Seinfeld : la sitcom qui domine le game même 20 ans après
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Nous vous avions déjà parlé de cette sitcom de manière succincte lors d’une sélection, totalement subjective, de séries cultes. Mais Seinfeld mérite bien d’avoir une chronique dédiée tant la série est, encore aujourd’hui, unique et incroyablement efficace.

Les 178 épisodes vont être diffusés entre 1989 et 1998 sur NBC. En France, il faudra attendre 1993 pour une diffusion, confidentielle, sur Canal+. De nos jours encore, la série est dramatiquement méconnue dans nos contrées malgré sa qualité. Et lorsqu’elle est diffusée sur un canal anonyme dans les profondeurs d’une box, c’est souvent en… français uniquement. Et ça, c’est inacceptable.
Parce qu’il faut absolument voir cette série en VO. Tant pis si vous ne maîtrisez pas bien l’anglais et que vous n’aimez pas les sous-titres, c’est indispensable. D’une part parce que la VF est dégueulasse. Mais vraiment dégueulasse. Ensuite parce que la simple intonation des voix en VO est un plus énorme qui fait que l’on ne regarde plus tout à fait la même chose.

Au niveau du pitch, c’est très simple, c’est une série sur rien. Comme l’explique Jerry Seinfeld, d’une façon un peu provocatrice (mais pas totalement fausse) : « a show about nothing ».
En réalité, il s’agit de la vie de Jerry Seinfeld, humoriste de stand-up très connu aux États-Unis, accompagné de son meilleur ami George, de son ex, Elaine et de son voisin, Kramer.
Un épisode peut être centré sur le fait d’attendre une table dans un restaurant ou sur la rareté d’une place de parking libre dans New York par exemple. C’est ce qui fait dire aux auteurs (Seinfeld et Larry David) que la série ne porte sur « rien » alors qu’elle aborde tout.

L’élément essentiel qui contribue au ton particulier de la série, c’est qu’elle ne respecte pas du tout les codes politiquement corrects de la sitcom classique. Peut-être ne l’avez-vous pas remarqué, mais dans la plupart des sitcoms, il y a une morale et des moments « émouvants ». Elles n’ont pas pour seul but de faire rire mais aussi de démontrer quelque chose. Et ce, quelle que soit la qualité de la sitcom. Dans Friends par exemple, il y a des passages obligés où les personnages sont blessés, souffrent, se disputent, puis font un pas en avant et se réconcilient. La morale est toujours sauve. La situation conflictuelle toujours résolue positivement. Dans Larry & Balki (Perfect Strangers), de la même manière Larry va apprendre très souvent de Balki (ou plus rarement, inversement). L’un des personnages nourrit l’autre et le fait grandir. Et il y a aussi cet aspect dans Alf. Ou les Simpson. Il y a toujours un moment où un dilemme sérieux (dont on a ri) est résolu par une morale acceptable socialement.
On rigole mais on respecte les conventions.


Dans Seinfeld, ce rapport à la morale n’existe pas. Ce qui en fait une série plus acide, plus réaliste et… bien plus drôle.
Attention, il ne faut pas en déduire que les personnages n’ont pas de limites. Ils ne vont pas jusqu’à tuer des gens par exemple. Enfin… non, bref, disons qu’ils ne vont pas jusque-là pour simplifier. Mais ils n’ont pas ce « recul » bienséant qui caractérise habituellement les personnages. Ils ne « grandissent » pas, surfent sur leurs défauts, n’apprennent jamais, sont égoïstes, pleutres, manipulateurs. Bien que jamais méchants volontairement, ils ne tirent pas de leçons de ce qu'ils vivent. Ce qui est une rupture énorme dans la manière classique de raconter des histoires.

Jerry Seinfeld est le pivot central, le personnage le plus lisse bien qu’il ne soit pas exempt de défauts, ses blagues « innocentes » peuvent d’ailleurs avoir un effet désastreux (cf. le cas des enfants qui aiment les poneys). Il peut se montrer lâche, condescendant, content de lui, et pourtant, il fait office de personnage raisonnable et mature si on le compare à son entourage.
George Costanza est pour beaucoup le personnage le plus attachant de la série. À moitié chauve, courtaud, complexé, instable et totalement immature, il est celui qui se retrouve dans les situations les plus improbables (son test de QI ou le message chanté sur son répondeur restent des moments cultes pour les fans). Il est celui que l’on aimerait voir gagner mais qui échoue systématiquement. Il est cependant loin d’être idiot, c’est aussi cela qui en fait un personnage en dehors des normes, car son intelligence et sa culture ne l’aident en rien (du coup… pas de morale).
Elaine Benes, seul personnage féminin important dans la série, est plus anecdotique. C’est un peu une Seinfeld bis dans le sens où elle a ses défauts et qualités. Elle est dans la norme, n’a pas de peine à séduire, mais échoue à construire sur le long terme, souvent parce que ses exigences, comme celles de Jerry, sont basées sur des détails et une recherche de la perfection qui confine à la sociopathie. Elle se montre également superficielle à de nombreuses occasions, surtout dans ses relations amoureuses, et confirme ainsi le caractère révolutionnaire de la sitcom, osant présenter un personnage féminin comme dévoré par les mêmes démons que les protagonistes masculins (ce qui est très, très rare).
Enfin, Cosmo Kramer est un personnage lunaire, à part, qui sera même décrit, pour son manque de tact, comme « une plante et non un être humain ». Il peut néanmoins faire preuve d’empathie, mais sa maladresse chronique en fait une calamité ambulante. C’est le plus « visuel » des personnages en cela qu’il montre son inadaptation à la société en se frottant physiquement à ses symboles (ouvrir une porte, conduire un véhicule ou porter un paquet est une épreuve épique pour lui).


La thématique est très difficile à définir puisque le point de départ de la série est de toucher à tout, donc à rien de spécifique [1]. L’on peut tout de même classer les sujets en deux catégories : les sujets structurants, qui vont soutenir tout un épisode, et les sujets anecdotiques, qui vont enrichir une conversation ou une scène unique.
Dans le cas des sujets anecdotiques, l’on peut par exemple avoir un débat (très sérieux) sur le fait que Superman ait ou non un super-sens de l’humour. En ce qui concerne les sujets structurants, cela peut être le fait de prendre une limousine qui ne vous était pas destinée, ou le choix du prénom d’un enfant. Oui, il y a de quoi faire des histoires avec ça. Et de bonnes histoires (cf. cet article).
En dehors de cela, la série regorge de moments épiques, où il faut par exemple absolument remplacer la cassette (on est dans les années 90, OK ?) d’un répondeur. Ou rendre un stylo. Si les running gags sont nombreux (les bretzels, l’architecte…), les références externes à la série sont parfois également mythiques, comme la reconstitution d’une sortie de stade où quelqu’un a craché sur les protagonistes des années auparavant, qui parodie la reconstitution du parcours de la « balle magique » dans le procès final du JFK d’Oliver Stone. Incompréhensible si l’on n’a pas vu le film mais magistral si on a la scène en tête.

La série, en plus de quelques récompenses (dont l’Emmy Awards et le Golden Globe de la meilleure série comique), a fait un carton d’audience sur NBC et a été régulièrement citée parmi les séries exceptionnelles : en 2002, TV Guide lui attribue le titre de meilleure série de tous les temps. Depuis, elle atteint régulièrement le podium de tous les classements (tapez sur Google « best sitcom ever », vous la verrez toujours parmi les premiers). En 2016… la série, soit près de 20 ans après sa fin, est encore classée en cinquième position dans le top 100 du magazine Rolling Stone (qui regroupe des séries et aussi des émissions), juste après Breaking Bad et Mad Men [2].

Si vous n’avez pas vu Seinfeld… c’est dommage, parce que c’est carrément un truc qu’il faut voir au moins une fois, mais ce n’est pas grave, parce que ça n’a pas vieilli et parce que c’est disponible en DVD et que vous avez du coup pas mal d’heures de pur bonheur devant vous.
Alors, niveau DVD, il existe une intégrale en import avec des sous-titres français, dans les 55 euros (pour 8/9 saisons, c’est honnête [3]).
Par contre, j’ignore si cette intégrale propose aussi les bonus (excellents) des DVD sortis en France, et qui proposent des versions alternatives des épisodes (des petites scènes d’intro disons) et, surtout, des commentaires des épisodes par les acteurs et Larry David, des sujets sur l’écriture, enfin bref, ça double carrément la durée et la valeur du binz. Parce que les anecdotes sont énormes.  
Et du coup, je vais vous en raconter une. En gros. Lors d’une scène un peu étrange, Jason Alexander, qui joue George, est allé voir Larry David. Il lui a dit : « Je ne peux pas jouer ça, personne, personne au monde ne ferait ça dans une situation pareille ! »
Et Larry lui a répondu : « C’est exactement ce qui m’est arrivé la semaine dernière, et c’est exactement ce que j’ai fait. »
C’est ça aussi qui est dingue dans Seinfeld, c’est que la plupart des situations et des personnages sont vrais. Par exemple Kramer existe réellement. Le plus barré des persos est réel. Il s’appelle aussi Kramer dans la réalité. Et quand la série est sortie… il a voulu soutirer du fric à NBC. Ce qu’aurait carrément fait le vrai-faux Kramer ! ;o)

La télévision n’est pas merdique en soi. C’est un tuyau, tout dépend de ce que l’on fait circuler dedans. Seinfeld fait partie de ces programmes qui donnent vraiment envie de s’intéresser au tuyau, malgré les saloperies qui l'encombrent.



[1] Rappelons qu’une série sur « rien », cela veut dire en réalité une série sur rien de « spécial », ce que NBC a bien compris (notons aussi que la création de la série est d’ailleurs développée à l’intérieur même de la série, ce qui est une bonne idée mais aussi ce que l'on appelle un canon récursif).
[2] Ben… R.E.S.P.E.C.T. #arethafranklin #jesuisunesitcomquigèresarace
[3] La première saison est si courte qu’elle forme une seule réelle saison avec la deuxième, du coup, il y a 9 saisons officielles mais, dans les faits, c’est plutôt 8 en matière de contenu DVD. 


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Vraiment très bien écrit.
  • Un casting parfait.
  • Non-conformiste et en dehors des règles télévisuelles habituelles.
  • Souvent très drôle.
  • Carrément moderne malgré les années passées.
  • De véritables plus dans les bonus DVD. 

  • Seulement 9 saisons...