Wild Cards, une anthologie initiée par George R.R. Martin
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Un univers partagé sur le thème super-héroïque, présenté dans une anthologie impulsée par George R.R. Martin avait tout pour séduire.
Outre les partenaires de jeu (de rôles, car ce sont bien plusieurs campagnes sur un jeu de rôles qui sont à l'origine des personnages peuplant ces récits) de l'auteur de Game of Thrones, on trouvait quelques grands noms de la SF américaine qui avaient accepté de s'embarquer dans le projet, tel Roger Zelazny, le père de la saga des Princes d'Ambre. Et les éditions J'Ai Lu avaient mis les petits plats dans les grands avec cet élégant ouvrage, un peu massif mais au format encore pratique, issu de leur collection "Nouveaux Millénaires" et doté d'une très belle couverture au look vintage, laissant entrevoir d'innombrables potentiels.

Le résumé de quatrième de couverture est en effet plus qu'alléchant : au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, un accident permet à un virus extraterrestre d'affecter une partie de la population, lui conférant des pouvoirs incroyables, tandis que d'autres succombent en masse. Parmi les "affectés" survivants, quelques-uns conservent une apparence humaine mais disposent de capacités exceptionnelles : ce sont les As (l'on considère qu'ils ont tiré les bonnes cartes dans la redistribution génétique issue de l'épidémie) qui s'apparentent donc aux super-héros de comics. Mais la grande majorité préfèrent vivre dans l'ombre, le virus les ayant transformés en quelque chose d'horrible, déviant, malsain qui les place immédiatement au ban de la société : on les nomme Jokers.

Le fait est que, si le profane peut s'estimer comblé, l'amateur de lectures super-héroïques (voire l'ancien fan de jeux de rôles) va tomber de haut. Enfin, peut-être pas tant que cela, mais un peu quand même, suffisamment en tout cas pour être déçu par la manière dont cet univers pseudo-réaliste est présenté. Car, bien qu'il s'en défende avec la plus grande véhémence dans sa postface, le père George ne nous a pas proposé quelque chose de foncièrement original, ni dans l'écriture ni dans les thèmes abordés. Tant depuis les années 80 que tout récemment (le roman Le Sang des Héros, par exemple, pourrait facilement s'intégrer dans l'anthologie sans trop de modifications), de nombreux auteurs ont tenté de présenter un univers cohérent dans lequel les super-héros naîtraient et évolueraient d'une façon foncièrement plus crédible que dans les textes de l'Age d'Or du genre. Ainsi, cela fait belle lurette qu'on ne parle plus de relique mystique, d'artefact extraterrestre, d'accident cosmique ou d'araignée radioactive pour tenter d'expliquer l'apparition de pouvoirs chez les individus "augmentés" du monde Marvel, DC ou chez la concurrence. Les mutants sont passés par là, notamment, ainsi que des auteurs issus de la littérature de science-fiction ou même de la télévision - ce qui explique les nombreuses réécritures des origines de chaque héros.

Une fois digérée la déception, reste au moins l'attrait purement littéraire de l'ouvrage (on n'évoque ici que le tome 1 français, la série en comportant aujourd'hui 27). Or, il a les qualités et défauts inhérents au principe même d'anthologie : certains textes s'avèrent fascinants, captivants même, ou dotés d'un style alerte et dynamique, d'autres le sont beaucoup moins, parfois soporifiques, ringards ou simplement plats. Le tout est heureusement rehaussé par de malicieux interludes, imaginés par George Martin lui-même, qui montre sa capacité à écrire sous différents points de vue (cela va du récit circonstancié au rapport d'investigation, en passant par l'article de journal ou le colloque scientifique) ; ses annexes de fin, prétendument rédigées par des experts, sont ainsi particulièrement savoureuses et donnent à la fois plus de sel et plus de consistance à l'œuvre.
On obtient ainsi une vision relativement fluide sur cinq décennies (entre 1945 - et l'épopée de Jetboy qui, malgré sa bravoure, ne parviendra pas à empêcher que le virus extraterrestre soit répandu sur la Terre - et les années 1980, où les As ont fini par s'intégrer à la société américaine, travaillant pour le gouvernement, tandis que les Jokers fomentent des révoltes pour réclamer des droits civiques supérieurs) pendant lesquelles les grands événements historiques ont été plus ou moins impactés par "l'incident" initial : la montée du communisme, le maccarthysme, les Guerres du Viêt-Nam et de Corée comme les élections présidentielles américaines ou la tension politique Est-Ouest. Ce qui donne une uchronie sympathique, conçue intelligemment à partir de personnages épars issus de parties échevelées de jeu de rôles et auxquels a été conférée une origine commune (les effets incontrôlés d'un xénovirus) ainsi que des destins et une temporalité divergents.
Rien de révolutionnaire ou de grandiose, mais une édition française relativement agréable à lire grâce à une alternance de styles et de personnages stimulante.


À noter que des pointures de la scène comics comme Chris Claremont ont rédigé des textes parus dans des tomes ultérieurs (J'Ai Lu en a traduit et édité sept, comportant souvent du matériel supplémentaire par rapport à l'édition originale datant de la fin des années 1980).



+ Les points positifs - Les points négatifs
  • Un projet stimulant pour les amateurs d'uchronies et/ou de super-héros.
  • Quelques grands noms de la SF ou de la Fantasy.
  • Quelques personnages réussis (le Dormeur, la Grande et Puissante Tortue).
  • Des interludes et des annexes bien pensés qui donnent plus de densité à l'ensemble.
  • Une édition française riche et bien présentée, souffrant de fort peu de coquilles.

  • Un manque d'originalité flagrant pour tout lecteur de comics.
  • Quelques textes au style lourd ou à l'intérêt minime.