Vesper #1- L'Amazone
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Vesper est une nouvelle série de fantasy regorgeant de noms farfelus, de pouvoirs divers et variés et de personnages aux vices innombrables... Ce tome 1 en annonçant cinq autres vaut-il l'investissement ?


Voilà plusieurs jours que je me pose cette question. Après avoir refermé cette BD signée Jérémy (Les Chevaliers d'Héliopolis, Layla, Barracuda, Complainte des landes perdues), j'étais terriblement mitigé. 
J'aime généralement la fantasy... mais suis-je client de cette fantasy particulière, de cette vision spécifique du sous-genre sword and sorcery qu'offre cet album ?
J'apprécie plutôt ce type de trait mais ne va-t-on pas ici dans une exagération indigeste ?
J'aime la couleur directe mais j'accroche peu à celle-ci... pourquoi ?
Je lis des mangas et je joue à des jeux vidéo japonais mais n'en ai-je pas soupé de ce design et de ces inspirations ?

Et puis j'ai pris une décision toute bête : évacue tes ressentis et sois factuel ! Allons-y donc avec les faits, crénom !

Jérémy se lance donc ici tout seul comme un grand dans la création d'une BD en six tomes. Scénario, dessin, mise en couleurs... le gars fait tout. Il a même développé un jeu vidéo se basant sur son univers et disponible sur Steam, la bien connue plateforme de distribution de jeux : Vesper : Ether Saga.
Du coup, respect. Un tel investissement relève de la passion et les gens passionnés sont inspirants.

Alors, quand on sait qu'il a travaillé avec Jean Dufaux sur La Complainte des Landes perdues (Dargaud) et avec Alejandro Jodorowsky sur Les Chevaliers d’Heliopolis (Glénat), on n'a qu'une envie, c'est voir ce que ça donne quand ce jeune belge de 37 ans ouvertement fan de jeux de rôles, de jeux de stratégie et de jeux vidéo se met lui-même au scénario. Malheureusement, comme vous avez pu le deviner... je ne suis étrangement pas client de ce travail... et j'en suis le premier étonné. Mais en aucun cas cela ne m'empêchera de rester objectif et de souligner ici les qualités innombrables de Vesper. Pas plus que ça ne m'empêchera de creuser les raisons pour lesquelles ça ne fonctionne pas tout à fait avec tous les lectorats.


Ici, nous sommes en l’an 1159 du calendrier ekklesien. Vesper, l’héroïne à qui la série doit son nom, est une hybride mi-humaine, mi-chimère qui parle la langue éthérée. Vous devinerez sans peine qu'il s'agit là de la langue de la magie. Etant donné que l'on n'en est pas à un concept rebattu près, cette magie lui permet de maîtriser le feu et la glace. Et comme on s'en doute, elle va avoir à se transcender pour surpasser mille et une épreuves... ainsi que le suggère l'image ci-dessous : user de la langue de magie sans l'organe du même nom, c'est de suite plus compliqué !

Il se fait que Vesper est au service du prince Crimson Nyx (que ses parents ont dû baptiser grâce à une recherche dans un générateur de noms de fantasy pour rôlistes comme il y en a des dizaines sur le net), gros guerrier bien bourrin dont elle a fait son amant, avec qui elle ambitionne de créer un royaume égalitaire permettant à tous de vivre sur une terre convoitée par pas mal de peuplades diverses. 

Au début du tome 1, Vesper assiège la ville de Valestiel où se sont réfugiés les Sorajis, un peuple qui a migré vers le royaume de Sylvaestris... et oui, tout ce bordel est déjà un souci : en quelques planches, je me retrouve avec une tonne de noms à retenir pour un univers dont j'ignore encore s'il m'intéressera et pour lequel mon investissement est encore quasiment nul. N'y avait-il pas moyen de m'offrir d'abord quelques planches intrigantes sur l'un ou l'autre personnage et diluer ces informations au détour de cases n'ayant pas pour unique but de me faire ingérer ces noms ? 

Mais bon... l'arrivée massive des Sorajis n’a pas plu aux locaux et cela a déclenché une guerre durant laquelle, en première ligne, Vesper va user de sa magie.
Et ce n'est pas bien malin, vu qu'elle bataille dans un camp pour lequel la langue éthérée est un sacrilège. C'est moi ou on veut me vendre comme héroïne une abrutie arrogante au seul prétexte qu'elle serait badass et gaulée comme une bimbo du Salon de l'Auto ?
Les Sorajis se rendent, forcément... quand on affronte avec des épées une meuf capable de déclencher contre soi la fureur des flammes et la morsure de la glace, ça semble une réaction on ne peut plus raisonnable.
Crimson Nyx rejoint la belle rouquine sur le champ de bataille et, bien vite, ça finit en galipettes dans sa tente d'officier. 
Mais entretemps, le cardinal Murgleis reçoit l’inquisiteur Redgrave (qui a lui aussi hérité d'un blase pioché sur findanepicname.com) qui veut évincer Crimson. L’usage inconsidéré et pour tout dire totalement con de magie par Vesper va lui servir de prétexte pour ce faire.
Les deux amants seront donc séparés par les troupes de l'Aurora Crux (ouais, les gens de l'inquisiteur, quoi !) et tous deux condamnés à des sorts peu enviables... et c'est un foutu euphémisme !

La suite nous apprendra que Vesper est d'origine plus ou moins, euh... disons "démoniaque", que sa mère (une sorte de sorcière œuvrant dans les ténèbres du Nocivus, hum...) va lui offrir l'aide d'un sidekick horripilant sous la forme d'une chimère au design de fennec en armure capable de se transformer à l'envi en... euh... en SoulCalibur (désolé mais une épée démoniaque avec un gros œil dessus, j'appelle ça comme ça).

La suite est une combinaison de trahisons, de loyauté, de complots, de manipulations, de croyances religieuses, de magie et de torture... mais je ne vous en divulgue pas plus, vous verrez cela par vous même au cas où.


Qu'est-ce qui fonctionne graphiquement ?
Essentiellement le dessin de Jérémy, pour qui aime ce type d'approche relativement réaliste. Même si, par exemple, le design des Sorajis ne m'a en rien convaincu ; onl'impression d'une race issue du métissage entre des démons de Khorne et des Hommes-Bêtes de Warhammer. Et que dire, alors, de celui de la monture finale de Vesper, que je vous offre ici à droite ? Pourquoi y vois-je un Dracaufeu ? 

Qu'est-ce qui ne fonctionne pas graphiquement ?
La mise en couleurs. Non pas que le travail soit mal effectué, loin de là... mais, très étrangement, il ne semble pas être approprié au style de dessin. L'exemple le plus flagrant est encore une fois ces pauvres Sorajis : on peine à croire à leur pelage roux tant les poils sont peu marqués et la colorisation est uniforme. Pelage roux du même roux que les cheveux de Vesper, d'ailleurs...
Je ne reviendrai pas sur le cliché tellement usé jusqu'à la lie qu'on voit au travers consistant à faire de son héroïne une plantureuse rouquine incendiaire (littéralement incendiaire, en plus : elle invoque le feu !) mais que ce roux soit aussi celui des poils des Sorajis, celui du pagne de l'inquisiteur, celui du sang dans nombre de cases, celui des griffes d'un monstre, celui du dos de "Dracaufeu", celui de la cape de la mère de Crimson et du tatouage de ce dernier (de mémoire) est révélateur... la palette de couleurs est vraiment, vraiment trop restreinte et trop peu nuancée. 
On en arrive même à des cases où des toiles de tente, des vêtements et des amures ont tous la même teinte sépia, noyant la planche de beige et de marron. Ce n'est pas laid, ça pourrait plaire sous prétexte de "cohérence chromatique"... mais c'est surtout assez lassant, visuellement.

Et scénaristiquement, alors ?
Ce n'est pas compliqué : on a ici une BD écoresponsable adepte du recyclage.
Par conséquent, si vous êtes, comme l'auteur, un amateur de ce type de fantasy, vous reconnaîtrez en lui l'un des vôtres et il vous sera sympathique mais il n'apportera strictement rien à vos propres rêveries déjà alimentées par maintes œuvres autrement plus inspirées. On peut être refroidi par ces redites et cette complaisance dans la brutalité et le gore assez mal servie par une colorisation trop terne... Pour un vieux de la vieille, cet album n'en fait de toute évidence pas assez, ni dans l'originalité, ni dans le style, ni dans l'impact visuel.
Mais si vous êtes plus jeune que l'auteur ou novice en matière de fantasy, vous trouverez en Vesper un monde intrigant qui constitue sans doute un sas d'entrée dans le genre tout aussi honorable que bien d'autres.

Au-delà de toutes ces considérations, je rappelle que cet auteur fait tout de A à Z... Même s'il ne m'a pas passionné (pour les raisons évoquées plus haut), ce livre est l'œuvre d'un passionné. Et rien que pour ça, il mérite mon respect. Alors, si vous connaissez peu ce genre et que vous avez envie d'encourager une initiative audacieuse, donnez sa chance à Vesper.


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Une œuvre de passionné.
  • Un scénario efficace.
  • Un dessin convaincant.
  • Un univers foisonnant. 
  • Une œuvre trop référencée, pour qui connaît déjà la sword & sorcery.
  • Un scénario assez convenu, pour qui a pratiqué les jeux de rôles.
  • Une mise en couleur un peu fade.
  • Un univers peut-être un peu trop généreux en détails peu utiles qui peut s'avérer un rien indigeste.