Seigneur de lumière
Par
Etre dieu est une des plus anciennes professions du monde.


A la glorieuse époque de ma boulimie littéraire (et sciencefictionnesque), Seigneur de lumière, le roman multi-primé de Roger Zelazny (davantage connu dans l’hexagone pour sa saga sur les Princes d’Ambre), avait su provoquer en moi cet enthousiasme teinté de vénération pour l’œuvre dans son ensemble, qui avait su me fasciner tant par les sujets abordés que par le style très riche et bondé de sentences exaltantes.

Grand amateur de mythes, dans lesquels il puise abondamment la matière de ses ouvrages principaux, Zelazny s’est cette fois penché sur le panthéon hindou, et raconte une véritable saga haute en couleur naviguant entre space opera et récit initiatique. L’action se passe sur un monde qui se prépare à une révolte tant théologique que spirituelle : l’un des dieux régnant sur les mentalités humaines décide qu’il est temps pour les mortels de partager les secrets savoirs que ses pairs détiennent. Car ne sont-ils pas tous (de Brahma à Vishnou ainsi que lui-même, qui a porté plusieurs noms, dont celui du Bouddha) que de simples conquérants venus de l’espace dotés de moyens technologiques impressionnants qui leur confèrent l’immortalité et des pouvoirs fantastiques ? L’heure de la vérité a sonné et Sam se fait fort de la communiquer aux hommes, quitte à trahir les siens, farouchement ancrés dans leur hégémonie - et notre dieu renégat devra se trouver de puissantes alliances afin de tenter de renverser cette théocratie, allant jusqu’à braver la mort elle-même.  

Seigneur de lumière, malgré sa densité, son caractère parfois trop didactique, ses dialogues vaguement philosophiques, s’est avéré un livre immédiatement palpitant, foisonnant, riche en citations tirées des grands ouvrages fondateurs de la culture indienne, dans lequel on ne peut que prendre fait et cause pour ce héros particulier, ancien conquérant sous le nom de Siddharta, respecté sous le nom de Bouddha, adoré sous celui de Mahasamatman mais qui préfère désormais, et plus humblement, se faire appeler Sam. A la manière d’un Prométhée équivoque, il va provoquer le Panthéon, persuadé que la chute des dieux doit être la condition nécessaire à l’amélioration de la condition humaine. Certains sont prêts à le suivre, mais il lui faudra déployer des trésors d’ingéniosité et de persévérance pour espérer vaincre ses anciens associés qui tiennent toujours à leur statut divin, enfermés dans le vaisseau qui leur sert d’Olympe inviolable.

Entre intrigues retorses, alliances contre-nature et combats dantesques où les pouvoirs apocalyptiques des Attributs se déchaînent, ce roman de fantasy sur fond de SF est une fresque baroque et stupéfiante qui demande tout de même un gros appétit de lecture (Zelazny n’est pas avare de phrases alambiquées et se la joue un peu Salaambô). Néanmoins l’œuvre procure des moments d’une rare intensité, où les amours et les haines de ces super-héros cosmiques servent de toile de fond à une épopée élégante et maîtrisée. Sam, à l’instar du Richard Francis Burton dépeint par Farmer dans le Monde du Fleuve, devient instantanément un héros moderne, puissant mais vulnérable, mû par une volonté inébranlable et doué d’un charme irrésistible. Le titre n’aura pas volé son Prix Hugo en 1968. 

 J'arracherai ces étoiles au ciel et je les jetterai à la face des dieux, si c'est nécessaire.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Très riche en personnages et en intrigues.
  • Une façon intéressante d'aborder l'hindouisme.
  • Une alternance équilibrée entre moments de réflexion et déferlements titanesques.
  • On en ressort enrichi, voire illuminé.
  • Un héros instantanément charismatique.

  • Des lourdeurs dans le style, avec des phrases multipliant les propositions.
  • Une multiplication des noms et des lieux qui semble anarchique et pousse parfois à revenir en arrière dans la lecture.
  • Quelques légères frustrations avec certaines ellipses.