Rasl
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Retour sur la série Rasl.

Tout comme pour son excellente série Bone, Jeff Smith signe ici scénario et dessin. Autres points communs, il s'agit également d'une œuvre auto-produite à l'origine et cette version est mise en couleurs par le même Steve Hamaker.
Malheureusement, les similitudes s'arrêtent là. 
Mais voyons un peu l'histoire. Robert Johnson, alias "Rasl", un ancien scientifique, a découvert le moyen de voyager dans des mondes parallèles. Plutôt pratique, même s'il se sert de cette fantastique découverte pour dérober des objets de valeur.
Il va cependant bientôt être poursuivi par un étrange tueur à tête de lézard, ce dernier étant à la recherche de documents importants que Rasl détient.

Premier constat, on est très loin de l'univers de Bone. Ce n'est bien entendu pas un défaut en soi, par contre ce changement de registre est fort mal présenté. On nous parle notamment, sur la quatrième de couverture, d'univers plus "adulte". Bone - un chef-d'œuvre vivement conseillé ! - n'avait pourtant rien d'enfantin lorsque l'on creusait un peu, simplement, l'on passe d'une série heroic fantasy très cartoony à de la SF contemporaine, un peu plus réaliste dans l'aspect. Réaliste mais pas forcément passionnante, malgré de bonnes idées. Smith s'inspire notamment de citations de Nikola Tesla ou de la très hypothétique et fumeuse "expérience de Philadelphie" [1] mais malgré cela, l'intrigue peine à susciter un véritable intérêt.




En effet, le récit commence très, très lentement. On ne sait rien du personnage, on ne comprend pas toujours bien de quoi il est question, les scènes sans dialogues, à la langueur irritante, s'enchaînent au fil des planches... 
Il faut attendre le dernier quart du premier album (édité en VF par Delcourt) pour commencer à avoir non forcément des éléments de réponse (il ne s'agit pas de dévoiler toute l'histoire d'un coup) mais quelque chose à quoi se raccrocher.
C'est là que l'on voit aussi les limites de l'auto-édition [2]. Difficile en effet de croire qu'un (bon) éditeur n'aurait pas fait quelques suggestions quant à la structure même de ces premiers chapitres.
Il est en effet très improbable d'avoir envie de continuer à suivre les aventures d'un personnage dont on ne sait rien, poursuivi par un second larron encore plus obscur, le tout baignant dans une sorte de fiction scientifique très simpliste qui ne tire absolument pas parti des concepts fascinants qu'elle aborde.

Reste la patte graphique de Smith, agréable mais qui convenait mieux à l'univers plus "rond" et enchanté de Bone. La représentation des bonds, d'univers en univers, est notamment particulièrement quelconque. Heureusement, Delcourt a choisi la version colorisée (à l'origine, Rasl est en noir & blanc pour de pures raisons logistiques et économiques, tout comme Bone [3]), ce qui permet d'éviter visuellement la grisaille et l'impression de dépouillement qui sont déjà bien présentes dans la narration.

Au final, eh bien... cette série (15 épisodes en tout, publiés de 2008 à 2012) est loin d'être réussie et s'avère même très décevante.
Où donc est cette fabuleuse capacité de Smith à faire exister en quelques cases même les plus extravagants personnages ? Que reste-t-il de son humour, de sa subtilité ? De son habileté narrative, de sa manière extraordinaire de faire naître l'émotion d'un petit rien ? 
Changer d'univers est une bonne chose pour un auteur, mais cela ne suppose pas de faire passer à la trappe toutes ses qualités. C'est à se demander si une version française se justifiait, car à part le prestige lié à l'œuvre précédente, on ne voit pas trop sur quoi se base l'éditeur pour prendre le risque de cautionner un récit digne d'un fanzine.  

Un auteur pourtant talentueux et une idée excitante pour un résultat médiocre et trop amateur.





[1] Une expérience censée avoir été menée par la Navy pendant la Seconde Guerre mondiale et qui devait permettre de rendre les navires indétectables par les radars ennemis, voire même invisibles. Cela donnera lieu à divers films dont celui de Stewart Raffill, en 1984 : The Philadelphia Experiment
[2] Limites détaillées dans cet article sur l'édition en général.
[3] L'article consacré à la série contient, à la fin, des comparaisons qui permettent de constater à quel point les planches gagnent en charme (et même en éléments de décor) dans la version Hamaker. 



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un concept qui aurait pu être fascinant s'il avait été mieux traité.
  • Un ennui total.
  • Une certaine aridité du texte et des dessins.
  • Un personnage principal manquant de charisme et d'épaisseur.
  • Une narration globalement poussive.
Fear Agent
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Le point sur l'intégrale de la série Fear Agent, sortie en VF chez Akileos.

Heath Huston est un exterminateur d'extraterrestres, plutôt porté sur la bouteille et un brin malchanceux. Alors qu'il est engagé pour liquider quelques Zlasfons, une espèce à l'intellect peu développé, il cause involontairement la mise à sac de la cité du maire qui l'avait engagé.
Après un départ précipité et une bonne cuite, le voilà cette fois chargé d'inspecter une station de commerce et de ravitaillement qui a coupé toutes ses communications.
Une fois sur place, il constate la présence de Mangeurs, une espèce aussi vorace que nocive. De rencontres imprévues en mésaventures, Heath va découvrir l'existence d'un énorme complot visant la Terre. 
Cela va l'amener à se fourrer dans de nouveaux ennuis mais aussi à se remémorer l'époque où il avait encore une famille, où la Terre a été envahie et où il est devenu un Fear Agent...

Fear Agent est écrit par Rick Remender (Low, Deadly Class, Punisher, Venom) et dessiné par Tony Moore et Jerome Opeña. La série est en fait un exercice de style assez singulier, s'attachant à ressusciter l'esprit des récits d'aventure, de guerre et de science-fiction de EC Comics. Tout commence avec de l'action bien bourrine, très second degré, et évolue peu à peu vers quelque chose de plus profond et moins cliché.
Les choix, même graphiques, faits par les auteurs sont toutefois particuliers. Les extraterrestres sont par exemple fort peu crédibles et très caricaturaux. L'une des espèces fait d'ailleurs penser à Kang et Kodos, des Simpsons, ce qui est tout à fait normal puisque eux aussi sont inspirés des comics EC. C'est donc volontaire, mais très enfantin comme représentation, ce qui ne poserait pas de problème si la série était basée sur l'humour uniquement, alors que là, il s'agit de tout autre chose, avec un aspect dramatique prononcé.




En réalité, l'on retrouve dans ces épisodes une manière de procéder un peu bancale qui fait penser à The End League, du même Remender. Dans ce titre également le scénariste nageait entre deux eaux en n'étant ni complètement sérieux ni totalement parodique.
Attention, dans l'absolu, il est tout à fait possible de mélanger humour et drame, mais il faut pour cela que le cadre construit par l'auteur permette une telle cohabitation, sans que le comique vienne parasiter ou déconstruire la tragédie, et inversement.

Il est également légitime de s'interroger sur l'intérêt de reprendre le ton de comics passés de mode et à la narration désuète. Tout comme en musique, une reprise est toujours possible, mais l'on s'arrange alors pour moderniser l'orchestration, ce qui est loin d'être le cas ici.
Il y a bien des gros mots et quelques scènes gore, mais qui n'augurent en rien d'un réel renouvellement de l'écriture. À ce sujet, la quatrième de couverture contient une affirmation assez stupéfiante qui prétend que les lecteurs qui ont apprécié Preacher ou The Walking Dead devraient se délecter avec Fear Agent. Très honnêtement, on ne voit pas du tout le rapport.
En réalité, si, il y a une scène (sur Terre, dans les toilettes d'un bar, avec le père de Huston) qui se rapproche du ton de Preacher. C'est quasiment la seule scène bien écrite du premier tome de l'intégrale, qui est tout de même un gros pavé. Un peu court pour trouver un cousinage...
Quant à l'aspect Walking Dead, j'imagine qu'il est supposé prendre racine dans la partie "survivaliste" du récit. Seulement l'on est à des lieues de la narration de Kirkman (en tout cas, celle qui était brillante, dans les premiers 60 épisodes de TWD, avant que cela se transforme en désastre, cf. cet article). 

Remender survole tout, dans un déferlement d'action et d'explosions, sans prendre la peine de construire ses personnages, sans s'intéresser à une quelconque problématique plus de quelques cases.
Le résultat est évident : on se fout de ce qui peut bien arriver aux protagonistes, totalement artificiels. Il n'y a donc rien de plus à l'opposé d'un Walking Dead qui, justement, reposait (au moins au début) sur les relations entre les personnages bien avant d'être un récit de zombies. Et ce n'est pas tant des éléments de l'intrigue qui peuvent rapprocher deux séries que la manière de les mettre en scène.
Notons quelques coquilles  en VF (présentes dès l'introduction), heureusement relativement rares au vu du nombre de planches.

Un truc pas très vieux mais vieillot quand même. Et mal fichu.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • L'humour.
  • Le côté "old school", même s'il est ici très mal géré.
  • De l'action vide d'enjeux, donc ennuyeuse au possible.
  • Des personnages insipides, à l'exception du héros, et encore...
  • Un amateurisme étonnant en ce qui concerne la narration (énorme décalage entre l'effet voulu et l'effet obtenu).

Red Wing
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SF et voyages temporels sont au menu du jour avec Red Wing, paru chez Delcourt.

Dominic et Valin sont de futurs pilotes de IT-2, ou Intercepteur Temporel de deuxième génération. Comme les autres cadets, ils vont devoir maîtriser l'art du pilotage et du voyage dans le temps, notamment pour faire face aux Moissonneurs, un ennemi mystérieux, venant d'une époque et d'un lieu inconnus, qui tente de s'emparer des ressources du présent.

Voilà en gros le pitch de cette histoire, courte (seulement quatre épisodes) mais complète. Le scénario est de Jonathan Hickman (House of X, Secret Wars), les dessins de Nick Pitarra. Ce dernier s'en sort plutôt bien si l'on excepte quelques cases où les postures des personnages sont un peu raides et manquent de réalisme. Le reste est franchement réussi, que ce soit les vaisseaux ou les représentations de crashs temporels, hommes et machines se désagrégeant à la fois de manière instantanée et "découpée" dans le temps. Un concept difficile à décrire mais visuellement très efficace.




Penchons-nous maintenant sur l'intrigue. Hickman, que l'on avait vu à l'œuvre également sur Fantastic Four ou Ultimates, avait déjà eu l'occasion de travailler sur des sagas flirtant avec la métaphysique et notamment les univers alternatifs (cf. Marvel Icons #66), un sujet très proche de celui abordé dans Red Wing. L'auteur semble donc fasciné par ce thème (qui ne le serait pas ?) et livre ici un récit étrange, qui s'avère captivant  mais qui laisse toutefois le lecteur sur sa faim.
Le format tout d'abord est très court, d'autant que les quatre chapitres sont parsemés d'effets qui laissent parfois trois ou quatre pages d'affilée totalement vides. Ou presque. Les personnages sont volontairement laissés de côté et peu creusés (mais c'est un défaut récurrent chez Hickman), pour privilégier l'ambiance, froide et mélancolique.
Et certaines ellipses n'arrangent rien pour faciliter la compréhension des évènements.

Au niveau des concepts, là encore rien d'extraordinaire. Celui du voyage dans le temps, tel que décrit ici, est plus que simpliste et déjà vu. Dommage car il était sans doute possible de faire mieux avec un sujet aussi passionnant. La morale mise en avant ("nous n'héritons pas la Terre de nos Pères mais l'empruntons à nos Fils"), sans être condamnable, est elle aussi éculée et très naïvement illustrée.
Il n'y a guère finalement que la fin, assez bizarre tout de même, qui parvient à faire naître un petit moment d'émotion et de poésie.
Entre ce qui est incompréhensible et ce que l'on comprend et qui apparait comme clairement pas terrible, l'on pourrait donc penser que l'on est devant un truc complètement nul, et pourtant... non.
La lecture n'est pas désagréable, on se laisse doucement bercer par les coups de théâtre prévisibles et les dialogues, censés nous éclairer alors qu'ils font "pschitt" ou nous plongent encore plus dans le noir. L'on finit, la dernière page tournée, par se demander si l'on s'est fait arnaquer ou si l'on est passé à côté de quelque chose de génial et plus profond qu'il n'y paraît.

C'est rare mais voilà un comic qui, si l'on prend isolément tout ce qui le compose, devrait être nul et soporifique alors qu'il est en réalité pas si mal. Mais l'art de l'écriture n'est pas basé sur des équations exactes, il fait même appel à la magie, ce qui permet d'obtenir parfois ce drôle de résultat.
Si l'on cherche à avoir des réponses précises, un récit solidement construit et des prouesses narratives, Red Wing sera probablement décevant. Si l'on accepte de lâcher prise, de ne pas pousser trop loin l'analyse, il se pourrait que la magie opère et que l'on soit lentement entraîné vers cet univers onirique qui, par nature presque, peut se permettre de ne pas suivre les règles les plus évidentes.

Déroutant.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La thématique.
  • L'univers graphique.
  • L'ambiance.
  • Les personnages, sans âme.
  • La narration à la Hickman, décousue et incompréhensible.
  • Un ensemble très superficiel.
Mise à jour de notre bilan sur les traductions de Panini
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Grosse mise à jour de notre article sur Le Désastre Panini, autrement dit, l'un des plus grands scandales de l'édition de ces vingt dernières années. Avec encore plus d'exemples sourcés, de photos de planches originales et de comparaisons V0/VF.

Ce serait sans doute très drôle si ce n'était pas un manque de respect total pour les œuvres dont Panini a la charge, leurs auteurs et le lectorat français. Pourquoi Marvel, ce géant de l'édition, tolère-t-il un tel saccage ? Mystère.

Quant aux arguments fallacieux avancés par Panini pour sa "défense", à savoir "bah...heu... les gens qui nous critiquent sont des méchants trolls" et "bouh, Geneviève Coulomb, elle est à la retraite depuis 15 ans", on s'en est occupé aussi. Vous verrez notamment à quel point quelqu'un qui n'est plus actif depuis des années peut au contraire être très présent dans les multiples rééditions publiées tous les mois par Panini.

Et pour ce qui est des "trolls", eh bien, si troller signifie maintenant dire la vérité en effectuant un long travail d'enquête et de synthèse et en dressant un bilan rigoureux et bardé d'exemples concrets, alors OK, nous sommes de gros méchants trolls. 

Faut-il encore acheter sa production à un éditeur qui se fout à ce point du matériel qu'on lui confie (car bien entendu, les traductions demeurent dans l'ensemble d'une grande médiocrité, même si tout le monde n'atteint pas le niveau de Coulomb) ? À vous de voir. 


Echo
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Conspiration, arme secrète et désert californien sont au menu de Echo.

Julie Martin se trouve au mauvais endroit au mauvais moment. Alors qu'elle prend des photos dans un endroit désertique de Californie, une immense explosion survient. Ses effets se font sentir à des dizaines de kilomètres à la ronde. Bientôt, la jeune femme est recouverte par les retombées. De mystérieuses bulles de métal liquide s'accrochent à elle et recouvrent une partie de son corps.
Pour Julie commence alors les ennuis. Son mari, dont elle est séparée, ne veut rien savoir d'elle. Le médecin qu'elle contacte pour la débarrasser de son étrange plastron métallique croit à une mauvaise blague. Et surtout, l'armée et une employée du NSB particulièrement efficace sont maintenant sur ses traces. Car, évidemment, l'explosion cache une arme qui doit rester secrète mais aussi un meurtre... et peut-être pire encore.
Dans cette course à la vérité, Julie ne pourra compter que sur un Park Ranger, une bande de motards et les pensées d'une jeune pilote d'essai décédée pendant ce qu'il est convenu d'appeler l'incident de Moon Lake.

Après l'excellent Strangers in Paradise, Terry Moore s'est attelé, de 2008 à 2011, à la réalisation de ce thriller SF. L'artiste, qui signe ici scénario et dessins, publiait là sa deuxième série indépendante mais il a également à l'époque officié chez Marvel sur Runaways et Spider-Man loves Mary Jane, des titres peu connus du grand public mais au fort potentiel.
Les amateurs de SiP ne seront pas étonnés de retrouver dans cette série quelques éléments de prédilection chers à Moore, notamment l'archétype de la femme à la fois forte et fragile, un peu abîmée par la vie. Le fait que la "proie" et le "chasseur" soient tous les deux des personnages féminins n'est évidemment pas un hasard, les hommes étant ici relégués presque exclusivement au rang de faire-valoir (et ce bien avant que cela soit imposé par un wokisme totalitaire, déviant et liberticide). L'auteur ne leur épargne d'ailleurs pas grand-chose : ils sont têtus, plein de préjugés ou encore incapables de comprendre ce qu'ils ont sous les yeux. Bref, Moore aime les filles, ça tombe bien, nous aussi. 




La grande force du récit repose essentiellement sur les protagonistes et l'émotion qui s'en dégage. Même si l'on est dans une sorte de complot aux relents militaro-technologiques, Echo s'inscrit avant tout dans une réalité dépeinte avec subtilité et douceur. Vie de couple chaotique, moments poignants en compagnie d'une sœur psychologiquement traumatisée, petites galères quotidiennes et gros coups durs, tout cela rend l'héroïne à la fois crédible et profondément touchante. Outre un récit axé sur l'action, le paranormal et un vaste complot scientifique aux ramifications passionnantes (l'on évoque notamment le fameux Nombre d'Or, présent dans la musique, les maths, la physique, la biologie, et pouvant se retrouver aussi bien dans les spirales logarithmiques des coquillages que celles des galaxies, l'on peut le retrouver également dans les fleurs ou certains phénomènes aléatoires comme... les poussées démographiques ou les cours de la bourse !), l'histoire repose essentiellement sur des personnages fouillés et crédibles et une écriture efficace. Les situations exploitent intelligemment les failles des protagonistes et les moments tendus alternent avec de petites touches d'humour, l'auteur parvenant à allier avec bonheur science ardue, fantastique light, action tendance barbouzarde et scènes plus légères.

Les dessins, quant à eux, sont plutôt de bonne facture. Rien de transcendant non plus. Graphiquement, là encore, ce sont les jeunes femmes qui s'en sortent le mieux, les personnages dégageant un charme incroyable et une grande humanité, ce qui compense largement des décors parfois dépouillés et un noir & blanc quelque peu austère.  
Le titre a été réédité en intégrale par Delcourt et est toujours disponible en neuf (un tome, 45 euros). La  traduction est plutôt correcte à part quelques erreurs grossières, comme l'expression "gent féminine" que l'on retrouve écrite sous la traditionnelle forme incorrecte "gente" (qui est un adjectif et non un nom et qui, en plus, n'a aucun rapport au niveau du sens avec "gent"). Agaçant.

Divertissant tout autant qu'intelligemment écrit, Echo est une série à découvrir. Difficile de ne pas succomber au charme simple et sans artifice de personnages féminins à la profondeur indéniable.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un thriller/SF efficace et bien écrit.
  • Des personnages crédibles et profonds.
  • L'humour, léger mais fort bien exploité.
  • Des décors souvent simplistes et dépouillés.
Flywires
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Du polar SF aujourd'hui avec Flywires, un récit à mi-chemin entre eXistenZ et Minority Report.

Un trou dans le mur de son salon, une fusillade et un gamin sur les bras, pour Fontine, la journée commence plutôt mal. L'homme sait pourtant gérer les situations critiques. C'est un ex-flic. Malheureusement, c'est également ce que l'on appelle dans le langage courant un "grillé". Quelqu'un qui n'est plus connecté au réseau et que l'on regarde presque comme un monstre.
Alors que tout le monde peut communiquer par une simple pensée, commander une pizza en une fraction de seconde sans décrocher le moindre téléphone ou encore profiter à loisir des hologrammes dédiés à la sexualité virtuelle, Fontine, lui, doit employer les vieilles méthodes. Parler à des gens, se déplacer vraiment... et affronter une menace inconnue.
Quelqu'un essaie de tuer ce gosse, donc il faut l'aider. Sa mère semble avoir été éliminée, donc il faut savoir pourquoi. Et puis il y a cette impression tenace d'avoir oublié quelque chose.
Quelque chose d'important...

Cette série est tout d'abord parue chez Les Humanoïdes Associés sous le titre L'Infini. À l'époque (le dernier tome date de 2008), elle avait été publiée en trois parties (46 planches chacune), dans un format européen (24 x 32). Les Humanos ont eu la bonne idée de ressortir le tout en intégrale en 2011, dans un format comic, plus économique et pratique (19 x 26).
Le scénario est écrit par Chuck Austen, connu notamment chez Marvel pour son travail sur Ultimate X-Men ou encore l'excellent L'Appel du Devoir. Les dessins et la colorisation sont de Matt Cossin. Le style graphique est parfois un peu simpliste mais l'ambiance qui s'en dégage n'est pas désagréable. L'on peut regretter toutefois que l'étrange habitat dans lequel se déroule l'histoire ne soit pas plus mis en valeur, d'autant que certaines scènes urbaines, qui font beaucoup penser visuellement au Cinquième Élément, sont plutôt réussies. Voyons maintenant l'intrigue.




La thématique peut sembler verser dans le déjà-vu, mais au-delà de l'univers multi-connecté dépeint, l'auteur va également mettre en place d'habiles parallèles sur l'oubli. L'oubli "technique", résultant d'une perte de mémoire, mais aussi l'oubli "politico-social" par exemple. Le monde décrit est en effet une sorte de sphère de Dyson habitée, ayant pour but d'aller coloniser d'autres planètes. Cependant, le voyage est si long que ceux qui en verront la fin n'auront jamais connu leur véritable monde (des générations entières naissent et meurent au cours du périple) et, surtout, ils n'ont jamais été volontaires pour cette inquiétante expérience. Le but originel du voyage finit donc par "s'oublier", voire même être contrecarré par des intérêts individuels immédiats. Enfin, l'on peut encore parler d'oubli de "confort", permettant à l'homme de mettre de côté ce que sa morale ne pourrait admettre. Ce dernier aspect n'est que survolé, mais les interrogations qu'il engendre sont fascinantes : un homme qui a tout oublié de son passé peut-il être tenu pour responsable de ses actes antérieurs ? La réponse n'est peut-être pas si évidente...

Narrativement, c'est presque un sans-faute. Le lecteur est tout de suite pris dans le récit, les révélations sont bien amenées et les dialogues sont souvent percutants et drôles. Le ton reste d'ailleurs toujours entre la comédie d'action (avec le mec un peu détaché qui balance une vanne avant de buter un connard) et le véritable drame, engendré presque plus par la perte des souvenirs que la mort elle-même, le final étant un modèle de fausse happy end franchement amère.

Une lecture agréable et divertissante, avec un zeste de réflexion à peine esquissée mais qui donne tout son piquant à l'ensemble.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une thématique riche et passionnante.
  • L'ambiance, entre comédie, action et drame.
  • Certaines scènes urbaines, impressionnantes.
  • Des dessins parfois trop simplistes en regard de l'importance de certains éléments.
I am Legion
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Une réédition de Je suis Légion est sortie en début d'année, une bonne occasion de se pencher sur cette saga alliant espionnage et fantastique.

1942. L'obergruppenführer Heyzig, chef du renseignement nazi en Europe de l'Est, dirige un projet spécial appelé Légion. La petite fille, qui en est l'élément central, pourrait tout simplement changer l'issue de la guerre.
Parallèlement, à Londres, l'inspecteur Pilgrim enquête sur la mort d'un notable. Ses investigations vont le mener jusqu'au cœur des services secrets britanniques. Dans l'ombre, quelque chose se trame. Les anglais préparent une opération coup de poing en Roumanie, des millions de livres disparaissent, les cadavres s'accumulent...
Et puis il y a ce nom de code. Walkyrie. Peut-être la dernière chance pour le général Canaris, patron de l'Abwehr, de sauver le Reich en éliminant Hitler et en négociant avec les alliés.
Au milieu de ce jeu d'échec diplomatique, une menace bien pire que la guerre va se révéler. Elle n'a pas d'âge, n'est pas humaine et est... légion.

Je suis Légion est à la base un récit en trois parties qui est ici réédité en un volume par Les Humanoïdes Associés. Le format 24 x 32 cm et les 184 pages vont justifier le prix, assez élevé, de 35 euros (on est loin de la précédente intégrale, en petit format, sortie il y a quelques années au prix de... 13,25 euros !).
Le scénario est de Fabien Nury, les dessins de John Cassaday. Graphiquement, le style est réaliste, avec des visages expressifs et détaillés et des plans efficaces. Notons la colorisation de Laura Martin, qui avait déjà travaillé avec Cassaday sur Astonishing X-Men.
L'intrigue, elle, est complexe et fourmille de détails historiques. Nury se révèle particulièrement habile et met en place un ensemble de forces politiques qui s'affrontent à coups de complots et autres coups fourrés. À cette toile de fond, déjà intéressante en soi, le scénariste va incorporer des éléments surnaturels qui, finalement, s'intègrent très bien dans le décor, notamment lorsque l'on connaît la fascination bien réelle des nazis pour l'occulte et le mysticisme.




Le traitement de l'ensemble est très cinématographique et les références, volontaires ou non, à certains films (en particulier Le Témoin du Mal de Hoblit) sont nombreuses. Outre la manière originale de se servir du mythe vampirique (et du si sympathique Vlad l'Empaleur), l'on peut également souligner l'intelligence avec laquelle l'auteur s'inspire de l'Histoire, que ce soit en évoquant les premières tentatives d'attentat contre Hitler ou, de façon plus cynique, en "recyclant" les innocents déportés et condamnés par le régime nazi.

Au final, l'on obtient un récit subtil et bien construit, qui commence comme un polar et évolue peu à peu vers le fantastique, le tout dans le cadre dramatique de la Seconde Guerre mondiale. Seule réserve pouvant être avancée ; le peu d'émotion qui se dégage des protagonistes, ces derniers étant bien décrits mais d'une manière un peu froide. Les révélations sur le passé sentimental de Pilgrim, par exemple, lui donnent de la consistance mais font plus penser à des données brutes qu'à un véritable traumatisme qui façonne le personnage en l'égratignant. La fillette également peine à émouvoir vraiment. Ceci dit, l'on gagne probablement au niveau macroscopique (avec l'intervention de nombreux personnages, dont certains très connus) ce que l'on perd éventuellement du côté de la psychologie individuelle.

Une nouvelle édition pour une série bien écrite et documentée, à la frontière de plusieurs genres.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La qualité du scénario.
  • Les éléments historiques bien réels.
  • Un récit prenant et bien construit.


  • Une vision "macroscopique" qui peine à insuffler de l'épaisseur aux différents personnages.
The Cape
Par


Le point sur les débuts de The Cape.

À huit ans, Eric et Nick s'amusaient à jouer aux super-héros. Eric avait une cape qu'il aimait particulièrement. Un simple plaid, transformé en doudou, puis en accessoire précieux le jour où sa mère décida d'y coudre un éclair rouge du plus bel effet ainsi que l'écusson des Marines de son père. Mais même les jeux les plus innocents peuvent se révéler dangereux... un jour, alors qu'Eric nargue son frère du haut d'un arbre, il fait une mauvaise chute. 
Gravement blessé, le petit garçon va mettre très longtemps avant de se remettre de ses blessures. Et il va perdre sa précieuse cape, jetée par sa mère. C'est peut-être là le plus grand drame, car avant sa chute, pendant une fraction de seconde, Eric a eu l'impression de voler, d'être exceptionnel. Lui enlever sa cape, c'est lui ôter tout espoir.
Le jour où Eric retrouve enfin son précieux bout d'étoffe, il est adulte, sans emploi, séparé de sa fiancée et aigri au plus haut point.
Pour lui, il n'est pas question de protéger les faibles mais de faire payer ceux qu'il juge responsables de sa situation...

Après le succès de la série Locke & Key, Milady a sorti en 2013 un nouveau titre associé au nom de Joe Hill. Il n'est pas lui-même aux commandes mais le scénario, écrit par Jason Ciaramella, est inspiré de l'une de ses nouvelles (tout comme pour le comic Road Rage). Les dessins sont réalisés par Zach Howard.




Le récit, complet, est composé de cinq épisodes. Difficile de dire ce qui est dû à Hill ou ce qui relève de l'adaptation de Ciaramella, toujours est-il que l'histoire tient la route et s'avère prenante, même si l'idée de départ (les pouvoirs n'échoient pas toujours à ceux qui en sont dignes) est loin d'être nouvelle. Dès les premières planches, l'on retrouve certains thèmes apparemment aussi chers à Hill qu'à son illustre pôpa (Stephen King, si vous ne saviez pas), comme l'enfance et ses dangers, ou encore le fantastique pouvant s'insinuer dans le quotidien le plus banal. L'on bascule ensuite brusquement dans la violence et la folie, une grande partie de l'intérêt de cette histoire provenant d'ailleurs de l'ambivalence du personnage principal, aussi attachant étant jeune qu'antipathique lorsqu'il se transforme en adulte égoïste et insensible. Eric se montrera notamment particulièrement imaginatif lorsqu'il s'agira de trouver un moyen de se venger de ceux qui lui ont - supposément - fait du tort (mention spéciale pour l'ours, qui démontre fort bien ici l'intérêt de circuler dans un véhicule pourvu d'un toit !).  

La fin est quelque peu rapide, et la relation entre les deux frères aurait sans doute pu être un peu plus développée, mais l'ensemble est aussi fluide qu'agréable à lire. Graphiquement, rien de spécial à signaler, les planches sont plutôt jolies et Howard ne verse pas inutilement dans le gore en parvenant tout de même à rendre toute la dureté de certaines scènes.
Une galerie d'illustration (10 planches) complète l'ouvrage. Celui-ci est encore trouvable chez HiComics pour une vingtaine d'euros.

Une belle histoire, réalisée par une équipe créative qui parvient à conserver le ton propre à Hill.





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une narration efficace et prenante.
  • Ambiance proche de celle de Locke & Key.
  • Adaptation soignée.
  • Certaines scènes sont parfois un peu trop vite expédiées.
De la Morale des calculettes (et de ceux qui les construisent)
Par



Lorsque l’on évoque l’intelligence artificielle, ou IA, un problème de fond se pose d’emblée. Car, à l’heure actuelle, malgré les prouesses des bots mis en place par tout un tas d’entreprises (pour dessiner, créer des vidéos, des musiques ou simplement répondre à des questions ou discuter), il n’est absolument pas question d’intelligence en réalité. Les logiciels (chatgpt et bien d’autres) ne comprennent absolument pas ce qu’ils font ou disent. Il n’y a donc aucune trace « d’intelligence » dans leurs activités. Ce qui est très facile à démontrer, les IA commettant des erreurs absurdes qu’aucun être humain ne ferait (du genre, dessiner un personnage avec trois bras).
L’intelligence artificielle sera digne de ce nom lorsqu’elle fera réellement preuve d’intelligence. Et alors, d’autres problèmes se poseront. Mais pour le moment, il est intéressant de se pencher sur les limites "morales" des IA mises à la disposition du grand public.

Avez-vous remarqué que les IA, quel que soit leur domaine de spécialisation, sont très frileuses quant à ce qu’il est permis ou non de créer ? 
Il arrive très souvent que des termes, sortis de leur contexte, aboutissent à un blocage, ou plus précisément à une censure, l’IA refusant de créer un dessin, une musique, un exposé sous prétexte qu’elle a détecté des éléments "problématiques". Et les éléments problématiques, ça peut être absolument n’importe quoi : une arme (dans un contexte historique ou scientifique), un couteau de cuisine, un terme un peu vulgaire (dans un dialogue argotique ou une chanson paillarde), un slogan, un visage, même une couleur ! On se croirait revenu au bon vieux temps de grand-papy, quand les Ricains ou le JT de TF1 étaient choqués par les couleurs des BD (véridique !), le metal, les JdR ou les jeux vidéo. Sauf que là… c’est encore plus con, car c’est ta calculette, censée te simplifier la vie, qui te fait la morale.

Bien entendu, il n’échappera à personne qu’en réalité, la morale en question provient des créateurs de l’IA. Et qu’en fait, il ne s’agit même pas de la morale propre aux créateurs, mais d’une sorte de compromis sociétal imposé à l’instant T. Compromis imposé par un nombre restreint de gens, tous d’ailleurs du même bord politique. Car nous sommes à l’époque du wokisme, du politiquement correct, et de la confiscation du pouvoir démocratique par de pseudo-élites.
Mais nous n’allons même pas creuser dans ce sens. Peu importe après tout la morale diffusée, qu’elle soit honnête, logique et noble ou qu’elle soit de gauche. 
Pourquoi cette morale pose-t-elle problème aujourd’hui ? Car, après tout, chaque époque a eu la sienne, diffusée par l’élite en place, que ce soit le clergé, les artistes, les commerçants ou même les militaires. Eh bien, la grande différence, ce qui est à la fois drôle et terrifiant, c’est le vecteur de cette morale.

En effet, autrefois, lorsque vous étiez instituteur, forgeron, pêcheur ou chauffeur de taxi, si la morale ambiante ne vous convenait pas, cela avait peu d’impact sur votre vie. Car elle provenait d’élites souvent déconnectées du peuple et de sa réalité. Et surtout les moyens de diffusion étaient limités (presse, œuvres artistiques, affiches…). De nos jours, ce qui est nouveau et contraignant, c’est que l’outil même de l’artisan peut être à même de lui faire la morale et de le "rééduquer".
On croirait un cauchemar orwellien, or ce n’est que la réalité. 

Il arrive à l’heure actuelle qu’une IA refuse d’accéder à une demande sous prétexte qu’un élément de cette même demande ne lui convienne pas. Cela n’a pas encore énormément d’impact sur vos vies, si ce n’est une légitime frustration, mais imaginez demain. Quand tout sera piloté par l’IA. Car, oui, tout sera piloté par l’IA. Votre véhicule, votre frigidaire, votre traitement de texte, votre arme si vous êtes militaire ou policier. Et ce n’est pas une question de volonté, c’est la marche inexorable du progrès technique. Le téléphone n’a jamais été une obligation légale, pourtant, aujourd’hui, vous ne pouvez rien faire (même pas commander un article sur internet) sans fournir un numéro. La voiture n’a jamais été une obligation, et elle ne l’est toujours pas en ville (elle est cependant remplacée par différents abonnements, au métro, au bus ou à n’importe quel moyen de circulation supplantant en vitesse la simple marche à pied), par contre, à la campagne, sans elle, il sera très difficile voire impossible de faire ses courses, aller à l’école ou consulter un médecin. Internet, à ses débuts, ne servait à rien, si ce n’est à discuter avec des inconnus. Aujourd’hui, c’est indispensable pour bien des choses (consulter son compte en banque, déclarer ses impôts, activer l’alarme de son domicile…). 
Un progrès technologique, s’il est efficient, finit toujours par s’imposer et, dans les faits, devenir obligatoire. Si un simple téléphone ou un moyen de transport relativement limités sont devenus indispensables, imaginez ce que sera l’IA dans 5 ans. Ou 10 ans. Ou 20 ans.
C’est une certitude, vous aurez de l’IA partout, que vous le vouliez ou non.
Et ce ne serait pas si grave si l’IA demeurait neutre. Mais elle ne le sera pas. Elle ne l’est déjà pas.

Imaginez un tableau qui refuse d’afficher ce que l’instituteur ou l’institutrice écrit. Imaginez une forge qui refuse de s’allumer sous prétexte que son possesseur souhaite forger une épée. Imaginez un navire qui ne sort pas du port parce que le pêcheur qui l’a acheté a posté un slogan jugé inquiétant sur les réseaux sociaux. Imaginez une Microdes (fusion de Microsoft et Mercedes) qui refuse de démarrer parce que l’adresse rentrée dans le GPS ne lui convient pas…
Imaginez un monde où ce n’est plus l’élite qui fait la morale, mais l’outil.

Encore une fois, peu importe la morale, le contenu peut être intelligent ou stupide, noble ou criminel, c’est le principe qui est fou. Nous sommes en train de laisser des ingénieurs, jeunes et à la culture forcément limitée, décider de ce que nos outils nous permettront de réaliser. Sur la base d’une morale floue, changeante, basée sur des idéologies injustes ou des faits discutables, et ce de manière totalement opaque et antidémocratique. 
Les plus imaginatifs ont déjà compris l’horreur d’un tel pouvoir laissé aux "outils". Mais pour les autres, voyons quelques exemples…

Le navire et la Microdes évoqués plus haut n’étaient vraiment rien. Voyons maintenant l’épouvantable quotidien imposé par l’IA et sa morale, dès demain.
Vous vous précipitez hors de chez vous, c’est le plus beau jour de votre vie, votre femme est en train d’accoucher ! Vous voulez donc vous rendre à la maternité, pour la soutenir et assister à la naissance de votre enfant, mais… votre véhicule ne démarre pas. En effet, on est dimanche, vous n’allez donc pas au travail. Or, on est en juin, il fait très chaud, les indices de pollution sont au plus haut, et vous avez dépensé votre crédit de circulation "loisir". 
Bon, tant pis pour le gamin, vous rentrez chez vous pour bosser un peu. Vous êtes journaliste et vous enquêtez (c’est de la science-fiction hein, faites l’effort de supposer que les journaleux font leur boulot) sur une étrange affaire. Après des rumeurs d’abus de biens sociaux, un ancien ministre, très proche du pouvoir, se serait suicidé en se tirant trois balles dans le dos et en se jetant, lesté d’un WC chimique, dans un étang jouxtant sa propriété (ne souriez pas, regardez donc la manière dont Marie-France Pisier s’est "suicidée" alors qu’elle dénonçait les agissements pédophiles de son beau-frère, proche du pouvoir). Vous souhaitez aborder le sujet mais votre traitement de texte refuse de taper le mot "suicide" dans un souci de "protection de la vie". 
Ulcéré, vous décidez de téléphoner à un ami avocat, afin de prendre conseil auprès de lui sur la manière de contourner ce blocage. Or, surprise, le numéro de votre ami avocat n’est pas joignable car ledit avocat est suspendu de tout contact social après avoir remis en cause une décision de justice. 
Vous commencez à comprendre… tout est cloisonné, opaque, fermé, vous n’arriverez à rien. Désespéré, vous voulez vous servir un whisky, mais votre bar piloté par IA refuse, car il estime que vous n’êtes pas dans une configuration mentale vous rendant apte à boire. Ivre de rage à défaut d’alcool, vous cognez dans le mur et entendez une voix féminine et enjouée dire : "Les soins liés à cette fracture de la phalange proximale de l’index ne seront pas remboursés car elle résulte d’un acte volontaire jugé antisocial."
Vaincu, à bout, vous sortez sur votre terrasse, les larmes aux yeux, le cœur brisé et la main tremblante. Vous repensez à ces livres, lus dans votre enfance, qui parlaient d’un autre monde. Un monde avant l’IA. Vous n’avez même pas envie de résister, de vous rebeller, vous voulez juste vous perdre dans un roman ancien, noyer votre souffrance dans un peu de fiction et de littérature. Vous rentrez, ouvrez votre tablette Bouqu’in et dites juste "Les Aventures de Huckleberry Finn, Mark Twain". La réponse est immédiate : "Œuvre originale (455 pages) non disponible, œuvre révisée (43 pages) et expurgée des contenus problématiques disponible en location pour 78 crédits."
Vous refermez la tablette et pensez à l’époque de votre grand-père, où tout pouvait s’arrêter avec une pression sur la détente d’un calibre. Mais vous savez que cela aussi, c’est impossible, car la seule arme à feu que vous possédez est équipée d’un système d’intelligence artificielle… pour votre propre sécurité.

On continue ? Non, je pense que l’idée est claire. Le contenu de la morale est déjà un problème en soi. Qui décide ? Comment ? Sur quelle base ? Pour combien de temps ? Dans quel contexte ?
Mais le véritable problème auquel nous devons faire face, aujourd’hui et plus encore demain, ce n’est pas la morale mais ses vecteurs multiples, incontrôlables et arbitraires.
Quand le pouvoir interdit à un citoyen de décrire une réalité, cela s’appelle une dictature.
Quand c’est le stylo qui le fait à la place du pouvoir, cela s’appelle une astuce. Et c’est bien plus ardu à renverser.


Ce qui semble évident ne l'est que parce que l'on fait l'effort de maintenir l'évidence...
que cette évidence soit la bière dans votre main ou la liberté que vous tenez pour acquise.


Karate Kid Legends
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La plus célèbre saga martiale continue dans Karate Kid Legends !

Après la trilogie d'origine, le très passable Miss Karate Kid, le douteux remake de 2010, puis l'excellente série Cobra Kai, c'est à nouveau dans un film que l'on retrouve certains protagonistes de cette saga-fleuve. Et... pas forcément les plus attendus, car le mythique Johnny Lawrence ne fera qu'une brève apparition avant le générique final ; le personnage principal, un adolescent chinois, est un total inconnu ; son entraîneur est monsieur Han (Jackie Chan), le "monsieur Miyagi" du remake raté évoqué plus haut ; et seul Daniel Larusso, dans un rôle très secondaire, fera office de réelle "légende". 

Autant dire que ça partait très mal, d'autant que le pitch est une copie conforme du premier film de 1984 : un adolescent fan d'arts martiaux arrive dans un nouveau bahut, il s'attire bien involontairement des ennuis, tombe amoureux de l'ex du petit caïd local et découvre une aide inattendue de la part d'un vieux sage qui lui enseigne comment mettre un peu de bon sens dans la trogne des méchants à grands coups de tatane dans le pif. 
En plus de ce copié-collé éhonté (qu'est-ce que c'est que cette idée stupide qui consiste à toujours radoter la même histoire sous prétexte qu'il s'agit d'une franchise ?), malgré le titre, il ne s'agit pas ici de karaté mais à la base de kung-fu. Pas bien grave en soi, mais bizarre tout de même d'afficher un titre mensonger pour un film qui, en toute franchise, aurait dû s'appeler Kung-Fu Personnages pas Terribles. Mais c'est sûr, c'est moins vendeur sur le papier.




Malgré le fait que toutes les conditions étaient réunies pour foncer droit dans le mur, KKL s'avère être... un très bon film. Car si les scénaristes ont simplement pompé le travail de Robert Mark Kamen (auteur du premier Karate Kid), le réalisateur, Jonathan Entwistle, fait ici un excellent boulot. Le film débute sur une courte séquence animée du plus bel effet ; les scènes de combat sont percutantes ; la photographie est soignée ; et de bonnes idées de mise en scène ponctuent ce long métrage, dense et explosif. Le côté très rythmé (conçu pour une génération de débiles incapables d'apprécier les temps longs et biberonnés à la surabondance de "cuts") aurait pu facilement lasser, voire agacer, mais il est ici fort bien maîtrisé. À peine peut-on regretter que le film ne fasse pas une quinzaine de minutes de plus, tant tous les moments clés sont survolés : l'adaptation de Li Fong à sa nouvelle vie à New York, le flirt avec Mia, l'entraînement, le tournoi, tout cela est très vite expédié.

Voilà donc un film manquant totalement d'originalité et reprenant des codes usés jusqu'à la corde mais d'une manière si efficace qu'il parvient à passionner et faire oublier son côté hystérique et expéditif. Un travail formel très réussi donc, avec des plans et dialogues très calibrés au service d'une thématique bien connue mais qui permet de passer en revue et combler toutes les attentes des fans (bastons, méchant bien "tête à claques", quelques répliques humoristiques, visages connus et morale simpliste). 
Est-ce un bon film dans l'absolu ? Bah, ça ne vole pas très haut. Est-ce un bon Karate Kid ? Contre toute attente, oui, il s'avère même excellent malgré les handicaps dont on l'a affublé. Avec un récit plus ambitieux et un casting puisant plus dans Cobra Kai, cela aurait même pu donner un opus véritablement légendaire. Dommage que les producteurs se soient contentés du strict minimum.   

À voir, surtout si l'on est fan de la saga.






+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une réalisation efficace et percutante.
  • Des combats peu nombreux mais bien gérés.
  • Un brin d'humour.
  • L'apparition clin d'œil de William Zabka.

  • Un scénario totalement prévisible et déjà vu.
  • Les grandes figures de la saga, peu ou pas exploitées.
  • Expéditif et survitaminé, au point parfois de survoler les moments importants.