c’est la mort qui vous attend, vous verrez, plus grand-chose ne parait ridicule.

Je commence à avoir également des infos sur le Net.
Un communiqué de l’AFP, repris par un site de l’éducation nationale, fait état d’une rumeur concernant une alerte et des confinements d’école, certains parents n’ayant pas pu retirer leurs enfants à la pause de midi. Ce communiqué sera effacé du site quelques minutes après.
Je trouve le même genre de communiqué sur le site de France3. Il fait état d’une première explication globale : une rumeur serait partie des mesures anormalement élevées sur Nancy dimanche et surtout d’un exercice d’alerte nucléaire effectué à l’hôpital militaire Legouest de Metz. Quelqu’un, un parent d’élève travaillant à l’hôpital, aurait pris l’initiative de prévenir des écoles de la nécessité de confiner les élèves.

Sur le moment, je saute sur l’occasion de penser que tout cela n’est qu’une mauvaise farce, une erreur, un malentendu, et je m’en réjouis.
Mais… je ne suis pas trop convaincu quand même. Comment l’AFP peut-t-elle avancer une telle hypothèse si tôt alors que les pompiers de Thionville, eux, me demandent d’attendre chez moi ? L’explication arrive bien tôt et ressemble à un truc préparé pour gagner du temps. 

Je vais ensuite continuer mes appels téléphoniques, essayant de voir si d’autres personnes que je connais ont des infos plus précises que les miennes. Bien que je commence toujours par dire « apparemment, c’est une rumeur », je ne réussis surtout dans mes tentatives qu’à effrayer ceux qui ne sont pas au courant des évènements.
Il faudra attendre 14h40 pour que, rappelant les pompiers de Thionville, ceux-ci m’annoncent que leurs relevés sont terminés et que c’est « RAS sur tout le département » pour reprendre les mots du brave homme que j’eus en ligne.

Maintenant, avec du recul, certaines choses me paraissent néanmoins quelque peu bizarres.

- Comment un employé de l’hôpital militaire Legouest peut-il être ignorant d’un exercice prévu de longue date et qui nécessite une mobilisation de centaines de personnes ?
(j’ai moi-même participé à ce genre d’exercices dans le cadre d’une de mes activités professionnelles, je peux vous assurer que tout le monde est au courant du caractère fictif du binz) 

- Pourquoi ce même employé ne cherche-t-il pas à en apprendre plus auprès de ses collègues avant de prendre l’initiative de prévenir des écoles ?

- Les écoles prévenues demandent confirmation au rectorat, celui-ci confirme la nécessité de mettre les élèves en confinement suite à un problème survenu à la centrale de Cattenom. Si l’info est fausse, où le rectorat est-il allé la pêcher ?

- Comment la mairie de Cattenom peut-elle certifier qu’il n’y a aucun danger quand, dans le même temps, les pompiers de Thionville, eux, demandent de rester chez soi, fenêtres fermées ?

- Comment les fonctionnaires municipaux de Cattenom peuvent-ils être si mal informés sur le fonctionnement d'une centrale qu'ils en viennent à penser que le simple fait que les cheminées crachent de la fumée est un élément de sécurité ? (cela est dû évidemment au système de refroidissement, cela n'indique en rien que tout fonctionne au mieux)

- Pendant un moment, une autre rumeur va courir dans l’après-midi du mardi. Certaines écoles confinées l’auraient été à raison suite à un accident grave survenu sur l’autoroute, un poids lourd transportant des matières toxiques étant impliqué dans le binz. Cela ressemble à une tentative de justification des confinements scolaires confirmés par le rectorat car, au final, il ne sera jamais fait mention aux infos de ces fameuses matières toxiques. Normal, le fameux camion n’a jamais existé.

- Pourquoi ne pouvait-on contacter ni la Centrale ni les pompiers de Cattenom ?

Outre ces questions qui me semblent importantes, je tiens à rajouter deux faits mineurs mais qui me semblent intéressants :

- le mardi après-midi, vers 18h00 (après donc que nous pensons avoir la certitude que tout cela n’est qu’une rumeur), nous nous trouvons, ma femme et moi, dans un supermarché à Manom (non loin de Cattenom). À un moment (et vous conviendrez qu’en général, ça n’arrive jamais), il y a une coupure générale d’électricité. Cela ne dure qu’une ou deux secondes, tout revient puis l’on entend une alarme stridente et lugubre qui est également coupée au bout de deux secondes environ. J’ai donc la certitude que ce mardi, l’alimentation électrique était perturbée sur la région. Pourquoi ?

- le mardi matin, j’ai remarqué chez moi une sorte de mini-invasion de fourmis. J’ai déjà eu à faire face à cela, en vacances notamment, en général elles sont attirées par quelque chose de précis (poubelles, un morceau de bouffe, etc). Là, il n’y avait rien. Elles se contentaient de passer sous la porte et de venir dans l’entrée. Coïncidence ? Peut-être, mais ça commence à faire beaucoup pour une seule saloperie de journée.


Au final, je ne sais pas avec précision ce qui s’est passé hier. J’ai la conviction qu’il ne s’est rien passé de très grave, bien sûr, mais je me demande si l’on nous dit bien toute la vérité. La théorie de la rumeur est valable, très valable, mais les explications données sur son origine sont vaseuses et surtout très (trop) rapides.
Quoi qu’il en soit, je ne souhaite à personne d’avoir à vivre un tel scénario, qu’il soit réel ou supposé (et encore faut-il savoir qu’il est « supposé », car tant que l’on est dans le flou, tout est réel pour celui qui le vit).

J’ai été étonné de la réaction de certaines personnes suite à cet incident. Mon père d’abord, prenant tout cela à la rigolade (alors que c’est lui qui, au départ, me téléphone paniqué), ma femme également, me disant qu’il faut « relativiser »… bon. Moi je sais que j’ai vécu un moment désagréable, angoissant, pénible, où je ne savais pas quoi faire, quoi dire pour rassurer mes enfants, quoi décider, où aller, qui contacter… je peux en ricaner un peu, bien sûr, mais je n’oublierai jamais ma main tremblante quand, à 12h11 le mardi 20 juin 2006, j’ai raccroché mon téléphone en étant persuadé qu’un accident majeur avait eu lieu à la centrale de Cattenom et que j'allais devoir tout faire pour sauver mes enfants, âgés de 12 et 8 ans.
Je n’en suis pas traumatisé pour autant, mais je trouve que les explications fournies sont faibles et pleines de trous. On nous parle aux infos d'écoles confinées par erreur, de parents n'ayant pas pu récupérer leurs gamins à midi, je me demande combien de gens, comme moi, ont passé plusieurs heures à attendre des nouvelles des autorités ou des médias. Je me demande aussi surtout combien de temps tout cela aurait duré sans les pompiers de Thionville (qui eux m'ont toujours paru crédibles car ils n'ont évoqué ni rumeur ni réel incident avant d'avoir pris leurs propres relevés).

Hier, je me suis retrouvé dans un mauvais film apocalyptique.
Et je n’ai pas aimé ça.