Black Kaiser : du webcomic au film Netflix
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On aborde aujoud'hui Polar, une adaptation très particulière d'un comic plutôt âpre et violent.

Au départ, Polar est un webcomic (muet et essentiellement en noir & blanc, avec quelques aplats de rouge orangé) créé par Victor Santos, qui diffuse alors son récit sur son blog. Il ajoutera par la suite des dialogues à la demande de son éditeur, Dark Horse. L'histoire sera publiée ensuite en VF par Glénat. À cette occasion, l'éditeur comparera l'auteur à Frank Miller et Mike Mignola, deux énormes artistes passés maîtres dans l'utilisation des ombres, des contrastes et des ellipses visuelles. Et clairement, même si la volonté de s'inscrire dans cette mouvance est palpable, Santos est loin, très loin, d'approcher la maîtrise des deux légendes précitées.

Mais revenons-en au film, sorti l'année dernière sur Netflix et mis en scène par le réalisateur suédois Jonas Akerlund.
Sur le fond, l'histoire reste bien entendu identique à la BD. En gros, un ancien tueur professionnel, surnommé Black Kaiser, prend sa retraite et s'ennuie dans un trou paumé. Seulement, son ancien employeur tente de le buter afin de récupérer les 8 millions qu'il lui doit. Cela donne lieu à des scènes bien violentes, entrecoupées par une espèce de love story très tendre et discrète. Rien de très original donc.
Par contre, l'ambiance du film va très clairement s'éloigner du côté minimaliste du comic. Au point de flirter parfois, au moins en partie, avec la parodie.

Une partie du côté déjanté et presque burlesque d'un film qui s'en serait bien passé.

C'est peut-être ce qui déroute le plus dans cette adaptation : elle est beaucoup trop déjantée pour être prise au sérieux, et pourtant trop dramatique et touchante (par moments) pour n'être qu'un pur film d'action décérébrée.
Le patron de Damoclès (la société qui employait Kaiser) et les autres tueurs sont des caricatures improbables. Exubérants, survoltés, affublés d'accoutrements aux couleurs vives, on les croirait sortis tout droit de Dick Tracy (le pulp-navet de 1990, avec Madonna). Par contre, Black Kaiser, interprété par un magistral Mads Mikkelsen, est lui bien plus "réel", tout en retenu, en couleurs froides et en longs moments silencieux. Bien entendu, le fait de caractériser ainsi les protagonistes est totalement voulu et permet de séparer les personnages froids et sombres, malmenés par la vie (Kaiser et Camille), des salauds "virevoltants" et déshumanisés (ben... tous les autres). Le problème, c'est que ça se marie assez mal, un peu comme si on prenait le Clint Eastwood de Créance de Sang pour le plonger dans l'univers du Batman & Robin de Schumacher. Ça ne peut pas fonctionner parce que le registre n'est pas le même. Et c'est ce genre de dichotomie que crée ici Akerlund.

Du coup, on a l'impression de voir le résultat de deux films très différents qui auraient fusionnés maladroitement. Le côté "acidulé" est parfois amusant mais clairement aussi très superficiel, alors que le côté "sombre" est bien plus intéressant et profond mais souffre de cette cohabitation étrange.
Les scènes gore et ultra-violentes montrant les membres de Damoclès supprimer divers témoins font clairement dans la surenchère gratuite et frôlent parfois le ridicule (quand elles ne lui rentrent pas dedans de plein fouet), alors que les moments intimistes entre Kaiser et Camille sont subtiles et parfaitement dosés.
Ce fameux Black Kaiser notamment aurait pu n'être qu'un assassin froid et taciturne, alors que le réalisateur, ainsi que Jayson Rothwell au scénario, en font un type complexe, parfois maladroit, mais très humain et éloigné du stéréotype habituel. Lorsqu'il essaie d'adopter un chien, ou lorsqu'il achète un cadeau très "spécial" à Camille, c'est à la fois drôle mais tragique, et ça en dit long sur la solitude du personnage et son manque de pertinence et d'habileté dans les situations "normales", ce qui en fait quelqu'un de "fragile" (toute proportion gardée, ce n'est clairement pas le genre à pleurnicher s'il se coupe en se rasant) et émouvant. Même chose pour Camille, interprétée par Vanessa Hudgens, qui va s'affadir physiquement (tout en restant incroyablement séduisante) pour les besoins du rôle et livrer une composition étonnante et très "juste".

Alors au final, est-ce un chef-d'œuvre ou une grosse bouse ? Eh bien, ni l'un ni l'autre. Le film est déroutant mais agréable à regarder, porté par le charisme de Mikkelsen et quelques scènes sanglantes servant d'exutoire. Il traîne cependant son côté partiellement esthétique et "fun" comme une lourdeur anachronique et dérangeante qui nuit au lyrisme que l'on sent poindre ponctuellement et à la légende qu'aurait pu devenir le Black Kaiser.

On vous le conseille tout de même.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le duo Mikkelsen/Hudgens.
  • Le personnage de Black Kaiser, loin d'être aussi caricatural qu'on aurait pu le penser.
  • Les scènes intimistes et réalistes.

  • La vaste galerie de personnages improbables et surexcités.
  • Le mélange, pas très réussi, de deux genres fort différents.
  • Une certaine complaisance au niveau de la violence gratuite.