Seigneur de lumière
Publié le
10.5.16
Par
Vance
Etre dieu est une des plus anciennes professions du monde.
A la glorieuse époque de ma boulimie littéraire (et sciencefictionnesque), Seigneur de lumière, le roman
multi-primé de Roger Zelazny (davantage connu dans l’hexagone pour sa saga sur
les Princes d’Ambre), avait su provoquer en moi cet enthousiasme teinté de
vénération pour l’œuvre dans son ensemble, qui avait su me fasciner tant par
les sujets abordés que par le style très riche et bondé de sentences
exaltantes.
Grand amateur de mythes, dans lesquels il puise abondamment la matière de
ses ouvrages principaux, Zelazny s’est cette fois penché sur le panthéon
hindou, et raconte une véritable saga haute en couleur naviguant entre space opera
et récit initiatique. L’action se passe sur un monde qui se prépare à une
révolte tant théologique que spirituelle : l’un des dieux régnant sur les
mentalités humaines décide qu’il est temps pour les mortels de partager les
secrets savoirs que ses pairs détiennent. Car ne sont-ils pas tous (de Brahma à
Vishnou ainsi que lui-même, qui a porté plusieurs noms, dont celui du Bouddha)
que de simples conquérants venus de l’espace dotés de moyens technologiques
impressionnants qui leur confèrent l’immortalité et des pouvoirs fantastiques ?
L’heure de la vérité a sonné et Sam se fait fort de la communiquer aux hommes,
quitte à trahir les siens, farouchement ancrés dans leur hégémonie - et notre dieu
renégat devra se trouver de puissantes alliances afin de tenter de renverser
cette théocratie, allant jusqu’à braver la mort elle-même.
Seigneur de lumière, malgré sa densité, son caractère parfois trop didactique, ses dialogues
vaguement philosophiques, s’est avéré un livre immédiatement palpitant,
foisonnant, riche en citations tirées des grands ouvrages fondateurs de la culture indienne, dans lequel on ne
peut que prendre fait et cause pour ce héros particulier, ancien conquérant
sous le nom de Siddharta,
respecté sous le nom de Bouddha,
adoré sous celui de Mahasamatman mais
qui préfère désormais, et plus humblement, se faire appeler Sam. A la manière d’un Prométhée équivoque, il va
provoquer le Panthéon,
persuadé que la chute des dieux doit être la condition nécessaire à l’amélioration
de la condition humaine. Certains sont prêts à le suivre, mais il lui faudra
déployer des trésors d’ingéniosité et de persévérance pour espérer vaincre ses
anciens associés qui tiennent toujours à leur statut divin, enfermés dans le
vaisseau qui leur sert d’Olympe inviolable.
Entre intrigues retorses, alliances contre-nature et combats dantesques où
les pouvoirs apocalyptiques des Attributs se
déchaînent, ce roman de fantasy sur fond de SF est une fresque baroque et stupéfiante
qui demande tout de même un gros appétit de lecture (Zelazny n’est pas avare de phrases alambiquées et se la joue un
peu Salaambô). Néanmoins l’œuvre procure
des moments d’une rare intensité, où les amours et les haines de ces super-héros cosmiques servent de toile
de fond à une épopée élégante
et maîtrisée. Sam, à l’instar du Richard
Francis Burton dépeint par Farmer dans le Monde du Fleuve, devient
instantanément un héros moderne,
puissant mais vulnérable, mû par une volonté inébranlable et doué d’un charme
irrésistible. Le titre n’aura pas volé son Prix Hugo en 1968.
J'arracherai ces étoiles au ciel et je les jetterai à la face des dieux, si c'est nécessaire.
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