Le Château de Hurle
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Lorsqu’à la mort de son père, Sophie est chargée de s’occuper de la boutique de chapeaux familiale à la Halle-Neuve. Elle se fait une raison : après tout, au pays d’Ingarry, l’aînée de trois filles n’a aucune chance de réussir ce qu’elle entreprend. Ses deux sœurs seront donc placées (l'une chez un pâtissier renommé, l'autre chez une magicienne) afin d’accomplir leur destinée tandis qu’elle moisira là en faisant de son mieux pour satisfaire la clientèle. Cependant, en ce jour de la Fête de Mai, Sophie devra changer ses plans : en effet, la terrible Sorcière du Désert vient de lui jeter un sortilège pour une raison qu’elle ignore. La voici à présent vieille et rabougrie. Il lui faut quitter sa chapellerie et chercher un refuge ailleurs : pourquoi pas au château ambulant de Hurle, dont on dit qu’il dévore le cœur des jeunes filles ?

À la lecture de ce résumé, les cinéphiles auront immédiatement reconnu la trame d'un des films les plus célèbres et estimés des studios Ghibli : Le Château ambulant. Ils n'auront pas tort, car Miyazaki s'est ouvertement inspiré du roman de Diana Wynne Jones pour le scénario de son long-métrage d'animation, roman considéré comme un classique de la littérature jeunesse outre-Manche. Sa lecture a posteriori entraîne donc une vision altérée du récit. 

Ce dernier propose une histoire très riche, pleine de rebondissements et partant dans de nombreuses directions, au point de laisser parfois le lecteur dubitatif : s’il est écrit suivant les préceptes d’un conte de fées traditionnel, avec ses héros, ses adjuvants, ses ennemis et sa quête, il se perd parfois dans certains méandres qui, en agrémentant davantage le tissu de la narration (tout en contribuant à orner la toile de fond), ont tendance à embrouiller le texte, au point que les motivations de certains des personnages apparaissent floues. Cela dit, cette impression est peut-être due à la traduction d’un ouvrage qui aurait été facile d’accès s’il s’était débarrassé de certaines scories. L’auteur fourmillait sans doute d’idées et a cherché à les placer dans une histoire qui n’a que l’apparence du conte pour enfants – il fait partie de cette longue litanie d’ouvrages spontanément apparus en France dans la liste des collections « Jeunesse » alors qu’ils faisaient naguère partie des catalogues adultes (comme Le Seigneur des Anneaux). Il est vrai que la littérature jeunesse a connu une embellie qui lui fait étiqueter comme tel à peu près tout et n’importe quoi depuis le succès phénoménal des Harry Potter. Pour le meilleur et pour le pire. 


Or ce livre est bien répertorié comme « livre pour enfants », édité chez Pocket Jeunesse sous le numéro J1273 avec un bandeau précisant « À partir de 11 ans ». Certes, la trame n’est pas des plus originales, et les péripéties de Sophie Chapelier se suivent sans déplaisir, d’autant que les lieux et les personnages ont ce pittoresque non éculé par les adaptations de Walt Disney. Et puis, ce château qui bouge, dont la porte principale ouvre sur quatre destinations différentes (dont une située dans un autre monde), est en soi une merveille d’imagination. Car l’histoire mêle avec malice quelques éléments du bestiaire des contes à d’autres plus fantastiques, au sein d'une ambiance manifestement poétique. Les énigmes qui parsèment l’ouvrage ne sont pas des plus aisées et peuvent échapper à la compréhension des plus jeunes, lesquels préfèreront se rabattre sur la psychologie de Calcifer, le charmant démon du feu dont le pacte passé avec Hurle (Howl dans la version originale) constitue la pierre angulaire de l’histoire ; sur Hurle lui-même, magicien séduisant mais à la sombre réputation, au caractère fantasque et capricieux ; sur Sophie, jeune femme morose mais volontaire, soupe au lait mais pleine de compassion. L’aventure de sa vie est traitée à travers son point de vue, ce qui fait que certaines notions sont éludées. Et sous les coups de théâtre, les expérimentations de Michael (le jeune adjoint de Hurle), les soucis qu'éprouve Sophie pour sa famille et la menace grandissante de la Sorcière, pointe l’ombre de sentiments très forts : Diana Wynne Jones écrit sur l’amour et ses avatars, les excès des jeux de séduction et des cours enfiévrées, sur les belles promesses et l’innocence des premiers émois et surtout sur ce jeu de dupes permanent qu’est la quête de l’âme sœur. Car tous les personnages recherchent l’amour, mais aucun ne sait s’y prendre.

Un ouvrage intéressant, donc, mais qui se confronte à un problème qui est de taille : l’adaptation de Miyazaki. Si le cadre, les personnages et les enjeux sont à peu près les mêmes, le génial réalisateur nippon a sensiblement dévié de la ligne directrice à mi-parcours, simplifiant la narration et modifiant même les caractéristiques de certains personnages (au lieu du pays natal de Hurle, l’une des portes du château mène dans son passé ; Calcifer voit ses origines réécrites ; les sœurs de Sophie sont carrément mises sous l’éteignoir et l’Épouvantail à tête de navet voit son rôle subtilement changé, de même que les différents avatars de chiens - les amoureux du Chien asthmatique ne le retrouvent pas dans le livre). Du coup, il faut bien l’avouer, le film d’animation s'avère nettement plus cohérent en dépit d'autres ellipses discursives, et cela bien que la relation particulière entre Hurle (Hauru dans l’anime) et Sophie ait été maintenue.

Au final, le livre est plaisant, dégageant un charme désuet tout en cultivant le paradoxe d’être plutôt moderne et parfois inventif. Un côté très britannique qui le distingue des contes populaires continentaux et dont on comprend qu’il ait charmé Miyazaki, toujours sensible aux traditions européennes. 


+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un conte inventif, bourré de fantaisie et de personnages fascinants.
  • Une romance puissante, au service de ses protagonistes.
  • Le charme inégalable des récits merveilleux d'antan.
  • L'idée de lire le texte à l'origine d'un des grands classiques de l'animation.


  • Une structure un peu complexe qui peut perdre le lecteur.
  • Des éléments épars rendent soudain la lecture plus ardue que prévu.
  • On peut admettre que l'adaptation en animation soit supérieure à l'original.