The Wicked + The Divine - Tome 01
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Angleterre, 31 décembre 1923. Cinq personnes sont autour d'une table, l'une d'elle sort, puis les quatre autres se disent au revoir avant que la maison n’explose. Premier janvier 2014 :  les chanteurs et rock stars d'aujourd'hui affirment être des neo Dieux dotés de pouvoirs, mais seuls leurs fans et groupies ont l'air d'y croire. Laura, adolescente de 17 ans, se rend au concert de l'une d'elle (Amaterasu). Par un concours de circonstances, elle se rapproche de Luci, une autre chanteuse normalement inaccessible. Interrogée par une journaliste, sceptique quant aux « pouvoirs divins » clamés par ces étoiles de la musique, Luci a l'occasion de les démontrer : par un claquement de doigts, elle fait exploser les têtes de deux snipers qui avaient ouvert le feu sur elles ! Plus tard, au tribunal, l'excentrique déesse réclame la preuve que son geste est lié à la mort de deux personnes, faute de quoi elle ne peut pas être accusée de meurtre. Pour « s'amuser » elle claque à nouveau ses doigts et au même moment la tête du juge explose… Laura enquête pour découvrir qui parmi les autres divinités a tué ce juge. Elle va découvrir un monde fantasque, pop et sexy, rencontrer des Dieux de la musique exubérants qui n'ont plus que deux années à vivre. « Ce n'est pas parce que vous êtes immortel que vous vivrez pour toujours… »

De jeunes Dieux à l’apparence de David Bowie, Rihanna, Kanye West, Björk, Daft Punk…

Le scénariste Kieron Gillen renoue avec Jamie McKelvie aux dessins (et Matthew Wilson aux couleurs) après leur première création Phonogram, qui traitait déjà de l’art musical (prochainement disponible chez le même éditeur). Les artistes élaborent un monde à la fois moderne et totalement original. Débutée en juin 2014, la série part d'un pitch improbable : tous les quatre-vingt dix ans, des adolescents deviennent littéralement des Dieux emprunts à diverses religions et mythologies : Lucifer, Exeter, Baal, Sakhmet, Dionysos, Odin, Baphomet…

Chacun renvoyant, en plus, au style visuel de nos propres stars musicales. On y retrouve en vrac David Bowie, Rihanna, Kanye West, Björk, l'un des Daft Punk (Kieron Gillen explique en avant-propos que cette série est l'équivalent du second opus du groupe robotique, Discovery, là où sa précédente correspond au premier album Homework), et Prince arrivera bientôt. Ces nouveaux membres du Panthéon sont au nombre de douze, seuls trois voire quatre d'entre eux sont plus ou moins mis en avant dans ce premier volume. C'est peut-être le seul défaut de cette introduction : si l'on s'identifie et s'attache facilement à l'héroïne (Laura), on découvre trop succinctement les autres divinités, à l'exception notable de Luci(fer).

Graphiquement sublime, les traits sont fins et soignés, sans trop de détails, juste une prestation léchée, peut-être trop simpliste mais qui trouve une seconde vie grâce à sa colorisation « pop » (comprendre : de nombreuses couleurs vives et flashy, sans jamais tomber dans le ridicule). Efficace. Joliment acidulé, il y a un vent de fraîcheur et de Carpe Diem qui résonnent dans The Wicked + The Divine (WicDiv). La série évoque aussi le complot et la mort (des passages sont très violents et sanglants). Car Kieron Gillen, une semaine après la mort de son père, a paradoxalement créé ce milieu mystique et lumineux, « glam & queer ». Philosophant gentiment sur « ce qu'on doit accomplir avant de mourir », il planche depuis sur WicDiv. Évoquant la célébrité, on peut y voir une métaphore de notre société du divertissement, avec ces « stars » naissantes et disparaissant aussi rapidement, grâce à Internet ou à des idées de concept et de look. Ce besoin de notoriété, éternel fantasme d'adolescents, est ici bien illustré.

  « L'univers très riche de cette fable (très colorée) de fantasy urbaine est passionnant »


Au-delà de son originalité, de son aspect visuel envoûtant et ses multiples références à la pop culture, WicDiv met en scène de nombreux personnages féminins, loin des stéréotypes classiques et pas forcément « blanc » et même transexuel (ce qui rappelle, dans une autre mesure, le travail effectué sur Bitch Planet, disponible chez le même éditeur). Là encore, c’est un point fort de l’ouvrage et un travail trop rarement effectué dans les productions « mainstream ». 

Résultat : le lectorat touché s’étend au « grand public » se reconnaissant dans cette charmante galerie de protagonistes. Aux États-Unis, c'est un véritable phénomène de société. Le quatrième tome vient d'être publié et la série entame son 24ème chapitre ; Gillen en prévoit une quarantaine pour clore son histoire. Les rock stars glamours ont permis à The Wicked + The Divine d’être élue meilleure série aux British Awards 2014 et d’être nommée trois fois aux Eisner Awards 2015 (récompense suprême pour une bande dessinée). Pour parfaire le tout : une adaptation en série télévisée a été annoncée.

Dans une préface de 2013, Kieron Gillen revient sur la genèse de sa création : « La seule manière de marquer l'histoire de la pop culture est de viser plus haut, d'aspirer à de nouveaux canons, à une nouvelle religion. » On ne peut plus juste. Glénat Comics propose un tirage limité à 1923 exemplaires, agrandi et luxueux. On y trouve en plus une interview de l’auteur, des notes explicatives et plusieurs photos de cosplay, ces fans qui se déguisent en divinités issues de WicDiv.


Douce réflexion sur la vie et « l'instant présent », l'univers très riche de cette fable (très colorée) de fantasy urbaine est passionnant et, même si beaucoup d'interrogations demeurent à la fin du premier tome — comment ces Dieux sont censés guider les adolescents à la base ? —, on a hâte de lire la suite. Bel hommage à la musique, synonyme d'orgasme, c’est l'occasion idéale pour se plonger dans une nouvelle collection de comics, aussi bien pour les amateurs de bandes dessinées américaines que les plus réticents à cet art, ils seront agréablement surpris !

Cet article a été publié sur la tribune du même auteur sur le Huffington Post (consacrée aux mangas et aux comics).


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un univers original.
  • Un style graphique épuré et élégant.
  • Des couleurs qui ajoutent une réelle dimension.
  • Une héroïne attachante et une (première) déesse très charismatique.
  • Des rebondissements peu prévisibles.
  • Des références musicales et culturelles bienvenues.

  • Peu d'explications sur l'origine et le pourquoi de ces divinités.
  • Des personnages secondaires pas encore assez développés.