Patrick Melrose, la mini-série
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Mais que vaut donc cette mini-série Showtime distribuée chez nous par Koba Films et comptant cinq épisodes adaptés des cinq livres de Edward St Aubyn : Never Mind, Bad News, Some Hope, Mother's Milk et At Last ?


Le cas Cumberbatch


Il faut arrêter de ramener Benedict à Sherlock,
vous voyez bien que ça l'affecte !  
Avant tout : oui, le rôle principal est tenu par Benedict Cumberbatch (si on était dans une publicité diffusée à la télévision française, un astérisque renverrait en bas d'écran à une traduction piteuse comme "Benoît Lot d'Encombrement"). Et si je commence par là, c'est parce que vous n'êtes pas sur UMAC pour lire une critique que vous pourriez trouver ailleurs... si ? Ben allez donc la lire ailleurs, alors ! 
Car autant vous prévenir : cette "critique/chronique/je-ne-sais-trop-quoi" va être foutrement subjective parce que je n'ai comme compétences en cinéma que celles qu'ont quasi tous les spectateurs. 
De plus, je ne compte pas étaler ma science dans un vocabulaire technique mal maîtrisé mais bien vous expliquer ce que j'ai pensé de cette mini-série que j'ai regardée en entier (et là, je jette un regard taquin à certains sites dont les pages sont ouvertes sur mon écran... et dont les rédacteurs doivent avoir regardé deux des cinq épisodes au grand maximum, au vu de leurs articles).
Le Benedict est un cas particulier au cinéma et dans les séries. Je ne vous cacherai pas que j'aime beaucoup ce comédien de théâtre passé au petit puis au grand écran. Le gars n'est plus jeune que moi que de 30 jours et c'est avec une expérience de vie pile de la même longueur que la mienne qu'il aborde donc ses rôles. Ça me permet de voir tout le talent qu'il déploie et le sens de l'observation dont il fait preuve. 
Pourtant, souvent, l'ami Benedict se voit remercié de ses performances par des avis de journaleux tels que "C'est comme un épisode de Sherlock mais sans Watson". Ouais, et ça, c'est comme une critique mais sans pertinence. Cumberbatch a un physique particulier, dégingandé mais néanmoins élégant, voire dandyesque. Le gars est forcément cantonné à des emplois qui lui correspondent, ce qui ne l'empêche pas d'apporter à chacun de ses rôles des variations suffisantes pour ne pas les rendre interchangeables. Reprocher à Cumberbatch de jouer le dandy cynique, c'est comme reprocher à Stallone d'avoir joué le mec à gros bras... Alors certes, vous pouvez avoir aimé L'embrouille est dans le sac (le remake de Oscar avec Stallone) où Rocky/Rambo campe le rôle auparavant dévolu à Louis De Funès. Oui, il y est plutôt bon. Eh bien si les contre-emplois vous plaisent, regardez donc Docteur Strange, Benedict Cumberbatch y campe le super héros de l'écurie Marvel de fort belle façon, ma foi, et laissez-moi apprécier Cumberbatch en mode "so british".

Accessoirement (et puisque j'ai prévenu que j'allais aborder cet article sur un ton très subjectif), ce n'est pas dans Sherlock ou Docteur Strange que j'ai découvert l'ami Ben'... mais bien dans une vidéo montrant le casting voix pour le doublage original du dragon Smaug, dans la trilogie Le Hobbit. Ces quelques secondes m'ont suffi : regardez cet extrait (ici), regardez son regard, l'ondulation de son cou, les changements de sa voix... ce gars "joue grand" sans surjouer, il ose en faire beaucoup sans dépasser les bornes, il trouve le ton juste et ose s'effacer au profit du rôle. En quelques secondes, je fus convaincu et conquis... bien plus par lui que par le fait de faire de ce livre très court une trilogie, d'ailleurs... mais c'est un autre débat !
Que l'on soit donc bien d'accord sur ce point : vous ne lirez pas de ma plume que Cumberbatch "fait du Cumberbatch" car vous ne lirez cela que de la part de gens imperméables à la finesse de son jeu et qui devraient retourner regarder des documentaires animaliers commentés par Alexa, l'I.A. développée par Amazon. 
Ceci étant dit, je trouve ici Cumberbatch aussi bon qu'à son habitude et même très à l'aise dans certaines formes d'humour que l'on ne lui connaissait pas encore.

Du coup : "Bravo, Benedict ! Great job!"


Le cas Patrick Melrose


Patrick Melrose est un dandy sarcastique, fils d'une riche héritière américaine et d'un aristocrate anglais autoritaire. Au moment où commence l'histoire, on le découvre accro à tellement de substances stupéfiantes que ses globules blancs dealent de la coke dans le bar clandestin de ses globules rouges. Auto-destructeur et grand adepte d'une autodérision qui confine à la haine de soi, Patrick est encore en pleine descente d'un trip bien chargé quand il apprend sans trop s'en émouvoir la mort de son paternel à New York.
Le début donne le ton... pourrait-on croire. Parce que la série, bien que restant toujours dans un registre cynique et nous présentant des personnages relativement dépravés ou déglingués, ne se privera pas pour changer de rythme ou d'ambiance à maintes reprises de façon souvent élégante. Cela est essentiellement dû aux maints flash-backs à différentes époques : on voyage entre 1967 et 2005 sans que cela soit jamais perturbant tant les codes graphiques et la colorimétrie (ouais, je sais, j'avais promis de ne pas sortir de termes techniques) sont adaptés à chaque période.

Le lancer d'urne funéraire...
Pas sûr de voir cette épreuve inclue aux J.O. de 2024.  
Dans un premier temps, Patrick va vivre le décès de son père comme une délivrance et tentera donc de se débarrasser de ses addictions, pour se libérer de tous les fantômes du passé qu'il espère bien réduire en cendres en même temps que son vieux... mais, de la même façon que se débarrasser de cette fichue urne funéraire sera compliqué, les souvenirs et les traumatismes de son enfance douloureuse ne se laisseront pas faire non plus et c'est un Patrick Melrose plus encore friand de psychotropes que l'on suivra par la suite durant tout ce qu'il espère être son parcours vers une vie normale, débarrassée de tout ce qui le ronge.
Parce que, en matière de traumatismes d'enfance, Patrick fait très fort "grâce" à son père qui n'a rien du papa modèle. Hugo Weaving a en effet ici le courage d'incarner un personnage qui s'adonne à ce que je pourrais sans doute appeler personnellement le plus abject des crimes dont un homme est capable. Au sein de cette caste britannique bourgeoise où l'entre-soi est roi et l'omerta fait loi, ce personnage détestable fait régner une sorte de silence pesant sur ses pratiques, silence dont on ignore s'il est motivé par l'ignorance ou une passive complicité. Dès l'épisode 2, ayant lieu durant l'enfance de Patrick, on est témoins de la façon dont son père a un impact négatif sur tout et tous... 

Mention spéciale aussi pour cet enfant jouant Patrick jeune.
Ses rares moments très expressifs étant ceux où il souffre,
son absence d'expressivité le reste du temps suggère
un repli sur soi très cohérent avec l'histoire.
Cette mini-série est donc l'adaptation par David Nicholls de l'œuvre à succès partiellement autobiographie (pauvre gars !) d'Edward St Aubyn.
La réalisation y est soignée et marquée, surtout, par un usage de couleurs très vibrantes. Le rouge est rouge, le bleu est bleu... la palette est aussi saturée de couleurs que les veines de Patrick de produits divers. Ça peut déplaire... moi, ce n'est pas mon truc. Mais j'avoue que c'est bien fait, que c'est bien dosé et ce n'est en rien un critère de disqualification.
On y voit quelques plans-séquence assez bien utilisés, des transitions jouant sur des rappels d'environnements ou d'objets... c'est bien foutu et l'écriture a de toute évidence nécessité le soin appliqué du réalisateur qui, sans rien inventer vraiment, rend une copie parfaitement honnête.
Là où la série est remarquable, outre sa distribution, c'est au niveau du rythme des épisodes. Le premier épisode est halluciné et, selon le réalisateur, inspiré de After Hours de Martin Scorsese, alors que le deuxième, narrant des souvenirs d'enfance de Patrick en Provence, ressemble davantage à un Godard ou à une adaptation perverse et sadique de l'œuvre de Marcel Pagnol.
Le rythme est sans cesse bousculé pour coller avec ce que l'image raconte mais, en plus, le découpage passé/présent/futur est une sorte de patchwork qui permet, par exemple, de faire intervenir Cumberbatch tout naturellement dès le premier épisode, ce qui eut été impossible dans un récit narré dans l'ordre chronologique.

Évidemment, parfois, certaines longueurs narratives dans une époque qui nous intéresse moins peuvent faire naître une frustration : on a très envie de connaître la suite de telle ou telle intrigue qui nous passionne mais on se bouffe à la place 15 minutes n'en finissant plus de ce dialogue certes bien écrit mais dont on n'a pas grand-chose à faire... c'est inévitable, avec ce type de construction entamant forcément plusieurs histoires à la fois. Que ce soit par saucissonnage temporel, comme ici, ou géographique (comme dans Game of Thrones, si vous voulez), ça crée des pauses narratives. C'est comme ça.

Oh, au passage, j'ai parlé des dialogues bien écrits. Et oui, c'est vraiment bien écrit, ciselé, cynique, fin, intelligent... mais du coup presque trop peu réaliste. Qui donc parle ainsi "à l'improvisade" ? Bon, je vous rassure, dans la bouche de riches bourgeois anglais, ça choque moins que dans celles des ados de la série Dawson. Mais quand même, certains passages sont vraiment "trop écrits" !

Une image floue de l'enfance de Patrick Melrose peut suffire à se faire une première impression...
Vous le sentez poindre, le malaise ? 

Le casting


Non, pas "Le cas Sting"... on ne parle pas du Dune de David Lynch, essayez de suivre, un peu !
Le casting de cette mini-série est assez prestigieux et joue de façon particulièrement propre et convaincante.
Hugo Weaving (le Mister Smith de Matrix) offre à Patrick Melrose un père à la cruauté n'ayant d'égal que la perversité et un charisme à la hauteur de la crainte qu'il inspire à son entourage.
Les femmes sont loin d'être laissées pour compte avec des rôles riches et non monolithiques.
Jennifer Jason Leigh joue la mère de Patrick, dominée par son époux et aveuglée par la peur qu'il lui inspire. Un rôle qui verra le personnage sombrer jusque dans un état de délabrement assez terrible et plutôt bien défendu par la comédienne.
Anna Madeley est la femme de Patrick, dévouée à son mari mais qui devra composer avec les démons de l'homme qu'elle aime.
Jessica Raine incarne un personnage que l'on croit d'abord un peu secondaire mais qui se révélera être une amie très proche de Patrick, à la fois soutien moral et point faible de celui-ci. Un rôle très changeant, tantôt ironique, tantôt dépressif.
Mais la meilleure performance féminine à mes yeux est celle de Holliday Grainger, qui incarne une jeune hippie rebelle et provocante qui finira par embrasser le matérialisme et le cynisme de la bourgeoisie anglaise, offrant d'ailleurs à Patrick Melrose un astucieux miroir inversé : l'heure de son ascension sociale coïncidence avec la chute de Patrick et c'est quand Patrick commence à s'en sortir qu'elle perd tout ce qu'elle avait convoité. 

Holliday Grainger, magnifique dans son interprétation comme à l'image.
Comment avoir un charme incendiaire sans une once de vulgarité ! 


Et donc, au final... ça vaut quoi ?


Les deux thèmes principaux sont sans conteste possible les addictions (et le difficile chemin vers la sobriété) et les violences familiales (je sais, c'est un terme très doux au vu des faits narrés mais je ne veux point "divulgâcher", comme le dit... euh... j'ignore qui dit ça, en fait !).
Je ne suis fort heureusement spécialiste d'aucun de ces deux thèmes mais je peux analyser un peu leur traitement : l'un comme l'autre sont présentés avec une pudeur toute anglaise. On voit leurs conséquences mais rarement l'acte lui-même.
Certes, on a droit à une aiguille s'enfonçant dans un bras en gros plan mais jamais en même temps que le visage de Cumberbatch, ce qui est plus neutre, plus distancié. Et quand il se pique en plan large, son bras plié cache la seringue. 
Pour les violences, en dehors de la scène où le petit Patrick se fait tirer les oreilles (ceux qui ont vu la série s'en souviendront forcément), tout n'est que suggestion pour les violences physiques et exposition pour les violences psychologiques ou morales.
Et cette élégance british de l'emballage était un choix absolument nécessaire pour se fondre dans l'hypocrisie ambiante du milieu dont la série dresse un portrait peu flatteur.

La haute société anglaise, façon Patrick Melrose,
c'est un milieu... absolument infect !
Pour nous aider à faire passer les thématiques abordées, on a eu le bon goût de nous les servir enrobées d'humour. Vous y trouverez bien entendu de la comédie de mœurs puisque la série entière est une satire de la haute société anglaise de la fin du XXème siècle, du comique de situation, du comique de mots en grand nombre avec les traits d'esprit de différents personnages et même du comique gestuel, à de rares moments (voire même du comique gestuel un peu foireux quand Patrick, défoncé au possible, s'étale de tout son long dans un restaurant).

Il y a évidemment des gens qui ne supporteront pas cette série : les thèmes abordés ne sont pas très "Disney-friendly", les dialogues sembleront parfois capillotractés à certains, la sobriété de jeu de plusieurs des acteurs pourra paraître fade aux habitués du surjeu façon US...
Mais pourtant si. Si, c'est bon. C'est vraiment bien foutu. Si je n'avais, personnellement, qu'un reproche à formuler, ce serait une sorte de "tout ça pour ça". On a au final le chemin jonché d'embûches d'un homme bien né mais détruit par la vie qui va chercher le bonheur en se délestant de tout ce qui faisait son milieu... c'est peu.
Mais c'est néanmoins tellement agréable à regarder et tellement bien joué que je ne peux que recommander l'achat de l'intégrale de cette série qui sortira le 2 mai en DVD et en Blu-ray chez Koba Films.

Non mais vraiment, ce thème... il fallait oser en faire une série, quand même !

+ Les points positifs - Les points négatifs
  • La distribution regroupant des acteurs et actrices de haut niveau.
  • L'audace d'aborder le thème de l'enfance maltraitée.
  • La réalisation peu inventive mais efficace.
  • L'humour indispensable à ce genre de thème (sans quoi ce serait vraiment impossible à traiter).
  • Pour me faire plaisir : Holliday Grainger.

  • Certaines longueurs.
  • Le découpage narratif qui peut perdre certains spectateurs parmi les moins attentifs.
  • Les scènes de défonce parfois montrées de façon trop facile et attendue... on a tous vu Trainspotting, c'est bon!