Hard Boiled
Publié le
17.4.25
Par
Vance
En fait, c’est en me repenchant sur la carrière de Juan
José Ryp, ce remarquable artiste qui m’avait vraiment époustouflé dans ses albums conçus avec Warren Ellis (comme No hero ou Black Summer) ou dans son travail sur la série Clone, que j’ai trouvé plusieurs références au style d'un certain Geoff Darrow, un dessinateur qui partage avec
lui (mais avec quelques années d’avance) la même propension à saturer les cases
de myriades de détails, parvenant presque à fatiguer le lecteur et conférant à
l’œuvre ainsi illustrée un indéniable « plus-produit » qui la rend forcément plus
intéressante que d’autres après la première lecture. Ce souci du détail
s’accompagne également d’une recherche constante de réalisme - malgré un penchant prononcé pour des
récits de science-fiction ou purement fantastiques, ce qui rapproche ces deux dessinateurs d’un George Pérez. La précision du trait, le dynamisme des
postures sont communs, même si Ryp et Darrow vont nettement plus loin dans la
violence, voire le gore, et optent pour un découpage plus dynamique qui lorgne vers le cinéma.
Voici donc deux grands noms de l'art des bulles réunis en 1991 sur un projet commun qui leur vaudra dans la foulée une pluie de louanges et de prix (dont l'Eisner Award) : dans un décor rétro-futuriste, Miller & Darrow nous invitent à suivre les tribulations d'un certain Carl Seltz, enquêteur pour des assurances, père de famille vivant paisiblement en banlieue avec sa sublime femme et ses deux enfants. Du moins, paisiblement si l'on excepte ses rêves étranges et éprouvants dans lesquels, sous couvert d'identités fluctuantes, il livre des combats sans merci face à d'innommables forces occultes. Peut-être n'est-il pas celui qu'il pense être... ou simplement CE qu'il pense être car, au-delà de son identité propre, c'est bien sa nature même d'être humain qui est questionnée.
Le fait est que, sur Hard Boiled, le travail de Miller semble se limiter à la portion
congrue, tant on a l’impression qu’il laisse au graphiste le soin d’orienter
l’album à sa manière ; ainsi, de nombreuses planches sont
« muettes », et on a droit à plusieurs cases en pleine page. Le récit
s’en ressent fortement : bourré d’ellipses, il subit des accélérations
dérangeantes et n’est pas forcément très aisé à parcourir.
Cela dit, la tonalité générale
nous permet de nous accrocher à des codes vaguement connus et, entre Total Recall et Ghost in
the shell, on navigue dans un domaine plus ou moins familier, avec une escalade dans la violence qui suit le parcours du héros. La frustration vient
du fait que le récit ne semble être qu’une sorte de mise en bouche, une longue
intro percutante, pleine de bruit, de fureur et de mystères, mais qui n’aboutirait
qu’à d'autres questions que celles posées au départ. On aurait aimé davantage d’un album – quand bien même on se
le serait procuré d’occasion.
Fascinant, sanglant et glauque, avec cette palette de couleurs délavées qui
rappelle le travail accompli sur certains albums futuristes de Moebius (comme l'Incal). Il existe notamment dans une édition format album chez Delcourt (1990), dans la collection "Conquistador", mais les puristes préféreront sans aucun doute la réédition 2012 de l'intégrale dans la collection "Contrebande", plus proche de l'originale, à moins qu'ils se décident pour la réédition de l'intégrale chez Futuropolis en 2021 dotée d'une nouvelle mise en couleurs de Dave Stewart qui accentue son caractère rétrofuturiste avec une palette résolument plus chaude.
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