Spider-Man : Blue
Publié le
17.9.18
Par
Nolt
La Saint Valentin a un sens bien spécial pour ce vieux Tisseur, c'est ce que nous allons constater dans l'excellent Spider-Man : Blue.
Le 14 février est une date particulière pour Peter Parker. C'est l'occasion pour lui de se souvenir de Gwen Stacy. Il se débrouille pour aller discrètement jeter une rose du haut d’un pont… "le" pont. Celui qui a coûté la vie à son premier amour. C'est à partir de ce rituel mélancolique et d'un gros coup de blues que Jeph Loeb, au scénario, et Tim Sale, aux dessins (le tandem de Batman : The Long Halloween), vont revenir sur un moment crucial du passé de Spidey, si crucial qu'il fait partie des éléments fondateurs du mythe de l'Araignée.
Les titres de cette mini-série, publiée aux débuts des années 2000 (et en 2006 en France, dans la collection 100% Marvel), sont éloquents : My funny Valentine, Let’s fall in love, Anything goes, Autumn in New York, If i had you et All of me. C'est donc plus de sentiments que de castagne qu'il sera question ici.
Cependant, les auteurs parviennent à rendre ce retour en arrière agréablement nostalgique, avec des scènes d'une émotion intense qui prennent aux tripes. Par exemple, les quelques mots d'une Mary Jane, ayant compris ce que Peter s'apprêtait à faire, et qui lui demande alors de "passer le bonjour à Gwen" et de lui dire qu'elle lui manque aussi. Impossible de ne pas avoir les yeux qui piquent à ce moment-là. Voilà sans doute la magie véritable des livres et des bons sorciers qui les écrivent : créer de véritables émotions à partir d'un peu de papier et d'encre...
Visuellement, le style de Sale est particulièrement efficace. Les covers sont fort jolies, les dessins, un peu rétro et parfaitement colorisés, installent une ambiance douce-amère. Les planches sont habilement composées et contrastées, avec d'élégants aplats. C'est un réel plaisir de s'attarder sur certaines planches, qu'elles montrent un Tisseur se baladant au-dessus de la ville, un kiosque à journaux ou une balade en moto. On frise la perfection.
Le récit, utilisant habilement des moyens originaux mettant le lecteur au centre des souvenirs d’un Parker désabusé et profondément sincère, est simplement l'une des plus belles histoires de Spider-Man. D'ailleurs, pour ceux qui s'inquièteraient du côté un peu trop sentimental de cette mini-série, sachez que les super-vilains et les combats font tout de même leur apparition. L'on a notamment droit à des bastons, très esthétiques, avec le Bouffon Vert, le Rhino, le Lézard, le Vautour et Kraven. L'on peut même noter une apparition éclair d'Octopus et du Scorpion, ce qui constitue un tour relativement complet des principaux ennemis historiques du Tisseur.
Ces moments "super-héroïques" alternent avec des scènes de la vie quotidienne, où l'on retrouve Mary Jane, Gwen ou encore Flash Thompson (dans des flahbacks notamment). Et là encore, c'est particulièrement bien écrit.
Parker a tellement l’habitude de pleurnicher et de jouer au poissard de service qu’il faut être réellement inventif pour nous faire, encore, nous apitoyer sur son sort de super-héros malchanceux. Et ces deux bougres y parviennent. Non pas en ressassant un Spidey enivré de doutes et de misères passées, mais en montrant le regard, adulte et dur, d’un homme qui se retourne sur sa jeunesse et apprend à accepter ce qui a changé et ne reviendra plus. Ce ne sont plus des jérémiades mais bien un constat, comme un baume sur une blessure qui devait, enfin, en finir de saigner et devenir une belle et fine cicatrice.
Si Marvel a réussi une chose en plusieurs décennies d’histoires, c’est bien celle-là : ne jamais ressusciter Gwendolyn (enfin, presque jamais). Car, au final, et malgré la colère des fans à l'époque, la mort de Gwen a fait plus pour l’identification et la fidélisation au héros que n’importe quel combat. Spider-Man, le vrai, celui des comics, nous ressemble car, quoi qu’il arrive, il a perdu Gwen comme nous avons nous-mêmes perdu notre innocence ou d’autres choses. Il est certes dangereux de jouer avec ce côté humain des héros, mais il serait suicidaire de ne point le faire. Marvel réussit parfois cet exploit d’allier pouvoirs et fragilité, costumes ridicules et émotions bien réelles, irréalité des combats et sincérités des sentiments. C'est ici le cas.
Blue aurait pu être la mini-série de trop dans le genre "Spidey déprime", loin de là, Loeb et Sale parviennent à magnifier cette tragédie et à en faire un drame d'une justesse et d'une beauté incomparable. Car si l'on avait souvent vu Peter être malmené ou déprimer, personne n'avait encore à ce point sublimé son spleen. Le Monte-en-l'air a remisé ses vannes pour un temps. Il est hanté par l'image de Gwen. Par son absence. Si perdu qu’il en vient à confier son histoire à un simple dictaphone. Juste pour qu’une trace persiste. Une trace de l’indicible. Une trace de ce qu’il ne peut confier à personne, et surtout pas à ceux qu’il aime. Une trace de ce qui n’est plus et que jamais, personne, ne pourra remplacer.
Ce n’est plus une question d’amour, de compréhension, c’est au-delà de tout.
Certains béotiens considèrent encore les comics comme des BD bas de gamme, de l'art au rabais pour les gamins et les demeurés. Voilà un livre qui pourrait bien les faire changer d'avis. Il suffit de tourner ces pages pour se rendre compte qu'il y a, dans ces quelques dessins, bien plus que ce qu'ils semblent représenter. Ce n'est pas seulement un peu de papier. C'est un endroit où les larmes ruissellent sans irriter la peau. Où la lumière coule sans éblouir. Où la mort de Gwen a un sens. Où une MJ nous consolera. Où Spider-Man n'affronte pas seulement des criminels mais aussi ses propres démons.
L'on aurait pu croire que Gwen Stacy était un faire-valoir, un pâle souvenir, un poids mort. C’est tout le contraire. Elle est de ces pertes qui font avancer. Elle est de ces faiblesses qui se transforment un jour en force, lorsqu’on a le courage de les regarder vraiment. Elle est de ces choses qui, plus que jalonner un chemin, le façonnent. Il fallait bien deux auteurs de génie pour lui rendre ce bel et vibrant hommage.
Une lecture absolument indispensable pour tous les fans du Tisseur.
Et même pour ceux qui le sont moins.
— Chaque année, le jour de la Saint Valentin, je viens à cet endroit. Discrètement. Personne n'est au courant. C'est pour me souvenir d'une femme qui comptait tellement pour moi que je voulais passer ma vie avec elle. J'ignorais qu'en fait, c'était elle qui allait toujours rester à mes côtés.
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