Catwoman - Lonely City
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Qui mieux que Selina Kyle pour accomplir la dernière volonté de Bruce Wayne ?
Après la mort de la chauve-souris, seule la féline peut encore accomplir un de ses derniers projets.


Dix ans après la Nuit du Fou, dix ans après la mort de Batman, de Nightwing, du commissaire Gordon et même du Joker, celle qui fut Catwoman sort de prison et retrouve une Gotham métamorphosée.
Plus aucun héros masqué, plus le moindre vilain bariolé... tous ces phénomènes de foire ont été neutralisés et relégués au rang de souvenirs un rien embarrassants.
La Gotham new look est désormais une ville moderne comme tant d'autres. Plus propre, plus sûre, plus inclusive et accueillante. Sous la tutelle de son maire, Harvey "Double Face" Dent, elle a placé la sécurité en haut de ses priorités et des Batcops très zélés, renseignés en direct sur l'identité du moindre citoyen désormais fliqué à l'extrême, patrouillent en tenue de troupes d'intervention à oreilles pointues.

Selina va renouer avec quelques vieux complices et monter le coup ultime de sa carrière de monte-en-l'air, le coup qu'elle seule peut parvenir à tenter... mais n'est-ce pas précisément ce que l'on attend d'elle ?

Le déroulement du casse n'est pas révolutionnaire mais ce n'est pas là le point important de cet ouvrage. Sa force réelle vient de ce qu'il parvient à nous faire authentiquement ressentir de l'affection pour cette héroïne désormais vieillissante, de la compassion pour ses genoux abimés, de l'empathie pour elle lorsqu'elle cède à la nostalgie et à la mélancolie, de la douleur lorsqu'elle se laisse aller aux regrets.

Ce comic parvient à faire revenir quelques méchants aux profils plus ou moins ambigus ainsi que quelques vilains vraiment détestables en nous les offrant immédiatement selon le point de vue spécifique de Selina ; un point de vue qui apporte à l'ensemble un agréable sentiment de proximité avec ces protagonistes très souvent traités en antagonistes bien plus manichéens qu'ici.

Cliff Chiang
 est ici l'unique artisan du volume entier et ça se sent, c'est tout sauf "chiang". Comme l'explique l'éditeur Urban dans un article sur son site officiel, ce dernier n'a pas hésité à enfiler chacune des casquettes, réalisant par exemple un vrai scénario complet et un storyboard et pas juste un synopsis mental vite torché avant de se lancer dans le dessin. On sent l'implication du bonhomme de A à Z avec une réelle attention aux détails, une envie de placer des clins d'œil qui ne soient pas de vulgaires caméos, l'intention sincère de faire de Selina Kyle une personne crédible plutôt qu'un personnage bêtement sexy, l'ambition de jeter un regard critique et parfois sans concession sur l'utilité des super-héros et autres vigilantes
C'est un album qui a un message à faire passer et dont l'existence n'est pas vaine, en ce qu'il explore la possible vanité de l'existence de héros tels que Batman. C'est une remise en question désabusée, une analyse du mythe du héros. Après tout, une police bien équipée, autoritaire et bien coordonnée n'aurait-elle pas évité bien des victimes, bien des douleurs, bien des traumatismes en lieu et place de la Bat Family ? Ce n'est pas le premier comic book à douter de la pertinence des "masques", nombreux sont même ceux qui suggèrent que les super-criminels seraient en grande partie engendrés en réaction à l'existence de super-justiciers...  mais rares sont ceux qui le font après l'amer constat de leur échec. Ici, certains personnages comme Barbara Gordon sont clairement convaincus que leurs combats, leurs acrobaties et leurs nuits entières à faire autrefois du parkour sur les toits de la ville furent moins utiles qu'un engagement politique déterminé défendant des idées efficaces.


Outre le scénario ouvrant des pistes de réflexion bien plus importantes qu'il peut y paraître, Lonely City est aussi le travail d'un dessinateur. À ce sujet aussi, il est assez remarquable. Sans aucun artifice superflu, à l'aide d'une économie de traits et d'une mise en couleurs à la palette restreinte, Cliff Chiang délivre des planches dont l'atmosphère colle au récit et dont la lisibilité immédiate appuie le message avec une efficacité évidente.
Selina est une cinquantenaire aux traits de laquelle on devine les douleurs de son passé. Ivy est devenue une jeune femme opulente qui semble s'épanouir autant que ses pouvoirs... chaque lieu, chaque personnage a clairement été réfléchi dans l'optique de confronter sa mythologie à une réalité où elle est quasi obsolète.
On tient là un des comic books les plus cohérents et accomplis qu'il nous ait été donné de lire. Accessible à tous, intrigant, intelligent, cohérent... Il peut être l'aboutissement d'une vie de passion pour les amoureux de Batman comme une porte d'entrée un peu méta dans cet univers.
Pourquoi ces gusses en costumes se battent-ils comme des forcenés en habits de carnaval ? Leur action est-elle utile, n'est-elle pas contreproductive ?
Une politique de fermeté mettant fin aux agissement de chacun de ces personnages, de quelque camp qu'il soit, ne serait-elle pas la solution ?
Au final, c'est sans doute ça qui est impressionnant : Lonely City est autant la résurrection d'une question que l'on ne se pose plus qu'une réponse à une question que l'on ne se pose pas encore.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • C'est beau.
  • C'est intelligent.
  • C'est condensé en un seul volume autosuffisant.
  • C'est sans concession.
  • C'est d'une cohérence prouvant qu'il s'agit de l'œuvre d'un seul homme.
  • C'est peut-être parfois un rien cryptique pour les non initiés à l'univers, mais rarement.