Walking Dead : cercle vicieux
Publié le
18.11.15
Par
Nolt
Le tome #24 de Walking Dead est sorti aujourd'hui en librairie et confirme bien que la série a perdu pratiquement tout intérêt.
Il est loin aujourd'hui le temps où Walking Dead nous surprenait et nous tenait en haleine en parvenant à mélanger action réaliste et subtile étude psychologique sur la résilience. Après une très longue première partie que l'on pouvait aisément qualifier de chef-d'œuvre (cf. cet article) et qui comprenait les dix premiers volumes, Robert Kirkman est parti en vrille, se prenant régulièrement les pieds dans un tapis qu'il s'ingénie à transporter avec lui sans que l'on comprenne pourquoi.
Et, aussi incroyable que cela puisse paraître, la série comporte maintenant plus de tomes médiocres, voire désastreux, que de bons.
Revenons sur cet incroyable effondrement qualitatif.
Tout commence il y a déjà bien longtemps avec le tome #11, qui n'est d'ailleurs pas mauvais, mais qui marque un premier changement important. En effet, Kirkman est à l'époque devant un choix crucial qui va déterminer l'orientation future de la série. L'on pense qu'il va s'attaquer aux origines de l'épidémie (ce qui est une piste comme une autre), mais non, ce n'est qu'une diversion. Par contre, ce onzième opus est étrangement construit comme un arc complet. Alors que jusqu'à présent, nous avions un récit continu, Fear the Hunters peut au contraire être zappé sans qu'on ne loupe grand-chose. Un peu comme si Kirkman temporisait ou ne savait pas quoi décider.
C'est sans doute là que le bât blesse, Kirkman n'est pas un excellent scénariste (cf. ce dossier revenant en détail sur ses autres comics). Il n'a pas la maîtrise d'un Straczynski, la puissance de travail d'un Moore ou l'ingéniosité perverse d'un Ennis. Et en voulant étaler son histoire sans but précis (ce qu'il a lui-même avoué), il se retrouve vite confronté à des problèmes majeurs.
Dans les tomes #13 et #14, on pouvait déjà constater une baisse de niveau, la narration étant beaucoup moins percutante, mais le souvenir récent des nombreux chapitres extraordinaires que l'auteur avait signés permettait encore d'attendre la suite avec sérénité. Le titre ronronne, mais il est encore lisible.
Tout s'effondre avec le tome #18 qui présente des longueurs, des redites et un ennemi ridicule, totalement invraisemblable. Pourtant, l'on est loin d'avoir touché le fond. Cela adviendra avec les tomes #19 et #20, à ce jour les plus mauvais de la série. C'est un vrai naufrage : les maladresses sont constantes, les personnages vidés de toute substance, et le récit n'avance plus. Même les longs dialogues entre les personnages, pourtant passionnants au début de la série, se transforment en radotages plats. Certaines scènes, notamment les tirs "à la Lucky Luke", sont même involontairement drôles.
Depuis, Kirkman a très légèrement corrigé le tir (cf. les tomes #22 et #23), mais l'on reste très en deçà du niveau qu'a pu connaître Walking Dead. Or, malheureusement, entre temps, la série est devenue "populaire". Et pas dans le bon sens du terme. Grâce justement à un bon début, vanté à juste titre, et à une série TV plutôt sympa, le titre a fait un bond au niveau de la notoriété, ce qui assure les ventes malgré la faible qualité actuelle de l'écriture.
Pire encore, certains benêts se réjouissent à chaque tome, pressés de hurler à quel point c'est génial pour tenter de faire croire qu'ils comprennent ce qu'ils lisent. Car à partir d'un certain point, le nom sur la couverture suffit pour ravir les "fans". Si on leur donne des fraises à déguster, ils sont tout contents, mais si on leur donne du foin à bouffer, ils mâchent avec le même sourire ravi.
C'est une longue introduction, certes, mais il est nécessaire de comprendre de quoi on partait et de montrer ce que l'on a maintenant entre les mains. Un peu comme si on commençait un texte en se disant "c'est beau comme du Racine" et qu'on le termine en pensant "putain, on dirait du Patrick Bruel" [1]. Oui bah, c'est violent du Bruel, quand on n'est pas habitué, on peut friser l'œdème de Quincke. Le mieux c'est de commencer doucement, par un générique. Une petite dose de Cali par exemple.
Bon, revenons-en à Rick et toute sa bande.
Ce tome #24 n'est pas catastrophique mais il n'est certainement pas bon non plus. Exit la tension permanente, les retournements de situation tragiques et les personnages profonds, l'on reste dans le surplace plat dont Kirkman ne peut plus se dépêtrer.
À tous les niveaux, l'auteur est à la ramasse. Les dialogues tout d'abord. Pourtant, ce qui faisait aussi la force de la série, c'était justement ces moments poignants, parfois passionnants même, où les survivants évoquaient leur situation, leurs émotions, leurs souffrances. Maintenant, ce ne sont plus que des échanges creux, sans intérêt. D'autant que les thèmes restent les mêmes. Kirkman nous en remet une couche sur le questionnement moral "doit-on tuer ?", sans pour autant trouver des arguments de poids ni même parvenir à justifier des comportements aberrants.
La menace actuelle ne tient pas plus la route. Après un Gouverneur certes "exotique" mais auquel on pouvait croire, l'on a eu un Negan totalement invraisemblable et, maintenant, des Chuchoteurs ridicules. Mais surtout, l'on est toujours dans le même schéma narratif, avec en prime un ennemi d'opérette dont le mode de vie et les croyances sont risibles. Et même en laissant cet aspect de côté, c'est tout de même pas de bol que ces Chuchoteurs, a priori nomades, tiennent absolument au bout de terrain qui jouxte celui de Rick et ses potes. Mais Kirkman ne s'embarrasse plus d'explications ou de logique, empressé qu'il est de raconter, encore et encore, la même histoire en boucle.
Ce qui faisait naguère l'attrait de la série tenait aussi aux difficultés internes que rencontrait le groupe. Problème, ces difficultés prenaient une dimension dramatique uniquement parce que les personnages qu'elles mettaient en cause avaient été patiemment construits et développés. Rappelons-nous simplement de l'effroi suscité par l'altercation entre Rick et Tyreese. Ou la mort tragique de ce dernier. Or maintenant, les personnages "sacrifiés" n'ont plus de consistance. Le cercle vicieux imposé par la surenchère de Kirkman ne broie que des protagonistes fantoches dont on se fout.
Enfin, le pire choix probablement de Kirkman reste ce refus d'explorer les mille voies qui s'offraient à lui. On a l'impression qu'il se Kurumadise [2] à une vitesse sidérante. Que ce soit par manque d'inspiration ou par volonté de tirer au maximum sur la corde, l'effet est désastreux.
Il y a bien une fausse évolution, avec le retour du commerce, de la pêche, bref, une organisation sociale embryonnaire mais qui n'est là que pour l'apparence puisqu'elle ne génère en réalité qu'une "prison bis", qu'il faut défendre contre la menace du cinglé actuel.
À l'intérieur même de ce surplace, les rares idées un peu originales de Kirkman sont toutes avortées très rapidement, comme s'il avait peur de s'écarter d'un chemin connu et rassurant. La monarchie d'Ézéchiel, pourtant bien plus crédible que la "meute" des Chuchoteurs, a été étouffée dans l'œuf. Même chose pour l'émancipation de Carl, qui ne donne finalement qu'un alibi pour un affrontement convenu et non un nouvel essor. Même le mouvement de mécontentement auquel doit faire face Maggie est réglé avec une facilité déconcertante.
Le pire, c'est que l'on sait maintenant, grâce à la manière dont Alpha a délimité sa frontière, que l'on est parti pour trois ou quatre tomes d'affrontements, larvés ou non, avec les Chuchoteurs. Avec toujours les mêmes invraisemblances [3] et le même dénouement. Et ensuite ? Une nouvelle menace, toujours plus débile et violente ?
Mais quid des autres pistes ?
Que devient l'armée ? [4] Le gouvernement ? Que se passe-t-il dans les autres pays ? Quelles sont les différentes formes de survie que l'on peut rencontrer ? Qu'en est-il des bâtiments de guerre (porte-avions, sous-marins, etc.) qui disposaient de ressources énormes et étaient à l'abri des premiers effets de l'épidémie ? Qu'est-ce qui a causé cette zombification ? Comment expliquer certains non-sens apparents [5] ? Comment s'est déroulé le début de l'épidémie ?
Les possibilités étaient immenses. Et Kirkman a choisi de n'en explorer aucune...
Un triste effondrement d'une série qui fut bouleversante et magique et qui ressemble maintenant à du mauvais Marvel.
[1] Alors, Bruel, c'est vraiment pas ma tasse de thé, mais ça pourrait être bien écrit quand même. Le problème c'est que lorsque l'on fait des rimes pour la rime, ça se voit. Prenons l'une de ses chansons les plus connues, Place des Grands Hommes. À un moment, ça dit "on peut pas mettre dix ans sur table comme on étale ses lettres au Scrabble". Putain, faut s'accrocher hein ? Bon, OK, c'est d'une pauvreté crasse. Mais on peut s'amuser avec, en essayant de reprendre sa méthode. C'est facile, il vous faut un jeu et un endroit physique qui rime. Par exemple, "on peut pas mettre dix ans par terre comme on étale ses cartes au poker". Ou "on peut pas mettre dix ans sur un lit comme on étale ses terrains au Monopoly". On peut même tenter une version grivoise, avec "on peut pas mettre dix ans dans le cul d'un amiral comme on étale ses navires à la bataille navale". Vous voyez, c'est facile, vous savez maintenant écrire comme Patrick Bruel. La semaine prochaine, on abordera le style de Sophie Tapie, c'est encore plus c... heu, simple.
[2] Le point culminant de la série Saint Seiya reste la bataille du sanctuaire, un affrontement dont le schéma sera repris par l'auteur, Kurumada, dans les luttes opposant les chevaliers aux Marinas de Poséidon ou aux Spectres d'Hadès.
[3] Attention, spoilers. Alpha est suffisamment remontée pour décapiter des tas d'inconnus (comment a-t-elle fait d'ailleurs pour les attirer, toute seule, un par un dans un piège ?) mais elle laisse repartir leur chef qui l'a pourtant menacée. Pour quelqu'un qui se proclame dirigée par un instinct animal, elle fait preuve d'une stupidité bien humaine.
[4] Comment se fait-il que des trous du cul avec trois bouts de ficelle s'en sortent alors que des soldats entraînés, bien équipés, disposant d'armes lourdes, de véhicules blindés, de moyens de communication, de rations de survie, etc, se soient tous fait buter ?
[5] Dans ce top 10 des vraies et fausses incohérences de la série, nous avions évoqué, dans le dixième point, le fait que se faire mordre ne devrait pas aboutir à une transformation (puisque les individus sains se transforment aussi lors de morts naturelles, donc sont porteurs du "virus" qui ne devrait être activé que par la mort). Il existe cependant une explication possible sur ce point : une sorte de virus inactif, protégé par une structure ressemblant à une sorte de coquille, qui peut donc se balader dans le sang des porteurs sains sans entraîner de transformation. À leur mort, ces "coquilles" explosent et le virus entraîne la transformation. Une morsure pourrait donc mettre un porteur sain en contact avec la forme finale du virus, sans "coquille" (plutôt que de coquille, l'on peut parler aussi de mutation, la mort entraînant une modification au niveau de ce qui est censé déclencher la transformation).
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