The Unwritten
Par


Retour sur The Unwritten, un comic de fantasy lorgnant sur la métaphysique de l'écriture.

Tommy Taylor est le personnage principal d'une série de romans à succès qui met en scène un jeune magicien et a suscité un véritable engouement dans le monde entier, dépassant même en popularité le si médiatique Harry Potter. Les fans attendent avec impatience un hypothétique quatorzième tome, l'auteur ayant disparu depuis fort longtemps.
Tom Taylor, lui, est le fils de l'écrivain et la supposée source d'inspiration du personnage. Il enchaîne les festivals et les séances de dédicace, surfant sur un succès par procuration qui lui permet de vivoter mais qui possède aussi ses mauvais côtés, comme ces dingues qui, de temps en temps, le prennent vraiment pour ce qu'il n'est pas : un sorcier.

Un jour, une rencontre va bouleverser la vie de Tom. Une inconnue l'interpelle en public et révèle que l'une des photos censées le représenter étant enfant est en fait un fake. Elle laisse également entendre que le passé du jeune homme est bizarrement constitué de vides et d'éléments troublants. Il n'en faut pas plus pour déchaîner la colère des inconditionnels de la série, ulcérés d'avoir été menés en bateau par ce qui pourrait n'être qu'un imposteur. D'autres illuminés pensent expliquer le passé mystérieux de Tom par le fait qu'il serait en fait né avec les romans et tout droit issu des lignes couchées sur le papier par son créateur.
Tom Taylor va rapidement constater que, dans l'ombre, de bien dangereux personnages s'intéressent de très près aux mots et à leur puissance...

Publié pour la première fois en VF en 2011 chez Panini, The Unwritten est maintenant en cours chez Urban Comics (2 tomes disponibles à ce jour, dans la collection Vertigo Essentiels). La série compte 71 épisodes en tout et s'est même offert un crossover avec Fables. Et, comme souvent avec le label Vertigo (cf. ce dossier sur les encyclopédies comics), nous avons affaire à un titre original, bien pensé, à la thématique riche et passionnante.
Jetons tout d'abord un œil sur l'équipe créative. Au scénario, Mike Carey (Faker, Neverwhere, God save the Queen, X-Men Origins), un spécialiste de la fantasy et des univers étranges. Au dessin, Peter Gross. Bon, à l'évidence, ce n'est pas l'aspect graphique qui constitue l'attrait principal de cette série. Rien de hideux, simplement un style passe-partout, sans âme (si l'on excepte quelques représentations inspirées, comme celle du "monde de l'autre côté de la porte", très impressionnante).
Pour faire une comparaison, ça ressemble un peu à du Buckingham (le dessinateur, pas le palais). Mais rien de rédhibitoire, d'autant que la thématique offre largement de quoi s'intéresser à ce récit. Le style des planches consacrées à la "fiction dans la fiction" a cependant déjà plus de charme.


Carey évoque la puissance des mots et des histoires ainsi que la magie que manipulent les Conteurs, une vision passionnante qui met en avant cet incroyable pouvoir qui consiste à faire ressentir à distance, à un parfait inconnu, des émotions que l'on va générer par de simples lettres noircissant un banal papier. C'est la définition même de la magie. Pas celle des cabarets, la vraie, qui permet, par des signes et des symboles, d'influer sur le monde physique et l'humeur de nos semblables.

L'auteur va patiemment construire un habile jeu de va-et-vient entre la fiction et le monde réel, chaque chapitre commençant par quelques pages des aventures de Tommy Taylor avant de revenir sur les déboires du véritable Tom Taylor. La frontière entre héros de papier et de chair va cependant vite s'estomper et, à partir de ce moment-là, les portes de l'Imaginaire vont s'ouvrir sur de vastes interrogations philosophiques.
La réflexion porte bien entendu sur l'impact de la fiction sur la vie, mais elle va bien plus loin et questionne sur ce qui fait d'un être humain une "réalité" aux yeux des autres. Ainsi, sans photos, sans numéro de sécurité sociale, sans extrait de naissance ou inscriptions dans un vague registre administratif, est-il possible de démontrer aux autres sa propre existence ? Quelles sont les preuves que nous réfutons ou, au contraire, tenons pour crédibles, presque pas habitude, sans réelle réflexion sur leur importance ?
Plus grave encore - car signe des temps - la puissance de l'information, même erronée, et sa transformation en haine ou vénération de masse par une foule aussi terrifiante que versatile, donne à réfléchir sur nos réflexes et les aléas de la surcommunication.

Attention, ne vous laissez pas refroidir par l'aspect philosophique ou les connexions multiples avec la littérature, The Unwritten est une série qui est très facilement abordable, avec de l'action, du suspense, de vrais méchants et un personnage principal très attachant. Par contre, forcément, lorsque l'on s'intéresse un peu à l'écriture en général, c'est un pur bonheur tant l'on a l'impression de naviguer sur une mer ancienne et familière où il fait bon croiser quelques vieux capitaines au visage buriné par les embruns.
Les références littéraires sont en effet multiples, cela va de Mary Shelley à Conan Doyle, en passant par Oscar Wilde, George Orwell et même Rudyard Kipling auquel tout un chapitre est d'ailleurs consacré. Joli rappel de ce que les britanniques ont pu offrir aux Lettres.

Une excellente idée de départ qui permet d'envisager d'immenses possibilités et qui s'avère être une intelligente et pratique passerelle entre pop culture et écrits plus "institutionnels".
À ne pas rater.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un récit prenant et habilement construit.
  • Les nombreuses références littéraires.
  • L'aspect réflexion métaphysique sur l'écriture.
  • Un personnage principal attachant et fort bien écrit.

  • Un style graphique parfois un peu quelconque.