Pour les quarante ans de l'édition, Bragelonne a vu grand et propose aux lecteurs qui apprécient l'objet livre (et qui en ont les moyens) un ouvrage doté de ce qui se fait de mieux : un grand format, une couverture cartonnée et en relief rehaussée d'un bandeau et de dorures, un dos toilé, des pages dans un papier de qualité découpé au laser afin que les tranches dessinent un motif (c'est vraiment superbe), une police d'écriture spécifique qui s'avère particulièrement aisée à lire, une mise en page aérée avec des têtes de chapitres illustrées et de nombreux suppléments. Ces derniers vont du passable (la carte du monde est assez peu lisible et aurait gagné à présenter une sorte de zoom sur la portion géographique qui occupe l'essentiel du livre) à l'excellent (des doubles pages de croquis représentant les armes ou les personnages caractéristiques, un arbre généalogique qui en dit long et poussera sans doute les complétistes à rechercher les ouvrages racontant le passé ou le futur des héros de l'histoire et les postfaces pleines de détails croustillants). On en apprendra ainsi davantage sur le lien très fort entre les éditions Bragelonne et ce titre : les deux sont, à jamais, intimement liés au point que c'est un des responsables éditoriaux qui s'était chargé de la traduction (à une époque où la maison d'édition ne disposait pas des fonds nécessaires pour engager quelqu'un d'autre), traduction saluée par l'auteur lui-même qui l'a trouvée meilleure que la version originale !
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Imaginez une Terre et ses habitants hantés par des mythes, des héros naguère déifiés qui ont désormais, volontairement ou non, laissé leur place à d'autres justiciers : Superman s'est ainsi retiré du devant de la scène, provoquant l'ire d'un Batman qui continue dans cette ombre qu'il affectionne à lutter contre des criminels de plus en plus puissants ; Green Lantern s'est replié sur sa Cité d'émeraude ; Hawkman, Wonder Woman ont également disparu. Mais ceux qui ont repris le flambeau, s’ils détiennent des pouvoirs étonnants, ne les utilisent pas avec le respect et le sens du devoir dont faisaient preuve leurs aînés.
La société a évolué, poussant les Grands Anciens à une retraite aussi douloureuse que nécessaire et les héritiers de la Justice League ont une vision bien amère et biaisée de la justice. Afin de rétablir l'ordre, peu importent les moyens, et peu importent les victimes collatérales. Jusqu'à ce qu'un jour, les dérapages se muent en catastrophe et l'avenir du monde se fragilise...C’est sur cette Terre-là qu’un homme, héritant des visions d’un illuminé et réinterprétant les versets de l’Apocalypse, va assister au retour des anciens héros, désireux d’affronter la réalité, de reprendre en mains la destinée du globe et d’éradiquer le mal à sa source, quitte à user des moyens qu’ils récusaient par le passé.
Seulement, le remède peut s’avérer pire que le mal et c’est face à leurs responsabilités que se jaugent les vrais héros : malgré tout le pouvoir que Superman a en lui, il sera amené à conclure qu’il ne peut pas résoudre seul tous les problèmes. Comment, dès lors, pourra-t-il supporter cette révélation ?
Ce récit est une somme qui, dès sa parution, par son ambition et la qualité de ses auteurs, est venue directement se placer aux côtés des chefs-d’œuvre d’Alan Moore au panthéon des comics. C'est d'ailleurs à partir d'une idée avortée de ce dernier qu'Alex Ross a développé un canevas pour lequel on lui a adjoint Mark Waid, spécialiste ès-comics et scénariste encyclopédique chez DC Comics. Le développement se fera jusqu'en 1996, soit peu après la saga Marvels que venait d'achever l'auteur, et aboutira à une mini-série de quatre épisodes auxquels se sont adjoints des suppléments ultérieurs.
Ambitieux, bien qu’inégal dans son développement, moins complexe que Watchmen tout en surfant sur les mêmes principes, aussi respectueux des personnages que le monumental Crisis on Infinite Earths qui avait en son temps redéfini l’univers DC, Kingdom Come est la chronique d’un échec annoncé et baigne ainsi, à l’instar des référents suscités, dans un pessimisme de bon aloi, se plaçant en porte-à-faux avec les idéaux personnifiés par ces héros créés il y a plus d'un demi-siècle.
Aujourd’hui, un personnage aux caractéristiques de Superman n’a de valeur que lorsqu’une faille est décelée : il est sinon trop lisse, trop prévisible pour conférer de l’intérêt aux histoires dont il est le protagoniste. Dès lors, à partir du moment où vous acceptez de le voir descendu de son piédestal, brisé dans sa fierté et son assurance non pas par l’entremise d’un engin de mort, d’un piège à kryptonite ou encore de la magie, mais bien par l’incapacité d’assumer les choix qu’il a dû faire, le scénario devient d’un seul coup plus riche en possibilités.
Cependant, Kingdom Come, ce n’est pas seulement la tentative de héros utopistes de recréer un monde à l’image de ce qu’ils désiraient en faire, mais c’est aussi une galerie de portraits bien connus, avec toute la nostalgie qu’ils inspirent. Et ce Batman cynique, usé mais encore terriblement efficace, a beaucoup en commun avec celui qui nous avait ébloui dans Dark Knight returns, à croire qu’il est des critères qui ne peuvent se redéfinir ad libitum.D’autant que c’est Alex Ross qui est aux pinceaux. Dès lors, on passera volontiers sur le manque de lisibilité des scènes de confrontations massives où les héros se distinguent mal des vilains (et il y en a !) : la technique du dessinateur a tendance à homogénéiser les formes, on est loin de la précision méticuleuse de George Pérez qui pouvait nous relater des batailles homériques avec les Avengers ou la JLA dans les moindres détails. De même, l’ensemble donne l’impression d’un feuilleton assez lent, alors même que le script est bouillonnant : c’est que Ross peint ses héros (à la gouache !) et les dépeint dans des poses hiératiques rendant chaque case digne d’une couverture, voire d’une affiche.
En revanche, quel bonheur que ces gros plans sur un Superman au menton carré, aux traits volontaires et au regard perdu. Certains des modèles utilisés sont reconnaissables et cet hyper-réalisme donne plus de punch aux dialogues abordant souvent des thèmes profonds (responsabilité – encore ! -, sens du sacrifice, du devoir, loyauté, reconnaissance, solidarité…). Et la Wonder Woman qui nous est présentée a un charme fou, que ce soit dans une tenue proche de celle qui l’a rendue célèbre, ou en guerrière vengeresse en armure : loin des canons présidant encore trop souvent aux proportions idéales des héroïnes, la belle est dotée d’une silhouette ostensiblement féminine et d’un visage absolument troublant. Le dessinateur n'est jamais aussi bon que dans ces cases monumentales où il s'amuse avec les perspectives de manière à représenter l'intégralité d'un groupe en majesté : ses couvertures avec ces galeries de personnages ont fait le tour du monde et ont été régulièrement reprise ou détournées. Ce qui fait qu'on se surprend souvent à s'arrêter sur une page, sur une case dont l'impact, l'ampleur ou la grâce attirent l'œil. Cela nuit éventuellement au rythme de lecture d'un comic book habituel, mais flatte la rétine et laisse d'agréables sensations visuelles.
Bref, une œuvre qui s'est bien vite propulsée au rang des classiques incontournables, un récit imposant et ambitieux qui annonce les Civil War de Marvel et autre Injustice chez DC, et dont l'influence s'est fait sentir jusque dans certains épisodes de 52 avec l'arc Thy Kingdom comes.
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Everybody knows
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