Légende
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Légende de David Gemmell est un roman plein de paradoxes qui a séduit des milliers de lecteurs (il fut un incontestable best-seller et lança la carrière naissante de l'auteur) et a permis à un éditeur français de s'extirper du tout-venant de la littérature de l'imaginaire hexagonale (ainsi que le rappelle la seconde postface de l'édition qui nous intéresse, celle du quarantième anniversaire). C'est un peu comme pour Harry Potter : les livres sont critiquables, ni originaux ni bien écrits, mais leur succès n'est pas discutable et ils ont surtout séduit ou convaincu de nombreux réfractaires à la lecture - voire à la fantasy.

D'ailleurs, Gemmell n'en est absolument pas dupe : sa postface à lui montre fidèlement le regard à la fois sévère et attendri sur ce texte (dans des termes qui rappellent ceux que Stephen King écrivait lorsqu'il évoquait le premier récit de son Cycle de la Tour sombre) rédigé à une époque où il ne savait pas encore si le cancer dont il souffrait finirait par l'emporter. Il n'était pas encore écrivain et c'est sur les conseils de sa femme qu'il accepta de tromper son ennui, sa longue attente des résultats d'analyse et sa frustration en se mettant à la rédaction de cette épopée. Le succès suivit, une longue carrière débuta, emplie de sagas toutes plus vrombissantes et énergiques les unes que les autres, mais il lui était impossible d'oublier le manuscrit qui fut à son origine. Peu de temps avant sa mort (en 2006, des suites de complications post-opératoires), il disait encore combien il aimait ce roman imparfait et surtout combien il avait aimé l'écrire.

Le synopsis du premier jet (qui fut ensuite mis de côté pendant de longues années jusqu'à ce qu'il soit ressorti des tiroirs, remanié et doté d'une fin satisfaisante) était transparent : Dros Delnoch est une forteresse, le dernier bastion d'un royaume envahi par des hordes barbares, point nodal du basculement d'une ère, point focal des attentions de tous les êtres vivants dans ces contrées. Les myriades qui s'approchent implacablement du fort feront face à une poignée de volontaires, preux chevaliers ou paysans désabusés, légionnaires aguerris ou officiers idéalistes, dont la charge est de tenir coûte que coûte, alors même que leur sort est scellé : la question n'est pas de savoir si Dros Delnoch tombera, mais quand. L'inéluctabilité de la chute hante tous les esprits.


C'est donc un combat perdu d'avance, totalement déséquilibré, qui ne peut donner lieu qu'à des actes de bravoure aussi insensés qu'inutiles, en dehors d'inscrire pour l'éternité dans la légende le nom des vaillants défenseurs qui doivent périr en ce lieu. Une légende qui s'écrira chaque heure que tiendront les murs sous les coups de boutoir d'une armée à laquelle personne n'a résisté. Ce n'est pas pour rien que les principes qui régissent cette histoire sont les mêmes que ceux de l'Alamo ou de l'Iliade : ces deux récits, l'un historique, l'autre mythique, ont fortement inspiré l'auteur (au point qu'il consacra un cycle de romans - malheureusement inachevé - au siège de Troie). 

Pour les jeunes garçons en quête de frissons épiques et de figures héroïques, il y avait de quoi alimenter leurs fantasmes de lecteurs avides. Tant l'Histoire que les contes regorgent de ces défenseurs de l'impensable, souvent anonymes, dont le courage et la foi inébranlables ont tenu bon face à la puissance brute et aveugle des armées d'oppresseurs. Ces exploits - parfois fabriqués - ont, de tous temps, nourri les mythes et engendré des vocations.


Cependant, la foi comme le courage ne suffisent généralement jamais : les probabilités étant ce qu'elles sont, la force du plus grand nombre finit par l'emporter. À moins que le temps soit l'allié des défenseurs, qui doivent s'arc-bouter dans l'attente de renforts providentiels : la somptueuse bataille du Gouffre de Helm dans Les Deux Tours ne raconte pas autre chose. Et quand l'espoir s'amenuise, qu'est-ce qui peut bien pousser ces hommes à continuer la lutte, dont ils savent qu'elle est vaine ? Peut-être alors un symbole, l'exemple vivant de la victoire d'une poignée contre la multitude.

C'est ce que raconte précisément Légende dans sa version définitive : oui, Dros Delnoch, dernier bastion de l'empire Drenaï, est la cible désignée d'Ulrik, seigneur de guerre des Nadirs dont il a unifié les tribus et qui dispose à présent d'une force d'un demi-million de soldats. Les derniers espoirs de paix se sont envolés mais le comte de Dros Delnoch décide alors de tenter un ultime pari, un gambit improbable : non seulement il envoie des messagers contacter les Trente, des prêtres-guerriers dont la magie pourrait être un atout non négligeable, mais également implorer l'aide de Druss. Car Druss, surnommé Marche-Mort par les Nadirs, est une légende vivante : ses innombrables exploits militaires, sa férocité, sa pugnacité et une inégalable expérience lui ont permis de survivre aux conditions les plus précaires. Il est d'ailleurs devenu un mythe grâce à un siège précédent, tout aussi disproportionné. Sa seule présence ferait frémir les ennemis et redonnerait l'espoir qui manque cruellement à la garnison qui sait qu'elle ne tiendra jamais les trois mois nécessaires aux généraux drenaïs pour rassembler et entraîner une armée capable de faire face aux envahisseurs des steppes.


Oui, si Druss accepte, le vent pourrait tourner. Pourquoi pas, après tout ? N'a-t-il pas déjà survécu à pareille folie ? Druss est un monument, un guerrier invincible : sa hache Snaga a tranché la vie de centaines d'adversaires malchanceux ou présomptueux et ses connaissances tactiques pourraient changer la donne. 

Sauf que... Druss a 60 ans. Certes, il en impose encore, et les escarmouches qui égayent son périple jusqu'à la forteresse qu'il connaît bien démontrent combien il est encore vif, puissant et impitoyable. Néanmoins, l'âge ne l'a pas aidé et sa formidable résistance risque fort de céder face aux ravages du temps. C'est essentiellement son pouvoir de récupération qui lui fait défaut : comme disait Indy dans Les Aventuriers de l'Arche perdue : "Ce n'est pas l'âge, c'est le kilométrage !" Son corps couturé de cicatrices arrive en bout de course, et ses articulations lui rappellent constamment qu'il n'a plus vingt ans. N'empêche : sa seule présence revigore les esprits des soldats en garnison et illumine ceux des fiers légionnaires, cavaliers expérimentés qui avaient besoin d'un vrai leader. Druss va reprendre en main l'organisation militaire de la forteresse et faire en sorte que ces paysans, artisans, forgerons ou soldats plus ou moins valeureux soient prêts pour le jour J : la Légende se mue en adjudant, féroce et intransigeant, et chaque homme de le maudire lorsque survient le crépuscule et les quelques maigres heures de repos qu'il leur accorde. Druss a décidé de son sort et fera en sorte que ceux qui l'accompagneront soient les meilleurs parmi les meilleurs. L'entraînement s'avère d'une exigence inouïe, au point que même les officiers n'en peuvent plus.



Mais Druss n'a que faire des plaintes qui remontent : il a sur les bras la gestion des hommes de cette forteresse et de ses murs, stratégiquement indéfendables avec le maigre contingent dont il dispose. Outre ce fait, le comte se meurt, un traître rôde dans Dros Delnoch et les notables de la ville exigent que des pourparlers soient entrepris avec l'ennemi. Sur ces néfastes entrefaites, arrive Rek aux portes de la ville.

Ce fougueux jeune homme est un solitaire vivotant de petites rapines, qui s'est acoquiné avec des bandits locaux. Au départ, les rumeurs de la guerre ne le dérangeaient pas. Comme beaucoup, il s'apprêtait juste à partir vers le Sud rechercher une tranquillité éphémère - mais le destin l'a rattrapé, sous les traits de Virae, fille du comte, à laquelle il va (malgré lui) sauver la vie. Rek (ou Regnak, de son vrai nom) n'est pas à proprement parler un héros : sans être un pleutre, il préfère éviter les confrontations et choisir la voie la plus sûre. Il n'a foi en rien et n'a confiance qu'en de très rares personnes, lesquelles ont veillé à ce qu'il s'en sorte sans trop de mal car il est indiscipliné, étourdi et manque de maturité. La prudence et une certaine malice lui ont permis jusque-là de s'en sortir, mais se retrouver avec la fille du comte c'est aller au devant de gros ennuis. Normalement, il aurait fui à la première occasion. Sauf que... il tombe amoureux. Et sa guerre à elle, farouche guerrière, indépendante et autoritaire, devient sa guerre à lui. Bien qu'il lui en coûte, il accepte de l'accompagner au siège de Dros Delnoch et de faire sienne la funeste destinée de sa compagne. Entre-temps, nous apprendrons qu'il dissimule des secrets qui seront bien utiles à leur improbable survie...



Si Druss propage une aura de fascination propre aux héros de jadis, solides, implacables et fidèles à leurs principes, sorte de Conan le Barbare mêlé de William Wallace (deux influences avouées pour le camper, bien qu'il ait également adopté les caractéristiques du beau-père de Gemmell), Rek est davantage calqué sur l'auteur, prototype des personnages qu'il dépeindra de plus en plus, dotés de nombreux défauts mais capables d'actes de bravoure d'autant plus admirables qu'ils ne disposent pas des facultés d'un surhomme. La relation de confiance qui s'installera entre Rek et Druss semble traduire le passage générationnel dans la littérature de genre : les héros ne sont plus depuis les années 70 ces brutes inamovibles que décrivait Robert Howard, mais des êtres sensibles, parfois fragiles, qui s'interrogent sur le sens de leurs actions et sont parfois dotés de défauts voire de handicaps. Prenez Serbitar, le mystérieux commandant et Voix des Trente (ces espèces de Templiers surpuissants) : un albinos souffreteux qui a dû avoir recours à des potions pour survivre, tout à fait l'image d'un Elric de Melnibonè ! On pourrait en dire autant du Gan (commandant) Orrin, chef de la garnison nommé par son oncle (qui est le chef élu de l'empire) mais détesté par tout le monde : on le dit planqué, les légionnaires le prennent pour un incapable et il se montre bien trop cauteleux dans ses choix stratégiques. Il s'avèrera pourtant un atout de poids dans le conflit qui s'annonce.

Le charme du roman est aussi patent que multiple. Une fois qu'on est passé outre les facilités d'écriture, les redondances ou les lourdeurs du style, l'on s'aperçoit qu'on se prend au jeu, à cette lente montée en tension, à cette galerie de personnages disparates pour lesquels l'auteur a les yeux de Chimène (il prend le temps de détailler des petits moments entre eux, des dialogues qui enrichissent ces personnages de papier bien davantage que les actions d'éclat dont ils feront preuve sur le champ de bataille) et, une fois que le premier assaut est donné, on ne lâche plus l'ouvrage. Les chapitres sont suffisamment courts et intenses pour procurer chaque fois un crescendo dans l'excitation, avec force mystères et découvertes qui feront pencher la balance : comme les défenseurs, il est des moments où l'on se prend à rêver. Et s'ils résistaient ? Et si les Nadirs finissaient par abandonner ? Et puis non, tout retombe car Ulrik se trouve à la tête d'une horde innombrable qui peut se permettre de perdre plusieurs centaines de milliers d'hommes : le dernier fort de l'empire tombera, c'est une certitude. À moins d'un miracle... Et les chapitres s'enchaînent, les cadavres s'empilent, les assaillants créent des brèches et les défenseurs, de moins en moins nombreux, reculent, reculent, repoussant autant que possible l'inexorable fin qui les attend.


Pour les quarante ans de l'édition, Bragelonne a vu grand et propose aux lecteurs qui apprécient l'objet livre (et qui en ont les moyens) un ouvrage doté de ce qui se fait de mieux : un grand format, une couverture cartonnée et en relief rehaussée d'un bandeau et de dorures, un dos toilé, des pages dans un papier de qualité découpé au laser afin que les tranches dessinent un motif (c'est vraiment superbe), une police d'écriture spécifique qui s'avère particulièrement aisée à lire, une mise en page aérée avec des têtes de chapitres illustrées et de nombreux suppléments. Ces derniers vont du passable (la carte du monde est assez peu lisible et aurait gagné à présenter une sorte de zoom sur la portion géographique qui occupe l'essentiel du livre) à l'excellent (des doubles pages de croquis représentant les armes ou les personnages caractéristiques, un arbre généalogique qui en dit long et poussera sans doute les complétistes à rechercher les ouvrages racontant le passé ou le futur des héros de l'histoire et les postfaces pleines de détails croustillants). On en apprendra ainsi davantage sur le lien très fort entre les éditions Bragelonne et ce titre : les deux sont, à jamais, intimement liés au point que c'est un des responsables éditoriaux qui s'était chargé de la traduction (à une époque où la maison d'édition ne disposait pas des fonds nécessaires pour engager quelqu'un d'autre), traduction saluée par l'auteur lui-même qui l'a trouvée meilleure que la version originale !

Avoir en mains un objet aussi amoureusement conçu (quasiment aucune coquille relevée, c'est assez remarquable) est la garantie d'une expérience de lecture de haut niveau. Une fois achevé, l'ouvrage ornera n'importe quelle étagère de bibliothèque avec une rare élégance et l'on n'oubliera pas de sitôt la vaillance de ceux qui ont participé au siège de Dros Delnoch.




+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un récit enlevé et facile d'accès.
  • Un personnage toujours aussi fascinant.
  • Une édition luxueuse dont le format, la texture, les illustrations et le contenu flattent le lecteur et enrichissent une bibliothèque.


  • Un style simpliste, parfois un peu lourd.
  • Des dialogues creux.
  • Une carte du monde quasi-inutile.
Kingdom Come
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Imaginez une Terre et ses habitants hantés par des mythes, des héros naguère déifiés qui ont désormais, volontairement ou non, laissé leur place à d'autres justiciers : Superman s'est ainsi retiré du devant de la scène, provoquant l'ire d'un Batman qui continue dans cette ombre qu'il affectionne à lutter contre des criminels de plus en plus puissants ; Green Lantern s'est replié sur sa Cité d'émeraude ; Hawkman, Wonder Woman ont également disparu. Mais ceux qui ont repris le flambeau, s’ils détiennent des pouvoirs étonnants, ne les utilisent pas avec le respect et le sens du devoir dont faisaient preuve leurs aînés. 

La société a évolué, poussant les Grands Anciens à une retraite aussi douloureuse que nécessaire et les héritiers de la Justice League ont une vision bien amère et biaisée de la justice. Afin de rétablir l'ordre, peu importent les moyens, et peu importent les victimes collatérales. Jusqu'à ce qu'un jour, les dérapages se muent en catastrophe et l'avenir du monde se fragilise...

C’est sur cette Terre-là qu’un homme, héritant des visions d’un illuminé et réinterprétant les versets de l’Apocalypse, va assister au retour des anciens héros, désireux d’affronter la réalité, de reprendre en mains la destinée du globe et d’éradiquer le mal à sa source, quitte à user des moyens qu’ils récusaient par le passé. 

Seulement, le remède peut s’avérer pire que le mal et c’est face à leurs responsabilités que se jaugent les vrais héros : malgré tout le pouvoir que Superman a en lui, il sera amené à conclure qu’il ne peut pas résoudre seul tous les problèmes. Comment, dès lors, pourra-t-il supporter cette révélation ?

Ce récit est une somme qui, dès sa parution, par son ambition et la qualité de ses auteurs, est venue directement se placer aux côtés des chefs-d’œuvre d’Alan Moore au panthéon des comics. C'est d'ailleurs à partir d'une idée avortée de ce dernier qu'Alex Ross a développé un canevas pour lequel on lui a adjoint Mark Waid, spécialiste ès-comics et scénariste encyclopédique chez DC Comics. Le développement se fera jusqu'en 1996, soit peu après la saga Marvels que venait d'achever l'auteur, et aboutira à une mini-série de quatre épisodes auxquels se sont adjoints des suppléments ultérieurs. 


En France, la première intégrale date de 2004 (chez Semic) mais celles publiées par Urban ensuite ont l'avantage de comporter bon nombre de bonus éditoriaux. 

Ambitieux, bien qu’inégal dans son développement, moins complexe que Watchmen tout en surfant sur les mêmes principes, aussi respectueux des personnages que le monumental Crisis on Infinite Earths qui avait en son temps redéfini l’univers DC, Kingdom Come est la chronique d’un échec annoncé et baigne ainsi, à l’instar des référents suscités, dans un pessimisme de bon aloi, se plaçant en porte-à-faux avec les idéaux personnifiés par ces héros créés il y a plus d'un demi-siècle. 

Aujourd’hui, un personnage aux caractéristiques de Superman n’a de valeur que lorsqu’une faille est décelée : il est sinon trop lisse, trop prévisible pour conférer de l’intérêt aux histoires dont il est le protagoniste. Dès lors, à partir du moment où vous acceptez de le voir descendu de son piédestal, brisé dans sa fierté et son assurance non pas par l’entremise d’un engin de mort, d’un piège à kryptonite ou encore de la magie, mais bien par l’incapacité d’assumer les choix qu’il a dû faire, le scénario devient d’un seul coup plus riche en possibilités.

Cependant, Kingdom Come, ce n’est pas seulement la tentative de héros utopistes de recréer un monde à l’image de ce qu’ils désiraient en faire, mais c’est aussi une galerie de portraits bien connus, avec toute la nostalgie qu’ils inspirent. Et ce Batman cynique, usé mais encore terriblement efficace, a beaucoup en commun avec celui qui nous avait ébloui dans Dark Knight returns, à croire qu’il est des critères qui ne peuvent se redéfinir ad libitum.

D’autant que c’est Alex Ross qui est aux pinceaux. Dès lors, on passera volontiers sur le manque de lisibilité des scènes de confrontations massives où les héros se distinguent mal des vilains (et il y en a !) : la technique du dessinateur a tendance à homogénéiser les formes, on est loin de la précision méticuleuse de George Pérez qui pouvait nous relater des batailles homériques avec les Avengers ou la JLA dans les moindres détails. De même, l’ensemble donne l’impression d’un feuilleton assez lent, alors même que le script est bouillonnant : c’est que Ross peint ses héros (à la gouache !) et les dépeint dans des poses hiératiques rendant chaque case digne d’une couverture, voire d’une affiche.


En revanche, quel bonheur que ces gros plans sur un Superman au menton carré, aux traits volontaires et au regard perdu. Certains des modèles utilisés sont reconnaissables et cet hyper-réalisme donne plus de punch aux dialogues abordant souvent des thèmes profonds (responsabilité – encore ! -, sens du sacrifice, du devoir, loyauté, reconnaissance, solidarité…). Et la Wonder Woman qui nous est présentée a un charme fou, que ce soit dans une tenue proche de celle qui l’a rendue célèbre, ou en guerrière vengeresse en armure : loin des canons présidant encore trop souvent aux proportions idéales des héroïnes, la belle est dotée d’une silhouette ostensiblement féminine et d’un visage absolument troublant. Le dessinateur n'est jamais aussi bon que dans ces cases monumentales où il s'amuse avec les perspectives de manière à représenter l'intégralité d'un groupe en majesté : ses couvertures avec ces galeries de personnages ont fait le tour du monde et ont été régulièrement reprise ou détournées. Ce qui fait qu'on se surprend souvent à s'arrêter sur une page, sur une case dont l'impact, l'ampleur ou la grâce attirent l'œil. Cela nuit éventuellement au rythme de lecture d'un comic book habituel, mais flatte la rétine et laisse d'agréables sensations visuelles.

Bref, une œuvre qui s'est bien vite propulsée au rang des classiques incontournables, un récit imposant et ambitieux qui annonce les Civil War de Marvel et autre Injustice chez DC, et dont l'influence s'est fait sentir jusque dans certains épisodes de 52 avec l'arc Thy Kingdom comes.



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un incontestable classique.
  • Une vision synthétique et ambitieuse de l'univers DC.
  • Les dessins et couvertures mythiques d'Alex Ross.


  • Des combats manquant de dynamique.
  • Un côté un peu hiératique, presque poseur.

Pump up the Volume
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Retour sur un teen movie pas si sombre qu'il le voudrait, mais pas si bête non plus : Pump up the Volume.

C'est en 1990 que sort ce film d'Allan Moyle, dont la promotion va être plus que marquante pour les adolescents de l'époque puisque sont distribués, dans les cinémas, de jolis autocollants représentant... un bon gros fuck. Autocollants qui orneront la plupart de mes affaires scolaires cette année-là. Ridicule mais, sur le moment, ça paraît être une idée cool. Tout comme ce film d'ailleurs, au charme certain mais aux défauts évidents.
Mais commençons par le pitch.
Mark Hunter, interprété par un Christian Slater de 21 ans, est un lycéen mal dans sa peau qui vient de débarquer dans une petite ville de l'Arizona. Il est plutôt solitaire, timide, mais le soir, dans sa cave, il se transforme totalement en endossant la personnalité de "Harry la trique" sur les ondes. Son émission de radio, au ton libre et percutant, va bientôt passionner les élèves de son bahut et entraîner l'ire de certains professeurs.

La scène d'intro, sur Everybody Knows (voir encadré), qui sera également repris par Concrete Blonde, donne le ton. Le film se veut sombre, désespéré, rebelle. Et il en a les codes, à défaut du cadre. Le casting est sympa (avec notamment une Samantha Mathis envoûtante), certaines scènes ont un vrai potentiel dramatique et l'atmosphère musicale est parfaite. Mais le fond, en l'occurrence la rébellion adolescente, est ici bien mal traité. Pour une raison évidente : on ne comprend pas du tout contre quoi ces jeunes sont en guerre.

Sur le moment, quand j'ai vu ce film (alors que j'étais plus jeune que le personnage), je n'ai pas spécialement trouvé quoi que ce soit à redire. Mais l'ayant revu récemment, un élément pourtant crucial m'a frappé : la révolte mise en scène dans le film n'est justifiée par rien.
Déjà, l'époque est très mal choisie. La fin des années 80 ou le début des années 90, c'est un peu le "golden age" des ados, il peut y avoir des exceptions individuelles, bien évidemment, mais globalement, la société a totalement intégré l'adolescent en tant qu'être humain éprouvant des sentiments. Et en tant que consommateur, ce qui lui vaudra encore plus de respect. On est très loin du rigorisme des années 50 (qui aurait justifié un sentiment de colère).

Bon, si l'époque ne se prête pas au propos, c'est simple, il suffit de décrire un lycée particulièrement épouvantable, avec des profs injustes, des violences, etc. Et c'est un peu ce que va tenter de faire Moyle, également auteur du scénario, mais bien maladroitement.
Il y a bien des magouilles dans ce bahut, mais on ne les apprend qu'à la fin (et ça consiste à virer les élèves indésirables, ce qui se faisait déjà dans des tas de bahuts privés, même à l'époque). C'est insuffisant pour que les personnages principaux, héros de l'histoire, puissent faire face à une menace perçue comme terrible. 
En fait, il y a des profs sympa dans ce lycée. Il est plutôt moderne, propre, les scènes se déroulent en plein soleil, tout à l'air plutôt agréable. Même Hunter, tout replié sur lui-même qu'il soit, ne se fait pas malmener par les caïds habituels. En fait, le lycée décrit est non seulement normal, mais on a l'impression qu'il y fait bon étudier (ou glander). Il n'y a qu'un seul véritable drame dans tout le long-métrage, et il n'est pas lié directement au lycée (et encore moins à Mark). C'est trop peu pour donner à l'ensemble un ton grave et une justification. 

Et le pire, c'est bien entendu le personnage principal, le fameux Mark Hunter. Il ne parle à personne, il est complètement renfermé sur lui-même, il est en conflit plus ou moins larvé avec ses parents, il est totalement déprimé et désabusé, crache sur la société, etc. Très bien, mais il faut à ce moment-là qu'on puisse percevoir ses motivations, pourquoi il souffre, ce que ses proches ou la société lui ont fait. 
Or, en fait de "souffrance", on va se rendre compte que Mark a une vie de rêve : ses parents sont très cool avec lui, personne ne l'emmerde au bahut, il se fait même draguer par une nana mignonne, et surtout, il dispose chez lui d'une sorte de mini-appart privé (la cave) où il bénéficie, en plus d'une grande intimité, de toute la technologie du moment : chaîne hifi, téléphone et même... une station de radio. Pas un poste de radio, pour écouter la radio, une station de radio privée, pour émettre. Mais mec, moi quand j'étais au lycée, j'aurais donné une couille pour avoir sa vie !

Et c'est tout cela qui ne va pas. Le ton, la forme, sont bien trop graves et sombres alors que, au final, Mark est un privilégié, scolarisé dans un bahut normal et ayant des parents aimants et pas trop chiants (ils sont même contents quand ils le découvrent dans sa cave avec une fille). À part lui filer directement de la coke et des putes, je ne sais pas ce que maman et pôpa Hunter peuvent faire de plus pour que le petit Mark soit content. 
Ce décalage entre la souffrance ressentie par le personnage et sa situation quasi idéale font que la révolte, pourtant au cœur du film, paraît bien fade et artificielle. Pire, quand il tente de mobiliser son auditoire, avec des "talk hard !" (traduit par "dites des horreurs !"), cela semble vain et même quelque peu ridicule. 

Pourtant le film n'est pas mauvais. Il évite même certains écueils de Breakfast Club (avec des adultes bien trop vieux jouant des lycéens, et des personnages trop caricaturaux), autre film sur le mal-être d'adolescents nantis ou, en tout cas, pas si mal lotis. Pump up the Volume a ce charme désuet - et quelque peu pathétique - des œuvres qui ont mal vieilli et dont les rides laissent voir des défauts qui n'étaient pas forcément évidents en 1990. Mais après tout, n'est-ce pas cela aussi, le mal-être adolescent : être révolté, quelle que soit sa situation, et souffrir, quel que soit le bonheur que l'on s'ingénie à ignorer ? Et puis, il reste tout de même cette idée, folle et fabuleuse, que quelques mots prononcés sur les ondes peuvent libérer celui qui les prononce et aider celui qui les entend. De nos jours, où ce qui nous paraissait naguère évident devient de plus en plus menacé, ce message pourtant simple prend une résonnance particulière.


Extrait de Everybody Knows, de Leonard Cohen.

Everybody knows that the dice are loaded
Everybody rolls with their fingers crossed
Everybody knows the war is over
Everybody knows the good guys lost
Everybody knows the fight was fixed
The poor stay poor, the rich get rich
That's how it goes
Everybody knows

Everybody knows that the boat is leaking
Everybody knows that the captain lied
Everybody got this broken feeling
Like their father or their dog just died
Everybody talking to their pockets
Everybody wants a box of chocolates
And a long-stem rose
Everybody knows





+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Le casting.
  • La musique.
  • Le charme de l'ensemble, désuet mais certain.


  • Le manque de justification à l'esprit de révolte qui souffle sur le récit.
  • Le côté parfois "petit con" de Mark Hunter.
Écho #62 : Saint Seiya Deck Building - Extension Hadès
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Nous vous avions déjà présenté la boîte de jeu de base (couvrant la partie Sanctuaire) de Saint Seiya Deck Building en 2019. Après Asgard et Poséidon, c'est très récemment la partie Hadès qui est venue s'ajouter à la longue liste des personnages de ce jeu particulièrement soigné graphiquement. 

Toutes les extensions sont donc sorties (du moins, en ce qui concerne la série principale, il est toujours envisageable de continuer sur la lancée avec les très nombreux spin-offs). On ne revient pas sur les règles et la mécanique, déjà développées dans le premier article, pour plutôt passer à un rapide tour d'horizon du contenu de cette boîte volumineuse (la seule extension de la taille de la boîte de base).

Outre les différents marqueurs, on peut découvrir un nouveau tapis de jeu (là où s'écoule la "rivière") absolument magnifique. En matière de personnages, là encore les cartes sont brillantes, les dessins fort jolis et le contenu très complet. On retrouve logiquement Hadès et ses Spectres, les chevaliers renégats, les chevaliers d'or, et bien entendu Seiya, Shiryu, Shun, Hyôga et Ikki, dans différentes tenues, dont les armures d'or et les armures divines.

Voici un petit aperçu du contenu. 






Écho #61 : Spider-Girl en Epic Collection
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Mayday Parker débarque dans la fameuse collection Marvel Epic.

Tout d'abord, si vous voulez en savoir plus sur la série Spider-Girl, jetez donc un œil sur cet article complet consacré au personnage et à ses séries. Deux ouvrages sont disponibles actuellement, en VO, en Marvel "Modern Era" Epic Collection. Nous vous conseillons de commencer par celui que nous présentons ici, puisqu'il revient sur les premiers pas de l'héroïne (rappelons que dans cette gamme, les comics ne sont en général pas publiés dans l'ordre de parution, par exemple le tome qui est sorti juste après contient les épisodes #68 à #84).

Ce volume rassemble Spider-Girl (1998) #1 à #15Spider-Girl #1/2Spider-Girl Annual 1999 et What If? #105 (qui est en fait le Spider-Girl #0), pour un total de plus de 450 pages. Toutes les covers des épisodes sont présentes et l'album est complété par une quinzaine de pages de bonus.

Au scénario, l'on retrouve essentiellement Tom DeFalco, les dessins sont l'œuvre de Ron Frenz et Pat Olliffe. Et en ce qui concerne les guests, on peut citer les Fantastic Five, Darkdevil, Kaine ou encore Speedball. Pas mal d'action au menu, dans un cadre très "teenager" et "girly".

Signalons cependant deux bémols. D'une part, l'augmentation du prix de ces albums. On dépasse maintenant largement les 40 euros, ce qui commence à faire cher et dénature complètement le but de cette collection. D'autre part, le choix du papier glacé. Ce dernier n'est pas du tout adapté à la colorisation de ces épisodes : sur ce genre de planches, une colorisation aussi "old school" devient bien trop criarde et fort peu esthétique. Si c'était toujours une collection économique (avec des tomes entre 25 et 35 euros), on ferait avec, mais à 45 euros le comic, on serait en droit d'exiger un beau papier mat, bien plus approprié.

Reste une série sympa et une collection en version originale qui vous évitera les égarements de la VF (qui est bel et bien illisible en ce qui concerne ces anciennes sagas, cf. également cet article).