The Gifted, l'autre série mutante
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Continuant sur la lancée du troublant et ambitieux Legion, la 20th Century Fox développe son univers super-héroïque autour des X-Men dont elle détient toujours les droits acquis auprès de Marvel Comics.

En puisant dans l’énorme réservoir des séries mutantes de la Maison des Idées, le showrunner Matt Nix et ses producteurs (dont l’incontournable Bryan Singer qui signe en outre la réalisation d’un premier épisode efficace) avaient de quoi peupler les franges de cet univers riche de possibilités et toujours porteur de sens, délivrant bon an mal an des messages de tolérance et d’équité. Si la métaphore de la condition mutante est depuis bien longtemps entrée dans les mœurs (rappelez-vous dans l’excellent X-Men 2 la fameuse question que pose sa maman à Bobby Drake : « N’as-tu pas essayé de… ne plus être mutant ? »), le propos demeure toujours aussi pertinent.

Cependant, contrairement à Legion cité plus haut, série adulte, retorse et complexe - et particulièrement ardue à suivre - The Gifted s’adresse ouvertement au grand public, et plus particulièrement aux jeunes. Non dénué de violence, le feuilleton s’appuie sur un grand nombre de personnages issus des comics et sur certains de leurs invariants (comme le fait d'inclure la plus grande variété possible au sein des groupes, tant du point de vue des pouvoirs que du sexe ou des origines ethniques), en créant d’autres ex nihilo ou par synthèse artificielle d’individus préexistants.
Le lecteur expérimenté retrouvera ainsi forcément l’ambiance des New Mutants, des Morlocks ou du X-Factor de Peter David (cf. la Parenthèse de Virgul #15), il associera aisément le Programme Sentinelle à ceux de Bolivar Trask et Stephen Lang (pas l’acteur, mais le personnage) provenant des histoires imaginées par le regretté Stan Lee et développées par Chris Claremont, mais également au film Days of Future Past ; il s‘amusera également à tenter d’identifier les mutants en s’émouvant de la présence de John Proudstar, un X-Man tombé dès le premier numéro des Nouveaux X-Men – ici plutôt nanti des capacités de son frère James ; il tiquera évidemment sur les petits hommages qui parsèment cette saison 1, depuis l’apparition de Stan Lee en personne, façon Hitchcock, dans l’épisode pilote (qui engendrera fatalement la petite larme chez les aficionados) jusqu’aux noms de Kirby et Claremont, lisibles çà et là sur des bâtiments ou des camions de livraison.



The Gifted n’est donc pas un projet reniant le passé, ou chargé de faire table rase, mais bien une entreprise visant à enrichir le contexte actuel tout en récupérant la plupart des situations et personnages déjà créés.
L’idée (clairement exposée dans les épisodes où l'équipe des Mutants underground explique qu’ils doivent continuer le travail entrepris par les X-Men qui ont disparu) est de combler l’attente des spectateurs avant la mise en chantier d’un nouveau film de la franchise X. Ceux qui y sont familiarisés connaissent d’ores et déjà les enjeux : le monde est de plus en plus hostile aux mutants qui prolifèrent sans que des lois ne viennent clairement contrôler leurs agissements, comme le Registration Act déjà mentionné dans le premier film X-Men, dans la bouche du sénateur Kelly.

Des manifestations pro-mutantes ont engendré des heurts et des victimes, ce qui a exacerbé les tensions existantes. Les progressistes estiment que les mutants, tout aussi humains qu’eux, ont le droit de vivre en paix malgré la menace latente que représentent leurs pouvoirs, les autres adoptent les opinions proférées par des groupuscules du genre Purity qui ne prônent rien d’autre que la mise à l’écart (voire l’extermination) des mutants, dans le but de préserver l'intégrité de la race humaine.
Entre les deux, des factions se font une place au soleil, plus ou moins appuyées par le gouvernement qui essaie de mettre à l’ombre tout individu dangereux, sans se douter que des expériences terrifiantes sont menées sur des petits groupes de mutants capturés, dans des buts inavouables (qui seront l’un des sujets de la saison 1).



Le sujet est vaste. La méfiance qu’engendrent les freaks, ces erreurs de la nature que certains vont pourchasser et opprimer, que d’autres vont tenter de comprendre lorsque la plupart préfèrent ne pas prendre parti, est à l’origine de toute la structure de la série. Les premières minutes du pilote nous montrent une jeune fille poursuivie par les forces de l’ordre et qui finit par user de son pouvoir de téléportation (il s’agit de Blink, mais elle est très loin encore d’avoir la possibilité de se transporter sur d’autres planètes) pour se mettre à l’abri, jusqu’à ce qu’un groupe de jeunes gens (Polaris – oui, oui, la fameuse fille de… [spoiler-qu’il-est-trop-facile-de-deviner] - Thunderbird et Eclipse – celui-ci étant créé de toutes pièces avec des éléments empruntés à Solar des Nouveaux Mutants) ne vienne la retrouver pour la convaincre de se joindre à eux, au sein d'un réseau souterrain de mutants. Mais la situation dérape et Polaris est capturée, puis menée devant le procureur Strucker, un homme rigide qui n’a de cesse de trouver le QG des rebelles. Strucker qui devra, par la force des choses, embrasser la cause de ceux qu’il traquait car... ses deux enfants s’avèrent être des mutants.


Outre Polaris, Blink et Thunderbird, on verra passer Sage, Fenris et les Stepford Cuckoos au milieu de tant d’autres, et pas forcément dans les mêmes camps que les originaux de papier. D'autant que l’histoire ne se contente pas d’un banal chassé-croisé mais ajoute progressivement des protagonistes dont les objectifs s’accordent parfois avec ceux du gouvernement ou des rebelles mutants, tout en ayant des visées divergentes. Du coup, bien que convenablement rythmés, les épisodes sont régulièrement le fruit de questionnements éthiques, de débats moraux et de choix cruciaux à adopter : faut-il en sacrifier un lorsque la survie du plus grand nombre est en jeu ? Doit-on répondre à la violence par la violence ? Jusqu’où peut-on aller pour extorquer des informations vitales ?
En outre, la série se permet d’aller un peu plus loin que les X-films en n’hésitant pas à adopter différents points de vue : si les mutants sont clairement les héros de The Gifted, l’agent Turner à la tête du Programme Sentinelle est montré sous un jour plus ambivalent que le simple adversaire de circonstance. Ses raisons d’en vouloir au monde mutant sont rien moins que légitimes, et les rebelles le confortent en outre plusieurs fois, quoique sans le vouloir, dans sa détermination teintée de vengeance. 

Ainsi, bien que traité sur un mode téléfilm avec des effets spéciaux un peu légers et des décors déserts, la densité du script et l’importance des enjeux emportent progressivement l’adhésion. Certains personnages s'avèrent assez fascinants et disposent tous de petites failles susceptibles de faire basculer leurs penchants, voire leurs alliances. Toutefois, placés au centre du nœud gordien formé par les intrigues, les enfants Strucker décevront sans doute les spectateurs aguerris : Lauren a des airs de petite poupée toute mignonne, Andy se la joue p’tit con victime de brimades, et leurs atermoiements se voient venir de loin. Heureusement, leurs parents, forts de leur statut unique (des humains luttant aux côtés de la frange mutante), bénéficient du jeu convaincant de comédiens expérimentés, même si Amy Acker a nettement moins d’impact en mère courage et dévouée qu’en disciple ironique de la Machine dans Person of Interest.
Malgré un jeu quelque peu stéréotypé, Emma Dumont interpelle par son regard magnétique (en même temps, elle joue Lorna Dane…) et Blair Redford campe un remarquable Proudstar tout en force tranquille ; quant à Skyler Samuels, elle fait parfaitement la peste qu’on adore détester.


Malgré de nombreuses situations convenues et un nombre trop important de personnages à gérer, The Gifted apparaît étonnamment stimulante, enjouée, et plutôt adroitement conçue : une série familiale au potentiel certain, d’une réelle maturité dans sa conception, bourrée de références aux grandes heures des comics mutants et créée pour durer quelque temps.
Diffusée en France depuis décembre 2017, elle vient d’être éditée en vidéo.

Article précédemment paru sur l’Ecran-Miroir.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une série mutante accessible mais néanmoins relativement fidèle à l'esprit des comics.
  • Le plaisir de retrouver des personnages secondaires oubliés ou mal exploités au cinéma.
  • Des enjeux présents dans les films X-Men et développés en prenant soin du traitement des personnages.
  • Un rythme enlevé, des acteurs dynamiques.
  • Une flopée de références à l'univers Marvel, disséminées sans phagocyter le récit.
  • Une représentation des effets dévastateurs de certains pouvoirs assez crédible.

  • Des personnages principaux fades et trop monolithiques, bien loin de la complexité de leurs acolytes.
  • Des effets spéciaux parfois trop "cheap".
  • Une volonté parfois trop manifeste de miser sur l'atout charme de certains comédiens.