À l’issue des douze épisodes de l’arc House of X/Powers of X (édités entre 2019 et 2020) imaginés par Jonathan Hickman, la situation des mutants de l’univers Marvel avait considérablement évolué et, pour une fois depuis leur création, un avenir radieux leur était promis. C’est cet avenir, bien entendu menacé de toutes parts, que le scénariste allait développer dans la nouvelle série régulière X-Men, sur vingt et un numéros et cinq one-shots, recouvrant les arcs Pax Krakoa puis Reign of X et préfigurant Inferno qui marquait la fin de sa collaboration sur ce titre. Vingt-six épisodes en tout disponibles en une intégrale en version originale (sobrement intitulée « X-Men ») alors que Panini France les propose en trois volumes dans la collection Deluxe :
- X-Men tome 1, Pax Krakoa
- Giant-size X-Men
- X-Men tome 2.
Néanmoins, pour ceux qui n’auraient pas suivi, voici un petit résumé de la situation au moment d’aborder Pax Krakoa (si vous voulez en savoir plus, l’article très complet de Nolt devrait vous remettre les idées en place) : les mutants ont désormais leur monde à eux. Après la tentative avortée d’Utopia et le désastre Genosha, il semblerait que Krakoa ait toutes les caractéristiques pour permettre à ces êtres de vivre en tant que nation, à l’abri de la haine et/ou de la crainte des humains. Krakoa, l’alpha et l’oméga des Nouveaux X-Men : l’île vivante était à l’origine de la création de la nouvelle équipe venue à la rescousse des « classiques » (Angel, Iceberg, Marvel Girl & le Fauve), elle en devient le havre, le cocon, le berceau et la forteresse. Certaines des plantes qui y poussent guérissent des pires maladies (et servent de monnaie d’échange avec les autres États souverains) quand d’autres peuvent créer des portails (pour peu qu’on ait eu l’intelligence de planter une plante-sœur à l’endroit désiré) : ainsi, tout en étant cantonnés sur l’île, les mutants sont libres d’aller où ils le souhaitent, sachant que plusieurs d’entre eux ont régulièrement collaboré avec des extraterrestres, et notamment l’empire shi’ar.
Mieux : grâce à la banque de données de Cérébro et au pouvoir combiné des plus grands télépathes, il est possible d’utiliser Krakoa pour ressusciter un mutant décédé – ce qui n’ira pas sans entraîner de sérieuses questions sur l’existence et changera profondément la donne lors de missions à haut risque.
Régis par un « Quiet Council » autoproclamé, tous les mutants sont les bienvenus : Xavier travaille main dans la main avec Magnéto (après tout, ils disposent enfin chacun de ce qu’il leur fallait pour réaliser leurs rêves divergents) et a accueilli non seulement Mystique et ses sbires, mais également Apocalypse, Sebastian Shaw et Sinistre. C’est assez hallucinant, toutefois les enjeux sont tels que cela reste du domaine de… l’envisageable – disons que la suspension d’incrédulité est mise à mal mais tient encore le coup. Toutefois, malgré le confort et la sécurité procurée par cet environnement qui s’adapte à leurs besoins (et leurs envies), les nuages s’assombrissent déjà car les menaces pèsent. D’abord, il faut mettre au pas les nations humaines : les dirigeants mutants, et surtout les X-Men, savent combien les hommes peuvent avoir la langue fourchue et il faudra donc en passer par d’épineux débats politiques. D’autre part, des organisations comme Orchis, farouchement anti-mutantes et nanties d’une technologie très élaborée, sont en train de mettre la main sur des programmes adaptés du projet Sentinelle, de sinistre mémoire. Et d’autres dangers se profilent, dont certains totalement imprévus. Enfin, rien ne dit que des individus comme Apocalypse, les anciens membres du Club des Damnés ou Mystique ne nourrissent pas de sombres plans, incompatibles avec la paix voulue par Xavier et tolérée par Magnéto.
Cette somme d’épisodes montre d’abord l’ampleur du projet Hickman, qui semble avoir tiré en outre certaines leçons de son travail sur les Avengers en mettant l’accent sur l’aspect feuilletonnant de la série et en cherchant à développer quelques-uns des personnages, parfois presque oubliés (Fantomex, Vulcan), parfois simplement dans l’ombre des glorieux X-Men : cinq histoires, souvent légères, offrent à certains héros un espace inhabituel dans lequel ils peuvent donner libre cours à leurs pensées, leurs angoisses et leurs passions. On en retiendra l’épisode avec Nightcrawler à la tête d’une équipe de revenants (Magik, Cypher, Lockheed) illustré par le toujours dynamique Alan Davis dans une mission qui les mettra aux prises avec une ancienne race d’aliens, mais surtout sans doute l’épisode quasi-muet avec Jean Grey associée à Emma Frost pour effectuer un sauvetage psychique particulièrement ardu. Les autres laissent transparaître un humour parfois surprenant (les aventures de Fantomex au sein du Monde sont perturbantes par leur légèreté de ton) qui détonne avec la palette souvent tragique avec laquelle Hickman aborde ses histoires : ainsi, si l’ombre d’Arrako et ses Summoners va longuement peser sur la série (c’est le rapprochement entre le territoire d’Arrako et Krakoa qui va déclencher l’événement X of Swords), l’irruption de Hordeculture est d’une autre trempe : une bande de mamies botanistes (vous ne rêvez pas) parviennent à pirater un portail Krakoa, mettent la pile aux mutants sur place puis ridiculisent les poids lourds venus les intercepter (Emma Frost, Sebastian Shaw et Cyclope) avec beaucoup de malice et d’ironie (la manière dont elles rabattent le caquet à la Reine blanche et sa manière de s’habiller comme une p… est irrésistible). Plus tard, c’est à cause du petit caprice d’un des New Mutants, au cours d’une mission chez les Shi’ars, qu’une invasion de Broods risque de dévaster toute la biosphère mutante.
Le rythme de lecture s’avère ainsi fort plaisant, avec cette alternance entre instants pesants, combats brefs mais souvent spectaculaires, introspections et perles d’humour, le tout sans que cela paraisse chaotique : la continuité graphique est assurée la plupart du temps par Leinil Francis Yu, efficace dans les scènes mouvementées mais qui peut agacer par ses visages trop anguleux et ses mentons carrés. Quand certains épisodes apportent leur lot de révélations glaçantes, d’autres se montrent plus intimistes, ouvrant la voie à de très sérieuses questions existentielles : ainsi, lorsqu’il est avéré que la « renaissance » améliore les caractéristiques d’un mutant ressuscité, des cérémonies sont mises en place pour ceux qui désirent subir volontairement ce miracle – c’est-à-dire mourir, puis revivre. Il s'agit d'un moyen de réparer les cicatrices des exactions des humains, des erreurs du passé ou simplement de guérir d’un mal-être persistant, mais un moyen qui n’est pas sans conséquences psychiques, éthiques, voire théologiques – et qui mieux que Nightcrawler pour recueillir les inquiétudes de Scott Summers dans un magnifique épisode, très intense, qui marque l’un des sommets de l’album (et permet de revenir sur le traumatisme de « No more mutants ») grâce à un montage parallèle (dialogue des deux héros/cérémonie orchestrée par Apocalypse) qu’on retrouve dans le numéro consacré à une réunion au sommet entre les représentants de Krakoa et quelques émissaires des Nations Unies, au cours d’un dîner officiel dans lequel chaque mot peut déclencher une guerre ouverte et où les convives dégustent une « brioche tressée de Metz » en dessert (ça fait plaisir de voir apparaître le nom de la plus belle ville du monde dans un comic américain).
Entre-temps, il faut gérer les menaces en cours avec des mini-arcs fractionnés : d’abord, the Vault, cet espace hors du temps dans lequel des méta-humains préparent une contre-offensive. Xavier et consorts ont trouvé un moyen de pénétrer cette forteresse asynchrone, mais impossible de savoir ce qu’elle recèle, ni les dangers potentiels qui pourraient peser à l’avenir sur Krakoa. Ils montent une mission d’infiltration qui a tout de l’opération suicide : les volontaires savent qu’ils n’ont quasiment aucune chance de survie et qu’ils peuvent passer des années avant de parvenir éventuellement à s’en échapper. Il faudra pour le raconter un épisode entier, violent, chaotique, entrecoupé de ces pages documentaires qui servent souvent de « béquilles narratives » à Hickman mais qui ici permettent de suivre la progression de cette équipe de choc, ses victoires et ses coups durs, tout cela s’achevant dans un final d’une très grande intensité émotionnelle.Il est vrai qu’on aura de temps en temps droit à des paragraphes explicatifs ou des schémas : les plans des lieux (par exemple la Maison Summers, qui a été déportée sur la Lune et dans laquelle vivent enfin réunis tous les membres de la famille de Cyclope, que ce soit son père Corsaire ou ses enfants Rachel et Nathan) alternent avec des passages descriptifs (the World, the Vault, Hordeculture) ou historiques (la fin de règne de Lilandra). Souvent pertinents, ils laissent tout de même par moments entrevoir une certaine facilité déjà évoquée par Nolt, cependant ils évitent aussi des retours fastidieux sur des épisodes méconnus de l’histoire mutante. Ils ne nous ont pas paru en tous cas aussi problématiques que par le passé, mais le fait est que nombre d’éléments introduits confèrent une ambiance très SF, parfois pour le meilleur, mais pas toujours (honnêtement, Arrako, ses habitants et son histoire ne laisseront pas de souvenirs mémorables).
Au rayon des regrets, l’inévitable choix des protagonistes : amateurs de Wolverine, vous en serez pour vos frais car celui qui était de tous les coups restera à l’écart, contrairement à Cyclope, véritable incarnation de l’idéal mutant.
Plus généralement, en dehors de Scott et Jean, les anciens X-Men sont presque absents, et la génération suivante plutôt en retrait (on a évoqué Nightcrawler, on verra davantage Storm mais exit Colossus et le Hurleur) : les combats sont menés par les plus jeunes, et lorsqu’on a besoin de poids lourds, des équipes sont officiellement nommées. Le retour de Fantomex constitue une bonne surprise, son traitement volontairement léger déroutera sans doute, d’autant que le travail graphique risque de déplaire à certains.L’album s’achève sur une nouvelle ère qui s’annonce et l’élection d’une nouvelle équipe de X-Men : Hickman passe ainsi la main au cours du Hellfire Gala et c’est l’event Inferno qui prendra place ensuite.
Le temps de profiter de la très belle galerie de couvertures...
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